La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/10/2023 | FRANCE | N°22NC02833

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 19 octobre 2023, 22NC02833


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 31 août 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de 36 mois.

Par un jugement n° 2205735 du 14 septembre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.r>
Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 31 août 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de 36 mois.

Par un jugement n° 2205735 du 14 septembre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 14 novembre et 18 décembre 2022, M. A..., représenté par Me Reich, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 14 septembre 2022 ;

2°) d'annuler cet arrêté du 31 août 2022 ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de régulariser sa situation, sous astreinte de 25 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

S'agissant des moyens communs aux décisions figurant dans l'arrêté en litige :

- l'arrêté en litige est entaché d'incompétence de son signataire ;

- il est entaché de défaut de motivation ;

S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :

- la décision en litige méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les dispositions des 5° et 6° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les dispositions du 8° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il ne représente pas une menace pour l'ordre public au sens de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

La procédure a été communiquée à la préfète du Bas-Rhin qui n'a pas produit de mémoire en défense.

M. A... été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brodier,

- les observations de Me Reich, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant algérien né en 1967, serait entré une première fois sur le territoire français en 1992, selon ses indications. Il a fait l'objet, par un jugement du tribunal correctionnel de Draguignan du 2 octobre 1995, d'une peine d'interdiction définitive du territoire français, en exécution de laquelle il a été éloigné le 16 octobre 2008 à destination de l'Algérie. Il serait à nouveau entré sur le territoire français au cours de l'année 2011 selon ses déclarations. Père d'un enfant français, né en 2004, il a obtenu la délivrance d'une carte de résident algérien valable du 3 juillet 2017 au 2 juillet 2018, qui a ensuite fait l'objet d'une décision de retrait par un arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 10 octobre 2017 compte tenu de l'interdiction judiciaire du territoire qui faisait obstacle à la délivrance de ce titre. Ecroué à la maison d'arrêt de Nancy-Maxéville depuis le 17 septembre 2021, il a fait l'objet d'un arrêté de la préfète du Bas-Rhin du 31 août 2022 portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, fixant le pays de destination et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans. M. A... relève appel du jugement du 14 septembre 2022 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, il y a lieu d'adopter les motifs retenus à juste titre par la première juge pour écarter les moyens tirés de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige et du défaut de motivation des décisions comprises dans cet arrêté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

4. A la date à laquelle l'obligation de quitter le territoire français, a été prise à son encontre, le requérant était incarcéré depuis quasiment un an, en exécution d'un jugement du 11 mai 2018 le condamnant à une peine de six mois d'emprisonnement pour pénétration non autorisée sur le territoire national après interdiction judiciaire du territoire et vol en réunion, d'un jugement du tribunal correctionnel de Nancy du 10 juillet 2020, le condamnant à une peine de trois mois d'emprisonnement pour vol en réunion, et d'un jugement du 7 mai 2021 le condamnant à une peine de dix mois d'emprisonnement pour violence avec usage ou menace d'une arme suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours et rébellion et violence avec usage ou menace d'une arme sans incapacité. Il n'est par ailleurs pas contesté que le requérant avait déjà été condamné, par un jugement du tribunal correctionnel de Draguignan à huit années d'emprisonnement pour des faits de trafic de stupéfiants, port prohibé d'arme, munitions ou leurs éléments de catégorie 4 et qu'il avait, de nouveau, été condamné, le 7 mai 2008 à trois mois d'emprisonnement pour rébellion commise en réunion, violence sur une personne dépositaire de l'autorité publique suivie d'incapacité supérieure à huit jours. Compte tenu des faits pour lesquels il a été condamné et de la répétition de leur commission, le comportement de M. A... constituait toujours, à la date de la décision en litige, une menace pour l'ordre public. Par ailleurs, si le requérant se prévaut de la présence en France de sa femme, qu'il a épousée en 2006, et de leur fils, né en 2004, la seule production d'un bail locatif signé en juillet 2018 et des deux attestations peu circonstanciées de ceux-ci ne suffit pas à établir la réalité, l'intensité et l'ancienneté de leur vie commune depuis le retour de l'intéressé sur le territoire français en 2011. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français porterait une atteinte grave et manifestement disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, l'éloignement de M. A... devant d'ailleurs être mis en œuvre par l'autorité administrative aussi longtemps que l'intéressé n'aura pas obtenu le relèvement de la peine d'interdiction définitive du territoire français, à laquelle il a été condamnée par un jugement définitif du 2 octobre 1995. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) ; 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; 6° L'étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ; (...) ; 8° L'étranger titulaire d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 % ; 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ".

6. D'une part, le fils de M. A... étant né le 8 mai 2004, il était devenu majeur à la date de la décision en litige. Le requérant ne saurait ainsi utilement se prévaloir de la protection accordée par les dispositions du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

7. D'autre part, la seule production d'un contrat de bail signé le 7 juillet 2018 et d'une attestation, au demeurant postérieure à la décision en litige, de son épouse ne permettent pas d'établir que la communauté de vie n'avait pas cessé depuis le mariage. M. A... n'est ainsi pas fondé à se prévaloir des dispositions du 6° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. Par ailleurs, la circonstance qu'il s'est vu reconnaître un taux d'incapacité compris entre 50% et 70% par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées ne suffit pas à le faire entrer dans le champ d'application des dispositions du 8° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

9. Enfin, si M. A... produit des certificats médicaux attestant qu'il souffre d'une pathologie psychiatrique grave, suivie et traitée depuis 2015, il ne produit aucune pièce pour établir qu'il ne pourrait pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié en Algérie. Par suite, et alors au demeurant que le requérant n'avait pas informé les services de la préfecture du Bas-Rhin, avant l'intervention de l'arrêté en litige, de son état de santé, il n'est pas fondé à soutenir que celui-ci méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

10. En quatrième lieu, M. A... ne saurait utilement invoquer, pour contester la mesure d'éloignement en litige, les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales aux termes desquelles " Nul ne peut être soumis à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". A supposer qu'il ait entendu diriger ce moyen contre la décision fixant le pays de destination, il ne ressort pas des pièces du dossier que, compte tenu de son état de santé, M. A... serait exposé, en cas de retour en Algérie, à un déclin grave, rapide et irréversible ni à une réduction significative de son espérance de vie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

11. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; (...) ; 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) ; 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ".

12. Il ressort de ce qui a été dit au point 4 du présent arrêt que le comportement de M. A... doit être regardé comme constituant une menace pour l'ordre public. Par suite, la préfète du Bas-Rhin pouvait, pour ce seul motif, refuser de lui accorder un délai de départ volontaire.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 31 août 2022. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Reich et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 25 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Agnel, président,

Mme Brodier, première conseillère,

Mme Mosser, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 octobre 2023.

La rapporteure,

Signé : H. Brodier Le président,

Signé : M. Agnel

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

N° 22NC02833


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC02833
Date de la décision : 19/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. AGNEL
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : REICH

Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-10-19;22nc02833 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award