Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... F..., Mme D... F... et M. E... F... ont demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner le centre hospitalier de Briey, d'une part, à leur verser la somme de 117 591 euros, en réparation des préjudices subis par leur mari et père du fait de la faute commise lors de sa prise en charge au sein de l'établissement, d'autre part, à verser à Mme F... la somme de 40 000 euros au titre de son préjudice moral et à chacun de ses deux enfants celle de 15 000 euros au même titre.
La caisse d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle a, quant à elle, sollicité la condamnation du centre hospitalier de Briey à lui rembourser la somme de 1 354,78 euros au titre des débours ainsi qu'une somme au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Par un jugement n° 1802217 du 24 septembre 2020, le tribunal administratif de Nancy a condamné solidairement le centre hospitalier de Briey et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), à verser aux consorts F... une somme de 57 360 euros, à Mme B... F... une somme de 1 000 euros, à Mme D... F... une somme de 500 euros et à M. E... F... une somme de 500 euros. Ces sommes ont été assorties des intérêts au taux légal à compter du 23 avril 2018. Le tribunal administratif a également condamné le centre hospitalier de Briey à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle une somme de 1 354,78 euros au titre de ses débours et une somme de 451,59 euros, au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 novembre 2020, et des mémoires complémentaires, enregistrés le 22 décembre 2020 et le 25 février 2021, le centre hospitalier de Briey et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), représentés par Me Le Prado, demandent à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Nancy du 24 septembre 2020 ;
2°) de ramener à de plus justes proportions les indemnités allouées par les premiers juges aux consorts F....
Ils soutiennent que :
- compte tenu du décès prématuré de M. F..., survenu quinze mois après la réalisation du dommage, c'est à tort que le tribunal administratif a indemnisé le déficit fonctionnel permanent de M. F... suivant une espérance de vie théorique ; l'indemnité allouée à ce titre ne pouvait excéder 5 000 euros ;
- c'est à tort que le tribunal administratif n'a pas appliqué, à l'ensemble des préjudices, le taux de 20 % imputable à l'état antérieur de la victime ;
- les consorts F... ne sont pas fondés à solliciter des indemnités supérieures à celles allouées par les premiers juges.
Par un mémoire, enregistré le 11 février 2021, Mme B... F..., Mme D... F..., et M. E... F..., représentés par Me Mouton, concluent au rejet de la requête et demandent à la cour, par la voie de l'appel incident :
1°) de réformer le jugement du 24 septembre 2020 ;
2°) de condamner solidairement le centre hospitalier de Briey et la SHAM à leur verser la somme de 115 636 euros au titre des préjudices de M. F... ;
3°) de condamner solidairement le centre hospitalier de Briey et la SHAM à verser à Mme B... F... une somme de 40 000 euros, à Mme D... F... une somme de 15 000 euros, et à M. E... F... une somme de 15 000 euros, au titre de leur préjudice moral ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Briey et de la SHAM une somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que :
- les moyens invoqués par le centre hospitalier et la SHAM ne sont pas fondés ;
- les premiers juges ont fait une évaluation insuffisante des préjudices ; le déficit fonctionnel temporaire de M. F... pourra être indemnisé à hauteur de 2 560 euros ; les souffrances endurées pourront être indemnisées à hauteur de 6 000 euros ; le préjudice esthétique temporaire pourra être indemnisé à hauteur de 3 000 euros ; ils sont fondés à solliciter une somme de 14 076 euros au titre de l'assistance par tierce personne ; si le tribunal a justement retenu une indemnisation de 50 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, c'est à tort qu'il a affecté un coefficient d'abattement et uniquement indemnisé le préjudice subi à hauteur de 80 % ; le préjudice d'agrément et le préjudice sexuel pourront chacun être indemnisés à hauteur de 20 000 euros ; c'est à tort que les premiers juges ont refusé d'indemniser ces deux postes de préjudice ; ils sont fondés à solliciter une indemnisation au titre du préjudice d'impréparation qui peut être évalué à 20 000 euros ; ils sont également fondés à solliciter une somme de 40 000 euros au titre du préjudice moral de Mme B... F..., une somme de 15 000 euros au titre du préjudice de Mme D... F... et une somme de 15 000 euros au titre du préjudice de M. E... F....
