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04/04/2023 | FRANCE | N°20NC02862

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 04 avril 2023, 20NC02862


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le Bureau Européen d'Assurance Hospitalière (BEAH) a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, par deux recours distincts, de résilier le marché de prestation de services d'assurances " assurance responsabilité et risques annexes " attribué le 27 décembre 2017 à la société hospitalière d'assurance mutuelle (SHAM) par les Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) et de condamner les HUS à lui verser une somme de 170 500 euros, outre les intérêts et la capitalisation, en réparation du préju

dice subi du fait de son éviction de la procédure d'attribution de ce marché.

P...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le Bureau Européen d'Assurance Hospitalière (BEAH) a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, par deux recours distincts, de résilier le marché de prestation de services d'assurances " assurance responsabilité et risques annexes " attribué le 27 décembre 2017 à la société hospitalière d'assurance mutuelle (SHAM) par les Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) et de condamner les HUS à lui verser une somme de 170 500 euros, outre les intérêts et la capitalisation, en réparation du préjudice subi du fait de son éviction de la procédure d'attribution de ce marché.

Par un jugement nos 1802193, 1904238 du 30 juillet 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a résilié ce marché, à compter du 1er janvier 2021, condamné les HUS à verser au BEAH la somme de 107 843 euros et mis à la charge des HUS et de la SHAM le versement solidaire d'une somme globale de 3 000 euros au BEAH au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

I) Par une requête enregistrée le 30 septembre 2020 sous le n° 20NC02862, ainsi que par deux mémoires enregistrés les 24 septembre 2021 et 28 octobre 2021, la SHAM, représentée par Me Rayssac, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement nos 1802193, 1904238 du 30 juillet 2020 du tribunal administratif de Strasbourg, en tant qu'il a résilié le marché qui lui avait été attribué par les HUS ;

2°) de rejeter la demande du BEAH enregistrée sous le n° 1802193 ;

3°) à titre subsidiaire, d'exercer un renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l'Union européenne, en interprétation des dispositions de l'article 2 de la directive 87/344/CEE du 22 juin 1987 ;

4°) de mettre à la charge du BEAH une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal a commis une erreur de droit en estimant que l'article 3.15 du cahier des clauses particulières du marché litigieux ne constituait pas une clause de protection juridique ; le non-respect par cet article du formalisme inhérent à la protection juridique est inexact et sans incidence sur la qualification de la garantie ; les jurisprudences de la Cour de cassation citées par le BEAH sont inapplicables, tout comme la décision du Conseil d'Etat du 25 janvier 2019, l'analyse dégagée par cette dernière décision étant erronée ;

- il y a lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle concernant l'interprétation de l'article 2 de la directive 87/344/CEE du 22 juin 1987 ;

- elle s'en rapporte à son mémoire du 22 juillet 2019 ;

- les visas du jugement sont entachés d'une inexactitude matérielle s'agissant de sa demande de question préjudicielle ; le jugement ne se prononce, ni dans son dispositif, ni dans ces motifs, sur ses conclusions à cet égard ; le jugement est insuffisamment motivé ;

- la requête a conservé son objet, contrairement à ce que soutient le BEAH.

Par quatre mémoires enregistrés les 28 septembre 2021, 19 décembre 2021, 9 février 2022 et 12 septembre 2022, la société BEAH, représentée par Me Juffroy, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la SHAM le versement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il n'y a plus lieu de statuer sur la requête, dès lors que le marché litigieux a été résilié et qu'un nouveau marché, qui n'a pas été contesté, a été conclu pour une durée ferme de cinq ans ;

- les moyens contestant la régularité et le bien-fondé du jugement ne sont pas fondés ;

- les conclusions des HUS au titre des frais non compris dans les dépens sont irrecevables, dès lors qu'ils ont seulement la qualité d'intervenant dans la présente instance.

