Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... et la société civile d'assurances mutuelles de droit belge Alliance Batelière de la Sambre Belge ont demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner Voies navigables de France à verser, d'une part, à la société Alliance Batelière de la Sambre Belge la somme de 7 348,86 euros au titre des frais de réparation du bateau de M. B... rendus nécessaires par les dommages subis en décembre 2016 sur le canal du Rhône au Rhin, d'autre part, à M. B... les sommes de 5 650 euros et 3 113,04 euros, respectivement au titre des frais de changement d'hélice et de la perte d'exploitation générée par l'immobilisation du bateau pendant les réparations, assorties des intérêts au taux légal et leur capitalisation.
Par un jugement n° 1801833 du 17 juillet 2020, le tribunal administratif de Besançon a condamné Voies navigables de France à verser, d'une part, à la société Alliance Batelière de la Sambre Belge une somme de 5 615,27 euros, d'autre part, à M. B... une somme de 263,82 euros, assorties des intérêts au taux légal et leur capitalisation. Par le même jugement, une somme de 1 500 euros a été mise à la charge de Voies Navigables de France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 septembre 2020 et 23 juin 2021, Voies navigables de France, représenté par Me Salles, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1801833 du 17 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Besançon l'a condamné à verser d'une part, à la société Alliance Batelière de la Sambre Belge une somme de 5 615,27 euros, d'autre part, à M. B... une somme de 263,82 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 29 juin 2018 et la capitalisation de ces intérêts à compter du 11 octobre 2019 et enfin mis à sa charge une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... et la société Alliance Batelière de la Sambre Belge devant le tribunal administratif de Besançon ;
3°) de mettre à la charge de M. B... et la société Alliance Batelière de la Sambre Belge la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Voies navigables de France soutient que :
- à titre principal, sa responsabilité n'est pas engagée dans la mesure où, conformément aux articles L. 4241-3, D. 4411-3, A 4241-1 et A 4241-16 du code des transports, par deux avis à la batellerie du 14 décembre 2016, les usagers ont été informés des difficultés de navigation ; les modalités de publication de ces avis ont été suffisantes ;
- la preuve de l'entretien normal du canal du Rhône au Rhin est apportée ;
- à titre subsidiaire, M. B..., en manquant à son devoir général de vigilance, a commis plusieurs fautes de nature à l'exonérer totalement de sa responsabilité ;
- à titre très subsidiaire, les fautes commises par M. B... sont de nature à l'exonérer à hauteur de 50 % de sa responsabilité ;
- le préjudice de perte d'exploitation est hypothétique et M. B... et la société Alliance Batelière de la Sambre Belge ne peuvent se prévaloir de la délibération du conseil d'administration du 19 juin 2014 dans la mesure où ils n'ont pas présenté de demande respectant les conditions de cette délibération.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2021, M. A... B... et Alliance Batelière de la Sambre Belge, représentés par Me Jeannin, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident.
- de réformer le jugement par lequel le tribunal administratif de Besançon a limité aux sommes de 5 615,27 euros et 263,82 euros les indemnités au versement desquelles il a condamné Voies navigables de France en réparation du préjudice subi ;
- d'augmenter le montant des indemnités à, d'une part, 7 348,86 euros et d'autre part, 329,77 et 2 796 euros, dues respectivement à la société Alliance Batelière de la Sambre Belge et à M. B..., ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 11 octobre 2018 et la capitalisation de ces intérêts ;
3°) de mettre à la charge de Voies navigables de France la somme de 2 500 euros à leur verser solidairement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les moyens soulevés par Voies navigables de France ne sont pas fondés ;
- le préjudice d'exploitation est établi et M. B... avait droit au dispositif d'indemnisation quotidien des transporteurs fluviaux en cas d'incident impromptu prévu par la délibération du conseil d'administration du 19 juin 2014 de Voies navigables de France.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code des transports ;
- le décret n° 2012-556 du 28 décembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denizot, premier conseiller,
- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,
- et les observations de Me Fedida pour Voies navigables de France.
Considérant ce qui suit :
1. Le 7 décembre 2016, le bateau " Serjos " propriété de M. B..., batelier de nationalité belge, et assuré par la société civile d'assurances mutuelles de droit belge Alliance Batelière de la Sambre Belge (ABSB), a chargé au port de Sète 221,400 tonnes de tourteaux de soja à destination de Huningue, dans le Haut-Rhin. Pour rejoindre sa destination, le bateau a emprunté le 13 décembre 2016 la branche sud du canal du Rhône au Rhin. Du 15 au 18 décembre 2016, lors de son passage à hauteur de plusieurs écluses, le bateau " Serjos " a subi des avaries, qui ont fait l'objet pour certaines d'entre elles de constats avec le personnel des Voies navigables de France (VNF). Le batelier a demandé à VNF l'indemnisation de ses préjudices qui a été refusée. Par un jugement n° 1801833 du 17 juillet 2020, le tribunal administratif de Besançon a condamné VNF à verser, d'une part, à la société ABSB une somme de 5 615,27 euros, d'autre part, à M. B... une somme de 263,82 euros, assorties des intérêts au taux légal et leur capitalisation. VNF relève appel de ce jugement. Par des conclusions d'appel incident, M. B... et la société ABSB demandent la réformation de ce jugement en tant qu'il n'a pas accordé la totalité des sommes demandées.
