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25/09/2023 | FRANCE | N°22NC02156

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 25 septembre 2023, 22NC02156


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 25 septembre 2020 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration (ci-après- OFII) lui a suspendu le bénéfice des conditions matérielles d'accueil.

Par un jugement n° 2007222 du 5 octobre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 août 2022, M. B..., représenté par Me Gaudron, demande à

la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 5 octobre 2021 ;

2°) d'annuler cette décision du 25 sept...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 25 septembre 2020 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration (ci-après- OFII) lui a suspendu le bénéfice des conditions matérielles d'accueil.

Par un jugement n° 2007222 du 5 octobre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 août 2022, M. B..., représenté par Me Gaudron, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 5 octobre 2021 ;

2°) d'annuler cette décision du 25 septembre 2020 ;

3°) d'enjoindre à l'OFII de le faire bénéficier sans délai des conditions matérielles d'accueil, et notamment de l'allocation pour demandeur d'asile, à compter du 1er septembre 2020, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'OFII le versement à son conseil d'une somme de 2 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision en litige est entachée de défaut de motivation et de défaut de prise en compte de sa vulnérabilité ;

- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 744-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors, d'une part, qu'il n'a jamais tenté de se soustraire à une mesure d'éloignement et, d'autre part, compte tenu de sa situation de vulnérabilité ;

- elle est illégale compte tenu de l'incompatibilité des articles L. 744-7 et L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui en constituent le fondement avec l'article 20, paragraphe 5 de la directive 2013/33/UE ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article 20, paragraphe 5 de la directive 2013/33/UE ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2022, l'Office français de l'immigration et de l'intégration conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 13 juin 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brodier,

- les conclusions de Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant camerounais né en 1985, a sollicité l'asile le 2 janvier 2020 auprès des autorités françaises. Il lui a été délivré une attestation de demande d'asile " procédure Dublin " et le bénéfice des conditions matérielles d'accueil lui a été accordé. Par une décision du 25 septembre 2020, l'OFII lui en a toutefois suspendu le bénéfice. M. B... relève appel du jugement du 5 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur le cadre juridique :

2. Aux termes de l'article L. 744-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable : " Le bénéfice des conditions matérielles d'accueil prévues à l'article L. 744-1 est subordonné : 1° A l'acceptation par le demandeur de la proposition d'hébergement ou, le cas échéant, de la région d'orientation déterminée en application de l'article L. 744-2. Ces propositions tiennent compte des besoins, de la situation personnelle et familiale de chaque demandeur au regard de l'évaluation prévue à l'article L. 744-6, des capacités d'hébergement disponibles et de la part des demandeurs d'asile accueillis dans chaque région ; 2° Au respect des exigences des autorités chargées de l'asile, notamment en se rendant aux entretiens, en se présentant aux autorités et en fournissant les informations utiles afin de faciliter l'instruction des demandes. / Le demandeur est préalablement informé, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend, que le fait de refuser ou de quitter le lieu d'hébergement proposé ou la région d'orientation mentionnés au 1° du présent article ainsi que le non-respect des exigences des autorités chargées de l'asile prévues au 2° entraîne de plein droit le refus ou, le cas échéant, le retrait du bénéfice des conditions matérielles d'accueil. / (...) ".

3. Par sa décision n° 428530, 428564 du 31 juillet 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a jugé que les dispositions des articles L. 744-7 et L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui créaient, dans leur rédaction issue de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, des cas de refus et de retrait de plein droit des conditions matérielles d'accueil sans appréciation des circonstances particulières et excluaient, en cas de retrait, toute possibilité de rétablissement de ces conditions, étaient incompatibles avec les objectifs de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale. Il a, par suite, annulé les dispositions réglementaires prises pour leur application. Toutefois, le Conseil d'Etat a, par la même décision, précisé les conditions dans lesquelles les autorités compétentes pouvaient, dans l'attente de la modification des articles L. 744-7 et L. 744-8 par le législateur, limiter ou supprimer le bénéfice des conditions matérielles d'accueil aux demandeurs d'asile qui quittent leur lieu d'hébergement ou la région d'orientation déterminée en application de l'article L. 744-2 du même code ou qui ne respectent pas les exigences des autorités chargées de l'asile. Ainsi, il reste possible à l'OFII de refuser le bénéfice des conditions matérielles d'accueil, après examen de sa situation particulière et par une décision motivée, au demandeur qui a refusé le lieu d'hébergement proposé ou la région d'orientation. Il lui est également possible, dans les mêmes conditions et après avoir mis, sauf impossibilité, l'intéressé en mesure de présenter ses observations, de suspendre le bénéfice de ces conditions lorsque le demandeur a quitté le lieu d'hébergement proposé ou la région d'orientation ou n'a pas respecté les exigences des autorités chargées de l'asile, notamment de se rendre aux entretiens, de se présenter aux autorités et de fournir les informations utiles afin de faciliter l'instruction des demandes.

