Vu les procédures suivantes :
Procédures contentieuses antérieures :
M. E... D... et Mme B... D... ont demandé respectivement au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler les arrêtés du 13 juillet 2022, chacun en ce qui le concerne, par lesquels la préfète de l'Aube les a obligés à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de douze mois, ainsi que les arrêtés du même jour par lesquels la préfète de l'Aube a décidé de les assigner à résidence pour une durée de 45 jours.
Par deux jugements du 20 juillet 2022, n° 2201612, 2201614 et 2201613, 2201615, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande.
Procédures devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 17 août 2022, sous le n° 22NC02189, M. D..., représenté par Me Ouriri, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2201612, 2201614 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 20 juillet 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de l'Aube du 13 juillet 2022 portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel la préfète de l'Aube a décidé de l'assigner à résidence ;
3°) d'enjoindre à la préfète de l'Aube de lui restituer son passeport sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît également les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
sur la décision refusant un délai de départ volontaire :
- elle méconnaît les dispositions du 3° de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : il n'existe pas de risque qu'il se soustraie à la mesure d'éloignement justifiant qu'un délai de départ volontaire ne lui soit pas accordé, puisqu'il présente des fortes garanties de représentation ; il a remis son passeport aux autorités ;
sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- l'interdiction de retour sur le territoire français doit être annulée dès lors qu'il justifie de circonstances humanitaires ;
sur la décision portant assignation à résidence :
- elle doit être annulée en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français sans délai ; il ne pouvait pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement au regard des dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
La requête a été communiquée à la préfète de l'Aube qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Par une ordonnance du 26 septembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 27 octobre 2022 à midi.
II. Par une requête enregistrée le 17 août 2022, sous le n° 22NC02191, Mme D..., représentée par Me Ouriri, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2201613, 2201615 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 20 juillet 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de l'Aube du 13 juillet 2022 portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel la préfète de l'Aube a décidé de l'assigner à résidence ;
3°) d'enjoindre à la préfète de l'Aube de lui restituer son passeport sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît également les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
sur la décision refusant un délai de départ volontaire :
- elle méconnaît les dispositions du 3° de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : il n'existe pas de risque qu'elle se soustraie à la mesure d'éloignement justifiant qu'un délai de départ volontaire ne lui soit pas accordé, puisqu'elle présente des garanties fortes de représentation ;
sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- l'interdiction de retour sur le territoire français doit être annulée dès lors qu'elle justifie de circonstances humanitaires ;
sur la décision portant assignation à résidence :
- elle doit être annulée en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français sans délai ; elle ne pouvait pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement au regard des dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
La requête a été communiquée à la préfète de l'Aube qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Par une ordonnance du 27 septembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 28 octobre 2022 à midi.
M. D... et Mme D... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 27 février 2023.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Roussaux, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme D..., ressortissants arméniens nés respectivement les 29 juin 1976 et 19 juillet 1980, seraient entrés irrégulièrement en France le 24 octobre 2014, accompagnés d'un de leurs enfants. Leurs deux autres enfants les rejoindront en France en juillet 2015. Ils ont sollicité la reconnaissance de la qualité de réfugié. Leur demande, instruite selon la procédure prioritaire alors applicable, a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 19 février 2015. Ils ont alors fait l'objet d'une première mesure d'éloignement le 12 mars 2015. Leur contestation des décisions de l'OFPRA a été rejetée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 1er septembre 2015. A la suite du non renouvellement des autorisations provisoires de séjour dont ils ont bénéficié en raison de l'état de santé de leur fille C..., une nouvelle mesure d'éloignement leur a été opposée le 17 juillet 2019. Le 12 juillet 2022, M. et Mme D... ont été interpellés par les services de police puis placés en retenue. Par un arrêté du 13 juillet suivant, la préfète de l'Aube les a obligés à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à leur encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de douze mois. Par un arrêté du même jour, cette autorité les a assignés à résidence dans le département de l'Aube pour une durée de 45 jours. Par deux requêtes enregistrées sous les nos 22NC02189 et 22NC02191, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par un seul arrêt, M. et Mme D... relèvent respectivement appel des deux jugements n° 2201612, 2201614 et 2201613, 2201615 du 20 juillet 2022 par lesquels le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des deux arrêtés pris à leur encontre.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire français :
2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants :(...) 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré ; ( ...). "
3. Les décisions portant obligation de quitter le territoire visent notamment le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en particulier les dispositions du 2° de l'article L. 611-1 sur le fondement desquelles elles ont été prises. Elles rappellent le parcours des requérants, mentionnent les éléments constitutifs de leur vie privée et familiale et les deux précédentes mesures d'éloignement déjà prises à leur encontre qu'ils n'ont pas exécutées. Elles exposent donc les motifs pour lesquels une mesure d'éloignement est prise à leur encontre. Dès lors, et alors que la préfète n'avait pas à reprendre l'ensemble des éléments propres à la situation des requérants, ces décisions comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, elles sont suffisamment motivées.
4. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. ". Aux termes l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces dernières stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
5. M. et Mme D... soutiennent qu'ils vivent en France depuis le 24 octobre 2014, avec leur fille C..., née en 2004 et qu'ils ont été rejoints en 2015 par leurs deux autres enfants, A... né en 2001 et Lyudmila, née en 2006. S'ils font valoir que leur fille C... souffre d'un lourd handicap pour lequel elle est suivie dans un institut spécialisé, il ressort des pièces du dossier que leur fille, devenue majeure, s'est vue opposer un refus de titre de séjour le 20 avril 2022 à la suite de sa demande fondée sur l'admission exceptionnelle au séjour. Par ailleurs, leur fils, A..., également majeur, est en situation irrégulière et leur autre fille, mineure, a vocation à accompagner ses parents dans leur pays d'origine où il n'est ni établi ni allégué qu'elle ne pourrait pas y être scolarisée. En outre, les requérants disposent d'attaches familiales fortes en Arménie où résident leurs mères et les trois sœurs de M. D.... Enfin, les pièces produites ne caractérisent pas une insertion particulière en France des requérants lesquels sont toujours hébergés dans une structure d'accueil d'urgence et ont eu besoin du service d'un interprète lors de leur audition du 13 juillet 2022 par les services de police. Dès lors, d'une part, les décisions contestées n'ont pas porté au droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises et, d'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète aurait méconnu l'intérêt supérieur du seul enfant mineur des requérants en prenant les décisions litigieuses. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant doivent être écartés.
En ce qui concerne les décisions refusant un délai de départ volontaire :
6. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / (...) 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement (...) ".
7. Il ressort des pièces des dossiers que les requérants se sont soustraits à deux précédentes mesures d'éloignement prises à leur encontre les 12 mars 2015 et 17 juillet 2019. Dans ces conditions, alors même que les requérants disposent de passeports et sont sur le territoire depuis plusieurs années, la préfète de l'Aube a pu légalement refuser de leur accorder un délai de départ volontaire sur le fondement des dispositions précitées du 5° de l'article L. 612-3 de ce code.
En ce qui concerne les décisions portant interdiction de retour sur le territoire français :
8. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour (...) ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ". Il résulte de ces dispositions que lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, le préfet assortit, en principe et sauf circonstances humanitaires, l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour. La durée de cette interdiction doit être déterminée en tenant compte des critères tenant à la durée de présence en France, à la nature et l'ancienneté des liens de l'intéressé avec la France, à l'existence de précédentes mesures d'éloignement et à la menace pour l'ordre public représentée par la présence en France des intéressés.
9. Alors qu'il ne ressort d'aucune pièce des dossiers que leur fille C..., majeure, ne pourrait pas avoir un accès effectif aux soins nécessités par son état de santé en Arménie, les requérants ne justifient d'aucune circonstance humanitaire qui aurait fait obstacle à l'adoption à leur encontre d'une décision d'interdiction de retour sur le territoire français.
En ce qui concerne les décisions portant assignation à résidence :
10. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à invoquer, par la voie de l'exception, le moyen tiré de l'illégalité des décisions les obligeant à quitter le territoire français à l'encontre des décisions portant assignation à résidence dont ils font l'objet. S'ils font également valoir, comme en première instance, que les décisions portant obligation de quitter le territoire français méconnaissent les dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ils ne précisent pas à quel titre ils auraient dû bénéficier d'une protection contre l'éloignement.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que par les jugements attaqués, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leurs demandes. Par voie de conséquence, les conclusions des requêtes aux fins d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes de M. D... et de Mme D... sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D..., à Mme B... D..., à Me Ouriri et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète de l'Aube.
Délibéré après l'audience du 29 août 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente de chambre,
- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2023.
Le rapporteur,
Signé : S. RoussauxLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
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N° 22NC02189, 22NC02191