Sur la responsabilité de VNF :
2. Il appartient à l'usager d'un ouvrage public qui demande réparation d'un préjudice qu'il estime imputable à cet ouvrage de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice invoqué et l'ouvrage. Le maître de l'ouvrage ne peut être exonéré de l'obligation d'indemniser la victime qu'en rapportant, à son tour, la preuve soit de l'entretien normal de l'ouvrage, soit que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.
En ce qui concerne l'imputabilité des dommages à l'ouvrage public :
3. Il résulte de l'instruction que la branche Sud du canal du Rhône au Rhin, qui présente le caractère d'un ouvrage public, a été fermée pendant un mois pour maintenance jusqu'au 12 décembre 2016. Il est constant que le bateau " Serjos " a emprunté cette branche, dès son ouverture, le 13 décembre 2016, par l'écluse n° 75 de Saint-Symphorien. Il résulte du carnet de jaugeage du navire ainsi que du poids de son chargement, tel que décrit par un courrier électronique du 9 décembre 2016, que l'enfoncement dans l'eau du " Serjos " était de 178 centimètres.
4. Selon les différentes déclarations d'accidents, le 15 décembre 2016, le " Serjos " s'est enlisé sur 50 mètres de long en amont de l'écluse n° 56 bis de Thoraise. Les 16 et 17 décembre 2016, en amont de l'écluse n° 42 d'Ougney, en aval de l'écluse n° 41, en amont de l'écluse n° 40 de Baumerousse et enfin entre l'écluse n° 32 et n° 28, le " Serjos " s'est envasé, a touché des pierres en fond de chenal et a reçu de nombreux chocs à l'hélice. Il résulte du rapport contradictoire de taxation des dégâts du 23 mars 2017, que le " Serjos " a subi deux catégories de dommages distincts, l'un au niveau de l'écluse n° 56 bis de Thorèse et l'autre au niveau de l'écluse n° 41 de Fourbanne.
5. Il résulte ainsi de l'instruction que seuls les dommages identifiés dans le rapport contradictoire de constatation des dégâts, occasionnés entre les écluses n° 56 et n° 35, peuvent être regardés comme imputables au canal du Rhône au Rhin.
En ce qui concerne l'entretien normal de l'ouvrage :
S'agissant des modalités de diffusion de l'avis à la batellerie :
6. Aux termes de l'article L. 4241-3 du code des transports : " Sans préjudice des compétences dévolues au représentant de l'Etat en matière de police de la navigation intérieure, le gestionnaire de la voie d'eau est compétent pour prendre les mesures temporaires d'interruption ou de modification des conditions de la navigation rendues nécessaires par les incidents d'exploitation, les travaux de maintenance ou des événements climatiques. La liste de ces mesures est fixée par voie réglementaire ". L'article D. 4411-3 du même code dispose que : " Les gestionnaires de voies navigables mettent en place et gèrent les services d'information fluviale conformément aux règlements communautaires relatifs aux orientations techniques concernant la planification, la mise en œuvre et l'exploitation opérationnelle des services, ainsi qu'aux spécifications techniques portant sur : (...) / 3° Les avis à la batellerie (...) ". L'article A. 4241-1 du même code précise que sont dénommés avis à la batellerie le mode de diffusion, le cas échéant par voie électronique, d'éléments de nature informative ou prescriptive concernant la navigation, émis par le gestionnaire de la voie d'eau ou par l'autorité chargée de la police de la navigation. L'article A. 4241-26 du même code dispose que : " 1. Les mesures temporaires édictées par le préfet en application de l'article A. 4241-26, et celles édictées par le gestionnaire en application du décret n° 2012-1556 du 28 décembre 2012 déterminant la liste des mesures temporaires d'interruption ou de modification des conditions de la navigation pouvant être prises par le gestionnaire de la voie d'eau, pris en application de l'article L. 4241-3, sont diffusées par voie d'avis à la batellerie (...) ". Enfin, l'article 1er du décret du 28 décembre 2012 déterminant la liste des mesures temporaires d'interruption ou de modification des conditions de la navigation pouvant être prises par le gestionnaire de la voie d'eau indique que " en application de l'article L. 4241-3 du code des transports, en cas d'incident d'exploitation, de travaux de maintenance ou d'événement climatique, le gestionnaire de la voie d'eau peut, à titre temporaire, prendre les mesures suivantes : (...) / 5° Modifier les caractéristiques de la voie navigable fixées par les règlements particuliers de police (...) ". L'article 5 du même décret précise que " (...) le gestionnaire de la voie d'eau est tenu de mettre en place les moyens appropriés afin d'informer les usagers de la voie d'eau ainsi que les gestionnaires des voies d'eau situées en continuité des mesures temporaires qu'il a prises en application de l'article 1er (...) ".
