La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/04/2023 | FRANCE | N°20NC01061

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 04 avril 2023, 20NC01061


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Freycenon Rossit Architectes a demandé au tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne de condamner le département des Ardennes, à lui verser, à titre principal, une somme de 427 007,02 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2018, date de sa demande préalable d'indemnisation, en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de sa décision de classer sans suite la procédure de passation du marché de maîtrise d'œuvre portant sur la construction

d'une maison départementale de l'enfance et de la famille à Charleville-Mézières, et à ti...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Freycenon Rossit Architectes a demandé au tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne de condamner le département des Ardennes, à lui verser, à titre principal, une somme de 427 007,02 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2018, date de sa demande préalable d'indemnisation, en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de sa décision de classer sans suite la procédure de passation du marché de maîtrise d'œuvre portant sur la construction d'une maison départementale de l'enfance et de la famille à Charleville-Mézières, et à titre subsidiaire, une somme de 40 320 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2018, date de sa demande préalable d'indemnisation, en réparation des préjudices résultant de son comportement fautif dans le cadre de la passation de ce marché.

Par un jugement n° 1801608 du 23 mars 2020, le tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne a rejeté la demande de la requérante.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 11 mai 2020 et 7 mai 2021, la société Freycenon Rossit Architectes, représentée par Me Choffrut, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1801608 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 23 mars 2020 ;

2°) à titre principal, de condamner le département des Ardennes à lui verser une somme de 427 007,02 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2018, date de sa demande préalable d'indemnisation, avec capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices subis résultant de l'illégalité de sa décision de classer sans suite la procédure de passation du marché de maîtrise d'œuvre portant sur la construction d'une maison départementale de l'enfance et de la famille à Charleville-Mézières, sur le fondement de la responsabilité contractuelle ou à défaut de la responsabilité délictuelle ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner le département des Ardennes à lui verser une somme de 40 320 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2018, date de sa demande préalable d'indemnisation, avec capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices résultant de son comportement fautif dans le cadre de la passation de ce marché ;

4°) de mettre à la charge du département des Ardennes une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

à titre principal, sur le fondement de la responsabilité contractuelle :

- au regard de son comportement et de la chronologie des faits, et notamment de son message du 3 août 2017 lui demandant de régulariser l'acte d'engagement et de commencer l'exécution des travaux, la collectivité a manifesté explicitement sa volonté de contracter, de sorte qu'il existe un contrat entre elle et le conseil départemental des Ardennes ;

- la responsabilité contractuelle du département des Ardennes doit être engagée pour avoir déclaré sans suite la procédure, dès lors que cette décision n'était pas justifiée par un motif d'intérêt général ; si le motif invoqué est celui du dépassement de la date de validité de son offre, ce dépassement n'est dû qu'à l'inertie de la collectivité qui, malgré l'attribution du marché et sa demande expresse de débuter les travaux, a refusé de lui notifier en retour l'acte d'engagement ;

- le choix de déclarer la procédure sans suite alors que le marché lui avait été attribué est fautif ; c'est sur le fondement de la responsabilité contractuelle et donc de la résiliation unilatérale fautive que le tribunal administratif aurait dû se fonder ;

- elle est fondée à demander l'indemnisation de son manque à gagner, qui s'élève, compte tenu de son taux de marge nette de 61,06 %, à la somme de 427 007,02 euros HT ;

à titre subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité délictuelle :

- le jugement est irrégulier car les premiers juges ont omis de répondre à ses conclusions fondées sur la responsabilité délictuelle ; ce fondement juridique se trouve dans ses écritures de première instance ;

- sans motif d'intérêt général justifié, elle a droit à être indemnisée de son manque à gagner ;

- par son comportement, la collectivité a manifesté son intention de lui attribuer le marché et l'a incitée à commencer son exécution ce qui justifie qu'elle soit indemnisée de son manque à gagner ;

- elle est fondée à titre infiniment subsidiaire à demander l'indemnisation des frais qu'elle a engagés à la demande de la collectivité, soit :

. la réalisation d'une maquette vidéo pour un montant de 8 600 euros HT (10 320 euros TTC), prestation prévue au contrat qui devait être réalisée pendant la phase d'études d'avant-projet sommaire et d'avant-projet définitif ;

. et l'ensemble des frais exposés pour assurer l'exécution de ce marché, comprenant l'embauche de personnel, soit la somme de 30 000 euros HT.

