Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés du 15 novembre 2022 par lesquels la préfète du Bas-Rhin a décidé de sa remise aux autorités allemandes, présentées comme responsables de sa demande d'asile, et l'a assignée à résidence.
Par un jugement n° 2207673 du 6 décembre 2022, le magistrat désigné du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 janvier 2023, Mme C..., représentée par Me Snoeckx, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les arrêtés attaqués ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce que l'assistance d'un interprète lui a été refusée en dépit de ses demandes ;
- la mesure de transfert est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013.
Par un mémoire enregistré le 12 avril 2023, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la constitution ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience publique.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Agnel.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante éthiopienne, est entrée en France et a sollicité la reconnaissance du statut de réfugiée. La comparaison du relevé décadactylaire de ses empreintes avec le fichier " Eurodac " a révélé que ses empreintes avaient été relevées par les autorités allemandes. Le 28 septembre 2022, la préfète du Bas-Rhin a saisi les autorités allemandes d'une demande de reprise en charge de l'intéressée. Les autorités allemandes ont donné leur accord à cette mesure le 10 octobre 2022. En conséquence, la préfète du Bas-Rhin a, par des arrêtés du 15 novembre 2022, décidé de la remise de Mme C... aux autorités allemandes et l'a assignée à résidence. Mme C... relève appel du jugement du 6 décembre 2022 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 776-23 du code de justice administrative, rendu applicable en matière de transfert par l'article R. 777-3-9 du même code : " Dans le cas où l'étranger, qui ne parle pas suffisamment la langue française, le demande, le président nomme un interprète qui doit prêter serment d'apporter son concours à la justice en son honneur et en sa conscience. Cette demande peut être formulée dès le dépôt de la requête introductive d'instance. Lors de l'enregistrement de la requête, le greffe informe au besoin l'intéressé de la possibilité de présenter une telle demande ".
3. Alors que Mme C... avait à deux reprises informé le greffe de la juridiction de ce qu'elle désirait être assistée d'un interprète en langue amharique, il ressort des mentions du jugement attaqué que lors de l'audience, assistée de sa seule avocate, elle n'a pas bénéficié d'une telle mesure. Par suite, elle est fondée à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier et à en demander l'annulation.
4. Il y a lieu toutefois pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de Mme C....
Sur la légalité des arrêtés attaqués :
En ce qui concerne le moyen commun tiré de l'incompétence de l'auteur des arrêtés contestés :
5. Par un arrêté régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du Bas-Rhin du 7 octobre 2022, la préfète du Bas-Rhin a donné délégation à Mme B..., cheffe du pôle régional Dublin, à l'effet de signer les arrêtés relatifs aux étrangers. Il suit de là que le moyen tiré de l'incompétence du signataire des arrêtés attaqués doit être écarté.
En ce qui concerne la décision de transfert aux autorités allemandes :
6. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. (...). / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac ".
7. Il ressort des pièces du dossier que les services de la préfecture du Bas-Rhin ont remis à Mme C..., le 26 septembre 2022, la brochure " A. J'ai demandé l'asile dans l'UE - quel pays sera responsable de ma demande d'asile ' " et la brochure " B. Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie '", toutes les deux rédigées en langue amharique, que la requérante comprend. Ces documents constituent la brochure commune visée au paragraphe 3 de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 et contiennent l'intégralité des informations prévues par les dispositions précitées du règlement (UE) n° 604/2013. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée est intervenue en méconnaissance des droits qu'il tire de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013.
8. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
9. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... a bénéficié d'un entretien individuel auprès des services de la préfecture le 26 septembre 2022, conduit en langue amharique. Il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment des informations contenues dans le compte-rendu d'entretien, que ledit entretien n'aurait pas été réalisé selon les formes et les conditions posées par les dispositions citées au point précédent. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
10. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement ". Et aux termes de l'article L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. (...) Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat ".
11. Si Mme C... fait valoir qu'elle a un parcours traumatisant du fait de son passage à Dubaï où elle a travaillé dans la situation d'une esclave pour une famille, cette circonstance, aussi dramatique soit elle, ne justifie pas le recours à la clause de souveraineté. En effet la requérante aura le statut de primo demandeur d'asile en Allemagne et elle sera traitée conformément aux normes internationales relatives à l'asile. La circonstance qu'elle n'aurait pas elle-même déposé en Allemagne de demande de visa est sans incidence sur la procédure de demande d'asile. Dans ces conditions, elle n'est pas fondée à soutenir qu'en ne faisant pas usage de la clause de souveraineté de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 et de l'article L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la préfète du Bas-Rhin aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
12. Le moyen tiré de ce que la décision portant assignation à résidence serait privée de base légale en conséquence de l'illégalité de la décision de transfert doit, eu égard à ce qui précède, être écarté.
13. Si la requérante fait valoir que cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, elle n'apporte aucun élément au soutien de ses prétentions. Par suite le moyen doit être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à demander l'annulation des arrêtés attaqués. Par suite, sa demande présentée devant le tribunal administratif de Strasbourg doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
15. La demande de Mme C... étant rejetée, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse une somme à l'avocate de Me C... au titre des frais que cette dernière aurait exposés si elle n'avait été admise à l'aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2207673 du 6 décembre 2022 du magistrat désigné du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.
Article 2 : La demande de Mme C... est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., à Me Snoeckx et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie du présent arrêt sera transmise à la préfète du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Agnel, président de chambre,
Mme Brodier, première conseillère,
Mme Mosser, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 octobre 2023.
Le président-rapporteur,
Signé : M. AgnelL'assesseure la plus ancienne,
Signé : H. Brodier
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
N° 23NC00068 2