Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 1er août 2019 par lequel le préfet de la Moselle lui a ordonné de se dessaisir de toutes les armes en sa possession dans un délai de trois mois ou, à défaut, de les remettre aux services de gendarmerie, et a prononcé à son encontre une interdiction d'acquisition et de détention d'armes de toute catégorie, ainsi que la décision du 23 septembre 2019 rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 1908018 du 2 mars 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 avril 2021, M. B..., représenté par Me Rattaire, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 1er août 2019 ainsi que la décision du 23 septembre 2019 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les décisions litigieuses ont été signées par une autorité incompétente ;
- l'arrêté du 1er août 2019 et la décision du 23 septembre 2019 ne sont pas suffisamment motivés, en méconnaissance de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- ces décisions n'ont pas été précédées d'un examen de sa situation personnelle ;
- elles sont entachées d'erreur de droit au regard des articles L. 312-3-1, L. 312-11 et L. 313-13-1 du code de la sécurité intérieure, dès lors que le préfet s'est fondé sur une condamnation à une amende, qui a été effacée de son casier judiciaire, et non sur un rapport circonstancié des services de police et de gendarmerie, et qu'il ne représente pas un danger pour l'ordre public ou les personnes ;
- elles sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation ;
- les mesures édictées sont disproportionnées.
Par un mémoire enregistré le 10 août 2021, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,
- et les observations de Me Mine, pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... était en possession de huit armes de catégorie C pour lesquelles il disposait de récépissés de déclaration délivrés entre 2004 et 2014 par la préfecture de la Moselle. Le 8 juillet 2019, il a obtenu un récépissé pour une neuvième arme de catégorie C. A cette occasion, les services préfectoraux ont notamment constaté que l'intéressé avait fait l'objet d'une condamnation pénale pour rébellion le 1er janvier 2018. Par un arrêté du 1er août 2019, le préfet de la Moselle a ordonné à M. B... de se dessaisir de toutes les armes dont il était en possession dans un délai de trois mois ou, à défaut, de les remettre aux services de gendarmerie, et a prononcé à son encontre une interdiction d'acquisition et de détention d'armes de toute catégorie. Par un courrier du 12 septembre 2019, M. B... a formé un recours gracieux contre cet arrêté. Par une décision du 23 septembre 2019, le préfet de la Moselle a rejeté ce recours. M. B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux actes.
Sur la légalité des décisions contestées :
2. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...). ". La décision par laquelle le préfet ordonne à un détenteur d'armes de se dessaisir d'armes légalement acquises et lui interdit la possession d'armes de toute catégorie constitue une mesure de police qui doit être motivée en vertu des dispositions du 1° de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration.
3. D'une part, aux termes de l'article L. 312-3-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction alors applicable : " L'autorité administrative peut interdire l'acquisition et la détention des armes, munitions et de leurs éléments des catégories A, B et C aux personnes dont le comportement laisse craindre une utilisation dangereuse pour elles-mêmes ou pour autrui ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 312-11 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Sans préjudice des dispositions de la sous-section 1, le représentant de l'Etat dans le département peut, pour des raisons d'ordre public ou de sécurité des personnes, ordonner à tout détenteur d'une arme, de munitions et de leurs éléments de toute catégorie de s'en dessaisir/. Le dessaisissement consiste soit à vendre l'arme les munitions et leurs éléments à une personne titulaire de l'autorisation, mentionnée à l'article L. 2332-1 du code de la défense, ou à un tiers remplissant les conditions légales d'acquisition et de détention, soit à la remettre à l'Etat. Un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités du dessaisissement. / Sauf urgence, la procédure est contradictoire. Le représentant de l'Etat dans le département fixe le délai au terme duquel le détenteur doit s'être dessaisi de son arme, de ses munitions et de leurs éléments ". L'article L. 312-13, inséré dans la même sous-section que l'article L. 312-11, dispose : " Il est interdit aux personnes ayant fait l'objet de la procédure prévue à la présente sous-section d'acquérir ou de détenir des armes, munitions et leurs éléments de toute catégorie. ( ...) ". L'article R. 312-67 du même code dispose : " Le préfet ordonne la remise ou le dessaisissement de l'arme ou de ses éléments dans les conditions prévues aux articles L. 312-7 ou L. 312-11 lorsque : (...) 3° Il résulte de l'enquête diligentée par le préfet que le comportement du demandeur ou du déclarant est incompatible avec la détention d'une arme ; cette enquête peut donner lieu à la consultation des traitements automatisés de données personnelles mentionnés à l'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ".
5. L'arrêté litigieux édicte à l'encontre de M. B... une mesure de dessaisissement d'armes et de munitions, ayant pour base légale les articles L. 312-11 et R. 312-67 du code de la sécurité intérieure, avant d'interdire à l'intéressé d'acquérir ou de détenir des armes de toute catégorie, sur le fondement de l'article L. 312-13 du même code. Si l'arrêté mentionne les dispositions de l'article L. 312-3-1 du même code, il ne ressort ni des termes de la décision en litige ni des pièces du dossier que le préfet ait entendu se fonder sur cette disposition, qui ne vise que certaines catégories d'armes, pour prononcer l'interdiction d'acquisition et de détention d'armes.
6. Or, l'arrêté litigieux se borne à indiquer que le bulletin n° 2 du casier judiciaire de M. B... porte la mention d'une condamnation pour des faits de rébellion envers les forces de l'ordre, avant de citer les dispositions de l'article L. 312-3-1 du code de la sécurité intérieure et d'en déduire qu'il y a lieu d'ordonner, en application des dispositions des articles L. 312-11 et R. 312-67 de ce code, le dessaisissement des armes de l'intéressé. Ce faisant, en citant une disposition inapplicable et sans expliquer en quoi, en application de l'article R. 312-67 du même code précité, le comportement de l'intéressé est incompatible avec la détention d'une arme, le préfet n'a pas mis à même le requérant de connaître les motifs de fait de sa décision et a ainsi insuffisamment motivé cette mesure. M. B... est donc fondé à soutenir que l'arrêté est, sur ce point, dépourvu d'une motivation suffisante et à en demander l'annulation, laquelle implique, par voie de conséquence, celle de l'interdiction d'acquérir ou détenir des armes de toute catégorie, et celle du rejet de son recours gracieux. Il est, dès lors, fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, le versement d'une somme de 1 500 euros à M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E:
Article 1er : L'arrêté du préfet de la Moselle du 1er août 2019, la décision du 23 septembre 2019 et le jugement du tribunal administratif de Strasbourg n° 1908018 du 2 mars 2021 sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente de chambre,
- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,
- M. Denizot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2023.
La rapporteure,
Signé : A. C...La présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
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N°21NC01228