Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 4 juin 2022, par lequel le préfet de la Moselle l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit de revenir sur le territoire français pendant un délai d'un an.
Par un jugement n° 2201575, 2201608 du 22 juin 2022, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 juillet 2022, M. A..., représenté par Me Blanvillain, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 juin 2022 ;
2°) d'annuler cet arrêté du 4 juin 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de réexaminer sa situation dans un délai déterminé, au besoin sous astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros, à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les décisions contestées sont entachées d'incompétence ;
- elles sont insuffisamment motivées ;
- l'obligation de quitter le territoire français est entachée de plusieurs erreurs de fait ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision lui refusant un délai de départ volontaire est illégale dès lors qu'il dispose de garanties de représentation et qu'il ne présente pas de risque de fuite ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation quant à sa durée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 septembre 2022, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 novembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Mosser a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant turc né le 18 mai 1999, serait entré irrégulièrement en France le 19 novembre 2012 accompagné de sa mère. La demande d'asile qu'il a présentée à sa majorité a été rejetée par une décision du 19 octobre 2017 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmée le 18 décembre 2018 par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Le 17 juin 2019, M. A... a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français assortie d'une interdiction de retour sur ce territoire. Le recours contentieux formé contre ces décisions a été rejeté en dernier lieu par la cour administrative d'appel de Nancy le 19 novembre 2019. Le 9 mars 2020, M. A... a fait l'objet d'une interdiction de retour sur le territoire français dont la légalité a été confirmée en dernier lieu par la cour administrative d'appel de Nancy le 14 janvier 2021. A la suite d'un contrôle d'identité, le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. Postérieurement à cet arrêté, M. A... a sollicité le réexamen de sa demande d'asile, demande qui a été rejetée par l'OFPRA le 14 juin suivant. Le 15 juillet 2022, le requérant a sollicité son admission exceptionnelle au séjour. M. A... relève appel du jugement du 22 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 4 juin 2022.
Sur l'arrêté pris dans son ensemble :
2. Le requérant reprenant en appel, sans apporter d'élément nouveau, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté contesté, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à juste titre par le tribunal administratif de Nancy dans son jugement du 22 juin 2022.
3. L'arrêté attaqué comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Ainsi, le préfet de la Moselle, qui n'avait pas à viser toutes les circonstances de fait de la situation de M. A..., a cité les éléments pertinents dont il avait connaissance et qui fondent ses décisions. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation en fait doit être écarté.
Sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français :
4. En premier lieu, le préfet de la Moselle n'a pas commis d'erreur de fait, à la date de décision contestée, en indiquant que M. A... serait entré en France en 2012 et que son identité serait présumée. Si par ailleurs, le préfet ne mentionne ni l'adresse du requérant, ni la relation sentimentale que l'intéressé entretiendrait avec une ressortissante française et qu'il aurait mentionné dans ses déclarations, il n'est pas établi qu'il aurait eu une appréciation différente de la situation de M. A... dès lors notamment que le caractère stable ou intense de cette relation n'est pas établi. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de fait doit être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
6. Si M. A... justifie de sa présence en France à compter de la rentrée scolaire 2013, il s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français postérieurement au rejet de sa demande d'asile le 18 novembre 2018. Les deux témoignages d'amis ainsi que la promesse d'embauche postérieure à la décision en litige et l'attestation de bénévolat non datée ne sont pas de nature à établir que le requérant a fixé le centre de ses intérêts personnels et professionnels en France. De même, la circonstance qu'il est titulaire d'un diplôme de langue française, niveau A2 et a été scolarisé en France ne justifie pas de son intégration au sein de la société française alors qu'il est démuni de ressources propres et d'un logement autonome. S'il se prévaut de la présence en France de sa mère, ni la régularité de son séjour, ni le fait que la présence à ses côtés serait indispensable ne sont démontrés. La réalité et l'intensité de sa relation avec une ressortissante française ne sont pas justifiées par la seule production d'un témoignage de cette dernière alors que cette relation n'est corroborée par aucune des autres pièces du dossier et qu'il ressort des quittances de loyer produites que le requérant vit avec sa mère. En outre, M. A... n'établit pas être dépourvu d'attaches familiale en Turquie ou sa mère pourrait le cas échéant l'accompagner. Dans ses conditions, le préfet de la Moselle n'a pas porté au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels la décision contestée a été prise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
7. En troisième et dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point précédent, M. A... n'est pas fondé à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français litigieuse serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Sur la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire :
8. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement (...) ".
9. M. A... qui n'a pas déféré à la précédente mesure d'éloignement prise à son encontre les 17 juin 2019 doit être regardé comme s'étant soustrait à cette mesure. Il se trouve ainsi dans le cas, prévu par les dispositions citées ci-dessus, où, en l'absence de circonstance particulière, le risque qu'il se soustraie à la nouvelle mesure d'éloignement prononcée à son encontre pouvait être regardé comme établi. La circonstance qu'il justifie de son identité et dispose d'une résidence stable n'est pas de nature à permettre de regarder l'existence d'un tel risque comme non avéré. Par suite, le préfet de la Moselle a pu légalement décider de ne pas lui accorder de délai de départ volontaire.
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
10. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 6, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des traitements inhumains ou dégradants ".
12. M. A... n'établit pas être exposé personnellement et gravement à des risques de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d'origine alors que sa demande d'asile a été rejetée en dernier lieu par la CNDA le 18 décembre 2018 et que sa demande de réexamen a été rejetée pour irrecevabilité par l'OFPRA le 14 juin 2022. Par suite, ce moyen doit être écarté comme manquant en fait.
Sur la décision portant interdiction de retour sur le le territoire français :
13. En premier lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ". Il résulte de ces dispositions que lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, le préfet assortit, en principe et sauf circonstances humanitaires, l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour. La durée de cette interdiction doit être déterminée en tenant compte des critères tenant à la durée de présence en France, à la nature et l'ancienneté des liens de l'intéressé avec la France, à l'existence de précédentes mesures d'éloignement et à la menace pour l'ordre public représentée par la présence en France de l'intéressé.
14. Pour fixer à un an la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français prononcée à l'encontre de M. A..., le préfet de la Moselle a retenu que si ce dernier est entré sur le territoire français en 2012 et ne constitue pas une menace à l'ordre public, il ne justifie pas de l'intensité et de la stabilité de ses liens personnels et familiaux en France et a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement. Ainsi qu'il a été dit au point 6, M. A... ne justifie pas de la réalité et de l'intensité de sa relation avec une ressortissante française tandis qu'il n'est pas établi que sa mère, résidant également irrégulièrement en France, ne pourrait pas l'accompagner en Turquie. Par ailleurs, il ne démontre pas d'une insertion particulière au sein de la société française. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en fixant à un an la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français faite au requérant, le préfet de la Moselle aurait commis une erreur dans l'appréciation des conséquences de cette mesure sur la situation personnelle de M. A....
15. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 6 et 14, M. A... n'est pas fondé à soutenir que l'interdiction de retour sur le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation ainsi que par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet de la Moselle.
Délibéré après l'audience du 1er juin 2023, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président,
M. Agnel, président assesseur,
Mme Mosser, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 juin 2023.
La rapporteure,
Signé : C. MosserLe président,
Signé : J. Martinez La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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N° 22NC01930