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19/09/2023 | FRANCE | N°20NC00946

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 19 septembre 2023, 20NC00946


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La communauté de communes Petite Montagne a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner solidairement la société Ingetec's, la compagnie d'assurances Euromaaf, la société Inddigo, la compagnie d'assurances Ar-Co, la compagnie d'assurances MMA IARD Assurances Mutuelles, la société cabinet Boudier, la société l'Auxiliaire, la société Socotec, la société Engie Energie Services et la compagnie d'assurances Allianz Iard à lui verser la somme de 22 910,10 euros HT majorée des intérêts au

taux légal et de condamner solidairement la société Ingetec's, la société Engie ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La communauté de communes Petite Montagne a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner solidairement la société Ingetec's, la compagnie d'assurances Euromaaf, la société Inddigo, la compagnie d'assurances Ar-Co, la compagnie d'assurances MMA IARD Assurances Mutuelles, la société cabinet Boudier, la société l'Auxiliaire, la société Socotec, la société Engie Energie Services et la compagnie d'assurances Allianz Iard à lui verser la somme de 22 910,10 euros HT majorée des intérêts au taux légal et de condamner solidairement la société Ingetec's, la société Engie Energie Services et la société Inddigo à lui verser une somme de 884 711,54 euros, majorée des intérêts au taux légal. Par une requête distincte, la communauté de communes Petite Montagne a demandé à ce même tribunal de condamner ces trois sociétés à lui verser une provision du même montant.

Par un jugement nos 1800272, 1900479 du 20 février 2020, le tribunal administratif de Besançon a :

- donné acte du désistement de la communauté de communes Petite Montagne de ses conclusions dirigées contre la société Boudier Ingénierie, la compagnie d'assurances L'Auxiliaire et la société Socotec ;

- rejeté comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître les conclusions présentées par la communauté de communes Petite Montagne et dirigées contre Euromaaf, Ar-Co, MMA IARD et Allianz, d'une part, et les conclusions d'appel en garantie présentées par les sociétés Boudier et L'Auxiliaire contre les sociétés Allianz, Euromaaf, MMA IARD et Ar-Co, et celles présentées par la société Ingetec's contre les sociétés L'Auxiliaire, Allianz et MMA IARD, d'autre part ;

- jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur le surplus des conclusions présentées par la communauté de communes Petite Montagne sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative et des actions en garantie exercées par les sociétés Engie Energie Services, Inddigo et Ingetec's au titre du dossier n° 1900479 ;

- mis à la charge définitive de la communauté de communes Petite Montagne les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 11 599,31 euros ;

- et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires enregistrés les 17 avril 2020, 19 septembre 2022 et 28 octobre 2022, la communauté de communes Petite Montagne, devenue communauté de communes Terre d'Emeraude, représentée par Me Brocard, de la SCP Chaton-Grillon-Brocard-Gire, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner solidairement la société Ingetec's, la société Inddigo et la société Cofely à lui verser la somme de 884 711,54 euros TTC, ou subsidiairement de condamner la société Ingetec's à lui verser la somme de 224 322,72 euros TTC, la société Inddigo à lui verser la somme de 180 361,15 euros TTC et la société Cofely à lui verser la somme de 479 823,45 euros TTC ;

3°) subsidiairement, d'ordonner une mesure d'expertise ;

4°) de condamner solidairement la société Ingetec's, la société Inddigo et la société Cofely à lui rembourser les frais d'expertise, d'un montant de 11 599,31 euros ;

