Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner le centre hospitalier de Verdun-Saint-Mihiel et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à lui verser la somme de 18 620,90 euros au titre des préjudices subis par sa fille mineure A... dans le cadre de sa prise en charge dans cet établissement de santé.
Par un jugement n° 1900109 du 17 juin 2021, le tribunal administratif de Nancy a condamné le centre hospitalier de Verdun-Saint-Mihiel et la SHAM à lui verser, en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure A..., la somme de 2 775 euros. Le tribunal a également condamné le centre hospitalier et son assureur à verser à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Haute-Marne la somme de 2 842,90 euros au titre de ses débours, ainsi que la somme de 614,30 euros au titre de ses frais de gestion.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 29 juin 2021, Mme B..., représentée par Me Olszowiak, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Nancy ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Verdun-Saint-Mihiel et la SHAM à lui verser, en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure A... la somme de 18 620,90 euros ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Verdun-Saint-Mihiel et de la SHAM la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- ainsi que le retient l'expertise, le centre hospitalier a commis une faute dans le cadre de la prise en charge de sa fille ; une prise de sang aurait dû être réalisée dès sa première venue au centre hospitalier et aurait permis de révéler l'existence de l'appendicite ;
- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges et l'expert, la faute commise par le centre hospitalier a retardé le diagnostic de près de deux jours et a fait perdre à sa fille une chance de 90 % d'éviter une opération lourde par laparotomie ;
- elle a dû rester aux côtés de sa fille pendant l'intégralité de sa période d'hospitalisation, soit du 6 au 10 juin 2014 et du 19 au 21 juin 2014, mais elle a également eu à consacrer quatre heures par jours à la toilette, l'habillage et le déshabillage de sa fille sur une période allant du 11 juin au 18 juin, puis du 22 juin au 30 juin 2014 ; le préjudice d'assistance par tierce personne doit ainsi être indemnisé par l'octroi d'une somme de 3 900 euros ;
- sa fille a présenté un déficit fonctionnel total du 6 juin au 10 juin 2014, puis du 19 au 21 juin 2014, mais a également connu un déficit fonctionnel de 50 % du 20 juin au 30 juin 2014 puis un déficit fonctionnel de 10 % du 1er juillet 2014 au 30 septembre 2014 ; le déficit fonctionnel temporaire subi doit être indemnisé en accordant une indemnité de 720,90 euros ;
- le préjudice esthétique temporaire subi par A... doit être indemnisé par l'octroi d'une somme de l4 000 euros ;
- les souffrances endurées, qui sont pleinement imputables à la faute du centre hospitalier, doivent être indemnisées en accordant une somme de 6 000 euros ;
- sa fille présente un préjudice esthétique permanent, qui doit justifier l'octroi d'une indemnité de 4 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 mars 2022, le centre hospitalier de Verdun-Saint-Mihiel et la SHAM, représentés par Me Le Prado, concluent au rejet de la requête de Mme B....
Ils font valoir que :
- ainsi que le retient l'expert, la réalisation d'examens complémentaires de manière plus précoce n'aurait pas permis avec certitude de diagnostiquer l'appendicite et un taux de perte de chance de 50 % doit ainsi être retenu ; les documents versés par Mme B... ne permettent pas de remettre en cause la position de l'expert sur ce point ;
- il n'y a pas de frais de tierce assistance en lien avec la faute commise ;
- les demandes au titre du déficit fonctionnel temporaire et du préjudice esthétique sont excessives ; il doit être déduit des périodes de déficit présentées les jours d'hospitalisation qu'auraient nécessairement impliqués une intervention par incision en fosse iliaque droite ; l'hospitalisation du 17 au 21 juin 2014 est exclusivement liée à l'abcès de paroi, qui est sans lien avec la faute commise ; le préjudice esthétique temporaire n'est pas le résultat de l'intervention chirurgicale et n'a pas à être indemnisé de manière distincte ; l'évaluation de ces chefs de préjudice par le tribunal est suffisante ;
- la demande au titre des souffrances endurées, qui ont été évaluées entre 2 à 3 sur une échelle de 7 par l'expert, est excessive ; la somme accordée par le tribunal est suffisante ;
- le préjudice esthétique permanent a été évalué à 1 sur une échelle de 7 par l'expert et la somme accordée par le tribunal est suffisante.
