Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 16 juillet 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé.
Par un jugement n° 2106174 du 9 novembre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 juillet 2022 et 15 février 2023, M. C..., représenté par Me Chebbale, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 9 novembre 2021 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 16 juillet 2021 pris à son encontre par la préfète du Bas-Rhin ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Chebbale, avocate de M. C..., de la somme de 2 500 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
S'agissant de la décision de refus de titre de séjour :
- en méconnaissance des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle ;
- en méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, la décision méconnaît l'intérêt supérieur de ses enfants ;
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- la décision est illégale par voie de conséquence ;
- dans la mesure où il pouvait obtenir la délivrance d'un titre de séjour de plein droit, il ne pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle ;
- en méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, la décision méconnaît l'intérêt supérieur de ses enfants ;
- en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la décision porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale ;
S'agissant de la décision fixant le pays de destination :
- la décision est illégale par voie de conséquence ;
- en méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il risque d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d'origine ;
- le préfet s'est estimé lié par la décision de rejet de l'Office français pour la protection des réfugiés et apatrides.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 février 2023, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 juin 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Denizot a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant russe né en 1992, serait entré, selon ses déclarations, irrégulièrement en France au cours de l'année 2015 en vue de solliciter la reconnaissance du statut de réfugié. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) le 7 octobre 2015, puis par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 18 octobre 2016. Dans le dernier état de la procédure, le 31 mars 2021, M. C... a présenté une demande d'admission exceptionnelle au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par arrêté du 16 juillet 2021 la préfète du Bas-Rhin a refusé d'admettre l'intéressé au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 9 novembre 2021, dont M. C... relève appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de M. C... tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la décision refusant de délivrer un titre de séjour :
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, le 31 mars 2021, M. C... a présenté une demande de titre séjour fondée exclusivement sur des motifs liés à son insertion professionnelle. La préfète du Bas-Rhin, dans la décision contestée, a uniquement refusé de délivrer un titre de séjour à M. C... sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, M. C... ne peut utilement se prévaloir, à l'encontre de la décision de refus de séjour, de la méconnaissance de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a séjourné irrégulièrement en France depuis l'année 2015 et a fait l'objet d'une première mesure d'éloignement prise à son encontre le 13 mai 2020. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier, et notamment des deux jugements du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance puis du tribunal judicaire de Strasbourg, que M. C... est séparé de Mme D..., ressortissante russe résidant régulièrement en France, mère des deux enfants de M. C.... En outre, M. C... n'établit pas être dépourvu de toute attache dans son pays d'origine où résident ses deux parents. Enfin, si M. C... justifie d'une promesse d'embauche ainsi que du suivi de l'apprentissage de la langue française, l'intéressé ne justifie cependant pas, malgré sa durée de présence sur le territoire français, de liens privés et familiaux intenses et stables sur le territoire français. Par suite, compte tenu des conditions de séjour de l'intéressé, la décision refusant de délivrer un titre de séjour ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. C... aux buts en vue desquels cette décision a été prise. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.
5. En troisième lieu, la décision refusant de délivrer un titre de séjour à M. C... n'a pas, par elle-même, pour objet ou ne saurait avoir pour effet de séparer les enfants de M. C... de leur mère. La décision contestée n'a pas davantage pour effet d'empêcher les enfants du requérant de poursuivre leur scolarité. Dès lors, la décision refusant de délivrer un titre de séjour à M. C... n'a pas été prise en méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
6. En dernier lieu, pour les mêmes motifs qu'exposés précédemment, il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète du Bas-Rhin aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision de refus de séjour sur la situation personnelle de M. C....
Sur la légalité des décisions obligeant M. C... à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi :
7. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
8. Il ressort des pièces du dossier que M. C... est père de deux fils, nés les 30 septembre 2015 et 21 août 2017 sur le territoire français, dans la commune de Strasbourg, d'une mère, ressortissante russe, Mme D..., titulaire d'une carte de séjour pluri annuelle valable jusqu'au 23 janvier 2025. Un premier jugement, du 12 juin 2019, du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Strasbourg avait, en raison du climat de violence qui aurait été instauré par M. C..., qui ne disposait que d'un droit de visite médiatisé, fixé le lieu de résidence des enfants au domicile de la mère. Toutefois, par un jugement du 27 avril 2022, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Strasbourg a entériné l'accord existant entre les parents et leur pratique consistant, depuis le mois de mars 2021, à avoir fixé le lieu de résidence des deux enfants au domicile de M. C... qui assurait matériellement leur prise en charge. Ainsi, ce jugement, qui fixe désormais le lieu de résidence des enfants au domicile du père, à Strasbourg, révèle que depuis le mois de mars 2021, soit antérieurement à la décision contestée M. C... hébergeait ses enfants et s'occupait de leur prise en charge matérielle. En outre, ce même jugement a indiqué que Mme D..., toujours titulaire de l'autorité parentale, bénéficie d'un droit d'accueil de ses enfants toutes les semaines, le vendredi soir sortie des classes jusqu'au dimanche 20 heures et pour la moitié des vacances scolaires.
9. Dans ces conditions, dans la mesure où Mme D... réside régulièrement en France et dispose du droit d'accueillir chaque semaine ses enfants et que le lieu de résidence des enfants a été fixé au domicile de M. C..., une mesure d'éloignement aurait nécessairement pour effet de séparer les enfants de leur mère. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que, dans les circonstances très particulières de l'espèce, la décision l'obligeant à quitter le territoire français a méconnu l'intérêt supérieur de ses enfants. Dès lors, M. C... est fondé à soutenir que la décision du 16 juillet 2021 par laquelle la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français ainsi que, par voie de conséquence, la décision du même jour fixant le pays de renvoi, sont illégales et encourent l'annulation.
10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête dirigés à l'encontre des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi, que M. C... est uniquement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande en tendant à l'annulation des décisions du 16 juillet 2021 par lesquelles la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Sur l'injonction et l'astreinte :
11. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en vigueur à compter du 1er mai 2021 : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".
12. L'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire implique que M. C... soit immédiatement muni d'une autorisation provisoire de séjour en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de délivrer immédiatement cette autorisation et, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, de réexaminer la situation administrative de l'intéressé. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
13. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Chebbale, avocat de C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Chebbale de la somme de 1 200 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Les décisions du 16 juillet 2021 par lesquelles la préfète du Bas-Rhin a fait obligation à M. C... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi sont annulées.
Article 2 : Le jugement n° 2106174 du 9 novembre 2021 du tribunal administratif de Strasbourg est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète du Bas-Rhin de délivrer immédiatement à M. C... une autorisation provisoire de séjour, sur le fondement de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, de réexaminer la situation administrative de M. C....
Article 4 : L'Etat versera à Me Chebbale une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Chebbale renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., à Me Chebbale et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin
Délibéré après l'audience du 30 mai 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- Mme Roussaux, première conseillère,
- M. Denizot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2023
Le rapporteur,
Signé : A. DenizotLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
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N° 22NC01750