5°) de mettre à la charge de chacune de ces trois sociétés une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal a omis de statuer, dans le dispositif du jugement, sur le principe de la responsabilité décennale et sur ses conclusions indemnitaires ; le dispositif du jugement est en contradiction avec ses motifs ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que les conditions permettant d'engager la responsabilité décennale des constructeurs n'étaient pas remplies ; les désordres affectant l'ensemble de l'ouvrage menacent l'intégralité du réseau de chaleur dès lors que le manque d'étanchéité de raccords permet à l'humidité de s'infiltrer tout le long du réseau et de ronger les tuyaux ; le simple fait que la chaudière Schmidt ait dû être remplacée trois ans après la mise en service caractérise un vice rendant cette dernière non conforme à sa destination, alors même que l'expert n'a pas pu y faire de constatation ; même remplacées, les chaudières dysfonctionnent, en raison d'un défaut de définition des besoins en chauffage et d'un défaut de conception ; le vice de construction rend l'ouvrage impropre à sa destination ; le réseau de distribution de chaleur, qui doit nécessairement être remplacé dans son intégralité, ne peut assurer la distribution de chauffage, qui est sa vocation, il est devenu impropre à sa destination, ce qui a justifié des résiliations ou des baisses de puissance commandée de la part de plusieurs abonnés ; la solidité de l'ouvrage est menacée ; les vices n'étaient pas apparents lors des opérations de réception ;

- les désordres sont imputables à la société Inddigo, chargée de la mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage, qui a failli à sa mission de suivi des études et de conseil, en ce qui concerne la puissance de la chaudière ; elle n'a pas soumis au maître d'ouvrage l'agrément du sous-traitant auquel la société Cofely a eu recours, et dont la mauvaise exécution des raccords est responsable des fuites sur le réseau de chaleur, ni suivi correctement les travaux ; il y a lieu de retenir sa responsabilité à hauteur de 10 % s'agissant de la chaudière et de 10 % s'agissant du réseau ;

- les désordres sont également imputables à la société Ingetec's, mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre ; il lui appartenait de prendre en compte la puissance nécessaire, de vérifier la qualité de l'eau de remplissage des chaudières et de prévoir un traitement, en qualité de concepteur du projet ; s'agissant du réseau, cette société a également failli à sa mission de conception, de surveillance, de conseil et de suivi des travaux, et est responsable, selon l'expert, de 60 % des désordres sur les chaudières et de 25 % pour le réseau de chaleur ;

- les désordres sont enfin imputables à la société Cofely, en charge du lot n° 12 ; s'agissant des chaudières, elle a manqué à son devoir de conseil s'agissant de la nécessité de prévoir la vérification de la qualité de l'eau, que ce soit lors de l'installation de la première chaudière ou de son remplacement, sa responsabilité sur ce point s'établit à 30 % ; concernant le réseau de chaleur, elle a sous-traité les travaux d'installation sans faire agréer son sous-traitant et sans contrôler la qualité des travaux réalisés, qui ont fait l'objet d'une mauvaise mise en œuvre à l'origine des désordres, dont elle est responsable à hauteur de 65 % ;

- la réparation des désordres n'implique pas de travaux supplémentaires par rapport au remplacement de la chaudière, aux réparations et à l'ajout d'un adoucisseur d'eau, s'agissant des chaudières ; le réseau de chaleur doit faire l'objet d'un remplacement intégral, en l'absence de possibilité de garantir sa viabilité sur le long terme, ainsi que l'a retenu l'expert, au regard du caractère généralisé des désordres liés à la mauvaise réalisation des raccords et assemblages, alors qu'il existe un raccord tous les 12 mètres sur les 1 300 mètres linéaires du réseau ;

- il y a lieu à condamnation solidaire, ou divise à titre subsidiaire ; le préjudice doit être évalué s'agissant des chaudières, et hors taxe, à 347 200 euros pour le coût de changement de la chaudière, avec déduction de 135 900 euros pour la moins-value de l'électrofiltre, à 11 755,95 euros pour la réfection du tubage, à 1 486 euros pour l'installation du traitement d'eau et à 2 217,67 euros pour la surconsommation d'eau, soit 226 759,62 euros HT, à la charge respective des sociétés Ingetec's, Inddigo et Cofely pour 60 %, 10 % et 30 % ; s'agissant du réseau de chaleur, et ainsi que l'a estimé l'expert, le préjudice s'établit à 510 500 euros HT, incluant 217 000 euros pour la réfection du réseau lui-même et 293 500 euros pour les travaux sur voirie et réseaux divers, devant être mis à la charge des sociétés Inddigo, Ingetec's et Cofely à hauteur respectivement de 10 %, 25 % et 65 %.