Par trois mémoires enregistrés les 25 octobre 2021, 7 janvier 2022 et 23 février 2022, les HUS, représentés par Me Gaspar, concluent à l'annulation du jugement attaqué, au rejet de la demande du BEAH et à ce que soit mis à la charge du BEAH le versement d'une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement est irrégulier, dès lors que la clôture d'instruction survenue le 12 mars 2020 a été prorogée de plein droit jusqu'au 23 juin 2020, postérieurement à la date de l'audience, qui a eu lieu le 18 juin 2020, et qu'il n'y a pas eu d'ordonnance de clôture préalablement ;

- les premiers juges se sont abstenus d'analyser et de communiquer le mémoire déposé par la SHAM le 10 mars 2020, avant la clôture de l'instruction ;

- le jugement est entaché d'erreurs de droit et de fait quant à la qualification du contrat comme ne relevant pas de la protection juridique ; la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans la décision du 25 janvier 2019 n'est pas transposable ; l'assureur n'a aucun intérêt à prendre part à une action dans le cadre de laquelle les HUS auraient la qualité de demandeurs ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'offre du groupement dont la société BEAH était mandataire n'était pas irrégulière en l'absence de prix proposé pour la variante n° 1 ;

- l'offre proposée par ce groupement pour la variante n° 2, qui n'était pas calculée à partir d'un taux, n'était pas conforme au règlement de la consultation, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal ; il n'y avait pas lieu d'interroger le concurrent sur ce point puisque son offre avait été écartée pour une autre irrégularité et cette circonstance était inopérante sur la possibilité pour le pouvoir adjudicateur d'invoquer une telle irrégularité ; le fait que l'offre ait pu être appréciée ne fait pas disparaître cette irrégularité ;

- l'offre de ce groupement pour la variante n° 3 proposait une prime forfaitaire sans renseigner le détail par assuré, de sorte qu'elle était irrégulière, pour les mêmes motifs que ceux évoqués au point précédent ;

- compte tenu de l'irrégularité de l'offre du groupement ayant pour mandataire le BEAH, cette société ne saurait se prévaloir d'aucun manquement en lien direct avec le rejet de son offre ;

- en toute hypothèse, aucun manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence n'a été commis.

II) Par une requête, enregistrée le 1er octobre 2020 sous le n° 20NC02869, et trois mémoires, enregistrés les 25 octobre 2021, 7 janvier 2022 et 23 février 2022, les HUS, représentés par Me Gaspar, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement nos 1802193, 1904238 du 30 juillet 2020 du tribunal administratif de Strasbourg, en tant qu'il l'a condamné à verser une indemnité au BEAH ;

2°) de rejeter la demande du BEAH enregistrée sous le n° 1904238, ou à tout le moins de limiter le montant de l'indemnité susceptible d'être mise à leur charge ;

3°) de mettre à la charge du BEAH une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement est irrégulier, dès lors que la clôture d'instruction survenue le 12 mars 2020 a été prorogée de plein droit jusqu'au 23 juin 2020, postérieurement à la date de l'audience, qui a eu lieu le 18 juin 2020, et qu'il n'y a pas eu d'ordonnance de clôture préalablement ;

- les premiers juges se sont abstenus d'analyser son mémoire déposé le 12 mars 2020, avant la clôture de l'instruction, contrairement à ce qu'ils ont estimé ;

- le tribunal s'est abstenu de se prononcer sur les conclusions qu'ils avaient formulé à titre subsidiaire ;

- le jugement est insuffisamment motivé s'agissant du lien de causalité, les premiers juges n'ont pas répondu aux moyens qu'ils avaient soulevé pour le contester, ainsi que s'agissant de la période d'indemnisation ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'offre du BEAH n'était pas irrégulière ;

- le jugement est entaché d'erreurs de droit et de fait quant à la qualification du contrat comme ne relevant pas de la protection juridique, ainsi que de contradiction de motifs ;

