Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'EARL de la Villa a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 11 octobre 2019 par lequel le préfet de la Marne a refusé de lui délivrer une dérogation aux règles de distance d'implantation par rapport aux tiers.
Par un jugement n° 1902707 du 13 juillet 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé cet arrêté du 11 octobre 2019 et a enjoint au préfet de la Marne de réexaminer la demande de dérogation présentée par le requérant dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 septembre 2021, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 13 juillet 2021.
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé dès lors qu'il comporte des imprécisions ;
- le moyen retenu par les premiers juges n'était pas de nature à fonder une annulation de l'arrêté en litige dès lors, d'une part, qu'ils se sont fondés à tort sur l'activité passée de l'installation pour reconnaître l'existence de circonstances locales et, d'autre part, qu'ils ont fait une inexacte application des dispositions de l'article 2 de l'arrêté ministériel du 27 décembre 2013 en ne contrôlant pas si les mesures compensatoires atténuent les nuisances résultant de l'exploitation et assurent la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 janvier 2022, l'EARL de la Villa, représentée par la Selas Cabinet Devarenne, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 30 septembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 30 novembre 2022.
En réponse aux demandes qui leur ont été adressées par des courriers du 20 juillet 2023, sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, les parties ont produit des éléments complémentaires, par un mémoire enregistré le 25 juillet 2023 par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, et par un mémoire enregistré le 4 août 2023 par l'EARL de la Villa.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- l'arrêté du 27 décembre 2013 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations relevant du régime de l'enregistrement au titre des rubriques n°s 2101, 2102 et 2111 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Barrois, première conseillère,
- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,
- et les observations de Me Jacquemin, représentant la société EARL de la Villa
Considérant ce qui suit :
1. L'EARL de la Villa exploite un élevage de quatre-vingt vaches allaitantes sur le territoire de la commune de Servon-Melzicourt (Marne). Par acte notarié du 3 avril 2018, elle a acquis des bâtiments, sur un terrain non contigu au sien, qui accueillaient précédemment un élevage de quarante vaches laitières, en vue de développer son activité et porter son élevage à cent-vingt vaches allaitantes, circonstance faisant entrer cette exploitation sous le régime de la déclaration, au titre de la rubrique 2101 de la nomenclature des installations classées. Le 23 juin 2018, elle a déposé un dossier de déclaration accompagné d'une demande de dérogation à la règle de distance par rapport aux habitations. Par un arrêté du 11 octobre 2019, le préfet de la Marne a rejeté cette demande. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires relève appel du jugement du 13 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de la Marne de réexaminer la demande de dérogation présentée par le requérant dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments qui lui étaient soumis, s'est prononcé par des motifs circonstanciés sur les moyens invoqués par l'EARL de la Villa. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation du jugement doit être écarté.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 512-10 du code de l'environnement : " Pour la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1, le ministre chargé des installations classées peut fixer par arrêté, après consultation des ministres intéressés et du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques, les prescriptions générales applicables à certaines catégories d'installations soumises à déclaration (...). Ces arrêtés précisent également les conditions dans lesquelles ces prescriptions peuvent être adaptées par arrêté préfectoral aux circonstances locales ". Et aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 27 décembre 2013 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées pour la protection de l'environnement soumises à déclaration sous les rubriques n° 2101-1, 2101-2, 2101-3, 2102 et 2111 : " Les installations classées soumises à déclaration sous les rubriques nos 2101-1, 2101-2, 2101-3 (élevages de bovins), 2102 (élevages de porcs) et 2111 (élevages de volailles et gibiers à plumes) sont soumises aux dispositions de l'annexe I au présent arrêté ". Aux termes de l'article 2 du même arrêté : " Le préfet peut, en application de l'article L. 512-10 du code de l'environnement, adapter aux circonstances locales, installation par installation, les prescriptions du présent arrêté dans les conditions prévues à l'article R. 512-52 du code de l'environnement ". Et aux termes de l'article 2.1 de l'annexe I de ce même arrêté : " Les bâtiments d'élevage et leurs annexes sont implantés à une distance minimale de : 100 mètres des habitations ou locaux habituellement occupés par des tiers (à l'exception des logements occupés par des personnels de l'installation, des hébergements et locations dont l'exploitant a la jouissance et des logements occupés par les anciens exploitants), des stades ou des terrains de camping agréés (à l'exception des terrains de camping à la ferme) ainsi que des zones destinées à l'habitation par des documents d'urbanisme opposables aux tiers ; (...) cette distance peut être réduite à : a) 50 mètres lorsqu'il s'agit de bâtiments d'élevage de bovins sur litière accumulée (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 512-52 du même code : " Si le déclarant veut obtenir la modification de certaines des prescriptions applicables à l'installation en vertu de l'article L. 512-10 ou, le cas échéant, de l'article L. 512-9, il adresse une demande au préfet, qui statue par arrêté. (...) / L'arrêté préfectoral est pris sur le rapport de l'inspection des installations classées et, si le préfet décide de le recueillir, après avis du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (...) ".
5. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 512-10 et R. 512-12 du code de l'environnement et de l'article 2 de l'arrêté du 27 décembre 2013 rappelées ci-dessus que le préfet peut, pour une installation déterminée, adapter par arrêté les règles de distance définies par l'article 2.1 de l'annexe I de cet arrêté, au vu d'un rapport de l'inspection des installations classées et après avis facultatif du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques, en assortissant éventuellement sa décision de prescriptions spéciales.
6. Pour annuler l'arrêté du 11 octobre 2019 par lequel le préfet de la Marne a refusé de délivrer à l'EARL de la Villa une dérogation aux règles de distance d'implantation de son élevage par rapport aux tiers, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne s'est fondé sur le fait que cet arrêté devait être regardé comme entaché d'une erreur d'appréciation au regard de circonstances locales particulières.
7. Il résulte de l'instruction que les bâtiments acquis par l'EARL de la Villa ont été utilisés jusqu'au 12 février 2015 pour l'élevage de quarante vaches allaitantes et que cette activité impliquait une présence des animaux dans le bâtiment d'étable tout au long de l'année. Si le ministre fait valoir que l'activité passée des bâtiments ne peut pas être prise en compte dès lors qu'elle relève d'une rubrique différente de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement, il résulte toutefois de l'instruction que le projet litigieux ne nécessite aucune modification des bâtiments d'élevage existants et prévoit d'accueillir le même nombre d'animaux pendant la seule période hivernale. Dans ces conditions, les nuisances potentielles liées à cette nouvelle activité ne peuvent pas être regardées comme aggravées. Par suite, c'est à juste titre que le tribunal s'est fondé sur le moyen tiré de l'erreur d'appréciation pour annuler l'arrêté du 11 octobre 2019 du préfet de la Marne.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : "Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. / Les dispositions du présent titre sont également applicables aux exploitations de carrières au sens des articles L. 100-2 et L. 311-1 du code minier ".
9. Le ministre soutient que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne n'a pas contrôlé l'existence et la suffisance de mesures compensatoires atténuant les nuisances résultant de l'exploitation des bâtiments en litige et assurant la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
10. Toutefois, s'il annule le refus de dérogation opposé, le 11 octobre 2019, à l'EARL de la Villa, le tribunal administratif n'a pas manqué d'enjoindre au préfet de la Marne de fixer les prescriptions nécessaires pour garantir la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement doit être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a retenu le moyen tiré de l'erreur d'appréciation pour annuler l'arrêté du 11 octobre 2019 du préfet de la Marne.
Sur les frais d'instance :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l'EARL de la Villa et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à l'EARL de la Villa au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à l'EARL de la Villa.
Copie en sera adressée au préfet de la Marne.
Délibéré après l'audience du 28 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- Mme Guidi, présidente-assesseure,
- Mme Barrois, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 octobre 2023.
La rapporteure,
Signé : M. BarroisLe président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
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N° 21NC024820