Par trois mémoires enregistrés les 18 septembre 2020, 15 septembre 2021 et 28 octobre 2022, la compagnie AR-CO, représentée par Me Hauptman, conclut au rejet de la requête ainsi que des conclusions dirigées à son encontre et à ce que soit mis à la charge de la communauté de communes Terre d'Emeraude le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Elle soutient que :

- la communauté de communes ne présente aucune conclusion à son encontre, si ce n'est pour demander que la nouvelle expertise qu'elle sollicite soit organisée à son contradictoire, en tant qu'assureur de la société Inddigo ;

- le jugement doit être confirmé en tant qu'il estime que les conclusions dirigées à son encontre ne relèvent pas de la compétence de la juridiction administrative ;

- subsidiairement, elle doit être mise hors de cause, au regard de la police d'assurance souscrite et des dispositions des articles L. 243-1-1 et L. 124-5 du code des assurances, dès lors que ses garanties ne peuvent être mobilisées, l'ouvrage litigieux n'étant pas soumis à l'obligation d'assurance et la demande de la communauté de communes étant postérieure à la résiliation de la police d'assurance qui la liait à la société Inddigo ;

- très subsidiairement, sa responsabilité ne saurait être recherchée dès lors que les désordres affectant la chaudière et le réseau de chaleur ne sont pas de nature décennale, ainsi que l'ont retenu à juste titre les premiers juges ; contrairement à ce qu'a estimé l'expert, sa responsabilité ne peut en outre pas être engagée, compte tenu de la mission limitée à l'assistance à maîtrise d'ouvrage qu'exerçait son assuré.

Par deux mémoires enregistrés les 29 septembre 2020 et 29 septembre 2022, la société Engie Energie Services, anciennement ELYO GDF SUEZ Energie Services, exerçant sous l'enseigne Engie Cofely, et Allianz IARD, venant aux droits et obligations de la compagnie AGF, représentées par Me Henry (SELARL Durlot-Henry), concluent au rejet de la requête, subsidiairement à ce que les sociétés Ingetec's et Inddigo, ou qui mieux aime, soient condamnées à garantir la société Engie Energie Services de toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre, au rejet des conclusions présentées par la société Boudier et à ce que le versement d'une somme de 3 000 euros soit mis à la charge de la communauté de communes Terre d'Emeraude, ou qui mieux aime, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- Allianz IARD doit être mis hors de cause, la communauté de communes ne présentant plus de conclusions à son encontre ; l'action contre l'assureur relève de la compétence du juge judiciaire, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté les conclusions contre les assureurs comme présentées devant une juridiction incompétente ;

- le moyen d'irrégularité du jugement n'est pas fondé, l'article 5 ayant rejeté également les conclusions indemnitaires de la communauté de communes ;

- l'expert n'a pas intégralement rempli sa mission avec objectivité et impartialité ; les appréciations de l'expert sur le caractère généralisé des désordres affectant le réseau ne sont pas étayées par des constats suffisants, certains n'ayant pas été réalisés contradictoirement ; l'ouvrage n'a pas été rendu impropre à sa destination ; Engie Energie a procédé à une reprise lors de chaque problème rencontré, le système de chauffage fonctionne parfaitement sans réparations d'ampleur et il n'est pas démontré qu'un désordre de nature décennale a vocation à apparaître dans les dix ans suivant la réception ;

- subsidiairement, la responsabilité de la société Engie Energie Services ne saurait être engagée s'agissant des chaudières, dès lors qu'elle n'était ni concepteur, ni constructeur, ni fournisseur de ces ouvrages ; le maître d'ouvrage a pris unilatéralement la décision de remplacer l'une des chaudières Schmidt, dont les problèmes de dimensionnement n'ont pas été constatés contradictoirement, par une chaudière d'une puissance supérieure ; c'est à bon droit que le tribunal a rejeté les prétentions de la requérante pour ces ouvrages ; un défaut de conseil, à le supposer même caractérisé, ne saurait justifier l'engagement de la garantie décennale ; elle n'était pas en charge des chaudières bois ; s'agissant du réseau de chaleur, la réparation du désordre n'implique pas le remplacement intégral de l'ouvrage, contrairement à ce qu'a retenu l'expert ;

- à titre infiniment subsidiaire, la société Engie Energie Services devrait être relevée et garantie par le BET Ingetec's, en raison d'un problème de conception, et par la société Inddigo, pour manquement à son devoir de conseil ;

- à titre infiniment subsidiaire, l'expertise sollicitée par la requérante serait dépourvue d'utilité.