La procédure a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône, qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marchal,
- les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public,
- et les observations de Me Benoit pour Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Le 5 juin 2014, A... B..., née le 28 novembre 2009, s'est présentée, accompagnée de sa mère, Mme C... B..., au service des urgences du centre hospitalier de Verdun-Saint-Mihiel en raison d'importantes douleurs abdominales. Il a été retenu un diagnostic de difficultés à l'élimination de gaz intestinaux. Après la prescription d'un traitement symptomatique, elles ont regagné leur domicile. L'enfant et sa mère ont cependant été à nouveau admises le même jour au service des urgences en raison de la persistance des maux, mais elles ont été invitées à regagner leur domicile et à revenir le lendemain en cas de maintien des douleurs. En raison de l'aggravation des douleurs, A... B... et sa mère se sont présentées, dans la nuit du 5 au 6 juin, à ce même service des urgences. L'enfant a alors été hospitalisée dans le service de pédiatrie puis, après la réalisation d'examens complémentaires, elle a été transférée au service de chirurgie, où la réalisation d'un scanner abdomino-pelvien a mis en évidence une appendicite aiguë pelvienne avec péritonite. Elle a subi en urgence, le 6 juin 2014, une appendicectomie par laparotomie. L'enfant a quitté l'hôpital le 10 juin 2014 mais, en raison d'un abcès de paroi, elle a été admise, le 17 juin 2014, au centre hospitalier de Verdun-Saint-Mihiel puis transférée le 19 juin au centre hospitalier régional universitaire de Nancy, où elle est restée hospitalisée jusqu'au 21 juin 2014. Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner le centre hospitalier de Verdun-Saint-Mihiel et la SHAM à lui verser, en sa qualité de représentante légale de sa fille, la somme de 18 620,90 euros au titre des préjudices subis par son enfant. Par un jugement du 17 juin 2021, le tribunal administratif de Nancy a, notamment, condamné cet établissement de santé et son assureur à verser à Mme B... la somme de 2 775 euros au titre des préjudices subis par sa fille. Mme B... fait appel de ce jugement.
Sur les conclusions indemnitaires :
2. Le tribunal administratif de Nancy a, dans son jugement du 17 juin 2021, considéré que la responsabilité du centre hospitalier et de son assureur doit être engagée en raison de la tardiveté des examens ayant permis de diagnostiquer l'appendicite aiguë. Les parties ne contestent pas le jugement en tant qu'il a retenu l'engagement de la responsabilité pour faute de l'établissement public de santé et de son assureur.
En ce qui concerne la perte de chance
3. En raison d'un retard dans la réalisation des examens ayant permis de déceler l'appendicite aiguë dont souffrait Mme A... B..., cette dernière a dû être opérée, non par la voie de McBurney soit par une incision de taille mesurée en fosse iliaque, mais par laparotomie. Toutefois, bien que, ainsi que le souligne la requérante, sa fille aurait dû bénéficier d'examens complémentaires et notamment d'une analyse de sang au plus tard lors de sa seconde venue, il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise que, même avec des examens complémentaires et donc des résultats plus précoces, une appendicectomie par laparotomie n'aurait pas pu être évitée avec certitude. En effet, les appendicites sur d'aussi jeunes enfants sont rares et le diagnostic d'une telle pathologie, qui ne saurait résulter seulement d'un examen, comme l'analyse de sang, mais doit être effectué au vu d'un faisceau d'indices, est complexe. Ainsi, il ne peut être affirmé avec certitude que, en l'absence de faute, un tel diagnostic aurait été porté suffisamment tôt pour éviter une opération par laparotomie. L'expert souligne par ailleurs à ce titre que, même en cas de diagnostic dès le 5 juin 2014, soit le jour de la première venue de A... B... au service des urgences du centre hospitalier, il ne peut être exclu que l'avancement de l'appendicite de l'enfant imposait déjà une opération en urgence par laparotomie. La réalisation tardive de la prise de sang, de l'échographie et du scanner abdominal n'a ainsi fait perdre à A... B... qu'une chance d'éviter la réalisation de l'appendicectomie par laparotomie. Eu égard à la rareté d'une telle pathologie pour les jeunes enfants, à la difficulté de son diagnostic et à l'incertitude quant au stade d'avancement de l'appendicite lors de la venue de l'enfant au centre hospitalier, il y a lieu de retenir, ainsi que le préconise l'expertise non utilement remise en cause sur ce point par la requérante, que la faute du centre hospitalier a fait perdre à A... B... une chance de 50 % d'éviter une opération par laparotomie.
En ce qui concerne les préjudices de A... B... :
S'agissant des préjudices patrimoniaux :
4. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit, à cette fin, se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime.
