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19/10/2023 | FRANCE | N°21NC00573

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 19 octobre 2023, 21NC00573


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Cyrimmo a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015 et des pénalités correspondantes ou, à titre subsidiaire, de sursoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne se prononçant sur les questions préjudicielles qui lui ont été posées par la décision n° 461727

du Conseil d'Etat du 25 juin 2020.

Par un jugement n° 1803184 du 30 décembre 2020, le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Cyrimmo a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015 et des pénalités correspondantes ou, à titre subsidiaire, de sursoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne se prononçant sur les questions préjudicielles qui lui ont été posées par la décision n° 461727 du Conseil d'Etat du 25 juin 2020.

Par un jugement n° 1803184 du 30 décembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a prononcé un non-lieu à statuer à concurrences des dégrèvements opérés par l'administration pour un montant de 62 387 euros et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 février 2021, la SARL Cyrimmo, représentée par Me Herbelot, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 30 décembre 2020 ;

2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015 et des pénalités correspondantes ;

3°) à titre subsidiaire, de sursoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne se prononçant sur les questions préjudicielles qui lui ont été posées par la décision n° 461727 du Conseil d'Etat du 25 juin 2020 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- s'agissant des cessions des terrains situés à Delle et Heiteren, elle a droit à la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée dont elle a omis la déduction lors de leur acquisition ; en ne lui permettant pas cette déduction, le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée est méconnu ;

- s'agissent des cessions de terrains à bâtir situés à Baedevel et Witttenheim, l'identité de nature de l'immeuble acquis et revendu résulte de la seule doctrine administrative et ajoute une condition supplémentaire qui contraire tant au texte de la loi qu'à la volonté même du législateur ;

- la construction existante sur les parcelles acquises à Wittenheim était impropre à l'habitation et entrait dans les prévisions de la doctrine BOI-TVA-IMM-10-10-20.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juillet 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la SARL Cyrimmo ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2016 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'arrêt C-299/20 de la Cour de justice de l'Union européenne du 30 septembre 2021 ;

- l'ordonnance C-191/21 de la Cour de justice de l'Union européenne du 10 février 2022 ;

- la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Mosser,

- et les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Cyrimmo qui exerce une activité de marchand de biens et de lotisseur a fait l'objet d'une vérification de comptabilité du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015. A l'issue d'une procédure contradictoire, les impositions supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée ont été mises en recouvrement le 15 décembre 2017 à hauteur de 151 641 euros en droits et 15 082 euros de pénalités. La SARL Cyrimmo a partiellement contesté les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mise à sa charge dans une réclamation du 16 janvier 2018 qui a été rejetée par l'administration le 21 mars suivant. La société relève appel du jugement du 30 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a prononcé un non-lieu à statuer à concurrence des dégrèvements opérés par l'administration par une décision du 14 novembre 2018 pour un montant de 62 387 euros et rejeté le surplus de sa demande.

Sur les rappels de taxe sur la valeur ajoutée sur les opérations de cessions de terrains à bâtir situés à Delle et Heiteren :

2. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. (...) / IV. La taxe déductible dont l'imputation n'a pu être opérée peut faire l'objet d'un remboursement dans les conditions, selon les modalités et dans les limites fixées par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes du I de l'article 208 de l'annexe II du code général des impôts : " Le montant de la taxe déductible doit être mentionné sur les déclarations déposées pour le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée. Toutefois, à condition qu'elle fasse l'objet d'une inscription distincte, la taxe dont la déduction a été omise sur cette déclaration peut figurer sur les déclarations ultérieures déposées avant le 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de l'omission ".