- c'est à tort que le tribunal a retenu l'existence d'un lien de causalité ; il n'a pas été identifié de lien de causalité directe entre la faute invoquée et le préjudice allégué ; en tant que courtier, le BEAH ne saurait alléguer de lien direct entre l'éviction de son offre et sa perte de marge nette, dès lors qu'il n'exerce pas d'activité d'assureur ; il ne pouvait être retenu un tel lien en l'absence de production des contrats de courtage ;

- le préjudice n'était certain ni dans son principe ni dans son quantum ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'offre du groupement dont la société BEAH était mandataire n'était pas irrégulière en l'absence de prix proposé pour la variante n° 1 ;

- l'offre proposée par ce groupement pour la variante n° 2, qui n'était pas calculée à partir d'un taux, n'était pas conforme au règlement de la consultation, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal ; il n'y avait pas lieu d'interroger le concurrent sur ce point puisque son offre avait été écartée pour une autre irrégularité et cette circonstance était inopérante sur la possibilité pour le pouvoir adjudicateur d'invoquer une telle irrégularité ; la circonstance que l'offre ait pu être appréciée ne fait pas disparaître cette irrégularité ;

- l'offre de ce groupement pour la variante n° 3 proposait une prime forfaitaire sans renseigner le détail par assuré, de sorte qu'elle était irrégulière, pour les mêmes motifs que ceux évoqués au point précédent ;

- compte tenu de ces irrégularités, le BEAH ne disposait pas de chances sérieuses d'emporter le contrat ; il n'y a pas lieu d'appliquer la technique de la substitution de motif pour déterminer l'existence de telles chances ;

- c'est à tort que le tribunal a pris en compte une période de cinq ans, en prenant en compte une période postérieure à la date d'effet de la résiliation ; le préjudice n'était susceptible d'être certain qu'en ce qu'il porte sur la première année d'exécution du contrat ; le chiffre d'affaires retenu ressort de documents dépourvus de valeur probante ; c'est à tort que les premiers juges ont exclu, sans argumentation du BEAH en ce sens, le montant de l'impôt sur les sociétés ; c'est à tort qu'un taux de marge nette de 20 % a été retenu ;

- ils sollicitent ainsi, à titre subsidiaire, une réduction du montant de leur condamnation, en retenant une période d'un an, ou, à tout le moins, à la période antérieure à la résiliation du contrat, sur la base d'un chiffre d'affaires escompté à 50 000 euros HT par an et en retenant un taux de marge nette de 12 %, soit 6 000 euros par année.

Par quatre mémoires enregistrés les 28 septembre 2021, 20 décembre 2021, 9 février 2022 et 12 septembre 2022, la société BEAH, représentée par Me Juffroy, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge des HUS le versement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens contestant la régularité et le bien-fondé du jugement ne sont pas fondés.

III) Par une requête enregistrée le 1er octobre 2020 sous le n° 20NC02870, ainsi que par deux mémoires enregistrés les 25 octobre 2021 et 7 janvier 2022, les HUS, représentés par Me Gaspar, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement nos 1802193, 1904238 du 30 juillet 2020 du tribunal administratif de Strasbourg, en tant qu'il a résilié le marché qu'ils avaient attribué à la SHAM ;

2°) de rejeter la demande du BEAH enregistrée sous le n° 1802193 ;

3°) de mettre à la charge du BEAH une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement est irrégulier, dès lors que la clôture d'instruction survenue le 12 mars 2020 a été prorogée de plein droit jusqu'au 23 juin 2020, postérieurement à la date de l'audience, qui a eu lieu le 18 juin 2020, et qu'il n'y a pas eu d'ordonnance de clôture préalablement ;

- les premiers juges se sont abstenus d'analyser et de communiquer le mémoire déposé par la SHAM le 10 mars 2020, avant la clôture de l'instruction ;

- la requête conserve son objet ;

- le jugement est entaché d'erreurs de droit et de fait quant à la qualification du contrat comme ne relevant pas de la protection juridique ; la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans la décision du 25 janvier 2019 n'est pas transposable ; l'assureur n'a aucun intérêt à prendre part à une action dans le cadre de laquelle les HUS auraient la qualité de demandeurs ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'offre du groupement dont la société BEAH était mandataire n'était pas irrégulière en l'absence de prix proposé pour la variante n° 1 ;

