La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/04/2023 | FRANCE | N°20NC02646

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 04 avril 2023, 20NC02646


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, de condamner la SA Enedis à procéder à l'enlèvement de la ligne électrique souterraine installée sur leur propriété, d'autre part, de condamner la SA Enedis à leur verser la somme de 6 500 euros HT au titre des frais de remise en l'état de leur propriété et la somme de 6 000 euros au titre de leurs troubles de jouissance engendrés par l'exécution des travaux.

Par un jugement n° 1804220 du 7 juillet

2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.

Procédure dev...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, de condamner la SA Enedis à procéder à l'enlèvement de la ligne électrique souterraine installée sur leur propriété, d'autre part, de condamner la SA Enedis à leur verser la somme de 6 500 euros HT au titre des frais de remise en l'état de leur propriété et la somme de 6 000 euros au titre de leurs troubles de jouissance engendrés par l'exécution des travaux.

Par un jugement n° 1804220 du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 8 septembre 2020, 1er septembre 2021, 17 novembre 2021, 29 avril 2022, et 13 septembre 2022, M. et Mme B..., représentés en dernier lieu par Me Tadic, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1804220 du 7 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la société Enedis ;

2°) de condamner la société Enedis, d'une part, à effectuer l'enlèvement de la ligne électrique souterraine d'une longueur de près de deux cents mètres sur leur propriété et contenant une conduite électrique de 20 000 volts, d'autre part, à effectuer les travaux dans le respect des règles de l'art notamment en remettant le terrain dans un état garantissant la sécurité des personnes et des animaux et enfin de nettoyer le cas échéant les abords des travaux ;

3°) de condamner la société Enedis à leur verser la somme de 6 500 euros HT au titre des frais de remise en l'état de leur propriété et la somme de 6 000 euros au titre des troubles de jouissance engendrés par l'exécution des travaux ;

4°) d'ordonner une expertise technique afin notamment de constater et décrire l'ensemble des désordres, d'en rechercher les causes et les origines, de décrire et chiffrer les travaux nécessaires à mettre en œuvre pour y remédier, de déterminer tout élément permettant de déterminer les responsabilités et de chiffrer tout préjudice annexe ;

5°) de mettre à la charge de la société Enedis la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les frais de la procédure de référé.

Ils soutiennent que :

- l'organisation d'une nouvelle expertise judiciaire serait utile dans la mesure où la société Enedis ne justifie pas de l'innocuité des travaux réalisés pour les personnes et les animaux, que le sol ne cesse de s'affaisser et qu'ils ont été victimes d'une inondation ;

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, leur demande tendant à la condamnation de la société Enedis n'est pas irrecevable dans la mesure où ils ont adressé à cette société plusieurs correspondances réclamant la réparation de leur préjudice et que cette dernière ayant le statut d'une société privée, l'article R. 421-1 du code de justice administrative ne lui est pas applicable ;

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, leur demande d'injonction n'a pas été adressée à la commune de Morhange mais à la société Enedis qui n'est pas une administration.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 31 mars 2021 et 17 mars 2022, la SA Enedis, représentée par Me Wetterer, conclut, à titre principal, au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. et Mme B... la somme de 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et, à titre subsidiaire, à ce que l'indemnité allouée aux époux B... soit ramenée à une somme de 3 250 euros et de laisser à la charge de chacune des parties les frais et dépens, y compris ceux relatifs à la procédure de référé.

Elle soutient que :

- à titre principal, les conclusions indemnitaires, qui n'ont pas été précédées d'une demande préalable et qui ne sont pas chiffrées, ainsi que celles à fin d'injonction sont irrecevables ;

- à titre subsidiaire, le déplacement du réseau enterré, qui ne cause aucune gêne aux époux B..., porterait une atteinte manifestement disproportionnée à l'intérêt général ;

- les prétentions indemnitaires ne sont pas fondées et ne peuvent, en tout état de cause, pas prospérer au-delà d'une somme supérieure à 3 250 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denizot, premier conseiller,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me Tadic pour M. et Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme B... sont propriétaires d'une maison d'habitation composée d'un corps de ferme situé à Morhange. Par un jugement du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant d'une part, à la condamnation de la société Enedis à procéder à l'enlèvement de la ligne électrique souterraine installée sur leur propriété, d'autre part, à la condamnation de la société Enedis à leur verser la somme globale de 12 500 euros au titre de la réparation des préjudices subis en raison de l'exécution des travaux réalisés par la société Enedis. M. et Mme B... relèvent appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable au litige : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ".