Par un mémoire enregistré le 5 novembre 2020, le département des Ardennes, représenté par Me Dreyfus, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce que soit mise à la charge de la société Freycenon Rossit Architectes la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les conclusions présentées sur le fondement de la responsabilité délictuelle pour la première fois en appel sont irrecevables car fondées sur une cause juridique distincte de celle soulevée en première instance ;

- si la requérante fait valoir que le tribunal administratif n'aurait pas statué sur sa demande d'indemnisation de son manque à gagner sur le fondement de la responsabilité délictuelle et aurait ainsi entaché son jugement d'illégalité, ses conclusions de première instance étaient uniquement fondées sur la responsabilité contractuelle, le jugement est ainsi, sur ce point, régulier et les premiers juges n'ont commis aucune omission à statuer ;

- le marché n'a jamais fait l'objet d'une quelconque décision d'attribution ;

- aucune décision de résiliation n'est intervenue et la procédure a été légalement déclarée sans suite ;

- il n'y a eu aucun commencement d'exécution du contrat ; les échanges entre les parties se sont toujours inscrits dans le cadre de la négociation ;

- l'article 98 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 prévoit la possibilité de déclarer la procédure sans suite à tout moment, sans reprendre l'exigence anciennement prévue par le code des marchés publics relative au motif d'intérêt général ;

- en tout état de cause, il a fondé sa décision sur un motif d'intérêt général dans la mesure où le pouvoir adjudicateur ne pouvait légalement attribuer le marché dès lors que la durée de validité des offres avait expirée ;

- la société requérante ne démontre à aucun moment la réalité de son préjudice.

Par une ordonnance du 19 janvier 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 1er mars 2022 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la commande publique ;

- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;

- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;

- le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Roussaux, rapporteure,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me Boia, représentant la société Freycenon Rossit Architectes et Me Grail, représentant le département des Ardennes.

Une note en délibéré, présentée, pour le département des Ardennes, a été enregistrée le 17 mars 2023.

Considérant ce qui suit :

1. En vue de construire une maison départementale de l'enfance et de la famille à Charleville-Mézières, le département des Ardennes a, pour le choix de son maître d'œuvre, lancé une procédure du concours restreint. Le jury du concours a, par sa délibération du 7 juillet 2017, classé la société Freycenon Rossit Architectes en première position. Par une lettre du 14 février 2018, le département a informé cette société qu'elle était lauréate du concours mais que la procédure était classée sans suite au motif que son offre n'était plus valide. La société a formé, le 18 avril 2018, une réclamation indemnitaire préalable, rejetée le 14 juin 2018. Elle a alors demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne la condamnation du département à lui verser une somme de 427 007,02 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis, résultant de cette décision, et à titre subsidiaire, la condamnation du département à lui verser une somme de 40 320 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison du comportement fautif de la collectivité. Par un jugement du 23 mars 2020, le tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne a rejeté la demande de la requérante. La société Freycenon Rossit Architectes relève appel de ce jugement.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de la responsabilité contractuelle :

2. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'avis du jury du 7 juillet 2017 classant première la société Freycenon Rossit Architectes, le département des Ardennes est entré en négociation avec la requérante ainsi que cela ressort du compte rendu du 26 juillet 2017 produit au dossier et intitulé " réunion de négociation avec le lauréat ". Si, par la suite, le département des Ardennes a transmis le 27 juillet 2017 à la société " un règlement de négociation relatif à une seconde négociation du marché " et a notamment demandé à la société de lui remettre un nouvel acte d'engagement signé, ces échanges de mails se sont uniquement inscrits dans la seconde phase de négociation. Enfin, l'acte d'engagement transmis par la société requérante le 22 août 2017 au département des Ardennes n'a pas été signé par la collectivité, cette dernière ayant, par lettre du 14 février 2018, informé la société de ce qu'elle était lauréate mais qu'elle classait la procédure de passation du marché sans suite.