- l'offre proposée par ce groupement pour la variante n° 2, qui n'était pas calculée à partir d'un taux, n'était pas conforme au règlement de la consultation, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, qu'il n'y avait pas lieu d'interroger le concurrent sur ce point puisque son offre avait été écartée pour une autre irrégularité et cette circonstance était inopérante sur la possibilité pour le pouvoir adjudicateur d'invoquer une telle irrégularité ; la circonstance que l'offre ait pu être appréciée ne fait pas disparaître cette irrégularité ;

- l'offre de ce groupement pour la variante n° 3 proposait une prime forfaitaire sans renseigner le détail par assurés, de sorte qu'elle était irrégulière, pour les mêmes motifs que ceux évoqués au point précédent ;

- compte tenu de l'irrégularité de l'offre du groupement ayant pour mandataire le BEAH, cette société ne saurait se prévaloir d'aucun manquement en lien direct avec le rejet de son offre ;

- en toute hypothèse, aucun manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence n'a été commis.

Par un mémoire enregistré le 27 septembre 2021, la SHAM, représentée par Me Rayssac, conclut à l'annulation du jugement attaqué, au rejet de la demande du BEAH, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit procédé à un renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l'Union européenne, en interprétation des dispositions de l'article 2 de la directive 87/344/CEE du 22 juin 1987 et à ce que le versement d'une somme de 5 000 euros soit mis à la charge du BEAH au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les visas du jugement sont entachés d'une inexactitude matérielle s'agissant de sa demande de question préjudicielle ; le jugement ne se prononce, ni dans son dispositif, ni dans ces motifs, sur ses conclusions à cet égard ; le jugement est insuffisamment motivé ;

- le tribunal a commis une erreur de droit en estimant que l'article 3.15 du cahier des clauses particulières du marché litigieux ne constituait pas une clause de protection juridique ; le non-respect par cet article du formalisme inhérent à la protection juridique est inexact et sans incidence sur la qualification de la garantie ; les jurisprudences de la Cour de cassation citées par le BEAH sont inapplicables, tout comme la décision du Conseil d'Etat du 25 janvier 2019, l'analyse dégagée par la haute juridiction étant erronée ;

- il y a lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle concernant l'interprétation de l'article 2 de la directive 87/344/CEE du 22 juin 1987 ;

- la requête a conservé son objet, contrairement à ce que soutient le BEAH.

Par deux mémoires enregistrés les 27 septembre 2021 et 19 décembre 2021, la société BEAH, représentée par Me Juffroy, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge des HUS le versement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il n'y a plus lieu de statuer sur la requête, dès lors que le marché litigieux a été résilié et qu'un nouveau marché, qui n'a pas été contesté, a été conclu pour une durée ferme de cinq ans ;

- les moyens contestant la régularité et le bien-fondé du jugement ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 25 janvier 2022, la société BEAH conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens. Il n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code des assurances ;

- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;

- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me Augier, pour la SHAM, de Me Thareau, pour les HUS, et de Me Juffroy pour le BEAH.

Considérant ce qui suit :