Sur la légalité externe :

4. Il ressort des termes mêmes de la décision du 25 septembre 2020 attaquée qu'elle vise l'article L. 744-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que la décision n° 428 530 du Conseil d'Etat du 31 juillet 2019, qu'elle précise que M. B... a été invité à présenter ses observations sur l'intention de l'OFII de lui suspendre les conditions matérielles d'accueil par un courrier du 24 août 2020, puis indique que le bénéfice des conditions matérielles d'accueil lui est suspendu au motif qu'il n'a pas respecté les exigences des autorités chargées de l'asile, s'étant abstenu de se présenter à ces autorités, et que l'évaluation de sa situation personnelle et familiale n'a pas fait apparaître de facteur particulier de vulnérabilité au sens de l'article L. 744-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni de besoins particuliers en matière d'accueil. La décision comporte ainsi l'ensemble des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et dont il ressort que l'administration a procédé à l'examen individuel de la situation de l'intéressé notamment au regard de la prise en compte de sa vulnérabilité. La seule circonstance que la décision en litige ne fait pas expressément référence au contenu des observations qu'il avait présentées n'est pas de nature à établir que l'OFII aurait entaché sa décision d'un défaut de motivation. Par suite, le moyen tiré de la légalité externe doit être écarté.

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne la méconnaissance de la directive 2013/33/UE :

5. Aux termes du paragraphe 5 de l'article 20 de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 : " Les décisions portant limitation ou retrait du bénéfice des conditions matérielles d'accueil ou les sanctions visées aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 du présent article sont prises au cas par cas, objectivement et impartialement et sont motivées. Elles sont fondées sur la situation particulière de la personne concernée, en particulier dans le cas des personnes visées à l'article 21, compte tenu du principe de proportionnalité. Les Etats membres assurent en toutes circonstances l'accès aux soins médicaux conformément à l'article 19 et garantissent un niveau de vie digne à tous les demandeurs ".

6. D'une part, M. B... ne saurait utilement se prévaloir directement, à l'encontre de la décision du 25 septembre 2020 en litige, des dispositions de l'article 20, paragraphe 5 de la directive 2013/33/UE qui imposent à la France de garantir un niveau de vie digne à tous les demandeurs, dès lors que les dispositions de cette directive ont été transposées en droit interne.

7. D'autre part, il ne ressort d'aucune disposition du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que les décisions de suspension des conditions matérielles d'accueil feraient en toutes circonstances obstacle à l'accès aux autres dispositifs prévus par le droit interne répondant aux prescriptions de l'article 20, paragraphe 5, de la directive du 26 juin 2013 précitée, si l'étranger considéré en remplit par ailleurs les conditions, et notamment à l'application des dispositions de l'article L. 251-1 du code de l'action sociale et des familles relatives à l'aide médicale de l'Etat ou de l'article L. 345-2-2 du même code relatives à l'hébergement d'urgence. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que les dispositions de l'article L. 744-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont il ne lui a au demeurant pas été fait application, l'OFII ayant tenu compte de la décision n° 428 530 du Conseil d'Etat du 31 juillet 2019, seraient incompatibles avec l'article 20, paragraphe 5 de la directive 2013/33/UE au motif qu'elles priveraient les demandeurs d'asile d'un niveau de vie digne.

