La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/06/2023 | FRANCE | N°22NC00914

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 21 juin 2023, 22NC00914


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de B... d'annuler l'arrêté du 29 juillet 2021 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination.

Par un jugement n° 2103066 du 29 mars 2022, le tribunal administratif de B..., d'une part, a annulé cet arrêté, d'autre part, a enjoint au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer la situation de M. A.

.. dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et, dans l'att...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de B... d'annuler l'arrêté du 29 juillet 2021 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination.

Par un jugement n° 2103066 du 29 mars 2022, le tribunal administratif de B..., d'une part, a annulé cet arrêté, d'autre part, a enjoint au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et, dans l'attente, de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour assortie d'une autorisation de travail et, enfin, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser au conseil du demandeur sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 avril 2022, le préfet de Meurthe-et-Moselle demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de B... ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de B....

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les documents présentés par le demandeur pour justifier de son état civil étaient authentiques ;

- les premiers juges ont procédé à une appréciation erronée de la situation du demandeur au regard des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juillet 2022, M. A..., représenté par Me Jeannot, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement des articles L. 761-1 et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de Meurthe-et-Moselle ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Picque, première conseillère,

- et les observations de Me Jeannot, représentant M. A....

Une note en délibéré présentée pour M. A... a été enregistrée le 1er juin 2023.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant ivoirien né le 11 mai 2001, est entré en France en 2018. Alors mineur isolé étranger, il a été confié à l'aide sociale à l'enfance du département de Meurthe-et-Moselle par une ordonnance de placement provisoire du procureur de la République de Verdun du 21 mars 2018 puis par un jugement du juge des enfants de B... du 11 mai 2018. Il a été scolarisé au lycée Bertrand Schwartz à Pompey en CAP " employé de vente spécialisé option B " qu'il a obtenu en juin 2020. Il a ensuite intégré une formation en menuiserie auprès du centre de formation d'apprentis des compagnons du devoir et a conclu un contrat d'apprentissage à compter du 1er septembre 2020. Par un arrêté du 29 juillet 2021, le préfet de Meurthe-et-Moselle, en réponse à la demande de titre de séjour présentée par l'intéressé le 12 décembre 2018, a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination. Le préfet de Meurthe-et-Moselle relève appel du jugement du 29 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de B... a annulé cet arrêté et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. A....

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. ".

3. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.

4. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier des termes de l'arrêté du 29 juillet 2021 que, pour refuser de délivrer un titre de séjour à M. A... en application des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de Meurthe-et-Moselle s'est fondé, d'une part, sur l'absence de justification de sa date de naissance et, d'autre part, sur l'appréciation globale de sa situation compte tenu du caractère sérieux de ses études, des liens conservés en Côte d'Ivoire et de son insertion dans la société française.

5. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil ; (...) ". Selon l'article L. 811-2 de ce code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil (...) des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

6. Ces dispositions posent une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Cependant, la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

7. A l'appui de sa demande de titre de séjour, M. A... a présenté un extrait du registre des actes de l'état civil de la commune d'Abobo, district d'Abidjan, délivré le 21 décembre 2017 et transcrivant un jugement supplétif n° 5408 du 15 mai 2001 du tribunal de première instance d'Abidjan-Plateau ainsi qu'une carte d'immatriculation consulaire délivrée le 7 mai 2019 et un passeport électronique délivré le 5 octobre 2019. Ces documents énoncent que M. A... est né le 11 mai 2001 à Abobo.

8. Pour contester la date de naissance de M. A..., le préfet de Meurthe-et-Moselle, sans remettre en cause l'authenticité de la carte d'immatriculation consulaire et du passeport de l'intéressé, s'est fondé sur le rapport d'examen technique documentaire réalisé le 19 février 2019 par la police aux frontières. Pour conclure au caractère apocryphe de l'extrait du registre des actes de l'état civil présenté par M. A..., ce rapport se fonde sur sa qualité d'impression très limitée, l'absence de production du jugement supplétif et la circonstance que ce dernier a été établi seulement quatre jours après la naissance de l'intéressé.

9. Toutefois, ces seuls éléments ne pouvaient suffire à regarder l'extrait du registre des actes de l'état civil présenté par M. A... comme ne présentant pas des garanties d'authenticité suffisantes. De plus, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a produit, postérieurement à la décision attaquée, une copie intégrale d'acte de naissance et dont aucune des observations faites par la police aux frontières dans le rapport d'examen technique documentaire réalisé le 8 avril 2022 ne permet d'établir qu'elle serait contrefaite ou aurait été obtenue frauduleusement. Par conséquent, le préfet de Meurthe-et-Moselle n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que M. A... apportait la preuve de sa naissance le 11 mai 2001.

10. En second lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que M. A... établit avoir été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance alors qu'il était âgé de seize ans et dix mois. Il a présenté sa demande d'admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans l'année suivant son dix-huitième anniversaire. A la date de la décision attaquée, il suivait depuis plus de six mois une formation en menuiserie auprès du centre de formation d'apprentis des compagnons du devoir. Le caractère réel et sérieux de la formation en alternance ainsi suivie par M. A... depuis le 1er septembre 2020 ressort des attestations élogieuses de son maître d'apprentissage et de ses collègues et ne saurait au demeurant être remis en cause par le préfet en raison des problèmes d'assiduité rencontrés par l'intéressé dans le cadre d'une précédente formation et de la seule faiblesse de sa moyenne générale. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que la présence en France de M. A... représenterait une menace pour l'ordre public et l'avis de sa structure d'accueil est favorable quant à son intégration. Enfin, il est constant que les parents de M. A... sont décédés et il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait conservé des liens familiaux en Côte d'Ivoire. Par conséquent, le préfet de Meurthe-et-Moselle n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il avait apprécié de façon manifestement erronée la situation de M. A... en refusant de l'admettre exceptionnellement au séjour en application de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Meurthe-et-Moselle n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 29 mars 2022, le tribunal administratif de B... a annulé son arrêté du 29 juillet 2021.

Sur les frais liés à l'instance :

12. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Jeannot, conseil de M. A... , renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cet avocat d'une somme de 1 200 euros.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du préfet de Meurthe-et-Moselle est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Jeannot, avocate de M. A..., une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Jeannot renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.

Délibéré après l'audience du 30 mai 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Roussaux, première conseillère,

- Mme Picque, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2023.

La rapporteure,

Signé : A.-S. PicqueLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 22NC00914


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC00914
Date de la décision : 21/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Anne-Sophie PICQUE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : JEANNOT

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-06-21;22nc00914 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award