3. Il résulte de la modification apportée à l'article R. 421-1 du code de justice administrative par le décret du 2 novembre 2016 que, depuis l'entrée en vigueur de ce décret le 1er janvier 2017, l'exigence résultant de cet article, tenant à la nécessité, pour saisir le juge administratif, de former recours dans les deux mois contre une décision préalable, est en principe applicable aux recours relatifs à une créance en matière de travaux publics. Toutefois, si les dispositions de l'article

R. 421-1 n'excluent pas qu'elles s'appliquent à des décisions prises par des personnes privées, dès lors que ces décisions revêtent un caractère administratif, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune règle générale de procédure ne détermine les effets du silence gardé sur une demande par une personne morale de droit privé qui n'est pas chargée d'une mission de service public administratif. Dans ces conditions, en l'absence de disposition déterminant les effets du silence gardé par une telle personne privée sur une demande qui lui a été adressée, les conclusions, relatives à une créance née de travaux publics, dirigées contre une telle personne privée ne sauraient être rejetées comme irrecevables faute de la décision préalable prévue par l'article R. 421-1 du code de justice administrative.

4. La société Enedis, dans le cadre de sa mission d'approvisionnement en électricité, a en charge une mission de service public industriel et commercial et non un service public administratif. Par suite, les dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, relatives à l'exigence d'une décision préalable à tout contentieux indemnitaire, ne lui sont pas applicables. Dès lors, M. et Mme B... sont fondés à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier en tant qu'il a rejeté leurs conclusions indemnitaires comme irrecevables en raison de l'absence de demande indemnitaire préalable prévue par l'article R. 421-1 du code de justice administrative.

5. En second lieu, il n'appartient pas à la cour administrative d'appel de s'interroger d'office sur le bien-fondé de l'irrecevabilité opposée par les premiers juges.

6. Dans le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a estimé que les conclusions à fin d'injonction de M. et Mme B... étaient irrecevables en raison d'une part, de l'impossibilité pour le juge administratif de prononcer, en dehors de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, des injonctions à l'administration, et d'autre part, qu'elles ne pouvaient être prononcées en réparation du préjudice allégué en raison de l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires.

7. D'une part, le principe selon lequel, sauf exception, il n'appartient au juge administratif d'adresser à titre principal des injonctions à l'administration s'applique, contrairement à ce qui est soutenu, également aux personnes privées. Les requérants n'allèguent pas que leurs conclusions relèveraient d'une exception. D'autre part, M. et Mme B... ne contestent pas le second motif d'irrecevabilité. Ils ne sont par suite pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté pour irrecevabilité leurs conclusions dirigées contre ENEDIS et non, comme l'énonce par une erreur de plume le jugement contre la commune de Morhange, tendant à ce que la ligne soit enlevée.

8. Il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué en tant uniquement qu'il a rejeté comme irrecevable la demande indemnitaire présentée par M. et Mme B... est irrégulier et doit, dans cette mesure, être annulé. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur cette demande.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne l'autre fin de non-recevoir qui a été opposée à la demande indemnitaire de première instance :

9. Si des conclusions tendant à une condamnation pécuniaire doivent en principe être chiffrées devant les juges de première instance, cette irrégularité est régularisable même après l'expiration du délai de recours contentieux tant qu'il n'a pas été statué sur leur demande. Dans leur demande initiale adressée au tribunal administratif de Strasbourg, M. et Mme B... se sont réservés la possibilité de chiffrer leur demande d'indemnité dans l'attente des conclusions d'une expertise. Après le dépôt du rapport de l'expert, M. et Mme B... ont, dans un mémoire en réplique, estimé leur préjudice à la somme globale de 12 500 euros. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de l'absence de chiffrage de la demande indemnitaire de M. et Mme B... présentée devant le tribunal administratif de Strasbourg doit également être rejetée.