En ce qui concerne la légalité des motifs de la décision en litige :

8. Ainsi qu'il a été dit au point 4 du présent arrêt, l'OFII a, pour prononcer la suspension des conditions matérielles d'accueil dont M. B... bénéficiait, retenu qu'il n'avait pas respecté les exigences des autorités chargées de l'asile. L'Office produit en ce sens un courriel de la préfecture du Bas-Rhin du 3 août 2020 l'informant de ce que l'intéressé ne s'était pas présenté aux convocations en préfecture des 29 et 31 juillet 2020 et qu'il était considéré comme en fuite à compter de ce jour, ce dont ont d'ailleurs été informées les autorités néerlandaises dans le cadre de la prolongation du délai de transfert.

9. D'une part, M. B..., qui était initialement convoqué en préfecture le 24 juillet 2020, a justifié qu'il ne pouvait pas se présenter ce jour-là en produisant, par l'intermédiaire de son mandataire, une convocation pour une hospitalisation le 23 juillet 2020 aux hôpitaux universitaires de Strasbourg. Convoqué de nouveau, pour le 29 juillet 2020, il a adressé à la préfecture, le jour même, par l'intermédiaire de son mandataire, un certificat médical de son médecin généraliste établi le 22 juillet 2020 et indiquant qu'il présente des douleurs chroniques du membre inférieur droit avec une suspicion d'infection osseuse qui l'empêche de se déplacer normalement et pour laquelle des examens radiologiques et une consultation spécialisée auprès du service d'orthopédie et de traumatologie du CHU de Strasbourg sont prévus au cours du mois d'août 2020. Toutefois, dans les termes dans lesquels il est rédigé, ce certificat ne permet pas de justifier l'absence de présentation de M. B... en préfecture le 29 juillet 2020. Convoqué une troisième fois, pour le 31 juillet 2020, il ne s'est pas présenté et n'a pas non plus tenté de justifier son absence. Dans ces conditions, l'OFII a pu considérer qu'en ne se présentant pas aux rendez-vous des 29 et 31 juillet 2020, l'intéressé n'avait pas respecté les exigences des autorités chargées de l'asile. La circonstance qu'il a alors conservé son hébergement au " Pradha Adoma " de Hoenheim et qu'il n'aurait pas cherché à se soustraire à une mesure d'éloignement est sans incidence sur cette appréciation.

10. D'autre part, les deux certificats médicaux établis par le médecin généraliste de M. B... le 22 juillet 2020 et évoqués au point précédent ne permettent pas d'établir que les problèmes de santé de l'intéressé, non circonstanciés, caractérisaient une situation de vulnérabilité justifiant que le bénéfice des conditions matérielles d'accueil ne soit pas suspendu. L'Office indique d'ailleurs, sans être contesté, que M. B... a continué de bénéficier d'un hébergement.

11. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'en lui suspendant le bénéfice des conditions matérielles d'accueil, l'OFII aurait entaché sa décision d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation.

Sur la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

12. D'une part, et ainsi que l'OFII le fait valoir en défense, M. B... a été hébergé sans discontinuité par l'OFII au sein du programme d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile (PRADHA) de Hoenheim depuis le 23 janvier 2020. D'autre part, si le requérant soutient avoir été contraint de vivre sans ressource en raison de la décision en litige, il ne justifie nullement avoir été placé dans l'impossibilité de solliciter le bénéfice des dispositifs de soutien prévus en droit interne, notamment des dispositions de l'article L. 251-1 du code de l'action sociale et des familles relatives à l'aide médicale de l'Etat. Enfin, les éléments médicaux produits, relatifs à des douleurs chroniques au membre inférieur droit, n'établissent pas qu'il serait dans une situation de dénuement matériel extrême qui caractériserait l'existence de traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que la décision en litige méconnaît ces stipulations.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à Me Gaudron et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Délibéré après l'audience du 1er septembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,

M. Agnel, président-assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 septembre 2023.

La rapporteure,

Signé : H. Brodier Le président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

N° 22NC02156


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC02156
Date de la décision : 25/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : DE FROMENT

Origine de la décision
Date de l'import : 01/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-09-25;22nc02156 ?
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