1. Le 22 juillet 2017, les Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) ont lancé une procédure d'appel d'offres en vue de la passation d'un marché public de service d'assurances, pour une durée de cinq ans dont le lot n° 3 " assurance responsabilité et risques annexes " composé d'une offre de base " responsabilité générale et risques annexes " et de quatre variantes obligatoires, valant prestations supplémentaires : " responsabilité et atteintes à l'environnement ", " protection juridique personne morale ", " protection juridique agents et administrateurs " et " individuelle accident ". L'offre du groupement dont le Bureau Européen d'Assurances hospitalière (BEAH) était mandataire a été rejetée au motif de son irrégularité, la société Amtrust International Underwriters DAC, membre du groupement qui devait être en charge de l'offre de base, ne disposant pas de l'agrément pour la branche 17 " protection juridique ". Le lot a été attribué le 27 décembre 2017 à la Société Hospitalière d'Assurance Mutuelle (SHAM). Le BEAH a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, par deux demandes distinctes, de résilier ce marché et de condamner les HUS à l'indemniser du préjudice subi du fait de son éviction irrégulière. Par un jugement du 30 juillet 2020, ce tribunal a résilié ce marché, avec effet à compter du 1er janvier 2021, au motif qu'en écartant à tort pour irrégularité l'offre du groupement dont était membre le BEAH en raison du défaut, pour la société Amtrust, de disposer de l'agrément " protection juridique ", les HUS avaient méconnu le principe de mise en concurrence et d'égalité de traitement des candidats. Par ce même jugement, le tribunal a également condamné les HUS à verser au BEAH la somme de 107 843 euros. Les HUS relèvent appel de ce jugement sur ces deux points, par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre à celle de la SHAM, qui conteste la résiliation du marché dont elle était attributaire.

Sur l'exception de non-lieu :

2. La circonstance que, pour l'exécution du jugement attaqué, le marché litigieux ait été résilié, et qu'un nouveau marché ait été conclu pour une durée de cinq ans, n'a pas pour effet de priver d'objet les requêtes contestant cette résiliation. Le BEAH n'est donc pas fondé à soutenir qu'il n'y a plus lieu de statuer sur ces requêtes.

Sur le motif de résiliation du marché retenu par le tribunal :

3. D'une part, aux termes de l'article 59 du décret du 25 mars 2016 : " I. (...) Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. (...) II. - Dans les procédures d'appel d'offres et les procédures adaptées sans négociation, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées ".

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 127-1 du code des assurances : " Est une opération d'assurance de protection juridique toute opération consistant, moyennant le paiement d'une prime ou d'une cotisation préalablement convenue, à prendre en charge des frais de procédure ou à fournir des services découlant de la couverture d'assurance, en cas de différend ou de litige opposant l'assuré à un tiers, en vue notamment de défendre ou représenter en demande l'assuré dans une procédure civile, pénale, administrative ou autre ou contre une réclamation dont il est l'objet ou d'obtenir réparation à l'amiable du dommage subi ". Aux termes de l'article L. 127-6 de ce code, placé dans le chapitre intitulé " L'assurance de protection juridique " : " Les dispositions du présent chapitre ne s'appliquent pas : (...) / 2° A l'activité de l'assureur de responsabilité civile pour la défense ou la représentation de son assuré dans toute procédure judiciaire ou administrative, lorsqu'elle s'exerce en même temps dans l'intérêt de l'assureur ".

5. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 321-1 du code des assurances : " Les entreprises mentionnées au 1° de l'article L. 310-2 ne peuvent commencer leurs opérations qu'après avoir obtenu un agrément administratif délivré par le l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution mentionné à l'article L. 612-1 du code monétaire et financier. (...) L'agrément est accordé sur demande de l'entreprise, pour les opérations d'une ou plusieurs branches d'assurance. L'entreprise ne peut pratiquer que les opérations pour lesquelles elle est agréée ". Selon l'article R. 321-1 du même code, la branche 17 correspond à la protection juridique.

6. Il résulte des dispositions de l'article L. 127-6 du code des assurances que ne constitue pas une clause d'assurance de protection juridique la clause par laquelle l'assureur s'engage à prendre en charge la défense ou la représentation de son assuré dans toute procédure judiciaire ou administrative, lorsque cette prise en charge s'exerce en même temps dans son intérêt propre, apprécié au regard de sa qualité d'assureur de responsabilité civile.