Par un mémoire, enregistré le 9 mars 2021, la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle, représentée par Me Fort, demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner le centre hospitalier de Briey et la SHAM à lui payer une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que c'est à bon droit que les premiers juges ont fait intégralement droit à sa demande.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... F... a été pris en charge au centre hospitalier de Briey pour une tumeur recto-sigmoïdienne avec occlusion. Le 8 octobre 2013, dans le cadre d'une opération de rétablissement de la continuité après la résection recto-sigmoïdienne effectuée en janvier 2013, un cathéter péridural a été mis en place, en vue d'assurer l'analgésie péri et postopératoire. Lors de la première ponction, le patient a ressenti une douleur fulgurante dans la cuisse gauche. L'injection a toutefois été poursuivie, une dose test ayant ainsi été injectée dans le rachis. Un cathéter a ensuite été placé de manière adéquate dans l'espace péridural. Dans les suites de cette injection, M. F... a présenté un déficit moteur au niveau L4 avec une amyotrophie de la cuisse. M. F... est décédé le 7 septembre 2015 des suites de son cancer. Son épouse et ses deux enfants ont saisi le tribunal administratif de Nancy afin que le centre hospitalier de Briey soit condamné à réparer les préjudices subis du fait de la faute commise lors de la pose du cathéter le 8 octobre 2013. Par un jugement du 24 septembre 2020, le tribunal administratif a retenu la responsabilité du centre hospitalier de Briey. Il a considéré qu'une faute technique avait été commise lors de la pose du cathéter péridural par le médecin anesthésiste et que le déficit moteur de niveau L4 gauche avec amyotrophie de la cuisse présenté par M. F... était imputable à la faute commise. Il a, en conséquence, condamné solidairement le centre hospitalier de Briey et la SHAM à verser aux consorts F... une somme de 57 360 euros au titre des préjudices subis par M. F..., ainsi qu'une somme de 1 000 euros à l'épouse et une somme de 500 euros à chacun de ses deux enfants, au titre de leur préjudice moral. Le centre hospitalier de Briey et la SHAM, qui ne contestent pas la faute commise, relèvent appel de ce jugement et demandent à la cour de ramener à de plus justes proportions les indemnités allouées par les premiers juges aux consorts F.... Ces derniers demandent à la cour, par la voie de l'appel incident, d'augmenter le montant des indemnités qui leur ont été allouées.
Sur les préjudices de M. F... :
2. En premier lieu, les requérants sont fondés à obtenir l'indemnisation de l'intégralité des préjudices directs et certains en lien avec la faute commise. En l'absence d'incertitude sur le lien de causalité, il n'y a pas lieu, contrairement à ce que soutiennent le centre hospitalier et son assureur, d'appliquer en l'espèce un pourcentage de perte de chance. Si les experts qui ont établi le rapport de l'expertise ordonnée par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Lorraine indiquent que l'imputabilité des dommages sera répartie à hauteur de 80 % pour " le geste technique (imprudence fautive) " et de 20 % pour " le terrain ", ils ne reprennent cette répartition que s'agissant du déficit fonctionnel et doivent être regardés comme précisant, pour chaque poste de préjudice, les conséquences directes et certaines de la faute commise.
3. En deuxième lieu, lorsque le juge administratif indemnise la victime d'un dommage corporel du préjudice résultant pour elle de la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne dans les actes de la vie quotidienne, il détermine d'abord l'étendue de ces besoins d'aide et les dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime.
4. En l'espèce, il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux qu'en raison du déficit moteur imputable à la faute commise, l'état de M. F... a nécessité une assistance par une tierce personne à hauteur de 1 heure et 30 minutes par jour jusqu'à son décès, soit pendant 782 jours. Le préjudice indemnisable doit être, en l'espèce, déterminé sur la base d'un montant horaire de 13 euros et d'une année de 412 jours pour tenir compte des congés payés et des jours fériés. Dans ces conditions, il y a lieu de porter l'indemnité allouée à ce titre par les premiers juges à la somme de 17 212,60 euros.
5. En troisième lieu, il résulte du rapport d'expertise qu'avant la date de consolidation, qui doit être fixée au 23 avril 2014, M. F... a subi un déficit fonctionnel temporaire total du 6 octobre 2013 au 19 octobre 2013, correspondant à l'hospitalisation du patient au cours de laquelle la ponction a été réalisée, un déficit fonctionnel temporaire de 50 % durant la période du 20 octobre 2013 au 19 janvier 2014, imputable, selon les experts, aux séquelles neurologiques de la ponction litigieuse mais également à la chimiothérapie, et, enfin, un déficit fonctionnel temporaire de 30 % du 20 janvier 2014 au 23 avril 2014, imputable aux séquelles neurologiques de la ponction, à la chimiothérapie et aux suites de la chirurgie carcinologique. Eu égard à ces différents facteurs, les premiers juges n'ont pas fait une évaluation insuffisante de ce poste de préjudice en allouant aux ayant droits de la victime une somme de 720 euros.
6. En quatrième lieu, les souffrances physiques endurées par M. F... avant consolidation du fait du déficit moteur au niveau L4 avec une amyotrophie de la cuisse ont été évaluées par les experts à 3 sur une échelle de 1 à 7. Ainsi qu'il a été dit au point 2 et, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier, au vu des conclusions des experts, il n'y a pas lieu de diminuer l'indemnité allouée de 20 % compte tenu de l'état antérieur de la victime. Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent les consorts F..., les premiers juges n'ont pas fait une évaluation insuffisante de ce chef de préjudice en allouant à ce titre une somme de 3 500 euros.