Par deux mémoires enregistrés les 7 janvier 2021 et 18 octobre 2022, la SARL Ingetec's et la SA Euromaaf, représentées par Me Dichamp, concluent au rejet de la requête et des conclusions d'appel en garantie dirigées contre elles, subsidiairement à ce que la SARL Boudier Ingenierie, la SA Engie Energie Services et la SAS Inddigo soient condamnées in solidum à les garantir intégralement de toutes condamnations prononcées à leur encontre, y compris au titre des frais de justice, et à ce que le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative soit mis à la charge de la communauté de communes Terres d'Emeraude, ou de la SARL Boudier Ingenierie, de la SA Engie Energie Services et de la SAS Inddigo in solidum.

Elles soutiennent que :

- le jugement doit être confirmé en tant qu'il retient que l'action de la victime à l'encontre de l'assureur de l'auteur présumé relève de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ;

- le moyen d'irrégularité n'est pas fondé, les conclusions indemnitaires de la collectivité ont été rejetées, ainsi que cela ressort de l'article 5 du dispositif ; à supposer même l'irrégularité avérée, elle ne justifierait pas l'annulation du jugement ;

- aucun désordre de nature décennale n'est caractérisé ; la chaufferie et le réseau de chaleur étaient en état de fonctionnement ; aucun défaut n'est constaté depuis qu'il a été procédé à la réparation ou au remplacement des raccords ;

- aucune faute n'est imputable à la société Ingetec's ;

- à supposer même qu'une chaudière de 1 000 kW ait été nécessaire, ce qui n'était pas le cas, la collectivité aurait supporté un surcoût, il s'agit d'une amélioration, qui s'ajoute à celle tenant à l'ajout d'un microfiltre ; il devrait également être tenu compte des aides de subventions de l'ADEME qui ont été perçues par le maître de l'ouvrage lors de l'installation de la chaudière Compte, représentant en principe 50 % du montant des travaux ;

- les désordres affectant le réseau de chaleur sont localisés, des tronçons entiers ne présentent aucun désordre, certains étant réalisés en tube inox sans soudure, sans raccord acier enterré ; la nécessité de refaire l'intégralité du réseau n'est pas établie ;

- une nouvelle mesure d'instruction serait inutile ;

- subsidiairement, si la société Ingetec's devait être condamnée, elle aurait doit à être intégralement garantie par la société Inddigo, qui devait définir précisément le programme de l'opération, participer aux réunions de chantier et vérifier l'agrément des sous-traitants, par la société Boudier en tant que maître d'œuvre en charge du suivi du chantier, par la société Engie en charge de la réalisation de la chaufferie, ainsi que du réseau enterré et de son entretien, et par leurs assureurs respectifs ; les conclusions d'appel en garantie présentées à son encontre ne sont en revanche pas fondées.

Par deux mémoires enregistrées les 16 juillet 2021 et 4 novembre 2022, la SAS Inddigo et MMA IARD Assurances Mutuelle, représentées par la SCP Lorach Avocats associés, concluent au rejet de la requête, subsidiairement à ce que soit prononcée la mise hors de cause de MMA IARD Assurances Mutuelle et à ce que la société AR-CO soit condamnée si besoin à indemniser la communauté de communes, et à ce que le versement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative soit mis à la charge de la communauté de communes Terres d'Emeraude et des intimés ayant mis en cause MMA IARD Assurances Mutuelle.

