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22/06/2023 | FRANCE | N°20NC03369

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 22 juin 2023, 20NC03369


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy, d'une part, d'annuler l'arrêté du 9 juillet 2018 par lequel le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours (ci-après SDIS) de Meurthe-et-Moselle a prononcé la sanction de rétrogradation du grade de sergent au grade de caporal ainsi que la décision du 13 avril 2018 prononçant sa suspension à titre conservatoire et, d'autre part, d'enjoindre au SDIS de le réintégrer dans le grade de sergent-chef dans un

délai de huit jours à compter de la notification du jugement.

Par un jug...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy, d'une part, d'annuler l'arrêté du 9 juillet 2018 par lequel le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours (ci-après SDIS) de Meurthe-et-Moselle a prononcé la sanction de rétrogradation du grade de sergent au grade de caporal ainsi que la décision du 13 avril 2018 prononçant sa suspension à titre conservatoire et, d'autre part, d'enjoindre au SDIS de le réintégrer dans le grade de sergent-chef dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement.

Par un jugement n° 1802525 du 30 septembre 2020, le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 9 juillet 2018, a enjoint au SDIS de Meurthe-et-Moselle de réintégrer l'agent dans le grade de sergent et de prendre les mesures nécessaires à la reconstitution de sa carrière et de ses droits sociaux à compter du 1er août 2018, a mis à sa charge 1 500 euros au titre des frais de l'instance et a, enfin, rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistré le 20 novembre 2020, le service départemental d'incendie et de secours (ci-après SDIS) de Meurthe-et-Moselle, représenté par Me Poput de la Selarl Bazin et Cazelles avocats associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 30 septembre 2020 en tant qu'il annule l'arrêté du 9 juillet 2018 et porte injonction ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. A... ;

3°) de mettre à la charge de M. A... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les faits reprochés à M. A... d'avoir, sans autorisation préalable de sa hiérarchie, modifié la disposition du standard du centre de secours de Neuves-Maisons sont fautifs, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges ;

- les faits reprochés à M. A... lors de la diffusion des calendriers des pompiers de l'année 2018 sont également fautifs ;

- les autres manquements, dont la matérialité et le caractère fautif ont été retenus par les premiers juges, ne pouvaient être regardés comme présentant seulement un " caractère modeste " ;

- la sanction prononcée est proportionnée au comportement de l'agent, compte tenu de la gravité des faits reprochés, de leur réitération, de leurs conséquences sur le fonctionnement du service, de la manière de servir de l'agent et de son refus d'amender son comportement en dépit de plusieurs rappels à l'ordre et sanctions déjà prononcées à son encontre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mai 2021, M. A..., représenté par Me Corsiglia, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du SDIS une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par le SDIS de Meurthe-et-Moselle ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brodier,

- les conclusions de Mme B...,

- les observations de Me Corsiglia, avocate de M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Engagé comme sapeur-pompier volontaire au sein du SDIS de Meurthe-et-Moselle depuis le 1er janvier 2005, M. A... est titulaire du grade de sergent-chef depuis le 1er avril 2016. Par un arrêté du 13 avril 2018, le président du conseil d'administration du SDIS l'a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire pour une durée de quatre mois. Puis, sur avis favorable du conseil de discipline réuni le 4 juillet 2018, il a, par un arrêté du 9 juillet 2018, prononcé la sanction de rétrogradation de M. A... au grade de caporal à compter du 1er août 2018. Le SDIS de Meurthe-et-Moselle relève appel du jugement du tribunal administratif de Nancy du 30 septembre 2020 en tant qu'il a annulé l'arrêté du 9 juillet 2018 et lui a fait injonction.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Aux termes de l'article R. 723-6 du code de la sécurité intérieure : " L'engagement de sapeur-pompier volontaire est subordonné aux conditions suivantes : (...) ; 4° S'engager à exercer son activité de sapeur-pompier volontaire avec obéissance, discrétion et responsabilité, dans le respect des dispositions législatives et réglementaires, et notamment de la charte nationale du sapeur-pompier volontaire ; (...) ". Aux termes de l'article R. 723-35 du même code : " Tout sapeur-pompier volontaire doit obéissance à ses supérieurs ". Aux termes de l'article R. 723-40 du code de la sécurité intérieure : " L'autorité de gestion peut, après avis du conseil de discipline départemental, prononcer contre tout sapeur-pompier volontaire : 1° L'exclusion temporaire de fonctions pour six mois au maximum ; 2° La rétrogradation ; 3° La résiliation de l'engagement ".

3. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

4. Il ressort du jugement attaqué qu'après avoir considéré que deux des quatre motifs retenus par le président du conseil d'administration du SDIS pour sanctionner M. A... n'étaient pas fautifs, les premiers juges ont estimé que le caractère modeste des deux manquements de nature à justifier une sanction ne permettait pas, en dépit du grade de l'intéressé et de ses antécédents disciplinaires, de justifier une sanction de rétrogradation du grade de sergent au grade de caporal.

5. D'une part, il ressort des pièces du dossier, notamment des témoignages du chef d'agrès de l'engin parti en intervention le 26 août 2017 et de la standardiste présente ce jour-là, non contredits par les témoignages produits par M. A..., que ce dernier, qui se trouvait à la caserne au moment où l'alerte a été donnée pour un départ de feu, a demandé à la standardiste de faire appeler un sapeur qui avait été " bipé " à cette fin, puis, et alors qu'il savait que la standardiste n'avait pas pu joindre le sapeur au téléphone, l'a remplacé au sein de l'équipage en laissant entendre au chef d'agrès que le sapeur avait été appelé à cet effet et consentait à cet échange. Compte tenu de l'information erronée dont il disposait, le chef d'agrès n'a pas pu faire le choix d'attendre le sapeur, dont il est établi qu'il est arrivé au centre de secours au moment où le véhicule d'intervention partait. Le comportement de M. A... a en outre privé le sapeur concerné d'une intervention sur un feu, qui lui incombait. Ces faits, qui ne sauraient être justifiés par la volonté alléguée par l'intéressé de renforcer un équipage " peu expérimenté ", caractérisent un manquement aux obligations de sincérité et de franchise et témoignent d'un manque de respect pour les autres sapeurs-pompiers.

6. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, notamment du témoignage du sergent-chef qui a pris sa garde le 7 novembre 2017 au matin, que les outils informatiques " initialement agencés dans le projet de centre " avaient changé de place, M. A... reconnaissant les avoir déplacés au motif qu'il n'était pas possible de positionner ses jambes sous le poste de travail et répondant à son interlocuteur que " c'était mieux comme cela ". Il n'est toutefois pas contesté que le chef du centre de secours avait confié, en septembre 2017, à un adjudant-chef, en collaboration avec son adjoint, un projet de réaménagement du standard, projet qui avait impliqué la consultation d'agents représentatifs de la caserne et qu'il ne restait plus que la planche présente sous le plan de travail à découper pour que la mise en œuvre du projet soit finalisée. Dans ces conditions, la seule circonstance que cette planche n'avait pas encore été découpée lors de la garde du 6 novembre 2017 n'autorisait pas M. A... à modifier l'agencement du standard, pour des motifs de convenance personnelle, sans remettre les outils à leur place à l'issue de sa garde. Dans ce contexte, l'initiative prise par M. A... constitue un manquement à son obligation d'obéissance aux consignes données par le chef du centre de secours.

7. Par ailleurs, s'il n'est pas établi, ainsi que M. A... le soutient, qu'il soit à l'initiative de la diffusion de musique militaire allemande le 10 novembre 2017 au sein de la caserne, il ressort du témoignage de l'adjudant-chef que l'intéressé et un autre sapeur-pompier ont marché au pas sur cette musique et qu'il leur a demandé, à plusieurs reprises, sans résultat, de s'arrêter. Ce témoignage n'est pas sérieusement remis en cause par les témoignages produits par M. A.... Il ressort d'ailleurs du compte-rendu de l'entretien que ce dernier a eu le 5 janvier 2018 avec le chef du groupement de Nancy qu'il s'est excusé de son attitude et de la mauvaise interprétation des faits reprochés lors de cette garde. Ces faits caractérisent un manquement au devoir de discrétion et au devoir d'obéissance.

8. Ces trois griefs, qui sont établis et fautifs, sont de nature à justifier une sanction, sans qu'il soit besoin d'examiner la matérialité du quatrième grief fondant la décision en litige. Compte tenu du grade de sergent que M. A... détenait, de l'accumulation de ces fautes sur une courte période de temps ainsi que de la persistance d'un comportement de méconnaissance délibérée de ses obligations de sapeur-pompier volontaire, alors que l'intéressé, qui avait fait l'objet d'entretiens en vue de recadrer son comportement à trois reprises entre 2011 et 2014 pour des faits de nature similaire, et avait déjà été sanctionné disciplinairement à deux reprises, le 15 novembre 2015 d'un blâme, le 18 août 2017, d'une exclusion temporaire d'un mois, le président du conseil d'administration du SDIS de Meurthe-et-Moselle a pu, sans entacher sa décision d'erreur d'appréciation, prononcer la sanction de rétrogradation du grade de sergent au grade de caporal.

9. Par suite, le SDIS de la Moselle est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nancy a, pour annuler l'arrêté du 9 juillet 2018, retenu le moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction à la gravité des fautes commises.