5. Mme B... n'apporte aucune justification quant à la nécessité d'une tierce assistance lorsque sa fille était hospitalisée en juin 2014 et était donc, en principe, intégralement prise en charge par l'établissement de soin. En se bornant à mentionner son intervention pour la toilette, l'habillage et le déshabillage de sa fille, elle ne justifie pas plus que, en dehors des périodes d'hospitalisation, l'état de son enfant, alors âgée de 4 ans, aurait imposé une tierce assistance distincte de celle nécessairement impliquée par l'âge de sa fille et de celle dont elle aurait dû en tout cas bénéficier à la suite d'une éventuelle intervention par la voie de McBurney. Par suite et ainsi par ailleurs que l'indique l'expertise, elle n'est pas fondée à solliciter une indemnité au titre des frais pour l'assistance de A... par une tierce personne.
S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux temporaires :
6. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'en raison de l'appendicite aiguë dont a souffert A... B..., elle a été hospitalisée du 6 juin au 10 juin 2014 et a donc connu, pendant cette période, un déficit fonctionnel total. Pour autant, il résulte également de l'instruction qu'en l'absence de faute et en cas de réalisation d'une appendicectomie par voie de McBurney, l'enfant aurait également dû être hospitalisée. Ainsi, le déficit fonctionnel total du 8 juin au 10 juin 2014 doit seul être regardé comme imputable à la faute du centre hospitalier. Il résulte également de l'instruction que, du 11 juin au 16 juin 2014, l'enfant a subi un déficit fonctionnel imputable à la faute du centre hospitalier de 50 % et a ensuite été à nouveau hospitalisée du 17 juin au 21 juin 2014 du fait d'un abcès de paroi, qui est en lien avec la faute du centre hospitalier, de sorte qu'elle a également connu, pendant ces cinq jours, un déficit fonctionnel total. Enfin, A... B... a subi, du 22 juin au 30 septembre 2014, un déficit fonctionnel imputable à la faute du centre hospitalier de 10 %. Il sera fait une juste appréciation du préjudice en l'estimant à 20 euros par jour de déficit total. Il y a ainsi lieu de l'évaluer à 420 euros, de sorte que, après prise en compte du taux de perte de chance de 50 %, la victime doit se voir accorder la somme de 210 euros au titre de ce préjudice.
7. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise judiciaire que A... B... a subi, du fait de l'opération tardive et de la méthode opératoire par laparotomie retenue, des souffrances physiques distinctes de celles qu'elle aurait nécessairement endurées en raison de sa pathologie. Ces souffrances doivent être évaluées à 3 sur une échelle de 7. Il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges aient fait une évaluation insuffisante de ce poste de préjudice en accordant, après prise en compte du taux de perte de chance, la somme de 2 000 euros à Mme B....
8. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que A... B... a présenté, du fait de la méthode opératoire choisie, une cicatrice abdominale plus importante que celle qu'elle aurait subie en cas d'opération par la voie de McBurney. Il sera fait une juste appréciation du préjudice esthétique temporaire de la victime en lui accordant la somme de 500 euros après prise en compte du taux de perte de chance.
S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux permanentes :
9. En raison de la méthode opératoire retenue, A... B... conserve une cicatrice abdominale plus importante que celle qu'elle aurait eue en cas d'opération par la voie de McBurney. Il ne résulte toutefois pas de l'instruction et notamment pas de l'expertise, qui a évalué le préjudice esthétique permanent à 1 sur une échelle de 7, que les premiers juges aient fait une évaluation insuffisante de ce poste en accordant, après prise en compte du taux de perte de chance, la somme de 700 euros à Mme B....
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est uniquement fondée à soutenir que la somme à laquelle le centre hospitalier de Verdun-Saint-Mihiel et la SHAM ont été condamnés à lui verser par les premiers juges doit être portée à 3 410 euros.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Verdun-Saint-Mihiel et de la SHAM le versement à la requérante d'une somme globale de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La somme de 2 775 euros que le centre hospitalier de Verdun-Saint-Mihiel et la Société hospitalière d'assurances mutuelles ont été condamnés à verser à Mme B..., en qualité de représentante légale de sa fille, est portée à 3 410 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nancy est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le centre hospitalier de Verdun-Saint-Mihiel et la Société hospitalière d'assurances mutuelles verseront à Mme B... la somme globale de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., au centre hospitalier de Verdun-Saint-Mihiel, à la Société hospitalière d'assurances mutuelles et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne.
Délibéré après l'audience du 27 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Wurtz, président,
- M. Meisse, premier conseiller,
- M. Marchal, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2023.
Le rapporteur,
Signé : S. MARCHAL
Le président,
Signé : Ch. WURTZLe greffier,
Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
N° 21NC01889
2