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28/09/2023 | FRANCE | N°20NC03693

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 28 septembre 2023, 20NC03693


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association " La salamandre de l'Asnée " et autres ont demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler les arrêtés du 16 novembre 2018 par lesquels le préfet de Meurthe-et-Moselle a dérogé, au bénéfice d'une part, de la SA HLM Batigère, d'autre part, de la SA Maison familiale Batigère, aux interdictions de capture avec relâché et de destruction de spécimens de salamandres tachetées ainsi que le rejet du recours gracieux du 1er mars 2019.

Par un jugement n° 1901302, 1901303 du 30 octob

re 2020, le tribunal administratif de Nancy a annulé les arrêtés du 16 novembre 2018...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association " La salamandre de l'Asnée " et autres ont demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler les arrêtés du 16 novembre 2018 par lesquels le préfet de Meurthe-et-Moselle a dérogé, au bénéfice d'une part, de la SA HLM Batigère, d'autre part, de la SA Maison familiale Batigère, aux interdictions de capture avec relâché et de destruction de spécimens de salamandres tachetées ainsi que le rejet du recours gracieux du 1er mars 2019.

Par un jugement n° 1901302, 1901303 du 30 octobre 2020, le tribunal administratif de Nancy a annulé les arrêtés du 16 novembre 2018 du préfet de Meurthe-et-Moselle ainsi que les décisions du 1er mars 2019.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires respectivement enregistrés le 18 décembre 2020, le 30 juin 2021 et le 10 février 2022, les sociétés Batigère et Batigère Maison familiale, représentées par Me Polese-Person, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy du 30 octobre 2020 ;

2°) de rejeter la demande présentée en première instance de l'association " La salamandre de l'Asnée " et autres ;

3°) de mettre à la charge solidaire de l'ensemble des requérants de première instance le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la demande de première instance est irrecevable dès lors que ni l'association, ni les riverains n'ont d'intérêt à agir contre les arrêtés contestés ;

- le préfet n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation en leur accordant la dérogation dès lors que les trois conditions cumulatives sont remplies ;

- la raison impérative d'intérêt public majeur justifiant que le projet déroge est constituée par le programme de construction de seize logements en accession sociale et de soixante logements locatifs sociaux permettant ainsi à la commune de Villers-lès-Nancy d'atteindre l'objectif de 20 % fixé par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain et de répondre aux objectifs de mixité sociale prévus par le programme local de l'habitat durable ;

- aucune autre solution satisfaisante d'implantation d'un tel projet de 76 logements n'existe sur le territoire de la commune alors même que d'autres terrains avaient été envisagés ;

- la procédure de dérogation a été respectée et le conseil national de la protection de la nature a rendu son avis consultatif ;

- le dossier de demande de dérogation était complet et ne devait pas porter sur la rana temporaia qui n'est pas une espèce protégée, ni le crapaud commun qui n'a pas été mis en évidence sur la zone d'implantation du projet ;

- le principe de non-régression prévu à l'article L. 110-1 du code de l'environnement ne peut être invoqué à l'encontre d'une décision individuelle.

Par des mémoires en défense enregistrés le 23 mars 2021, le 19 octobre 2021 et le 21 avril 2022, l'association " La salamandre de l'Asnée " et autres, représentés par Me Zind, concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge des sociétés Batigère et Batigère Maison familiale sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que les moyens soulevés par les requérantes ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au ministre de la transition écologique le 5 janvier 2021 qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du conseil du 13 décembre 2011 ;

- le code de l'environnement ;

- l'arrêté du 19 février 2007 fixant les conditions de demande et d'instruction des dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement portant sur des espèces de faune et de flore sauvages protégées qui déterminent le contenu du dossier de demande de dérogation ;

- l'arrêté du 8 janvier 2021 fixant les listes des amphibiens et des reptiles protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Barrois, première conseillère,

- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,

- et les observations de Me Polese-Person pour les sociétés Batigère et Maison familiale Batigère, ainsi que celles de Me Zind pour l'association " La salamandre de l'Asnée " et autres.

