Vu la procédure suivante :
Procédures contentieuses antérieures :
Par une requête n° 2205466, M. E... G... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 28 juillet 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités italiennes et celui du même jour prononçant son assignation à résidence.
Par une requête n° 2205467, Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 28 juillet 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités italiennes et celui du même jour prononçant son assignation à résidence.
Par un jugement commun n° 2205466 et 2205467 du 9 septembre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a, d'une part, annulé les arrêtés susmentionnés et, d'autre part, enjoint à la préfète du Bas-Rhin de procéder à l'enregistrement de la demande d'asile de M. B... et de Mme D... en procédure normale dans le délai de quinze jours à compter de la notification du présent jugement et de leur délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.
Procédures devant la cour :
I. Par une requête n° 22NC02463 enregistrée le 30 septembre 2022, et un mémoire, non communiqué, enregistré le 22 décembre 2022, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 9 septembre 2022 ;
2°) de rejeter les demandes présentées par M. B... et Mme D... devant le tribunal administratif de Strasbourg.
La préfète soutient que :
- il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation de M. B... dès lors qu'il a spontanément rejoint l'Italie, Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile, ce qui clôt sa procédure de demande d'asile en France ;
- la mesure d'éloignement prononcée par les autorités italiennes le 4 août 2022 à l'encontre de M. B..., et de lui seul, ainsi que leur accord implicite de reprise en charge ne permettent pas d'établir que l'Italie n'instruirait pas sa demande d'asile ;
- M. B... n'établit pas qu'il serait dans l'impossibilité de présenter une nouvelle demande d'asile en Italie.
Par un mémoire en défense enregistré le 7 décembre 2022, celui du 20 décembre 2022 n'ayant pas été communiqué, M. B... et Mme D... représentés par Me Bottemer conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la préfète du Bas-Rhin sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- l'obligation de quitter le territoire français du 4 août 2022 des autorités italiennes est fondée sur la décision du 21 avril 2022 rejetant sa demande de renouvellement de son permis de séjour en date du 29 mai 2021 et ne se réfère pas à une nouvelle demande d'asile présentée postérieurement en Italie ;
- cette décision a été exécutée grâce à une escorte policière jusqu'à la frontière ce qui démontre bien la présence de M. B... en Italie ;
- les autorités italiennes font preuve de défaillances systémiques et la France est devenue responsable de l'examen de sa demande d'asile.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 janvier 2023.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 janvier 2023.
II. Par une requête n° 22NC02464 enregistrée le 30 septembre 2022 et un mémoire en réplique du 22 décembre 2022, la préfète du Bas-Rhin demande le sursis à exécution du jugement n° 2205466, 2205467 du 9 septembre 2022.
Elle soutient que
- le tribunal administratif a commis une erreur de droit et méconnu l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en l'enjoignant à enregistrer leurs demandes d'asile en France ;
- il a commis une erreur manifeste d'appréciation des faits en considérant que la demande d'asile des intéressés risquait de ne pas être enregistrée en Italie.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 décembre 2022, M. B... et Mme D..., représentés par Me Bottemer, concluent à titre principal à l'irrecevabilité de la demande de sursis à exécution et à titre subsidiaire, à son rejet et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la préfète du Bas-Rhin sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- la requête en appel a été déposée avant la demande de sursis à exécution et n'a ainsi pas pu être jointe au sursis ;
- les dispositions de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne font pas obstacle au pouvoir d'injonction de l'article L. 911-1 du code de justice administrative ;
- les moyens présentés dans la requête au fond ne paraissent pas sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement dès lors qu'aucune nouvelle demande d'asile par M. B... n'a été présentée en Italie lors de son retour en août 2022 et que les autorités italiennes ont décidé de le renvoyer vers son pays d'origine par décision du 4 août 2022 et n'ont ainsi pas l'intention d'examiner une demande d'asile.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 février 2023.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 février 2023.