Elles soutiennent que :

- le jugement n'est pas contesté en tant qu'il a rejeté les conclusions présentées contre les assureurs comme relevant de la compétence du juge judiciaire ;

- c'est à juste titre que le tribunal a estimé que le défaut de performance des chaudières ne présentait pas le caractère d'un vice de construction relevant de la garantie décennale et que les désordres n'étaient pas imputables à la société Inddigo, qui avait uniquement une mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage avec suivi de l'avancement des opérations, sans exigence de contrôle de la bonne exécution des travaux, et qui n'était pas chargée de la conception de l'ouvrage ;

- la collectivité se prévaut de l'éventualité d'un préjudice futur, s'agissant de la défaillance du réseau ; le choix de sur-mobiliser la chaudière relève de la conduite de l'installation et des consignes données, impliquant la société Cofely ou le maître d'ouvrage ; le remplacement de la chaudière par un équipement plus puissant s'apparente à une amélioration ; il serait disproportionné de remplacer le réseau ;

- sa responsabilité ne saurait être engagée ni envers le maître d'ouvrage, ni à l'égard des autres constructeurs au titre des appels en garantie ;

- les conclusions présentées par certaines des parties contre l'assureur ne relèvent pas de la compétence de la juridiction administrative ; subsidiairement, aucune condamnation ne pourrait être prononcée à son encontre, l'indemnisation du maître d'ouvrage reposant le cas échéant sur la société AR-CO, dès lors que l'ouvrage affecté par le dommage est accessoire à un ouvrage soumis à obligation d'assurance.

Par deux mémoires enregistrés les 2 octobre 2020 et 19 septembre 2022, la SARL Boudier Ingénierie et la société d'assurance mutuelle L'Auxiliaire, représentées par Me Mouton et Me Perrey, concluent au rejet de la requête et des conclusions qui seraient présentées à leur encontre, subsidiairement à ce que les sociétés ELYO GDF SUEZ Energie Services, Ingetec's, Inddigo et leurs assureurs AGF, Euromaaf, MMA Iard et AR-CO soient condamnés à les garantir de toutes condamnations et à ce que le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens de première instance, soient mis à la charge de la communauté de communes Terre d'Emeraude ou de toute partie succombante.

Elles soutiennent que :

- le moyen d'irrégularité n'est pas fondé, les conclusions indemnitaires de la communauté de communes ont été rejetées au titre du surplus des conclusions des parties, faisant l'objet de l'article 5 du dispositif ; subsidiairement, l'absence de rejet explicite des conclusions indemnitaires dans le dispositif du jugement ne saurait être regardée comme une omission de statuer de nature à entraîner l'irrégularité du jugement attaqué ;

- la communauté de communes ne formule aucune conclusion à leur encontre ;

- aucune conclusion ne peut être formulée à l'encontre de l'assureur devant le juge administratif ;

- les désordres ne relèvent pas de la garantie décennale ; l'expert a exclu toute atteinte à la solidité du réseau de chaleur et toute impropriété à sa destination, le réseau n'a connu aucune interruption, les fuites ponctuelles ayant pu être réparées ; les premiers juges ont exclu à juste titre le caractère décennal des désordres, pour les chaudières comme pour le réseau ;

- aucune part de responsabilité n'est imputable à la société Boudier Ingénierie, ainsi que l'a retenu l'expert à juste titre, alors qu'elle a assumé les missions d'économiste de la construction et de maître d'œuvre d'exécution pour les seuls travaux de construction des bâtiments du silo et de la chaufferie, à l'exclusion des travaux de réalisation du réseau de chaleur, et alors qu'elle n'est pas intervenue dans la conception ou l'exploitation des chaudières ; les conclusions d'appel en garantie de la société Ingetec's dirigées à son encontre doivent être rejetées :

- il n'est pas utile d'ordonner une nouvelle expertise ;

- subsidiairement, elles auraient droit à être garanties par les sociétés Ingetec's, Inddigo et Cofely et leurs assureurs respectifs, dès lors que le défaut de conception relevé par l'expert est imputable à la société Ingetec's, qui était chargée de la conception générale de l'installation de chauffage et du réseau de chaleur, que la société Cofely est responsable du défaut d'exécution des travaux du lot n° 12 dont elle était titulaire et que la société Inddigo, maître d'ouvrage délégué, a manqué à son obligation de conseil qui aurait dû l'amener à relever les insuffisances de conception et le caractère défaillant de l'exécution des travaux.

