La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/02/2024 | FRANCE | N°23NC03187

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 13 février 2024, 23NC03187


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler l'arrêté du 14 juin 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination et, d'autre part, d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à

compter de la notification du jugement, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, sou...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler l'arrêté du 14 juin 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination et, d'autre part, d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, sous la même astreinte, de l'admettre à titre provisoire au séjour dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement, et de procéder au réexamen de sa situation.

Par un jugement n° 2304654 du 28 septembre 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a admis Mme C... à l'aide juridictionnelle provisoire, a annulé l'arrêté du 14 juin 2023, a enjoint à la préfète du Bas-Rhin de délivrer à Mme C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, à mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me Airiau, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle et a rejeté le surplus des conclusions.

Procédures devant la cour :

I/ Par une requête enregistrée le 25 octobre 2023, sous le n° 23NC03187, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2304654 du 28 septembre 2023 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) de rejeter les demandes présentées par Mme C... devant le tribunal administratif de Strasbourg.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges, pour annuler l'arrêté du 14 juin 2023, ont considéré que celui-ci était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle ; la situation E... C... ne présente aucune particularité ;

- les autres moyens soulevés en première instance par Mme C... ne sont pas fondés :

en ce qui concerne la décision de refus de séjour :

- la compétence de son signataire est établie ;

- elle n'est pas entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation et l'erreur de fait est sans incidence sur la décision litigieuse ;

- elle ne méconnaît pas les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle ne méconnaît pas les stipulations de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;

en ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- la décision portant refus de titre de séjour étant légale, la décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut pas être illégale par voie de conséquence de l'illégalité qui affecterait la décision de refus de séjour ;

- elle est motivée en fait ;

- elle n'a pas été prise en méconnaissance du droit d'être entendu et du principe du respect des droits de la défense ;

- elle ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;

en ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- les décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français étant légales, la décision fixant le pays de destination n'est pas illégale par voie de conséquence de l'illégalité qui affecterait la décision de refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 novembre 2023, Mme C..., représentée par Me Airiau, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que l'arrêté du 14 juin 2023 était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation :

. ses enfants, dont la scolarisation est exemplaire, ont achevé la totalité de leur cycle élémentaire en France ;

. elle a démontré être en mesure de s'intégrer professionnellement ;

. elle a des attaches personnelles et familiales fortes en France ; la grand-mère de ses enfants, qui est de nationalité française, est très liée à eux ;

- l'ensemble des moyens soulevés en première instance sont fondés.

II/ Par une requête enregistrée le 25 octobre 2023, sous le n° 23NC03188, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour, sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2304654 du 28 septembre 2023 du tribunal administratif de Strasbourg.

Elle soutient que :

- il existe un moyen sérieux de nature à justifier l'annulation du jugement ;

- c'est à tort que les premiers juges, pour annuler l'arrêté du 14 juin 2023, ont considéré que celui-ci était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de la situation personnelle E... C... ;

- les autres moyens soulevés en première instance par Mme C... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 novembre 2023, Mme C..., représentée par Me Airiau, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que les moyens soulevés par la préfète du Bas-Rhin ne sont pas fondés.

Mme C... a été admise à l'aide juridictionnelle totale pour ces deux requêtes par deux décisions du 16 janvier 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport E... Roussaux, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante algérienne née en 1984, est entrée en France le 14 octobre 2017 avec ses deux enfants mineurs, sous couvert d'un visa de court séjour délivré par les autorités espagnoles. Le 26 novembre 2021, elle a sollicité son admission au séjour sur le fondement des stipulations de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié et des dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 14 juin 2023, la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme C... a alors demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler cet arrêté préfectoral du 14 juin 2023 et à ce qu'il soit enjoint à la préfère du Bas-Rhin de lui délivrer un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale ". Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre afin de statuer par un seul arrêt, la préfète du Bas-Rhin d'une part, relève appel du jugement du 28 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cet arrêté du 14 juin 2023, lui a enjoint de délivrer à Mme C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et l'a condamnée à verser la somme de 1 000 euros au conseil E... C... et d'autre part, demande le sursis à exécution de ce jugement.

Sur la requête n° 23NC03187 :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1./Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14./Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat ".