III. Par une ordonnance du 27 mars 2023, la présidente de la cour administrative d'appel de Nancy a ouvert une procédure juridictionnelle n° 23NC00962 à la suite de l'échec de la phase administrative.
Par un mémoire enregistré le 31 mars 2023, la préfète du Bas-Rhin soutient que M. B... et Mme D... ont été convoqués par un courrier du 26 octobre 2022 à un rendez-vous aux fins d'enregistrement de leur demande d'asile en procédure normale et que le formulaire OFPRA leur a été remis le 9 février suivant. Leurs demandes d'asile ont été enregistrées le 17 février et Mme D... a été convoquée par l'OFPRA le 22 mars 2023.
Par un mémoire respectivement enregistré le 3 avril 2023, M. B... et Mme D..., représentés par Me Bottemer, demandent l'exécution du jugement du tribunal administratif de Strasbourg et notamment la remise de l'imprimé mentionné à l'article R. 531-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Ils soutiennent que les formulaires de demande d'asile leur ont été remis le 9 février 2023 et qu'ils ont fait enregistrés leurs demandes d'asile dans les délais.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le traité sur l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Barrois, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... et Mme D..., ressortissants nigérians, ont déclaré être entrés sur le territoire français le 3 mai 2022 afin d'y solliciter la reconnaissance du statut de réfugié le 12 mai 2022. A la suite de la consultation du fichier EURODAC dont il résultait qu'ils avaient sollicité l'asile en Italie, les autorités italiennes ont été saisies d'une demande de reprise en charge le 19 mai 2022 qui ont donné leur accord implicite le 3 juin suivant. Deux constats d'accords implicites leur ont été adressés le 22 juillet 2022. Par suite, la préfète du Bas-Rhin a ordonné par des arrêtés du 28 juillet 2022, notifiés le 22 août suivant, leur transfert aux autorités italiennes. Par des arrêtés du même jour, ils ont été assignés à résidence pour une durée de 45 jours. Par la requête n° 22NC02463, la préfète du Bas-Rhin fait appel du jugement du 9 septembre 2022 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé ces arrêtés. Par une requête n° 22NC02464, elle a également sollicité le sursis à exécution de ce jugement.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Strasbourg :
2. Sur le fondement des articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 et dans les circonstances particulières de l'espèce, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a considéré qu'au regard du rejet de sa demande d'asile par les autorités italiennes en 2016, de la mesure d'éloignement édictée par ces mêmes autorités dont il a fait l'objet le 4 août 2022 et de l'absence de réponse aux deux constats d'accord implicite le 22 juillet 2022, malgré la demande expresse qui leur était faite de confirmer leur responsabilité dans le traitement de la demande d'asile des intéressés, il existait de sérieuses raisons de penser que leurs demandes d'asile ne seraient pas instruites en Italie et que dès lors, la préfète du Bas-Rhin avait entaché ses décisions d'une erreur manifeste d'appréciation.
3. D'une part, il résulte des articles 18 et 19 du règlement (UE) n° 604/2013 que la circonstance que l'Etat membre requis en vue de la reprise en charge d'un ressortissant d'un pays tiers dont il a examiné et rejeté la demande d'asile, a pris une mesure d'éloignement à son encontre, n'a pas pour conséquence de faire cesser sa responsabilité. Ce n'est que lorsque la mesure d'éloignement a été effectivement exécutée par une sortie du territoire de l'Union européenne que toute demande postérieure est considérée comme une nouvelle demande. D'autre part, l'absence de réponse des autorités italiennes à la demande de reprise en charge du 19 mai 2022 et de réaction aux deux constats d'accords implicites qui leur ont été adressés le 22 juillet 2022 ne sont pas suffisants pour renverser la présomption renforcée de respect des droits fondamentaux par l'Italie, ni sa capacité à instruire la demande d'asile de M. B.... Enfin, et au demeurant, ces circonstances concernent uniquement la situation de M. B... et non celle de Mme D....
