Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 8 novembre 2021 par lequel le préfet de la Marne a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé.
Par un jugement n° 2102696 du 4 mars 2022, le tribunal administratif de
Châlons-en-Champagne a, d'une part, annulé l'arrêté susmentionné et, d'autre part, enjoint au préfet de la Marne de renouveler le titre de séjour de M. B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 avril 2022, le préfet de la Marne demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du
4 mars 2022 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de
Châlons-en-Champagne.
Il soutient que son arrêté n'est pas entaché d'une erreur de fait dans la mesure où M. B..., compte tenu de l'offre de soins et des caractéristiques du système de santé au Kosovo, peut y bénéficier d'un traitement approprié.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juin 2022, M. B..., représenté par Me Gervais, conclut :
1°) au rejet de la requête du préfet de la Marne ;
2°) à l'annulation, pour excès de pouvoir, de l'arrêté du 8 novembre 2021 pris à son encontre par le préfet de la Marne ;
3°) à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Marne de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative et de lui délivrer pendant cet examen une autorisation provisoire de séjour ;
4°) à ce que soit mis à la charge l'Etat le versement à Me Gervais, avocat de M. B... de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle ;
- ainsi que l'ont jugé les premiers juges, la décision est entachée d'une erreur de fait concernant l'absence de soins disponibles dans son pays d'origine ;
- la décision porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale ;
- la décision d'éloignement est illégale par voie de conséquence.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du
28 novembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Denizot, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant kosovar né le 21 mars 1975, serait entré irrégulièrement en France, selon ses déclarations, le 13 juin 2019. Après que le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a, par deux avis des 27 décembre 2019 et 17 novembre 2020, admis la nécessité pour M. B... de poursuivre en France, pendant une durée de trois puis de neuf mois, un traitement médical dont le défaut risquerait d'entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité pour son état de santé, le préfet de la Marne a délivré à l'intéressé une autorisation provisoire de séjour d'une durée de trois mois puis une carte de séjour temporaire de neuf mois. Par un arrêté du 8 novembre 2021, le préfet de la Marne a refusé de renouveler le titre de séjour à M. B..., l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination de son éloignement. Par un jugement du 4 mars 2022, le tribunal administratif de
Châlons-en-Champagne a, d'une part, annulé l'arrêté du 8 novembre 2021 et, d'autre part, enjoint au préfet de la Marne de renouveler le titre de séjour de M. B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Le préfet de la Marne relève appel de ce jugement.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / (...) Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée. (...) ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte-tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'OFII qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser de renouveler un titre de séjour à M. B... en raison de son état de santé, le préfet de la Marne s'est fondé sur l'avis du 27 septembre 2021 du collège de médecins du service médical de l'OFII qui a estimé que si l'état de santé de M. B... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il pouvait effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine et voyager sans risque.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. B... souffre d'une insuffisance rénale chronique évolutive depuis 2016, qui a nécessité des hospitalisations notamment en juin 2019 au centre hospitalier universitaire de Reims et qui implique un suivi en néphrologie ainsi qu'un traitement antibiotique. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, M. B..., par un courrier du 8 juin 2019 de l'équipe médico-chirurgicale qui le suit, atteste de la nécessité de la greffe d'un rein. Le 16 août 2021, l'Agence de la biomédecine a confirmé l'inscription de l'intéressé sur la liste nationale des malades en attente de greffe. M. B... produit également un rapport du Conseil kosovar sur le traitement en dehors des établissements de santé publique établi par la clinique de néphrologie de Pristina en date du 23 novembre 2021 confirmé le lendemain par les services du ministère de la santé du Kosovo, selon lequel " la greffe de rein n'est pas pratiquée au Kosovo ".
6. Toutefois, il ne ressort pas des éléments médicaux produits par M. B... que la transplantation rénale présenterait un caractère urgent et impérieux. Il est d'ailleurs constant que, à la date de la décision contestée, aucune greffe de rein n'était programmée. Au demeurant, dans une telle hypothèse, l'intéressé peut solliciter un visa pour revenir régulièrement en France, son état de santé lui permettant de voyager sans risque. Le préfet de la Marne relève à ce titre, pour la première fois en appel, et sans être contredit par M. B..., que les traitements médicamenteux nécessaires au traitement de l'insuffisance rénale sont disponibles au Kosovo où chaque hôpital dispose d'une unité de dialyse médicalisée. Enfin, en se prévalant uniquement de sa qualité de bénéficiaire de l'allocation adulte handicapé ainsi que, sans apporter plus de précision, de l'absence de système de sécurité sociale efficient et de l'onérosité de la prise en charge médicale et médicamenteuse au Kosovo, M. B... ne saurait être regardé comme établissant qu'il ne pourrait pas bénéficier effectivement d'un traitement de sa pathologie au Kosovo.
7. Par suite, les éléments apportés par M. B... ne permettent pas de remettre en cause utilement l'avis émis en dernier lieu par le collège des médecins de l'OFII. Dès lors, contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges, le préfet de la Marne, qui n'a pas entaché sa décision d'une erreur de fait, n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de renouveler à M. B... le titre de séjour qu'il sollicitait sur le fondement de ces dispositions.
8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... tant en première instance qu'en appel.
Sur la légalité de l'arrêté du 8 novembre 2021 :
9. En premier lieu, les décisions contestées comportent les considérations de droit et de fait qui en constituent les fondements. Ces décisions sont donc suffisamment motivées, contrairement à ce qu'allègue le requérant. En outre, il ne ressort ni des pièces du dossier ni des termes des décisions en litige que le préfet de la Marne n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de l'intéressé.
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. Il ressort des pièces du dossier que M. B... n'est entré que récemment en France, au cours de l'année 2019, et n'y a été admis à séjourner temporairement que pour des raisons médicales. M. B..., qui n'établit pas être dépourvu de toute attache dans son pays d'origine, où vivrait l'intégralité de sa famille dont son épouse et ses enfants, ne justifie pas de l'existence de liens intenses et stables personnels ou familiaux sur le territoire français. Par suite, les décisions contestées n'ont pas porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises. Dès lors, le moyen tiré de l'inexacte application des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
12. En dernier lieu, ainsi qu'il a été dit, il n'est pas établi que la décision refusant un titre de séjour serait illégale. Par suite, M. B... n'est pas fondé à en exciper l'illégalité à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Marne est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé son arrêté du 8 novembre 2021 et lui a enjoint de renouveler le titre de séjour de M. B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.
14. Il y a en conséquence lieu d'annuler le jugement n° 2102696 du 4 mars 2022 et de rejeter les conclusions d'annulation et à fin d'injonction présentées par M. B..., qui étaient en appel au demeurant partiellement dépourvues d'objet, ainsi que celles qu'il a présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, l'Etat n'étant pas la partie perdante à l'instance.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2102696 du 4 mars 2022 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et ses conclusions présentées en appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Gervais et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Marne.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,
- M. Denizot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2023.
Le rapporteur,
Signé : A. DenizotLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
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N° 22NC00883