7. Par un avis à la batellerie n° FR/2016/06486 du 14 décembre 2016 publié sur l'application " AvisBat " le 14 décembre 2016 à 11 heures 42, VNF a informé les usagers de la voie d'eau que, dans les deux sens de navigation en raison de l'insuffisance de la ressource en eau, entre les écluses n° 56 de Thoraise et n° 35 de l'Ermite " le mouillage garanti est abaissé à 1,80 mètres (m) au vu des conditions météorologiques actuelles. La navigation est extrêmement délicate au-delà de 1,65 m de tirant d'eau ".
8. Contrairement à ce qui est soutenu, M. B... ne justifie pas de l'impossibilité d'avoir pu se connecter à l'application " AvisBat ", dont l'accès est gratuit. Par ailleurs, il ne résulte aucunement de l'instruction que les informations contenues dans la copie d'écran de l'application " AvisBat " seraient erronées ou inauthentiques. Enfin, M. B..., batelier très expérimenté et naviguant habituellement sur le réseau fluvial européen, ne pouvait nullement ignorer l'existence et les modalités d'accès à cette application. Par suite, compte tenu des caractéristiques de l'application " AvisBat ", VNF apporte la preuve que les modalités de publication de cet avis à la batellerie constituaient un moyen approprié d'information des usagers sur les difficultés de navigation et dangers existants sur la branche sud du canal du Rhône au Rhin.
S'agissant du caractère suffisant de l'avertissement :
9. En premier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la branche sud du canal du Rhône au Rhin aurait été ouverte à la navigation, le 13 décembre 2016, de manière trop anticipée.
10. En deuxième lieu, ainsi que le soutient pour la première fois en appel VNF, dont les explications ne sont pas démenties par les intimés, le rectangle de navigation comprend le tirant d'eau, c'est-à-dire l'enfoncement du bateau dans l'eau en raison de sa charge, auquel il convient d'ajouter, pour permettre le bon écoulement des eaux et éviter un effet piston, une marge de sécurité, entre 20 et 50 centimètres, dénommée " pied de pilote ". Dès lors, et contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, alors que l'enfoncement du " Serjos " dans l'eau était de 178 centimètres, le mouillage de ce bateau excédait nécessairement 180 cm. Il suit de là que l'avis de la batellerie contenaient des indications suffisantes quant aux difficultés qu'allait rencontrer le propriétaire du bateau en litige.
11. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que l'avis à la batellerie précité a été publié le 14 décembre 2016, soit plus d'une journée avant que le bateau " Serjos " n'arrive sur le secteur du canal concerné par les difficultés de navigation. Par suite, et alors qu'il était loisible au bateau " Serjos " de s'immobiliser dans des conditions n'entravant pas la navigation, il ne résulte pas de l'instruction que l'avis à la batellerie en litige aurait été émis tardivement.
12. Ainsi, compte tenu de la nature des risques, localisés et signalés avec précision par VNF avant la survenance des avaries affectant le " Serjos " survenues entre les écluses n° 56 de Thoraise et n° 35 de l'Ermite, VNF apporte la preuve, qui lui incombe, de l'entretien normal du canal.
13. Il résulte de tout ce qui précède que VNF est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué n° 1801833, le tribunal administratif de Besançon l'a condamné à verser à la société ABSB et à M. B... les sommes respectives de 5 615,27 euros et 263,82 euros. Le jugement n° 1801833, du tribunal administratif de Besançon est par suite annulé et la demande de la société ABSB et M. B... ainsi que leurs conclusions d'appel incident rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de VNF le versement de la somme demandée par M. B... et la société ABSB. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de VNF présentées sur le fondement de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1801833 du 17 juillet 2020 du tribunal administratif de Besançon est annulé.
Article 2 : La demande et les conclusions d'appel incident ainsi que celles tendant à l'application de de l'article L. 761-1 du code de justice administrative de M. B... et de la société civile d'assurances mutuelles de droit belge Alliance batelière de la Sambre belge sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de Voies navigables de France tendant au bénéfice de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la société civile d'assurances mutuelles de droit belge Alliance batelière de la Sambre belge et à Voies navigables de France.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,
- M. Denizot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2023.
Le rapporteur,
Signé : A. DenizotLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
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N° 20NC02716