Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Superba a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 17 avril 2018 par laquelle la ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé contre la décision de l'inspecteur du travail du 25 juillet 2017, annulé la décision de l'inspecteur du travail et refusé de faire droit à la demande d'autorisation de licencier M. B... pour motif disciplinaire.
Par un jugement n° 1803162 du 29 septembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision de la ministre du travail du 17 avril 2018.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 novembre 2020, M. A... B..., représenté par Me Chamy, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 29 septembre 2020 ;
2°) de mettre à la charge de la société Superba le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est subjectif dès lors qu'il ne repose sur aucun fait concret vérifiable et que le doute doit profiter au salarié ;
- il est insuffisamment motivé quant au comportement de son supérieur hiérarchique direct ;
- la société Superba aurait retiré des pièces produites devant le tribunal, la page 2 de la pièce jointe 27 ;
- la matérialité des griefs qui lui sont reprochés n'est pas établie alors qu'il est lui-même victime de harcèlement ;
- l'avis rendu par le comité d'hygiène et de sécurité des conditions de travail est entaché de partialité dès lors que trois des membres de la commission, l'animateur sécurité, le président du comité et un membre du collège cadre CGC, ont témoigné contre M. B... dans le cadre de la procédure de licenciement engagée en 2014 et devant le conseil des prud'hommes de Mulhouse.
La requête a été communiquée au ministre du travail qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par un mémoire enregistré le 20 janvier 2021, la société Superba, représentée par Me Binder, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés et que les griefs fondant sa demande d'autorisation de licenciement sont établis.
Par ordonnance du 21 février 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 8 mars 2023 à midi.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Barrois, première conseillère,
- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,
- et les observations de Me Binder, représentant la société Superba.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., embauché en 1986 en qualité d'ingénieur textile par la société Superba, était représentant de section syndicale CFDT, défenseur syndical au Prud'hommes de Mulhouse et conseiller du salarié. Par demande du 7 juin 2017, la société Superba a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de le licencier. Par décision du 25 juillet 2017, l'inspecteur du travail a refusé cette autorisation, confirmée par décision du ministre du travail du 17 avril 2018. M. B... relève appel du jugement du 29 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision du ministre du travail.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Le tribunal a considéré que le ministre du travail avait entaché sa décision d'une erreur de fait en estimant que la matérialité des griefs tenant à l'attitude inacceptable de M. B... à l'égard de son supérieur hiérarchique entraînant une souffrance de ce dernier n'était pas établie. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que même si la souffrance du supérieur hiérarchique de M. B... est établie, il n'en demeure pas moins que M. B... a également fait l'objet d'une attitude inacceptable de son supérieur hiérarchique ayant entrainé une réelle souffrance au travail du requérant sans qu'il soit possible de déterminer qui est à l'origine de cette situation, les caractères des deux personnes travaillant en huis clos dans un même service y ayant concouru de manière égale. En outre, la société Superba, informée pourtant de cette incompatibilité et des souffrances au travail en résultant n'a pas protégé ses salariés en prenant les mesures adéquates de distanciation qui s'imposaient. Ainsi, M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a retenu le moyen tiré de l'erreur de fait qu'aurait commise le ministre dans la décision attaquée.
3. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Superba tant en première instance qu'en appel.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du ministre du travail du 17 avril 2018 :
4. En premier lieu, il résulte des termes de la décision attaquée que le ministre du travail a examiné de manière précise et circonstanciée les griefs soulevés par la société Superba dans sa demande d'autorisation de licenciement du 7 juin 2017 et pouvait décider de regrouper certains d'entre eux en raison de leur similarité tout en mentionnant l'intégralité des faits qui les sous-tendaient. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que les nombreux échanges adressés à la direction par les deux protagonistes montrent que cette souffrance au travail était partagée sans qu'il soit possible de déterminer avec précision qui en était à l'origine et qu'un conflit existait entre le salarié et son supérieur direct depuis plusieurs mois sans que la direction n'ait pris des mesures effectives pour le faire cesser à l'exception d'avertissements administrés à chacun d'entre eux. En outre, les seules attestations versées au dossier par l'employeur au soutien de ce grief émanent soit du supérieur direct, soit de la direction et ne peuvent ainsi suffire à établir sa matérialité. Enfin, même si M. B... avait sollicité une enquête du comité pour les faits de harcèlement dont il se disait victime, il a aussi réclamé à maintes reprises l'externalisation de celle-ci en raison de la partialité de certains de ses membres dont il est établi qu'ils avaient témoigné à son encontre lors de la précédente procédure de licenciement en 2014 et dans le cadre de la procédure prudhommale alors qu'au demeurant, il résulte des conclusions de l'enquête diligentée par le comité d'hygiène et de sécurité des conditions de travail que M. B... souffre d'un sentiment profond de harcèlement et que la pression semble tout aussi insoutenable pour les autres personnes concernées. Par suite, le grief relevé sur ce point par l'entreprise n'est pas établi.
6. En ce qui concerne le grief tiré de l'insubordination, du refus de toute autorité et de la mauvaise volonté délibérée du salarié d'exécuter un travail, l'employeur n'établit pas, par la simple production d'un courriel de son supérieur hiérarchique, que l'écriture de " Van de Wiele " dans un tableur aurait pu être effectuée en 30 minutes et non en une journée de travail. De plus, il ressort des pièces du dossier que M. B... pouvait légitimement refuser de travailler sur une retordeuse dès lors qu'il devait s'appareiller au préalable d'équipements de protection qui nécessitait un avis médical complémentaire. En outre, M. B... ne pouvait matériellement verser sur le serveur de l'entreprise des plans alors qu'il résulte des échanges avec le service informatique qu'il n'y avait pas accès. Enfin, à supposer que la pratique visant à obliger un salarié cadre à être présent à heure fixe tous les jours dans le bureau de son supérieur et alors qu'il n'est pas établi que cette pratique serait commune à tous les services, il ressort des pièces du dossier que malgré sa contestation, M. B... n'a été absent qu'une seule fois, le 23 mars 2017. Ainsi, seule la matérialité de ce dernier fait isolé est établie.
7. En ce qui concerne le grief tiré de l'attitude agressive du salarié envers toute personne exprimant une opinion contraire à la sienne s'appuyant sur le nombre important de mails adressés aux membres du comité et à la direction, ces faits peuvent se justifier par la relation dégradée au sein du service et le sentiment d'impuissance de M. B... face à une direction ne prenant pas en compte sa souffrance au travail alors qu'il avait fait l'objet de trois sanctions disciplinaires qu'il contestait et que sa demande d'externalisation de l'enquête n'avait pas été prise en compte. En outre, il ne ressort pas des termes employés dans ces courriels une agressivité particulière à l'encontre de ces personnes. Par suite, la matérialité des faits n'est pas établie.
8. En dernier lieu, le ministre du travail n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que la seule absence de M. B... a une réunion de briefing le 23 mars 2017 n'était pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision du ministre du travail du 17 avril 2018 refusant son licenciement.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Superba le versement de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
11. Par ailleurs, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société Superba présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1803162 du 29 septembre 2020 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société Superba devant le tribunal administratif de Strasbourg ainsi que ses conclusions présentées en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La société Superba versera à M. B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à la société Superba.
Délibéré après l'audience du 17 mai 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- M. Sibileau, premier conseiller,
- Mme Barrois, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 juin 2023.
La rapporteure,
Signé : M. BarroisLe président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : V. FirmeryLa République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
V. Firmery
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N° 20NC03367