Vu :

- l'ordonnance n° 1700246 du 2 octobre 2018 par laquelle le président du tribunal administratif de Besançon a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expertise confiée à M. A... à la somme de 11 599,31 euros,

- les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Samson-Dye,

- les conclusions de M. Denizot, rapporteur public,

- et les observations de Me Gaudemez, substituant Me Brocard, pour la communauté de communes Terre d'Emeraude, et de Me Perrey pour la société Boudier Ingénierie et la société L'Auxiliaire.

Considérant ce qui suit :

1. Le 10 décembre 2007, la communauté de communes de Valous'Ain, devenue communauté de communes Petite Montagne (CCPM), puis désormais communauté de communes Terre d'Emeraude (CCTE), a confié à la société Inddigo un marché d'assistance à maîtrise d'ouvrage en vue de la réalisation d'un silo, d'une chaufferie et d'un réseau de chaleur sur le territoire de la commune d'Arinthod. Le 28 mai 2008, le groupement constitué des sociétés Ingetec's, (mandataire), Cabinet Boudier (devenue Boudier Ingénierie), CVF Structures, Grenard Architecture, s'est vu confier la maîtrise d'œuvre de l'opération. Le 15 avril 2009, la société Engie Energie Services, exerçant sous l'enseigne Cofely, s'est vue confier le lot n° 12 " Chaufferie - Réseau de chaleur - sous-station " du marché de travaux. La réception a été prononcée le 1er décembre 2009 avec des réserves qui ont été levées le 9 février 2010. La communauté de communes a saisi le tribunal administratif de Besançon d'un recours indemnitaire, dirigé contre plusieurs constructeurs et leurs assureurs, sur le fondement de la garantie décennale, avant d'introduire un référé provision.

2. Après jonction, par un jugement du 20 février 2020, le tribunal administratif de Besançon a donné acte du désistement de la CCPM de ses conclusions dirigées contre la société Boudier Ingénierie, la compagnie d'assurances L'Auxiliaire et la société Socotec, rejeté comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître les conclusions présentées par la communauté de communes et dirigées contre Euromaaf, Ar-Co, MMA IARD et Allianz, d'une part, et les conclusions d'appel en garantie présentées par les sociétés Boudier et L'Auxiliaire contre les sociétés Allianz, Euromaaf, MMA IARD et Ar-Co, et celles présentées par la société Ingetec's contre les sociétés L'Auxiliaire, Allianz et MMA IARD, d'autre part, jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur le surplus des conclusions présentées par la CCPM sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative et des actions en garantie exercées par les sociétés Engie Energie Services, Inddigo et Ingetec's, mis à la charge définitive de la CCPM les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 11 599,31 euros, et enfin rejeté le surplus des conclusions des parties.

3. La CCPM, aux droits de laquelle vient la CCTE, doit être regardée comme relevant appel de ce jugement en tant uniquement qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires contre la société Ingetec's, la société Inddigo et la société Cofely et qu'il met à sa charge les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés.

Sur la régularité du jugement :

4. La collectivité requérante fait grief aux premiers juges de ne pas avoir statué, dans le dispositif du jugement, sur les conclusions indemnitaires présentées dans le cadre de son recours au fond, et soutient que le jugement est entaché d'omission à statuer, ainsi que de contradiction entre son dispositif et ses motifs, qui pour leur part rejettent ses conclusions présentées sur le fondement de la garantie décennale.

5. Il ressort toutefois des termes mêmes du dispositif du jugement attaqué qu'après avoir donné acte du désistement de certaines conclusions de la demanderesse, prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions présentées dans le cadre du référé-provision, rejeté certaines conclusions comme présentées devant une juridiction incompétente pour en connaître, et enfin statué sur la charge définitive des frais de l'expertise ordonnée en référé, l'article 5 précise qu'est rejeté le surplus des conclusions des parties, ce qui englobait nécessairement les conclusions indemnitaires présentées par la requérante dans sa demande n° 1800272. Dès lors, les moyens tirés de l'omission à statuer et de la contrariété entre dispositif et motifs du jugement ne peuvent qu'être écartés.

