Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les décisions implicites rejetant les demandes qu'elle a formulées les 15 janvier 2018 et 26 juillet 2019 tendant à l'octroi de la protection fonctionnelle et à la condamnation de la commune de Woippy à lui verser la somme de 23 612,54 euros au titre des honoraires d'avocat qu'elle a dû supporter à l'occasion des actions qu'elle a menées en justice, à ce que son plein traitement soit rétabli entre le 8 octobre 2015 et le 8 avril 2016, à l'indemnisation du préjudice résultant de son éviction illégale du service depuis le 8 avril 2016 et au versement de la somme de 388 euros correspondant aux prestations " rentrée scolaire " du comité national d'action sociale (CNAS) dont elle a été privée depuis la rentrée 2017 et des sommes correspondant aux prestations non versées par le CNAS au titre du Noël des enfants en 2016 et au titre de son mariage en 2017 et de la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral.
Par un jugement n° 1908723 du 12 octobre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 décembre 2021, Mme B..., représentée par Me Couronne, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 12 octobre 2021 ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet de la demande de protection fonctionnelle du 26 juillet 2019 ;
3°) d'enjoindre à la commune de Woippy de déterminer les montants dus au titre de son plein traitement entre le 8 octobre 2015 et le 8 avril 2016, y compris les primes et indemnités auxquelles elle avait droit et les sommes correspondant aux prestations non versées par le comité national d'action sociale (CNAS) au titre de l'aide à la rentrée, du Noël des enfants et pour son mariage ;
4°) de condamner la commune de Woippy à lui verser la somme de 23 139,54 euros au titre des honoraires d'avocats qu'elle a dû supporter à l'occasion des actions qu'elle a menées en justice ;
5°) de condamner la commune de Woippy à lui verser la somme de 5 500 euros au titre du plein traitement dû entre le 8 octobre 2015 et le 8 avril 2016 ;
6°) de condamner la commune de Woippy à lui verser la somme de 90 000 euros au titre de son éviction illégale le 8 avril 2016 ;
7°) de condamner la commune de Woippy à lui verser la somme de 485 euros correspondant aux prestations " rentrée scolaire " du comité national d'action sociale (CNAS) dont elle a été privée depuis la rentrée 2017 ;
8°) de condamner la commune de Woippy à lui verser la somme correspondant aux prestations non versées par le CNAS au titre du Noël des enfants en 2016 et au titre de son mariage en 2017 ;
9°) de condamner la commune de Woippy à lui verser la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral ;
10°) d'assortir toutes les condamnations prononcées des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;
11°) de mettre à la charge de la commune de Woippy une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme B... soutient que :
- le caractère continu du préjudice de harcèlement moral fait obstacle à ce que lui soit opposé le caractère de décision confirmative ;
- lui opposer une décision confirmative méconnaît l'exigence constitutionnelle posée par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dont il résulte que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ;
- elle est fondée à solliciter le bénéfice de la protection fonctionnelle en raison de la situation de harcèlement moral dont elle est victime ;
- elle est fondée à engager la responsabilité de la commune de Woippy en raison de la situation de harcèlement moral dont elle s'estime victime ;
- cette situation de harcèlement a entraîné divers préjudices matériels ainsi qu'un préjudice moral qu'il incombe à la commune de Woippy de réparer.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er août 2022, la commune de Woippy, représentée par Me Branchet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme B... la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la demande présentée devant le tribunal est irrecevable car les conclusions à fin d'annulation sont dirigées contre une décision confirmative ;
- les moyens de la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mosser,
- les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique,
- et les observations de Me Barbier-Renard, représentant Mme B..., et de Me Branchet, représentant la commune de Woippy.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., fonctionnaire territoriale, occupait les fonctions de gardien de police municipale auprès de la commune de Woippy de 2001 à 2017. Par un courrier du 15 janvier 2018, Mme B... avait sollicité une première fois le bénéfice de la protection fonctionnelle et l'indemnisation des préjudices résultant du harcèlement moral qu'elle estime avoir subi. Du silence gardé sur cette demande est née une décision implicite de rejet. Ayant introduit un recours contre cette décision, elle a déclaré se désister de sa demande et le tribunal administratif a donné acte de son désistement d'instance le 22 mai 2019. Par un courrier du 26 juillet 2019, elle a de nouveau sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle et la condamnation de la commune à l'indemniser du préjudice né du harcèlement moral dont elle estime avoir fait l'objet. Le silence de l'administration a fait naître une seconde décision implicite de rejet. Mme B... relève appel du jugement du 12 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces décisions implicites et la condamnation de la commune de Woippy à réparer les préjudices qui résultent du refus de protection fonctionnelle et du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime.