3. Il résulte de l'instruction que la SARL Cyrimmo n'a pas déduit la taxe sur la valeur ajoutée payée en avril 2012 pour l'acquisition des terrains situés à Delle pour un montant de 10 652,17 euros et en septembre 2013 pour l'acquisiton des terrains situés à Heiteran pour un montant de 5 813,84 euros. En vertu de l'article 208 de l'annexe II au code général des impôts, l'omission de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée payée en 2012 pouvait être régularisée jusqu'au 31 décembre 2014 et jusqu'au 31 décembre 2015 pour la taxe payée en 2013. Il appartenait donc à la société d'opérer la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a payée en raison des acquisitions de terrains dans les déclarations mensuelles correspondantes ou d'opérer la régularisation de l'omission de cette déduction dans les conditions posées par les dispositions précitées. Le délai prévu au I de l'article 208 de l'annexe II au code général des impôts étant suffisant et n'étant pas moins favorable que celui prévu pour présenter une réclamation, l'administration pouvait, sans méconnaitre le principe de neutralité, opposer ce délai à la demande de déduction de la taxe valeur ajoutée présentée par la SARL. De plus, la circonstance que le service a fait un rappel de taxe sur la valeur ajoutée collectée sur le même terrain n'a pas eu pour effet de rouvrir un nouveau délai pour déduire la taxe ayant grevé l'achat de ce même terrain. Dans ces conditions, la société, ayant omis de déduire ou régulariser cette taxe dans le cadre légal, n'est pas fondée à soutenir que l'administration, en refusant la déduction, a méconnu le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée.

Sur les rappels de taxe sur la valeur ajoutée sur les opérations de cessions de terrains à bâtir situés à Badevel et Wittenheim :

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

4. Le I de l'article 257 du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige prévoit que les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles, lesquelles comprennent les livraisons à titre onéreux de terrains à bâtir, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. En vertu du b. du 2. de l'article 266 du même code, l'assiette de la taxe est en principe constituée par le prix de cession. L'article 392 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose toutefois que : " Les États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ". L'article 268 du code général des impôts, pris pour la transposition de ces dispositions, prévoit, dans sa rédaction également issue de l'article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, que : " S'agissant de la livraison d'un terrain à bâtir, ou d'une opération mentionnée au 2° du 5 de l'article 261 pour laquelle a été formulée l'option prévue au 5° bis de l'article 260, si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d'imposition est constituée par la différence entre : / 1° D'une part, le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent ; / 2° D'autre part, selon le cas : / a) soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du terrain (...) ; / b) soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu'il a effectués. ".

5. Dans son arrêt du 30 septembre 2021 Icade Promotion SAS (aff. C-299/20), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 392 de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu'il exclut l'application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis non bâtis sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, des terrains à bâtir, mais qu'il n'exclut pas l'application de ce régime à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains ont fait l'objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles qu'une division en lots ou la réalisation de travaux d'aménagement permettant l'installation de réseaux desservant lesdits terrains, à l'instar, notamment, des réseaux de gaz ou d'électricité. Dans son ordonnance du 10 février 2022 Ministre de l'économie, des finances et de la relance c. Les Anges d'Eux SARL, Echo 5 SARL et Cletimmo SAS (aff. C-191/21), la Cour de justice de l'Union européenne a précisé que le régime dérogatoire prévu à l'article 392 de la directive TVA s'applique aux seuls terrains à bâtir qui, définis comme tels par les Etats membres, sont achetés en vue de leur revente et qu'ainsi, l'application du régime de la taxation sur la marge suppose, en vertu de cet article 392, une identité juridique entre le bien acquis et le bien revendu. Elle a ajouté qu'il s'agit dès lors de vérifier, en tenant compte des définitions prévues par la législation nationale et de toutes les circonstances dans lesquelles se sont déroulées les opérations en cause, si les biens acquis par le contribuable relèvent de la notion de " terrain à bâtir " au sens de l'article 12§3 de la directive TVA et, ainsi, du champ d'application de son article 392.

6. Il résulte des dispositions de l'article 268 du code général des impôts, lues à la lumière de celles de la directive dont elles ont pour objet d'assurer la transposition, que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elles prévoient s'appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s'appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti.

7. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si la situation du contribuable entre dans le champ de l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge.

8. En l'espèce, les terrains à bâtir cédés par la SARL Cyrimmo faisaient partie, au moment de leur acquisition, d'une seule et même unité foncière supportant une maison d'habitation. Ces terrains avaient donc, au moment de leur acquisition, la qualité d'immeuble bâti et non de terrain à bâtir. Les biens cédés par la SARL Cyrimmo n'ayant pas, au moment de leur acquisition, le caractère de terrain à bâtir mais celle d'un terrain bâti, la société ne pouvait se placer, pour les vendre, sous le régime de la taxation sur la marge prévue par l'article 268 du code général des impôts. Eu égard au caractère dérogatoire de l'article 392 tel qu'interprété strictement par la jurisprudence citée au point 5, la société n'est pas fondée à soutenir que pour assurer la neutralité du régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge issu de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, le bénéfice du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge ne doit être subordonné qu'à la seule condition que l'acquisition du bien cédé n'ait pas ouvert droit à déduction de la taxe. Par suite, c'est par une exacte application des dispositions citées au point 4, telles qu'interprétées par les jurisprudences européenne et nationale, que l'administration fiscale a estimé que les cessions des parcelles devaient être placées, au titre de la taxe sur la valeur ajoutée dont la société était redevable, sous le régime de la marge.

En ce qui concerne l'application de la doctrine :

9. La SARL Cyrimmo se prévaut de la doctrine référencée BOI-TVA-IMM-10-10-10-20 du 12 septembre 2012, selon laquelle : " 120 (...) on ne doit entendre par immeuble bâti qu'une construction qui se trouve en état d'être utilisée en tant que telle pour un usage quelconque sans qu'il soit nécessaire à cette fin d'y réaliser un immeuble neuf au sens de la définition exposée au 2° du 2 du I de l'article 257 du CGI, et ce, même si cette construction est destinée à être démolie par l'acquéreur. En sens inverse, dès lors qu'il est situé dans une zone où les constructions peuvent être autorisées, un immeuble dont l'état le rend impropre à un quelconque usage devra être assimilé à un terrain à bâtir (ruine résultant d'une démolition plus ou moins avancée, bâtiment rendu inutilisable par suite de son état durable d'abandon, immeuble frappé d'un arrêté de péril, chantier inabouti, etc.) / Remarque : La définition de l'article 257-I-2-2° du CGI englobe les constructions nouvelles, les surélévations et les remises à l'état neuf ".

10. La SARL Cyrimmo fait valoir que l'état délabré de l'immeuble présent sur le terrain à Wittenheim le rendait impropre à toute utilisation et que, de ce fait, le terrain ne devait pas être regardé comme un terrain bâti. Toutefois, ni le permis de démolir, ni les photos, ni l'attestation d'un agent immobilier établie le 23 février 2021, soit six ans après la cession et qui indique que " les travaux de remise en état n'auraient pas été financièrement rentable ", ne permettent d'établir que l'état de délabrement de la maison implantée sur le terrain d'assiette en litige serait telle qu'il la rendait impropre à un quelconque usage, permettant d'assimiler le terrain à un terrain à bâtir. La SARL Cyrimmo n'entre ainsi pas dans les prévisions de l'instruction dont elle se prévaut.

11. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les conclusions portant sursis à statuer, que la SARL Cyrimmo n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée dans toutes ses conclusions y compris celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SARL Cyrimmo est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Cyrimmo et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 25 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Agnel, président de chambre,

Mme Brodier, première conseillère,

Mme Mosser, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 octobre 2023.

La rapporteure,

Signé : C. Mosser Le président,

Signé : M. Agnel

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

N° 21NC00573


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00573
Date de la décision : 19/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. AGNEL
Rapporteur ?: Mme Cyrielle MOSSER
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS FIDAL DE BESANCON

Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-10-19;21nc00573 ?
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