Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg l'annulation de la décision du 21 octobre 2019 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a refusé de lui reconnaître la qualité d'apatride.
Par un jugement n° 2000011 du 1er octobre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 mai 2022, M. A... E..., représenté par Me Pierre, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2000011 du tribunal administratif de Strasbourg du 1er octobre 2021 ;
2°) d'annuler la décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 21 octobre 2019 ;
3°) d'enjoindre au directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir.
Il soutient que :
- la décision du 21 octobre 2019 a été prise par une autorité incompétente ;
- les motifs de cette décision ne sont pas fondés dès lors que, d'une part, il justifie de son identité, de son lieu et de sa date de naissance et que, d'autre part, ne remplissant pas les conditions pour prétendre à la nationalité russe et n'ayant pu obtenir, malgré ses démarches, la nationalité arménienne ou azerbaïdjanaise, il répond à la définition d'apatride énoncée au premier paragraphe de l'article 1er de la convention de New-York du 28 septembre 1954, relative au statut des apatrides.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2022, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, représenté par Me Cano, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du requérant d'une somme de 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens invoqués par M. E... ne sont pas fondés.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 avril 2022.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention de New-York du 28 septembre 1954 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- et les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... E... a indiqué être né, le 7 août 1985, en République socialiste soviétique d'Azerbaïdjan de parents d'origine arménienne. En janvier 1991, il aurait rejoint, avec sa famille, le territoire russe pour fuir les persécutions et il y serait resté jusqu'en 2010, d'abord à Krasnodar de 1991 à 1999, puis à Rostov de 1999 à 2010. Le requérant aurait ensuite quitté la Fédération de Russie, accompagné de sa compagne de nationalité arménienne, pour solliciter en France l'octroi d'une protection internationale. Entré sur le territoire français le 28 août 2010, il a présenté plusieurs demandes d'asile et de réexamen, qui ont successivement été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, les 9 mai 2011, 6 janvier 2015 et 7 juillet 2017, puis par la Cour nationale du droit d'asile les 18 novembre 2014 et 20 mai 2015. Soutenant ne pouvoir se prévaloir d'aucune nationalité, le requérant a sollicité, le 29 octobre 2018, la reconnaissance du statut d'apatride sur le fondement des stipulations de la convention de New-York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides. Après avoir entendu l'intéressé le 6 septembre 2019, le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, par une décision du 21 octobre 2019, a refusé de faire droit à cette demande. M. E... a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 21 octobre 2019. Il relève appel du jugement n° 2000011 du 1er octobre 2021 qui rejette sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision en litige du 21 octobre 2019 a été signée, " pour le directeur général et par délégation ", par M. D... B..., attaché d'administration de l'Etat hors classe et chef de la division Europe. Or, en vertu de l'article 9 de la décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 2 septembre 2019, régulièrement publiée au bulletin officiel n° 2019-10 du ministère de l'intérieur du 15 octobre 2019, M. B... a reçu délégation à l'effet de signer notamment tous les actes individuels pris en application des dispositions, alors en vigueur, de l'article L. 812-2 du code l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et se rapportant aux attribution des services placés sous son autorité. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte manque en fait et il ne peut, dès lors, qu'être écarté.
3. En second lieu, aux termes du premier paragraphe de l'article 1er de la convention de New-York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides : " Aux fins de la présente Convention, le terme "apatride" désigne une personne qu'aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation. ". Aux termes de l'article L. 812-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " La qualité d'apatride est reconnue à toute personne qui répond à la définition de l'article 1er de la convention de New York, du 28 septembre 1954, relative au statut des apatrides. Ces personnes sont régies par les dispositions applicables aux apatrides en vertu de cette convention ". Aux termes de l'article L. 812-2 du même code, alors en vigueur : " L'Office français de protection des réfugiés et apatrides reconnaît la qualité d'apatride aux personnes remplissant les conditions mentionnées à l'article L. 812-1, au terme d'une procédure définie par décret en Conseil d'Etat ".
4. Il résulte de la combinaison de ces stipulations et dispositions qu'il incombe à toute personne se prévalant de la qualité d'apatride d'apporter la preuve qu'en dépit de démarches répétées et assidues, l'Etat de la nationalité duquel elle se prévaut a refusé de donner suite à ses démarches.
5. D'une part, si M. E... produit, en appel, un jugement supplétif d'acte de naissance, prononcé le 17 mars 2022, en application de l'article 46 du code civil, par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Metz, qui confirme son identité et celle de ses parents, sa date et son lieu de naissance, un tel document a été établi postérieurement à la décision en litige du 21 octobre 2019. Dans ces conditions, alors que le requérant s'est borné à joindre à sa demande de reconnaissance de la qualité d'apatride une attestation de sa mère et deux courriers adressés le même jour aux ambassades d'Arménie et d'Azerbaïdjan à Paris, le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides n'a pas commis d'erreur de fait en considérant que l'intéressé n'avait transmis aucun élément susceptible d'attester de son identité, de sa date et de son lieu de naissance.
6. D'autre part, nonobstant une attestation en ce sens de sa mère, datée du 29 octobre 2018, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que M. E... aurait entrepris des démarches, y compris judiciaires, auprès des autorités compétentes en vue de se voir accorder la nationalité russe. S'il fait valoir qu'il ne remplirait pas la condition de résidence permanente énoncée au premier paragraphe de l'article 13 de la loi russe sur la nationalité du 28 novembre 1991, il résulte des indications fournies par l'intéressé lui-même qu'il résidait depuis plus d'un an sur le territoire russe à la date de l'entrée en vigueur de cette loi, le 6 février 1992, qu'il y est demeuré sans discontinuer jusqu'en 2010 et que la Cour suprême de Russie, par une décision n° 5-VO2-250/249 du 31 octobre 2002, assortie d'une instruction à toutes les juridictions russes, a indiqué que cette condition de résidence permanente pouvait être établie par tout document et non pas uniquement par la production d'un enregistrement administratif de résidence. Par ailleurs, en se bornant à produire deux courriers du 28 octobre 2018, adressés respectivement aux ambassades d'Arménie et d'Azerbaïdjan à Paris, M. E... ne justifie pas avoir accompli des démarches répétées et assidues en vue de l'obtention de la nationalité arménienne ou azerbaïdjanaise. S'il verse également aux débats un courrier du service consulaire de l'ambassade d'Arménie à Paris du 18 janvier 2019, faisant état de l'incomplétude de son dossier et précisant la liste des pièces à fournir, il n'est pas établi que le requérant aurait cherché à le compléter ou, à tout le moins, à faire valoir auprès des autorités concernées les raisons pour lesquelles il se trouvait dans l'incapacité de transmettre certaines pièces. Par suite, alors que le refus opposé au requérant relève encore, sans être contredit sur ce point, que, né de parents d'origine arménienne, l'intéressé pourrait prétendre à la nationalité arménienne en raison de ses origines ethniques conformément à l'article 13 de la loi arménienne sur la nationalité du 26 novembre 1995, le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides n'a pas commis d'erreur d'appréciation en considérant que M. E... ne relevait pas du champ d'application des stipulations du paragraphe premier de l'article 1er de la convention de New-York du 28 septembre 1984.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 21 octobre 2019, ni à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent également être rejetées.
Sur les frais de justice :
8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E... et à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Wurtz, président,
- Mme Haudier, présidente assesseure,
- M. Meisse, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2023.
Le rapporteur,
Signé : E. C...
Le président,
Signé : Ch. WURTZ
Le greffier,
Signé : F. LORRAIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
N° 22NC01287 2