Considérant ce qui suit :

1. Les sociétés SA HLM Batigère et SA Maison familiale Batigère, titulaires de permis de construire portant sur la construction rue de Versigny de trois bâtiments comprenant soixante logements locatifs sociaux et dix-huit logements en accession sociale à la propriété délivrés le 24 février 2017 par le maire de Villers-lès-Nancy, ont déposé le 25 juillet 2018 auprès du préfet de Meurthe-et-Moselle une demande de dérogation au régime de protection des espèces assuré notamment par l'article L. 411-1 du code de l'environnement, en raison de la présence de spécimens de salamandres tachetées le long du ruisseau de l'Asnée sur le territoire de la commune de Villers-lès-Nancy à proximité du site de leur projet. Par deux arrêtés du 16 novembre 2018, le préfet de Meurthe-et-Moselle a autorisé les pétitionnaires à déroger à l'interdiction de capture temporaire avec relâché et de destruction des spécimens de salamandres tachetées. L'association requérante et soixante habitants riverains du projet ont formé le 23 janvier 2019 un recours gracieux contre ces arrêtés que le préfet a rejeté par deux décisions du 1er mars 2019 réceptionnées le 7 mars suivant. Par la présente requête, les sociétés SA HLM Batigère et SA Maison familiale Batigère font appel du jugement du 30 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Nancy a annulé les arrêtés du 16 novembre 2018 du préfet de Meurthe-et-Moselle ainsi que les décisions du 1er mars 2019.

Sur la recevabilité de la requête de première instance :

2. Aux termes de l'article L. 142-1 du code de l'environnement : " Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l'environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci ".

3. C'est à juste titre que les premiers juges ont considéré qu'eu égard tant à l'intérêt que représente pour les riverains la défense de leur environnement, notamment faunistique, qu'à l'objet des arrêtés attaqués, les demandeurs de première instance ont intérêt à agir, en qualité respectivement de riverains du projet et d'association, conformément à ses statuts, de protection de l'environnement et de la qualité de vie des habitants et animaux dans le secteur concerné de la rue de Versigny et des rives de l'Asnée, petit cours d'eau traversant, dans la commune de Villers-lès-Nancy, la zone verte du domaine de l'Asnée, contre les arrêtés du 16 novembre 2018, en ce qu'ils dérogent à l'interdiction de capture et de destruction d'une espèce animale protégée. Par suite, le moyen tiré de l'irrecevabilité de la demande de première instance présentée collectivement par l'association et les riverains en raison de l'absence d'intérêt à agir des requérants est écarté.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

4. Le I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement comporte un ensemble d'interdictions visant à assurer la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats. Sont ainsi interdits en vertu du 1° du I de cet article : " La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ". Sont interdits en vertu du 2° du I du même article : " La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ". Sont interdits en vertu du 3° du I du même article : " La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ". Toutefois, le 4° du I de l'article L. 411-2 du même code permet à l'autorité administrative de délivrer des dérogations à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions cumulatives tenant à l'absence d'autre solution satisfaisante, à la condition de ne pas nuire " au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle " et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs qu'il énumère limitativement, dont celui énoncé au c) qui mentionne " l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ", " d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique " et " les motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ".

5. Il résulte de ces dispositions qu'un projet d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s'il répond, par sa nature et compte tenu notamment du projet urbain dans lequel il s'inscrit, à une raison impérative d'intérêt public majeur. En présence d'un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d'une part, il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et, d'autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

6. L'espèce, objet de la demande de dérogation, est protégée par l'article 3 de l'arrêté du 8 janvier 2021 fixant les listes des amphibiens et des reptiles protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection qui prévoit que sont interdits, sur tout le territoire métropolitain et en tout temps, la destruction ou l'enlèvement des œufs et des nids, la destruction, la mutilation, la capture ou l'enlèvement, et la perturbation intentionnelle des animaux, pour autant que la perturbation remette en cause le bon accomplissement des cycles biologiques de l'espèce considérée de la salamandre tachetée qui est également inscrite sur la liste rouge des amphibiens et des reptiles de Lorraine, de France métropolitaine, d'Europe et mondiale.