Sur les conclusions dirigées contre la décision de refus implicite de la demande de protection fonctionnelle présentée par Mme B... et les conclusions indemnitaires au titre du harcèlement moral :
2. D'une part, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires applicable au litige, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ". Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
3. D'autre part, aux termes des dispositions du IV de l'article 11 de la même loi dans sa version applicable au litige, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 134-5 du code général de la fonction publique : " La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ". Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
4. A l'appui de sa demande d'annulation de la décision implicite refusant de lui octroyer la protection fonctionnelle demandée à raison du harcèlement moral dont elle soutient avoir été victime, Mme B... invoque la sanction dont elle a fait l'objet le 2 août 2013 qui a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 17 mars 2016 ainsi que la sanction du 21 novembre 2013 et le titre exécutoire dont elle a fait l'objet le 19 juin 2014 qui ont également été annulés par des jugements des 22 avril et 23 juin 2016. En outre, elle fait valoir que si elle a été radiée des cadres le 11 mai 2016 et que son traitement a été suspendu à titre rétroactif et qu'un nouveau titre exécutoire a été émis à son encontre, ces actes ont tous été annulés par un jugement commun du 28 mars 2017. Elle invoque également le fait que la commune a émis deux nouveaux titres exécutoires les 26 août et 29 septembre 2017 et l'a de nouveau radiée des cadres le 11 octobre 2017 et que ces actes ont été annulés par deux jugements du 18 octobre 2018. Enfin, elle se prévaut de l'inexécution de ces jugements, le tribunal ayant dû enjoindre à la commune, par un jugement du 24 août 2020, de la réintégrer et de procéder à la reconstitution de sa carrière et condamner la commune à lui verser les demi-traitement dus entre le 28 mai 2017 et le 25 janvier 2018. Les astreintes ont été liquidées par deux jugements du 13 juillet 2021. Il ressort des pièces du dossier que les décisions illégales prises à l'encontre de Mme B... de manière répétée entre 2013 et 2017 qui ont toutes été annulées par le tribunal et la résistance abusive de la commune à exécuter les jugements ont conduit à une dégradation des relations entre la commune et son agente. Ces éléments, indépendamment du fait que Mme B... ne s'est plus présentée sur son lieu de travail depuis avril 2015, sont susceptibles de faire présumer l'existence de faits de harcèlement moral. Toutefois, eu égard à la nature des annulations prononcées par le tribunal qui sanctionnent uniquement des illégalités externes, la commune soutient à bon droit que ces jugements ne faisaient pas obstacle à ce qu'elle reprenne les mêmes décisions en tenant compte du motif d'annulation retenu. Si ces actes ont à nouveau été annulés, c'est également en raison uniquement de vices d'illégalité externe. Pour sa part, la commune démontre que ces illégalités et l'exécution tardive des jugements sont dues à la mauvaise gestion de la situation administrative et juridique de Mme B... et aux disfonctionnements patents de ses services mais ne sauraient par elles-mêmes caractériser une volonté de nuire à la requérante. Dans ces circonstances particulières et alors que Mme B... a finalement été réintégrée juridiquement par un arrêté du 10 mars 2021, à la suite d'un jugement d'exécution du 24 août 2020, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une situation de harcèlement moral puisse être regardée comme caractérisée. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision implicite refusant de lui accorder la protection fonctionnelle qu'il demandait à ce titre est entachée d'une erreur d'appréciation.
5. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de caractérisation d'une situation de harcèlement moral, les conclusions indemnitaires en raison du harcèlement moral dont Mme B... s'estime victime ne sont pas fondées et doivent être rejetées.
Sur les conclusions indemnitaires en raison des illégalités commises par la commune présentées à titre subsidiaire :
6. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ".
7. La décision par laquelle l'administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur, quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question. Par suite, la victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation.
8. En revanche, si une fois expiré ce délai de deux mois, la victime saisit le juge d'une demande indemnitaire portant sur la réparation de dommages causés par le même fait générateur, cette demande est tardive et, par suite, irrecevable. Il en va ainsi alors même que ce recours indemnitaire indiquerait pour la première fois les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages, ou invoquerait d'autres chefs de préjudice, ou aurait été précédé d'une nouvelle décision administrative de rejet à la suite d'une nouvelle réclamation portant sur les conséquences de ce même fait générateur.
9. Il n'est fait exception à ce qui est dit au point précédent que dans les cas où la victime demande réparation de dommages qui, tout en étant causés par le même fait générateur sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation, ou si la demande est fondée sur une cause juridique nouvelle.
10. En l'espèce, Mme B... a demandé dans son courrier du 26 juillet 2019 à la commune de Woippy l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de la situation de harcèlement moral dont elle prétend être victime. Elle a invoqué pour la première fois devant les premiers juges un nouveau chef de préjudice, en l'occurrence, la responsabilité pour faute de la commune en raison des illégalités qu'elles a commises. Cette demande est fondée sur les mêmes faits générateurs que ceux mentionnés au point 4 et relève de la même cause juridique, c'est-à-dire la responsabilité pour faute de la commune, que celle figurant dans la demande indemnitaire présentée devant l'administration. Elle a été formulée à l'occasion d'un mémoire en réplique enregistrée le 15 décembre 2020, soit après l'expiration du délai de recours expirant le 22 janvier 2019. Or il ne résulte pas de l'instruction et notamment des écritures de la requérante que Mme B... y fasse état de nouveaux préjudices ou d'une aggravation de ces préjudices nés des mêmes faits générateurs depuis le rejet implicite de sa demande préalable. Par suite, les conclusions indemnitaires nouvelles présentées par Mme B... au titre des illégalités commises par la commune sont tardives et ne sont pas recevables dans le cadre de la présente instance.
11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la commune, que Mme B... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation et indemnitaires doivent être rejetées. Il s'ensuit que les conclusions à fin d'injonction relatives à la détermination des montants des préjudices que la requérante invoque ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.
Sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Woippy, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à Mme B... une somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la commune de Woippy présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Woippy sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à la commune de Woippy.
Délibéré après l'audience du 25 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président,
M. Agnel, président-assesseur,
Mme Mosser, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 février 2024.
La rapporteure,
Signé : C. MosserLe président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'enseignement supérieur et la recherche en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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N° 21NC03220