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21/03/2023 | FRANCE | N°21NC00999

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 21 mars 2023, 21NC00999


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Commission de protection des eaux de Franche-Comté a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de la Haute-Saône a refusé d'ordonner aux exploitants de terres agricoles situées sur les communes de Semmadon et Oigney et appartenant à la SCEA de la Vigne de Padoux de remettre en état les lieux en application de l'article L. 171-7 du code de l'environnement. L'association Commission de protection des eaux de Franche-Comté a également

demandé au tribunal l'annulation de l'arrêté du 4 mars 2019 par lequel le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Commission de protection des eaux de Franche-Comté a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de la Haute-Saône a refusé d'ordonner aux exploitants de terres agricoles situées sur les communes de Semmadon et Oigney et appartenant à la SCEA de la Vigne de Padoux de remettre en état les lieux en application de l'article L. 171-7 du code de l'environnement. L'association Commission de protection des eaux de Franche-Comté a également demandé au tribunal l'annulation de l'arrêté du 4 mars 2019 par lequel le préfet de la Haute-Saône a, d'une part, retiré la décision implicite rejetant la demande de dérogation présentée sur le fondement de l'article L. 411-2 du code de l'environnement par la SCEA de la Vigne de Padoux et a, d'autre part, délivré cette dérogation.

Par un jugement n°s 1802135, 1900841 du 26 janvier 2021, le tribunal administratif de Besançon a annulé l'arrêté du 4 mars 2019 du préfet de la Haute-Saône, a enjoint à ce préfet de mettre en œuvre les pouvoirs qu'il tient des dispositions de l'article L. 171-7 du code de l'environnement à l'égard de la SCEA de la Vigne de Padoux, a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros à l'association Commission de protection des eaux de Franche-Comté sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des demandes de l'association.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 mars 2021 et le 27 septembre 2021, M. B... A... et la SCEA de la Vigne de Padoux, représentés par Me Costa-Ramos, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon ;

2°) de rejeter les demandes de l'association Commission de protection des eaux de Franche-Comté ;

3°) de mettre à la charge de l'association Commission de protection des eaux de Franche-Comté la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, leur projet est justifié par une raison impérative d'intérêt public majeur ;

- la biodiversité de la haie supprimée a été largement compensée et même améliorée.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 27 août 2021 et le 25 octobre 2021, l'association Commission de protection des Eaux de Franche-Comté, représentée par Me Dufour, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de M. A... et de la SCEA de la Vigne de Padoux la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés doivent être écartés.

La requête a été communiquée à la ministre de la transition écologique qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- et les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La SCEA de la Vigne de Padoux est propriétaire de 78 hectares de parcelles situées sur le territoire des communes de Semmadon et Oigney. Afin de permettre l'installation d'un nouveau projet agricole porté par M. A..., ces parcelles, qui étaient initialement utilisées comme prairies d'élevage, ont fait l'objet d'importants travaux en janvier 2014 pour permettre leur mise en culture. De nombreuses haies accueillant une riche faune ont notamment été arrachées à cette occasion. Par un courrier du 25 février 2014, l'association Commission de protection des eaux de Franche-Comté a demandé au préfet de la Haute-Saône de mettre en demeure les responsables de ces travaux de déposer un dossier de demande de dérogation à l'interdiction de destruction des habitats d'espèces protégées. Le rejet opposé par le préfet à cette demande a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Besançon du 22 décembre 2016. La SCEA de la Vigne de Padoux a sollicité, le 21 février 2017, la délivrance d'une dérogation à l'interdiction de destruction, d'altération et de dégradation de sites de reproduction ou d'aires de repos de spécimens d'animaux protégés. Cette demande a été implicitement rejetée le 21 juin 2017 et l'association Commission de protection des eaux de Franche-Comté a sollicité, le 30 juillet 2018, du préfet de la Haute-Saône la mise en demeure de la SCEA de la Vigne de Padoux de remettre en état les lieux en application de l'article L. 171-7 du code de l'environnement. Cette demande a été implicitement rejetée. Le préfet de

la Haute-Saône a, par un arrêté du 4 mars 2019, d'une part, retiré la décision implicite rejetant la demande de dérogation présentée par la SCEA de la Vigne de Padoux et a, d'autre part, accordé cette dérogation. L'association Commission de protection des eaux de Franche-Comté a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler tant la décision implicite du préfet rejetant sa demande tendant à ce que la SCEA de la Vigne de Padoux soit mise en demeure de remettre en état le site exploité que l'arrêté du préfet de la Haute-Saône du 4 mars 2019. Par un jugement du 26 janvier 2021, dont la SCEA de la Vigne de Padoux et M. A..., co-gérant de cette société, demandent l'annulation, le tribunal administratif de Besançon a annulé l'arrêté du 4 mars 2019 du préfet de la Haute-Saône, a enjoint à ce préfet de mettre en œuvre les pouvoirs qu'il tient des dispositions de l'article L. 171-7 du code de l'environnement à l'égard de la SCEA de la Vigne de Padoux, a mis à la charge de l'Etat le versement à l'association Commission de protection des eaux de Franche-Comté de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des demandes de l'association.