7. Les arrêtés du 16 novembre 2018 en litige ont autorisé cependant les pétitionnaires à déroger à cette interdiction en autorisant la capture temporaire avec relâché et la destruction de spécimens de cette espèce au motif que le projet de construction de trois bâtiments pour des logements en accession sociale répond à des raisons impératives d'intérêt public majeur en contribuant à l'atteinte des objectifs du programme local de l'habitat durable de la métropole du Grand Nancy et du quota de logements sociaux définis par la loi solidarité et renouvellement urbain, tout en limitant l'étalement urbain sur les terres agricoles. Il résulte toutefois des pièces du dossier que ce projet privé même s'il permet de concourir à la poursuite de ces objectifs d'intérêt public d'aménagement durable et de politique du logement social, n'était pas nécessaire pour les atteindre dès lors que la commune satisfait à la date de la décision attaquée aux exigences de la loi SRU et qu'en outre, aucun élément ne vient étayer l'affirmation selon laquelle, sans ce projet, ces objectifs ne pourraient être atteints qu'au détriment des terres agricoles environnantes, ni ne démontre que la métropole du Grand Nancy et le secteur auquel appartient Villers-lès-Nancy en particulier, connaîtrait une situation de tension particulière en matière de logement social en raison d'une hausse démographique prévisible et d'un besoin non satisfait. En outre, il n'est pas établi que ce projet aurait pu être réalisé sur une emprise foncière moins attentatoire à la conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage alors que les sites permettant le développement de ce type de projets ne sont pas inexistants, tant sur le territoire de la commune de Villers-lès-Nancy qu'au niveau de la métropole nancéienne. Par suite, même si ce projet présente un intérêt public, il ne répond toutefois pas à une raison impérative d'intérêt public majeur suffisante pour justifier, en l'espèce, qu'il soit dérogé à la législation assurant l'objectif de conservation de la faune sauvage. Par suite, la dérogation accordée par l'arrêté du 16 novembre 2018 ne peut être regardée comme justifiée par l'un des motifs énoncés au c) du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés Batigère et Batigère Maison familiale ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé les arrêtés du préfet de Meurthe-et-Moselle du 16 novembre 2018.

Sur l'application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement :

9. Il résulte de ce qui précède que le vice entraînant l'illégalité de la dérogation accordée n'est pas susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative et n'est pas de nature à n'affecter qu'une partie de la décision. Par suite, les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'association " La salamandre de l'Asnée " et autres, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que les sociétés Batigère et Batigère Maison familiale demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

11. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des sociétés Batigère et Batigère Maison familiale, une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l'association " La salamandre de l'Asnée " et autres et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête des sociétés Batigère et Batigère Maison familiale est rejetée.

Article 2 : Les sociétés Batigère et Batigère Maison familiale verseront à l'association " La salamandre de l'Asnée " et autres une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Batigère, à la société Batigère Maison familiale, à l'association " La salamandre de l'Asnée ", représentant unique des autres défendeurs en application des dispositions de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée à la préfète de Meurthe-et-Moselle.

Délibéré après l'audience du 7 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- M. Sibileau, premier conseiller,

- Mme Barrois, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 septembre 2023.

La rapporteure,

Signé : M. BarroisLe président,

Signé : M. Wallerich

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

2

N° 20NC03693


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20NC03693
Date de la décision : 28/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: Mme Marion BARROIS
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : POLESE-PERSON

Origine de la décision
Date de l'import : 01/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-09-28;20nc03693 ?
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