4. Par suite, la préfète du Bas-Rhin est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a, pour ce motif, annulé les décisions en date du 28 juillet 2022 portant transfert de M. B... et Mme D... aux autorités italiennes et assignation à résidence dans le département de la Moselle.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés par M. B... et Mme D... tant en première instance qu'en appel, dirigés à l'encontre des décisions du 28 juillet 2022 de la préfète du Bas-Rhin.
Sur la demande de non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de transfert du 22 juillet 2022 prononcée à l'encontre de M. B... :
6. Même s'il ressort des pièces du dossier que M. B... est retourné spontanément en Allemagne où il avait initialement déposé une demande d'asile rejetée en 2016, après avoir sollicité l'asile en France le 12 mai 2022 et avant la notification le 22 août 2022 de la décision de transfert aux autorités italiennes du 28 juillet sans que les autorités françaises n'en soient informées, il n'est pas établi qu'il y aurait déposé une demande de réexamen de sa demande d'asile alors que la mesure d'expulsion dont il a fait l'objet le 4 août 2022 fait uniquement référence au refus de renouvellement de son permis de séjour italien. Par suite, les conclusions à fin d'annulation de M. B... de la décision de transfert du 28 juillet 2022 n'ont pas perdu leur objet dès lors que les autorités françaises étaient fondées à ordonner son transfert aux autorités italiennes à l'issue de la procédure de détermination de l'Etat membre responsable.
Sur les conclusions à fin d'annulation des décisions de transfert du 22 juillet 2022 prononcées à l'encontre de M. B... et de Mme D... :
7. En premier lieu, comme exposé au point 3, la circonstance que les autorités italiennes, requises en vue de la reprise en charge de M. B... dont elles ont examiné et rejeté la demande d'asile, ont pris une mesure d'éloignement à son encontre, n'a pas pour conséquence de faire cesser leur responsabilité à l'encontre de M. B....
8. En second lieu, d'une part, la faculté laissée à chaque Etat membre, par le 1° de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Cette possibilité doit en particulier être mise en œuvre lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. D'autre part, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.
10. Il ne ressort pas des pièces du dossier de sérieuses raisons de croire qu'il existerait en Italie des défaillances systémiques dans le traitement des demandeurs d'asile, et alors que l'intéressé ne fait état d'aucun élément particulier susceptible d'établir qu'il serait soumis en Italie à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la seule circonstance invoquée qu'il fasse l'objet d'une mesure d'éloignement et d'une obligation de quitter le territoire italien n'étant pas suffisante pour l'établir. Par suite, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation est écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... et Mme D... ne sont pas fondés à demander l'annulation des décisions de transfert et d'assignation à résidence dans le département de la Moselle du 22 juillet 2022. Par voie de conséquence, leurs conclusions présentées sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
Sur le sursis à exécution :
12. Le présent arrêt ayant annulé le jugement attaqué du tribunal administratif de Strasbourg, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 22NC02464.
13. Par suite, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme demandée par M. B... et Mme D... au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la demande d'exécution du jugement :
14. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 12, le présent arrêt ayant en outre rejeté les conclusions à fin d'annulation et d'injonction présentées par M. B... et Mme D..., il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23NC00962.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 22NC02464 présentée par la préfète du Bas-Rhin.
Article 2 : Les conclusions de M. B... et Mme D... présentées sous le n° 22NC02464 sur le fondement des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23NC00962 présentée par M. B... et Mme D....
Article 4 : Le jugement n°2205466 du 9 septembre 2022 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.
Article 5 : La demande présentée par M. B... et Mme D... devant le tribunal administratif de Strasbourg ainsi que leurs conclusions présentées en appel sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... F..., à Mme A... D... et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin
Délibéré après l'audience du 5 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- M. Sibileau, premier conseiller,
- Mme Barrois, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 juin 2023.
La rapporteure,
Signé : M. BarroisLe président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : E. DelorsLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
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N° 22NC02463-22NC02464-23NC00962