En ce qui concerne la responsabilité de la société Enedis :

10. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel.

11. Il résulte de l'instruction que la société Enedis a réalisé, du 10 juin au 10 juillet 2013, des travaux de raccordement à la ligne grande vitesse TGV Est. Ces travaux ont eu pour objet d'enfouir une ligne électrique sous la parcelle appartenant aux époux B... et de démolir et construire un nouveau transformateur. L'expert désigné par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg, dans son rapport du 11 juillet 2018, a estimé que les vibrations dues aux travaux d'enfouissement ont uniquement contribué à la réalisation des fissures sur le carrelage de la salle à manger et du pignon arrière de la maison d'habitation des requérants. Il ajoute cependant que ces dommages résultent également pour moitié de l'état initial dégradé de la propriété. En revanche, l'expert, dont les conclusions ne sont pas sérieusement remises en cause par M. et Mme B..., exclut catégoriquement que les fissures affectant le muret et la dalle de la terrasse, l'angle des écuries, le mur de la carrière et le hangar de remisage soient imputables aux travaux réalisés par la société Enedis.

12. Par suite, M. et Mme B..., tiers par rapport aux travaux d'enfouissement de la ligne électrique, sont fondés à rechercher la responsabilité partielle de la société Enedis.

En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :

13. En premier lieu, selon l'expert, les travaux de réparation du carrelage de la salle à manger et du pignon arrière de la maison M. et Mme B... s'élèvent à une somme totale de 6 500 euros HT. Compte tenu de la part à laquelle les travaux de la société Enedis a contribué à la réalisation de ces dommages, il sera fait une exacte appréciation de ce préjudice en le fixant à la somme de 3 250 euros HT.

14. En second lieu, si M. et Mme B... soutiennent avoir subi des troubles de jouissance du fait des travaux d'enfouissement, qui n'ont duré qu'un mois, ils n'établissent toutefois aucunement l'existence d'un tel préjudice.

15. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner la mesure d'expertise sollicitée à hauteur d'appel, que M. et Mme B... sont seulement fondés à demander la condamnation de la société Enedis à leur verser la somme totale de 3 250 euros HT.

Sur les dépens :

16. Par une ordonnance du 6 septembre 2018, la présidente du tribunal administratif de Strasbourg a mis à la charge de M. B... les frais et honoraires d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 191,24 euros TTC. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre définitivement ces frais à la charge de la société Enedis.

Sur les frais liés à l'instance :

17. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Enedis une somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. et Mme B... et non compris dans les dépens. En revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. et Mme B..., qui ne sont pas pour l'essentiel, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Enedis demande au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1804220 du 7 juillet 2020 du le tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il a rejeté la demande indemnitaire de M. et Mme B... est annulé.

Article 2 : La SA Enedis est condamnée à verser à M. et Mme B... une somme de 3 250 euros.

Article 3 : Le surplus de la demande indemnitaire de première instance présentée par M. et Mme B... devant le tribunal administratif de Strasbourg est rejeté.

Article 4 : Les frais et honoraires d'expertise liquidés et taxés à la somme de 1 191, 24 euros TTC sont définitivement mis à la charge de la SA Enedis.

Article 5 : La SA Enedis versera à M. et Mme B... une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions de la SA Enedis sont rejetés.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., Mme C... B... et à la SA Enedis.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2023.

Le rapporteur,

Signé : A. DenizotLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au préfet de la Moselle en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 20NC02646


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC02646
Date de la décision : 04/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: M. Arthur DENIZOT
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : ODENHEIMER et HENNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-04-04;20nc02646 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award