Sur la garantie décennale :

6. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que, tout d'abord, sauf cas de force majeure ou de faute du maître de l'ouvrage, les constructeurs sont responsables de plein droit des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs, le rendent impropre à sa destination dès lors que les désordres en cause n'étaient ni apparents ni prévisibles lors de la réception dudit ouvrage. Ensuite, des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent la responsabilité des constructeurs même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Enfin, la responsabilité décennale des constructeurs peut être recherchée pour des dommages survenus sur des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination. Toutefois, la circonstance que les désordres affectant un élément d'équipement fassent obstacle au fonctionnement normal de cet élément n'est pas de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs si ces désordres ne rendent pas l'ouvrage lui-même impropre à sa destination.

En ce qui concerne le réseau de chaleur :

7. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport rédigé par l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Besançon, dont le contenu n'est pas remis en cause sur ce point par des éléments suffisamment circonstanciés, que les défauts affectant les raccords et assemblages réalisés entre certains des éléments de tuyauterie constituant le réseau de desserte de chaleur rendent l'exploitation de cet ouvrage plus difficile, sans le rendre toutefois impropre à assurer sa destination. Par ailleurs, il ne résulte pas davantage de l'instruction qu'en dépit des ruptures ponctuelles constatées, la solidité de l'ouvrage que constitue ce réseau pourrait être regardée comme menacée dans un délai prévisible, l'expert s'étant en particulier borné à souligner qu'il ne pouvait garantir la solidité du réseau.

En ce qui concerne les chaudières :

8. Il résulte de l'instruction que le projet impliquait la réalisation d'une chaufferie mixte de 1 970 kW (biomasse 730 kW/propane 1 240 kW). Il ressort des mentions du rapport d'expertise et des pièces techniques des marchés que deux chaudières bois de marque Schmidt, respectivement de 180 kW et 550 kW, ont été installées en juillet 2009. En 2013, ces chaudières ont été remplacées par une chaudière de marque Compte, d'une puissance de 1 060 kW, pour un montant de 347 200 euros. Si la chaudière de 550 kW a été conservée pour une utilisation d'appoint, le rapport d'expertise indique que celle de 180 kW était " entartrée et inutilisable ". La chaudière Compte a elle-même dû subir des réparations, avec notamment réfection du tubage et ajout d'un adoucisseur.

9. Ainsi qu'il a été dit au point 6, le dysfonctionnement affectant ces éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage n'est pas de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs si ces désordres ne rendent pas le réseau de chaleur lui-même impropre à sa destination. Il ne résulte pas de l'instruction que les dysfonctionnements des chaudières bois, demeurés sans incidence sur la solidité du réseau, auraient effectivement rendu ce dernier, également constitué d'une chaudière à gaz, impropre à assurer sa destination.

10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la communauté de communes n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions indemnitaires présentées sur le fondement de la garantie décennale et laissé à sa charge les frais d'expertise ordonnée par le juge des référés, qui ont été liquidés et taxés à la somme de 11 599,31 euros par ordonnance du président du tribunal administratif de Besançon du 2 octobre 2018.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des sociétés Ingetec's, Inddigo et Cofely, qui ne sont pas dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande l'établissement requérant au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les autres parties, sur le même fondement.

D E C I D E:

Article 1er : La requête de la communauté de communes Petite Montagne, devenue communauté de communes Terre d'Emeraude, est rejetée.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté de communes Terre d'Emeraude, à la SARL Ingetec's, à la compagnie d'assurances SA Euromaaf, à la SAS Inddigo, à la compagnie d'assurances AR-CO, à la compagnie d'assurances MMA IARD Assurances Mutuelles, à la SARL Boudier Ingénierie, à la société l'Auxiliaire, à la société Socotec, à la société Engie Energie Services et à la compagnie d'assurances Allianz Iard.

Délibéré après l'audience du 29 août 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente de chambre,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2023.

La rapporteure,

Signé : A. Samson-DyeLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au préfet du Jura, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 20NC00946


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC00946
Date de la décision : 19/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. DENIZOT
Avocat(s) : DURLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 24/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-09-19;20nc00946 ?
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