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06/07/2023 | FRANCE | N°22NC01070

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 5ème chambre, 06 juillet 2023, 22NC01070


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A..., née D..., a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 13 août 2021, par lequel la préfète du Bas-Rhin a rejeté sa demande de délivrance d'un certificat de résidence algérien, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office.

Par un jugement n° 2200821 du 30 mars 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédur

e devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 avril 2022, Mme A..., représentée par Me ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A..., née D..., a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 13 août 2021, par lequel la préfète du Bas-Rhin a rejeté sa demande de délivrance d'un certificat de résidence algérien, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office.

Par un jugement n° 2200821 du 30 mars 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 avril 2022, Mme A..., représentée par Me Airiau, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 30 mars 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté de la préfète du Bas-Rhin du 13 août 2021 ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin, à titre principal, de lui délivrer un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, ou, à titre subsidiaire, de l'admettre provisoirement au séjour dans les quinze jours de la décision à intervenir et de réexaminer sa situation, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :

- elle a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que l'avis du collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration ne lui a pas été communiqué, qu'il n'est pas établi que le médecin ayant rédigé le rapport médical ne siégeait pas au sein du collège de médecins et que les médecins du collège ainsi que le rapporteur avaient été régulièrement désignés ;

- elle a méconnu le 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien ;

- elle a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est également entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'illégalité en conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;

- elle a méconnu les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- la décision fixant le pays de renvoi est entachée d'illégalité en conséquence de l'illégalité des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français.

La requête a été communiquée à la préfète du Bas-Rhin qui n'a pas produit d'observations en défense.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 22 août 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience publique.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Bourguet-Chassagnon a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... A... née D..., ressortissante algérienne, née en 1961, entrée sur le territoire français le 24 février 2018 sous couvert d'un visa de court séjour, a sollicité le 7 mai 2018 son admission au séjour sur le fondement du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Par un arrêté du 29 avril 2019, la préfète du Bas-Rhin a rejeté sa demande et a édicté à son encontre une obligation de quitter le territoire français, dont la légalité a été confirmée par un jugement définitif du tribunal administratif de Strasbourg en date du 16 octobre 2019. L'intéressée, qui s'était maintenue irrégulièrement sur le territoire français, a alors demandé, le 10 novembre 2020, à la préfète du Bas-Rhin la délivrance d'un certificat de résidence algérien sur le fondement des stipulations du 7° de l'article 6 de l'accord susvisé. Par un arrêté en date du 13 août 2021, la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer le titre demandé, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office. Par un jugement du 30 mars 2022, dont Mme A... relève appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Il ressort des pièces du dossier, notamment des certificats médicaux très circonstanciés, établis les 16 mars 2018 et 29 mars 2019 par le Dr F..., médecin spécialiste de réadaptation au sein de l'Institut universitaire de réadaptation Clémenceau de Strasbourg, que la fille unique de la requérante, Mme B... E..., titulaire d'une carte de résident algérien valable jusqu'au 3 avril 2030, mère de trois enfants nés respectivement en septembre 2015, en février 2018 et en janvier 2021, conserve de lourdes séquelles neurologiques liées aux lésions cérébrales résultant d'un accident cardio-vasculaire survenu en 2011. Titulaire de la carte mobilité inclusion et bénéficiaire de l'allocation adulte handicapé, la fille de Mme A... est en effet affectée d'une hémiplégie du côté droit réduisant considérablement son périmètre de marche, de difficultés cognitives et comportementales (troubles dans les fonctions exécutives, trouble de l'attention, déficit de la mémoire de travail, apathie, aboulie), d'une grande fatigabilité typique des lésions cérébrales et de douleurs multiples qui rendent nécessaire l'assistance permanente d'une tierce personne à la fois pour elle-même et pour l'éducation et les soins nécessaires à ses trois enfants en bas âge. La requérante, âgée de 57 ans lors de son entrée en France en 2018, démontre lui avoir apporté effectivement depuis lors l'assistance dont elle avait besoin, laquelle " dépasse largement le simple accompagnement par rapport à l'hémiplégie (...) et lui donne l'énergie et le temps nécessaire pour s'inscrire dans des rééducations qui jusqu'ici n'étaient pas à sa portée à cause des difficultés de gestion de la vie quotidienne et notamment de ses enfants " comme en atteste le Dr F..., lequel souligne par ailleurs que la prestation de compensation de handicap qui avait été attribuée à Mme E... par la Maison Départementale pour les Personnes Handicapées (MDPH) s'était révélée tout à fait insuffisante pour lui apporter l'assistance nécessitée par sa situation spécifique. Il ressort également des pièces du dossier que Mme A..., qui résidait au domicile de sa fille et de son gendre jusqu'au 29 juin 2021, constitue depuis la séparation des époux E... suite au dépôt par Mme E... d'une plainte pour violences conjugales, le seul membre de sa famille présent en France, à même de s'occuper quotidiennement de sa fille handicapée et de ses trois petits-enfants en bas âge au sein du centre d'hébergement d'urgence où la cellule familiale demeure depuis le 30 juin 2021. Ainsi, dans les circonstances très particulières de l'espèce, et alors même que Mme A... conservait, à la date de la décision attaquée, des attaches familiales en Algérie où résidaient l'époux dont elle était séparée de fait depuis 2018 et son frère, la requérante est fondée à soutenir que la décision attaquée du 13 août 2021 ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de son éloignement portent une atteinte excessive à son droit de mener une vie familiale normale au regard du soutien qu'elle souhaite apporter à son unique enfant et à ses trois petits-enfants.

4. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ".

6. Eu égard au motif d'annulation de l'arrêté attaqué ci-dessus retenu et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que des éléments de fait ou de droit nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose une nouvelle décision de refus, le présent arrêt implique nécessairement que cette autorité délivre à Mme A... un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu, par suite, d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer ce titre dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a toutefois pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

7. Par la décision du bureau d'aide juridictionnelle du 22 août 2022, Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Airiau, conseil de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cet avocat d'une somme de 1 500 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2200821 du 30 mars 2022 du tribunal administratif de Strasbourg et l'arrêté en date du 13 août 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin a rejeté la demande de titre de séjour présentée par Mme A..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète du Bas-Rhin de délivrer à Mme A... un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Airiau, avocat de Mme A..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Mme A... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... née D..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Airiau.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 15 juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Laubriat, président de chambre,

Mme Bourguet-Chassagnon, première conseillère,

Mme Mosser, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juillet 2023.

La rapporteure,

Signé : M. Bourguet-Chassagnon

Le président,

Signé : A. Laubriat

La greffière,

Signé : A. Bailly

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

A. Bailly

2

N° 22NC01070


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC01070
Date de la décision : 06/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAUBRIAT
Rapporteur ?: Mme Mariannick BOURGUET-CHASSAGNON
Rapporteur public ?: M. BARTEAUX
Avocat(s) : AIRIAU

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-07-06;22nc01070 ?
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