7. En l'espèce, l'article 2.1 du cahier des clauses particulières de l'assurance composant l'offre de base : " responsabilité générale et risques annexes " prévoyait : " objet de la garantie : le présent contrat garantit, dans les limites des engagements et des franchises prévues ci-après, l'établissement hospitalier souscripteur contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité que celui-ci peut encourir en raison de dommages ou préjudices causés à autrui dans le cadre de l'exécution du service public hospitalier telle que définie notamment au code de la santé publique et de toutes les prestations annexes de toute nature ". Aux termes de l'article 3.15 de ce même cahier : " Garantie de défense-recours : Au titre de cette garantie, l'assureur s'engage : / - à réclamer, soit à l'amiable, soit devant toute juridiction, la réparation pécuniaire des dommages corporels, matériels et immatériels subis par l'assuré et ses préposés et engageant la responsabilité d'un tiers identifié, dans la mesure où l'indemnisation de ces dommages aurait été prise en charge par le contrat si l'assuré en avait été le responsable et non la victime. / - à défendre, soit à l'amiable, soit devant toute juridiction et notamment devant les juridictions administratives, civiles, pénales, financières, commerciales, disciplinaires ou ordinales, la personne morale souscriptrice et toute autre personne morale ayant la qualité d'assuré et tous les membres du Conseil de surveillance, toutes les personnes collaborant au fonctionnement de l'établissement, tous les agents de l'établissement, y compris les médecins poursuivis dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions. / L'assureur supporte, à concurrence des sommes fixées aux présentes conditions particulières, les frais et honoraires d'enquête, d'instruction, d'expertise, d'avocats, d'exécution de jugements et les frais de procès. / L'assuré fixe lui-même le montant de l'indemnité qu'il entend réclamer. / L'assureur dirige les recours mais s'interdit toute transaction sans l'accord préalable de l'assuré ".

8. Il résulte des termes mêmes de cette clause que l'action en réparation pécuniaire des dommages subis par l'assuré et ses préposés et engageant la responsabilité d'un tiers identifié n'est pas susceptible de déboucher sur une responsabilité que l'assureur serait tenu de garantir, en sa qualité d'assureur de responsabilité civile. Une telle garantie ne saurait donc être regardée comme s'exerçant, en même temps, dans l'intérêt propre de l'assureur, apprécié au regard de sa qualité d'assureur de responsabilité civile. L'offre de base contenait ainsi une clause pouvant être qualifiée de " protection juridique ". Or, il est constant que la société Amtrust International Underwriters DAC, qui dans la proposition du groupement dont le BEAH était mandataire, devait assurer cette offre de base, ne disposait pas de l'agrément pour la branche 17 " protection juridique ".

9. Par ailleurs, l'offre du BEAH contenait les variantes obligatoires nos 2 et 3 prévue dans les documents de la consultation, qui devaient être assurées par la compagnie Areas Assurances, portant sur la " protection juridique personne morale " et sur la " protection juridique agents et administrateurs ", laquelle inclut notamment la défense pénale, les actions devant les organismes professionnels ainsi que les recours contre les tiers auteurs de violences volontaires, injures, menaces, outrages, diffamation, harcèlement, dénonciation calomnieuse ou injures publiques. Ces variantes obligatoires, qui ont été retenues par l'acheteur, ont eu pour effet d'ajouter des prestations supplémentaires mais aussi d'absorber certaines des missions relevant initialement de l'offre de base, et ainsi de faire assurer les prestations en question non pas par la société Amtrust International Underwriters DAC mais par la compagnie Areas Assurances, dont il n'est pas contesté qu'elle était titulaire de cet agrément. Toutefois, les variantes obligatoires prévues par le pouvoir adjudicateur ne couvrent pas toutes les hypothèses de l'offre de base s'agissant en particulier de la réparation des dommages subis par un préposé et occasionnés par un tiers, et ainsi n'ont pas eu pour effet de faire disparaître toute mission de protection juridique des prestations contenues dans l'offre de base que devait assurer la société Amtrust International Underwriters DAC.

10. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les HUS ont pu estimer, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, que l'offre du groupement ayant pour mandataire le BEAH en tant qu'elle proposait que l'offre de base, contenant des prestations de protection juridique, soit exécutée par une société non titulaire de l'agrément de la branche 17, méconnaissait la réglementation applicable et était de ce fait irrégulière au sens de l'article 59 du décret du 25 mars 2016 précité.

11. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par le BEAH dans sa demande de première instance tendant à la contestation du marché en litige.

12. Au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d'impartialité, qui implique l'absence de situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure de sélection du titulaire du contrat. Aux termes du 5° du I de l'article 48 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, applicable au marché litigieux, désormais codifié à l'article L. 2141-10 du code de la commande publique : " Constitue une situation de conflit d'intérêts toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché public ou est susceptible d'en influencer l'issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché public ". L'existence d'une situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure d'attribution du marché est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d'entacher la validité du contrat.

13. Si le directeur des HUS est membre du conseil d'administration de la SHAM, en qualité de dirigeant d'un établissement sociétaire, cette circonstance ne permet pas, à elle seule, de caractériser une méconnaissance du principe d'impartialité. Il résulte de l'instruction que la consultation a été organisée sous l'égide de la société Protectas, qui a assisté le pouvoir adjudicateur, que le directeur de l'établissement n'a participé ni à l'ouverture des candidatures ou des offres, ni à leur analyse et qu'il n'a pas signé le marché. Si le BEAH soutient qu'il a nécessairement exercé une influence sur la procédure au regard des circonstances dans lesquelles son offre a été écartée comme irrégulière, après avoir été analysée et classée première, l'offre de la SHAM a été retenue et les actions en référé précontractuel de cette dernière introduites, les faits ainsi invoqués sont insuffisants pour établir qu'en dépit des précautions mises en œuvre pour écarter le directeur des HUS de la procédure de passation en litige, il y aurait néanmoins participé ou qu'il aurait été susceptible d'en influencer l'issue. En particulier, il ressort des documents produits par les HUS que c'est la société Protectas qui est à l'origine du projet de question adressée au BEAH au sujet de l'irrégularité de son offre qui est au demeurant, comme il a été dit ci-dessus, établie. Dès lors, le BEAH n'est pas fondé à soutenir que le principe d'impartialité a été méconnu.

14. Au regard de l'irrégularité de l'offre du groupement dont le BEAH était mandataire, ce dernier n'est pas susceptible d'avoir été lésé par les autres manquements, qui ne sont pas d'ordre public, qu'il invoque. Les moyens ainsi soulevés par le BEAH pour contester la validité du contrat en litige sont inopérants. Pour les mêmes motifs, il était dépourvu de toute chance d'obtenir ce marché, ce qui fait obstacle à toute indemnisation du fait de son éviction.

15. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les moyens de régularité du jugement, que les HUS et la SHAM sont fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont résilié le marché. Les HUS sont également fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal les a condamnés à verser au BEAH, qui était du fait de l'irrégularité de son offre dépourvue de toute chance de remporter le marché en litige, la somme de 107 843 euros. Ils sont ainsi fondés à demander l'annulation du jugement attaqué et le rejet des demandes de première instance du BEAH.

Sur les frais de l'instance :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge des HUS et de la SHAM, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes que demande le BEAH à ce titre. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du BEAH une somme de 1 500 euros à verser aux HUS, et une somme de 1 500 euros à verser à la SHAM, sur le même fondement.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 30 juillet 2020 nos 1802193, 1904238 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.

Article 2 : Les demandes et les conclusions présentées en appel par le Bureau Européen d'Assurance Hospitalière sont rejetées.

Article 3 : Le Bureau Européen d'Assurance Hospitalière versera aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le Bureau Européen d'Assurance Hospitalière versera à la Société Hospitalière d'Assurance Mutuelle la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg, à la Société Hospitalière d'Assurance Mutuelle et au Bureau Européen d'Assurance Hospitalière.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2023.

La rapporteure,

Signé : A. A...La présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne à la préfète du Bas-Rhin et de la région du Grand Est en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

Nos 20NC02862, 20NC02869, 20NC02870


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC02862
Date de la décision : 04/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : RAYSSAC

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-04-04;20nc02862 ?
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