Sur la régularité du jugement :

2. Les conditions posées par les dispositions du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement à la délivrance d'une autorisation à la destruction, l'altération ou la dégradation de sites de reproduction ou d'aires de repos sont cumulatives. Par suite, les premiers juges ont pu annuler l'autorisation accordée au seul motif que le projet d'installation de M. A... ne présentait pas une raison impérative d'intérêt public majeur et donc sans se prononcer sur les deux autres conditions prévues par ces dispositions. Par suite, alors que les critiques des requérants relatives à l'appréciation des premiers juges quant à l'absence d'une telle raison impérieuse à leur projet n'a pas trait à la suffisance de la motivation du jugement, mais à son bien-fondé, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Le I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement comporte un ensemble d'interdictions visant à assurer la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats. Sont ainsi interdits en vertu du 1° du I de cet article : " La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ". Sont interdits en vertu du 2° du I du même article : " La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ". Sont interdits en vertu du 3° du I du même article : " La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ". Toutefois, le 4° du I de l'article L. 411-2 du même code permet à l'autorité administrative de délivrer des dérogations à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions cumulatives tenant à l'absence d'autre solution satisfaisante, à la condition de ne pas nuire " au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle " et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs qu'il énumère limitativement, dont celui énoncé au c) qui mentionne " l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ", " d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique " et " les motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ".

4. Il résulte de ces dispositions qu'un projet de travaux, d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, sur le fondement du c du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement que s'il répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur. En présence d'un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées, appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d'une part, il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et, d'autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

5. Il résulte du point précédent que l'intérêt de nature à justifier, au sens du c du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, la réalisation d'un projet doit être d'une importance telle qu'il puisse être mis en balance avec l'objectif de conservation des habitats naturels, ainsi que de la faune et de la flore sauvages poursuivi par la législation, justifiant ainsi qu'il y soit dérogé. Ce n'est qu'en présence d'un tel intérêt que les atteintes portées par le projet en cause aux espèces protégées sont prises en considération, en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, afin de vérifier s'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et si la dérogation demandée ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

6. L'arrêté du 4 mars 2019 en litige retient que les travaux entrepris sur les parcelles de la SCEA de la Vigne de Padoux présentent une raison impérative d'intérêt public majeur, car ils permettent l'installation d'un jeune agriculteur et satisfont ainsi à une finalité socio-économique. Dans ses écritures en défense devant le tribunal, le préfet précise que l'intérêt socio-économique résulte également du maintien en activité de l'épouse de l'ancien exploitant jusqu'à son admission à la retraite et de l'emploi d'un salarié à temps partiel, alors qu'aucun autre projet sérieux de reprise n'avait été présenté sur une installation vétuste, et il relève que le projet permet la réalisation d'une installation collective de méthanisation. Toutefois, d'une part, il ne résulte, en tout état de cause, pas de l'instruction que la réalisation et le fonctionnement de cet équipement seraient conditionnés par l'installation de la SCEA de la Vigne de Padoux et, d'autre part, en dépit de ce que la biodiversité de la haie supprimée a été largement compensée et même améliorée, l'intérêt socio-économique présenté ci-dessus ne suffit pas à caractériser la condition de raison impérative d'intérêt public majeur. Dans ces conditions et alors que M. A... et la SCEA de la Vigne de Padoux ne peuvent utilement soutenir que le projet présente d'autres avantages dès lors que l'arrêté litigieux ne s'est pas fondé sur de tels intérêts pour retenir l'existence d'une raison impérative d'intérêt public majeur et que seule l'administration autrice de l'acte peut solliciter une substitution de motif, les travaux réalisés ne satisfont pas à l'une des conditions cumulatives posées au 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement. L'arrêté litigieux, qui est donc entaché d'une erreur d'appréciation, est ainsi illégal.

7. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... et la SCEA de la Vigne de Padoux ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Besançon a annulé l'arrêté du préfet de la Haute-Saône du 4 mars 2019.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'association Commission de protection des eaux de Franche-Comté, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. A... et de la SCEA de la Vigne de Padoux au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. A... et de la SCEA de la Vigne de Padoux le versement d'une somme à l'association Commission de protection des eaux de Franche-Comté sur le fondement de ces dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... et de la SCEA de la Vigne de Padoux est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'association Commission de protection des eaux de Franche-Comté sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A..., à la SCEA de la Vigne de Padoux, à l'association Commission de protection des eaux de Franche-Comté et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré après l'audience du 28 février 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président,

- Mme Haudier, présidente assesseure,

- M. Marchal, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2023.

Le rapporteur,

Signé : S. C...

Le président,

Signé : C. WURTZLe greffier,

Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N° 21NC00999

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00999
Date de la décision : 21/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

44-045-01 Nature et environnement.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Swann MARCHAL
Rapporteur public ?: M. BARTEAUX
Avocat(s) : LEGI CONSEILS BOURGOGNE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-03-21;21nc00999 ?
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