3. Les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatives aux différents titres de séjour qui peuvent être délivrés aux étrangers en général et aux conditions de leur délivrance, s'appliquent, ainsi que le rappelle l'article L. 111-2 du même code, " sous réserve des conventions internationales ". En ce qui concerne les ressortissants algériens, les stipulations de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 régissent, d'une manière complète et exclusive, les conditions dans lesquelles ils peuvent être admis à séjourner en France et y exercer une activité professionnelle, les règles concernant la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés, ainsi que les conditions dans lesquelles leurs conjoints et leurs enfants mineurs peuvent s'installer en France. Toutefois, si l'accord franco-algérien ne prévoit pas, pour sa part, des modalités d'admission exceptionnelle au séjour similaires à celles de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un certificat de résidence à un ressortissant algérien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.

4. Pour estimer que la préfète avait entaché son arrêté du 14 juin 2023 d'une erreur manifeste d'appréciation en refusant d'admettre au séjour Mme C... dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire de régularisation, les premiers juges ont retenu les circonstances qu'elle résidait en France depuis octobre 2017 avec ses enfants, lesquels sont scolarisés sur le territoire depuis plus de cinq ans, qu'elle est séparée du père de ses enfants dont elle dispose de la garde exclusive, qu'elle a occupé un emploi salarié de secrétaire administrative dans une entreprise de travaux pendant près de deux ans et qu'elle dispose sur le territoire de liens amicaux et familiaux stables et intenses.

5. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que Mme C..., qui est arrivée en France à l'âge de 33 ans dispose d'attaches très fortes en Algérie ou résident ses parents et deux de ses frères et sœurs. Le père de ses deux enfants y réside également et dispose, quand bien même il ne l'exercerait pas, d'un droit de visite. Elle est hébergée depuis 2021 en centre d'hébergement et de réinsertion sociale et ne dispose donc pas d'un logement autonome. Si elle a pu bénéficier d'un contrat de travail et produit postérieurement à la décision litigieuse deux promesses d'embauche et un contrat de travail à temps partiel d'insertion, ces éléments ne démontrent pas une capacité d'insertion professionnelle particulière. Enfin, elle n'établit pas la réalité et l'intensité des liens qu'elle entretiendrait avec des membres de sa famille en France. Par suite, la préfète du Bas-Rhin n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en lui refusant la délivrance d'un titre de séjour dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire de régularisation.

6. Ainsi, c'est à tort, comme le soutient la préfète du Bas-Rhin, que le tribunal administratif de Strasbourg a retenu ce motif pour annuler son arrêté préfectoral du 14 juin 2023.

7. Il appartient à la cour, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme C... devant le tribunal administratif de Strasbourg à l'encontre de l'arrêté préfectoral du 14 juin 2023.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés en première instance :

S'agissant des moyens soulevés contre la décision portant refus de titre de séjour :

8. En premier lieu, par un arrêté du 21 octobre 2022, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le 28 octobre 2022, la préfète du Bas-Rhin a donné délégation à M. Mathieu Duhamel, secrétaire général de la préfecture, à l'effet de signer tous arrêtés et décisions relevant des attributions de l'Etat dans le département, à l'exception de certaines mesures au nombre desquelles ne figurent pas la décision en litige. Par suite, le moyen tiré de ce que M. D..., signataire de la décision, ne dispose pas d'une délégation de signature doit être écarté comme manquant en fait.

9. En deuxième lieu, la circonstance, pour malheureuse soit-elle, que la décision litigieuse mentionne par erreur que Mme C... réside en France depuis moins de 5 ans, est sans incidence sur sa légalité dès lors qu'elle mentionne la date exacte de son entrée en France le 14 octobre 2017.

10. En troisième lieu, il ressort des termes mêmes de la décision attaquée, qui mentionne de façon circonstanciée les éléments relatifs à la situation personnelle et familiale E... C..., à l'exception de l'erreur sur la durée de son séjour en France, que la préfète du Bas-Rhin a procédé à un examen attentif et particulier de la situation personnelle de l'intéressée.

11. En quatrième lieu, d'une part, le droit au séjour des ressortissants algériens étant entièrement régi par l'accord franco-algérien, les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne leur sont pas applicables. L'erreur de droit commise par la préfète en faisant application dans l'arrêté contesté est cependant sans incidence sur sa légalité dès lors qu'elle s'est également fondée sur l'article 6-5 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est par suite inopérant.

12. D'autre part pour les mêmes motifs de fait exposés au point 5 du présent arrêt, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en refusant à Mme C... le séjour, la préfète aurait porté au droit de la requérante à mener une vie privée et familiale normale une atteinte manifestement disproportionnée aux buts en vue desquels la décision a été prise. Les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.

13. En dernier lieu, l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant stipule : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

14. Il ressort des pièces du dossier que les deux enfants mineurs E... Mme C..., nés en 2012 et 2013, sont scolarisés en France. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il ne leur sera pas possible de poursuivre leur scolarité dans le pays d'origine, où ils ont vocation à retourner en compagnie de leur mère et là où réside leur père. La préfète, qui contrairement à ce que soutient Mme C..., a examiné la situation de ses enfants en tenant compte de leur intérêt supérieur, n'a ainsi pas méconnu les stipulations précitées.