10. Il appartient alors à la cour d'examiner, dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Nancy.

Sur les autres moyens soulevés par M. A... :

En ce qui concerne la procédure disciplinaire :

11. Aux termes de l'article R. 723-42 du code de la sécurité intérieure : " Le sapeur-pompier à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes. / (...) / Il peut présenter devant le conseil de discipline départemental des observations écrites ou verbales, citer des témoins et se faire assister d'un défenseur de son choix. / Le droit de citer des témoins appartient également à l'autorité de gestion ainsi que, dans le cas prévu au deuxième alinéa de l'article R. 723-41, au représentant de l'Etat dans le département ".

12. Il ressort de la convocation adressée le 7 juin 2018 à M. A... qu'elle lui rappelait son droit de citer des témoins, conformément aux dispositions précitées, et précisait qu'il appartenait à l'intéressé d'aviser ses témoins de la date et du lieu de la réunion du conseil de discipline. Si l'intéressé soutient avoir demandé à ce que soient cités " des témoins à décharge ", il n'allègue ni n'établit que des témoins qu'il aurait souhaité faire entendre se sont présentés lors du conseil de discipline du 4 juillet 2018 et n'ont pas été entendus. Dans ces conditions, la circonstance que, ainsi qu'il ressort du procès-verbal de la séance, seuls des témoins cités par le SDIS de Meurthe-et-Moselle ont été entendus n'a pas porté atteinte aux droits et garanties de l'agent. Par suite, le moyen de M. A... tiré de la méconnaissance de ses droits de la défense doit être écarté.

En ce qui concerne la matérialité et le caractère fautif des griefs retenus par le SDIS :

13. En premier lieu, compte tenu de ce qui a été dit aux points 5, 6 et 7 du présent arrêt, M. A... n'est pas fondé à soutenir que les griefs relatifs respectivement à la " fausse information " donnée au chef d'agrès avant le départ en intervention le 26 août 2017, au déplacement intempestif des outils informatiques du standard du centre de secours et à son comportement inapproprié lors de la diffusion de musique militaire allemande à la caserne le 10 novembre 2017 ne sont pas matériellement établis et n'ont pas de caractère fautif.

14. En second lieu, le comportement d'un sapeur-pompier volontaire en dehors du service peut constituer une faute de nature à justifier une sanction s'il a pour effet de perturber le bon déroulement du service ou de jeter le discrédit sur l'administration.

15. Le SDIS fait également grief à M. A... d'avoir validé les bons à tirer des calendriers annuels sans prévoir l'encart traditionnellement réservé au message du chef de centre. Toutefois, la seule qualité de secrétaire de l'amicale des sapeurs-pompiers et l'hostilité notoire que l'intéressé nourrirait pour le chef de centre, à la supposer avérée, ne permettent pas d'établir que M. A... aurait fait en sorte, de manière active ou passive, que le calendrier 2018 ne comporte pas l'encart habituellement réservé au chef de centre. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 8 du présent arrêt, le président du conseil d'administration du SDIS aurait pris la même décision à son encontre s'il n'avait pas retenu ce grief.

En ce qui concerne le détournement de pouvoir allégué :

16. Contrairement à ce que M. A... soutient, les pièces du dossier disciplinaire ne permettent pas d'établir l'existence de manœuvres orchestrées par l'autorité gestionnaire ni d'acharnement manifesté à son encontre. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le président du SDIS de Meurthe-et-Moselle aurait fait usage de son pouvoir de sanction dans un autre but que celui en vertu duquel il en dispose. Par suite, le moyen tiré du détournement de pouvoir doit être écarté.

17. Il résulte de tout ce qui précède que le SDIS de Meurthe-et-Moselle est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 9 juillet 2018 et lui a enjoint de réintégrer M. A... dans son grade et de prendre rétroactivement les mesures nécessaires pour reconstituer sa carrière à compter du 1er août 2018.

Sur les frais de l'instance :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du SDIS de Meurthe-et-Moselle, qui n'est pas la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.

19. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... la somme demandée par le SDIS de Meurthe-et-Moselle au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 30 septembre 2020 est annulé en tant qu'il a annulé l'arrêté du 9 juillet 2018 et a prononcé une injonction à l'encontre du SDIS de Meurthe-et-Moselle.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nancy et dirigée contre l'arrêté du 9 juillet 2018 est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du SDIS de Meurthe-et-Moselle est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par M. A... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle et à M. C... A....

Délibéré après l'audience du 1er juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,

M. Agnel, président-assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 juin 2023.

La rapporteure,

Signé : H. Brodier Le président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au préfet de Meurthe-et-Moselle en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

N° 20NC03369


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC03369
Date de la décision : 22/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : CORSIGLIA

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-06-22;20nc03369 ?
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