3. Il résulte de ce qui précède que le marché de maîtrise d'œuvre n'a pas été conclu entre la société et le département. La société Freycenon Rossit Architectes n'est donc pas fondée à rechercher la responsabilité contractuelle du département des Ardennes et ses conclusions indemnitaires présentées sur ce fondement doivent être rejetées.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

4. Contrairement à ce que soutient la société Freycenon Rossit Architectes, les premiers juges ont répondu à sa demande d'indemnisation au titre du manque à gagner sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle au point 6 du jugement attaqué. Dès lors, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté.

En ce qui concerne la recevabilité des conclusions d'appel fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle :

5. Il ressort des écritures de première instance de la société requérante que celle-ci a fondé sa demande indemnitaire également sur l'illégalité fautive de la décision classant sans suite la procédure ainsi que sur le comportement fautif de la collectivité à lui avoir fait croire qu'elle aurait le marché en l'incitant à commencer son exécution avant de classer la procédure d'attribution sans suite, qui relèvent du fondement quasi-délictuel. Par suite, le département n'est pas fondé à soutenir que les conclusions présentées en appel sur ce fondement seraient nouvelles.

En ce qui concerne les fautes du département des Ardennes :

S'agissant du classement sans suite fautif :

6. Il y a lieu d'adopter les motifs circonstanciés, retenus à bon droit par le tribunal aux points 3 à 6 du jugement attaqué, pour rejeter les conclusions de la société requérante tendant à obtenir l'indemnisation de son manque à gagner résultant du classement sans suite fautif de la procédure de concours restreint.

S'agissant du comportement fautif de la collectivité à lui avoir fait croire qu'elle obtiendrait le marché en incitant la société requérante à commencer l'exécution du marché avant de classer la procédure d'attribution sans suite :

7. Il résulte de l'instruction que par un courrier électronique du 3 août 2017, le département des Ardennes a demandé à la société Freycenon Rossit Architectes de réaliser une maquette vidéo du projet, visant à assurer sa présentation au public, alors que les parties en étaient en seconde phase de négociation. Cette prestation relevait de la phase de l'avant-projet sommaire et définitif du marché selon le règlement de consultation.

8. Ainsi, en demandant à la société de fournir ce projet de maquette et donc à exposer des frais en vue de l'exécution d'un marché qui ne lui a finalement pas été confié, le département des Ardennes a commis une faute de nature à engager sa responsabilité envers la société.

9. Si la requérante justifie avoir exposé la somme de 10 320 euros toutes taxes comprises (TTC) (8 600 euros hors taxes (HT)) pour la réalisation de cette maquette, il ne résulte pas de l'instruction que le manque à gagner sollicité et les autres frais que la société requérante allègue avoir engagés, dont la pérennisation d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, au demeurant non établis, résulteraient de la faute du département retenue au point précédent.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Freycenon Rossit Architectes est uniquement fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la condamnation du département des Ardennes à lui verser la somme de 10 320 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de la demande préalable, soit le 19 avril 2018. La capitalisation des intérêts a été demandée, pour la première fois en appel, le 11 mai 2020. A cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Dans les circonstances de l'espèce, il n'apparait pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais d'instance qu'elles ont exposés.

D E C I D E :

Article 1er : Le département des Ardennes est condamné à verser à la société Freycenon Rossit Architectes la somme de 10 320 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 avril 2018. Les intérêts échus à la date du 11 mai 2020 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : L'article 1er du jugement n° 1801608 du 23 mars 2020 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la société Freycenon Rossit Architectes et les conclusions du département des Ardennes sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Freycenon Rossit Architectes et au département des Ardennes.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2023.

La rapporteure,

Signé : S. RoussauxLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au préfet des Ardennes en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 20NC01061


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC01061
Date de la décision : 04/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : LE CAB AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-04-04;20nc01061 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award