S'agissant des moyens soulevés contre la décision portant obligation de quitter le territoire français :

15. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à exciper l'illégalité du refus de titre de séjour à l'appui de sa contestation de l'obligation de quitter le territoire français.

16. En deuxième lieu, lorsqu'un refus de titre de séjour est assorti d'une obligation de quitter le territoire français, la motivation en fait de cette dernière se confond avec celle du refus de titre de séjour dont elle découle nécessairement et n'implique pas, par conséquent, dès lors que ce refus est lui-même motivé, de motivation spécifique. En l'espèce, la décision portant refus de titre de séjour comporte l'énoncé des éléments de fait sur lesquels s'est fondé la préfète pour prendre sa décision et vise l'article L. 611-1 3°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, fondement légal de la mesure d'éloignement. Par conséquent, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation en fait de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.

17. En troisième lieu, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé, notamment par son arrêt C-383/13 M. A..., N. R./Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie du 10 septembre 2013 visé ci-dessus, les auteurs de la directive du 16 décembre 2008, s'ils ont encadré de manière détaillée les garanties accordées aux ressortissants des Etats tiers concernés par les décisions d'éloignement ou de rétention, n'ont pas précisé si et dans quelles conditions devait être assuré le respect du droit de ces ressortissants d'être entendus, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union européenne. Si l'obligation de respecter les droits de la défense pèse en principe sur les administrations des Etats membres lorsqu'elles prennent des mesures entrant dans le champ d'application du droit de l'Union, il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles doit être assuré, pour les ressortissants des Etats tiers en situation irrégulière, le respect du droit d'être entendu. Ce droit, qui se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts, ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.

18. Dans le cadre ainsi posé, et s'agissant plus particulièrement des décisions relatives au séjour des étrangers, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, dans ses arrêts C-166/13 Sophie Mukarubega du 5 novembre 2014 et C-249/13 Khaled Boudjlida du 11 décembre 2014 visés ci-dessus, que le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Ce droit n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

19. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt C-383/13 M. A..., N. R./Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie du 10 septembre 2013, que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant d'un pays tiers en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.

20. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme C... a pu présenter, sur sa situation, les observations qu'elle estimait utiles dans le cadre de sa demande de titre de séjour. Alors qu'elle ne pouvait ignorer qu'en cas de rejet de cette demande, elle était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement, elle n'allègue pas avoir sollicité en vain un entretien auprès des services préfectoraux, ni même avoir été empêchée de présenter d'autres observations qui auraient pu influer sur le contenu de la décision portant obligation de quitter le territoire français en litige. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance du droit d'être entendu et du respect du principe des droits de la défense doivent être écartés.

21. En quatrième lieu, pour les mêmes motifs que ceux figurant au point 12 du présent arrêt, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de ce que la décision litigieuse serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle doivent être écartés.

S'agissant des moyens soulevés contre la décision fixant le pays de destination :

22. Il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à invoquer, par la voie de l'exception, le moyen tiré de l'illégalité du refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire à l'encontre de la décision fixant le pays de destination.

23. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Bas-Rhin est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté préfectoral du 14 juin 2023, lui a enjoint de délivrer à Mme C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et a mis à sa charge la somme de 1 000 euros à verser au conseil E... C....

Sur la requête 23NC03188 :

24. Par le présent arrêt, la cour se prononce sur l'appel de la préfète du Bas-Rhin contre le jugement du 28 septembre 2023 du tribunal administratif de Strasbourg. Par suite, les conclusions aux fins de sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur les frais liés aux litiges :

25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse au conseil E... C... la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23NC03188 de la préfète du Bas-Rhin à fin de sursis à exécution du jugement du 28 septembre 2023 du tribunal administratif de Strasbourg.

Article 2 : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2304654 du 28 septembre 2023 du tribunal administratif de Strasbourg sont annulés.

Article 3 : Les demandes présentées par Mme C... devant le tribunal administratif de Strasbourg sont rejetées.

Article 4 : Les conclusions E... C..., dans les deux instances, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des Outre-mer, à Mme B... C... et à Me Airiau.

Copie du présent arrêt sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente de chambre,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2024.

La rapporteure,

Signé : S. RoussauxLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

Nos 23NC03187, 23NC03188


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC03187
Date de la décision : 13/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : AIRIAU

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-13;23nc03187 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award