7. En cinquième lieu, le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause. Si la victime du dommage décède sans que ses droits aient été définitivement fixés, c'est-à-dire, en cas de litige, avant qu'une décision juridictionnelle définitive ait fixé le montant de l'indemnisation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers. Cependant, le préjudice subi par la victime, ayant cessé au moment du décès, doit être évalué à la date de cet événement.
8. Il résulte de l'instruction que le déficit fonctionnel permanent dont M. F... demeurait atteint après la consolidation de son état de santé le 23 avril 2014, lequel comprend les souffrances endurées après cette consolidation, doit être évalué à 35 % dont 80 % étaient imputables à la faute commise. Compte tenu de la règle énoncée au point précédent et du décès de l'intéressé survenu le 7 septembre 2015, il y a lieu de réduire le montant de l'indemnité allouée au titre du déficit fonctionnel permanent à la somme de 3 500 euros.
9. En sixième lieu, les premiers juges n'ont pas fait une évaluation insuffisante du préjudice esthétique subi par M. F... du fait de la faute commise et évalué par les experts à 2 sur une échelle de 1 à 7, en allouant à ce titre une somme de 2 000 euros. Au vu des conclusions des experts, qui considèrent que le degré proposé est exclusivement lié au déficit moteur présenté par M. F..., il n'y a pas lieu de diminuer l'indemnité allouée de 20 % pour tenir compte de l'état antérieur de ce dernier.
10. En septième lieu, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que M. F... a subi un préjudice sexuel du fait de la faute commise, qui a également eu pour conséquence une impossibilité pour la victime d'avoir des érections. Dans les circonstances de l'espèce et compte tenu de la gravité de la pathologie dont souffrait par ailleurs M. F... et des traitements qu'il a suivis jusqu'à son décès, il y a lieu de condamner le centre hospitalier et son assureur à verser une somme de 2 000 euros au titre de ce poste de préjudice.
11. En huitième lieu, les experts ont également retenu l'existence d'un préjudice d'agrément. Il est constant que M. F... était sportif et pratiquait la bicyclette, la randonnée, la moto et le jogging. En l'espèce et compte tenu notamment des circonstances énoncées au point précédent, il y a lieu de condamner le centre hospitalier et la SHAM à verser une somme de 2 000 euros au titre de ce poste de préjudice.
12. En dernier lieu, si indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité, M. F... ne peut être regardé comme ayant subi un tel préjudice, dès lors que les dommages dont il demeurait atteint résultent d'une faute et non d'une des complications possibles de la péridurale qui a été pratiquée.
Sur les préjudices des consorts F... :
13. Les premiers juges n'ont pas fait une évaluation insuffisante du préjudice moral subi par les consorts F..., résultant de la dégradation de l'état de santé de M. F... consécutive à sa paralysie, en allouant à ce titre la somme de 1 000 euros à son épouse et la somme de 500 euros à chacun de ses deux enfants.
14. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le centre hospitalier de Briey et la SHAM sont uniquement fondés à demander que l'indemnité que le tribunal administratif de Nancy les a condamnés à verser aux consorts F... soit diminuée de 36 500 euros. Les consorts F... sont, quant à eux, fondés à demander que cette indemnité soit augmentée de 10 072,60 euros. Il y a lieu ainsi de ramener à 30 932,60 euros le montant de l'indemnité due par le centre hospitalier de Briey et la SHAM aux consorts F... au titre des préjudices propres de M. F... et de réformer en ce sens l'article premier du jugement attaqué du tribunal administratif de Nancy.
Sur les intérêts :
15. Lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1231-7 du code civil courent à compter de la réception de la demande préalable à l'administration ou, à défaut, de l'enregistrement de la requête introductive d'instance.
16. Ainsi que l'ont indiqué les premiers juges, les consorts F... ont droit aux intérêts à compter du 23 avril 2018, date de réception de leur demande préalable par le centre hospitalier.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par les consorts F... sur ce fondement, dès lors que le centre hospitalier de Briey et la SHAM ne peuvent pas être regardées comme étant les parties perdantes. Il n'y a par ailleurs pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle sur ce même fondement.
D E C I D E :
Article 1er : La somme de 57 360 euros que le centre hospitalier de Briey et la SHAM ont été condamnés solidairement à verser aux consorts G... le jugement du 24 septembre 2020 est ramenée à 30 932,60 euros.
Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Nancy du 24 septembre 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Briey, à la société hospitalière d'assurances mutuelles, à Mme B... F..., représentante unique en application des dispositions de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, et à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Wurtz, président,
- Mme Haudier, présidente assesseure,
- M. Meisse, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 avril 2023.
La rapporteure,
Signé : G. C...
Le président,
Signé : Ch. WURTZ
Le greffier,
Signé : F. LORRAIN
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
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N° 20NC03410