Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 27 avril 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2104647 du 1er octobre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 mai 2022, Mme B..., représentée par Me Mengus, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 1er octobre 2021 ;
2°) d'annuler cet arrêté du 27 avril 2021 ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir et, dans l'attente, un récépissé de demande de titre de séjour ou une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision de refus de titre de séjour est entachée d'erreur de fait ;
- elle est entachée de défaut d'examen dès lors, d'une part, qu'elle n'avait pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour au regard de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, d'autre part, qu'elle n'a pas été entendue ni prise au sérieux ;
- elle est entachée de défaut d'examen au regard des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La préfète du Bas-Rhin, à qui la procédure a été communiquée, n'a pas produit de mémoire en défense.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 avril 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les observations de Me Mengus, avocate de Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., née en 1984 et de nationalité nigériane, est entrée régulièrement en France le 27 septembre 2011 sous couvert d'un visa long séjour portant la mention " étudiant ", valable jusqu'au 25 septembre 2012. Elle a ensuite bénéficié de titres de séjour " étudiant " régulièrement renouvelés jusqu'au 23 novembre 2018. Le 19 novembre 2018, elle a sollicité un changement de statut et la délivrance d'un titre de séjour " vie privée et familiale ". Par un arrêté du 27 avril 2021, la préfète du Bas-Rhin a refusé de faire droit à sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme B... relève appel du jugement du 1er octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 27 avril 2021.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable à la date de la décision en litige : " Sauf si sa présence constitue une menace à l'ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée à l'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre les infractions visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. Cette carte de séjour temporaire ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. Elle est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites / (...) ".
3. D'une part, si Mme B... doit être regardée comme soutenant que la préfète du Bas-Rhin s'est méprise sur la portée de sa demande de titre de séjour, elle ne produit pas sa demande initiale formée le 19 décembre 2018 tandis qu'il ressort du courrier qu'elle a adressé à la préfecture le 5 septembre 2020 pour compléter sa demande qu'elle y faisait état de son statut de " survivante et témoin dans l'affaire judiciaire Le Tan / Reiser " et y relatait très précisément les faits la concernant ainsi que les retentissements de l'affaire sur sa situation personnelle. A supposer donc que la préfète du Bas-Rhin se soit, à tort, estimée saisie d'une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ce qu'il lui était au demeurant loisible de faire en vertu de son pouvoir discrétionnaire de régularisation, le refus de délivrer à Mme B... un titre de séjour sur ce fondement ne saurait caractériser un défaut d'examen personnel de la demande de l'intéressée.
4. D'autre part, si la requérante fait grief à la préfète de ne pas l'avoir convoquée pour l'entendre sur les événements traumatisants qu'elle a vécus, il ressort au contraire des pièces du dossier qu'elle était convoquée en préfecture pour le 3 décembre 2020. Par ailleurs, elle avait, ainsi qu'il vient d'être dit, adressé un récit complet le 5 septembre 2020.
5. Enfin, s'il n'est plus contesté que Mme B... a été entendue le 1er octobre 2018 par les services de la direction interrégionale de police judiciaire de Strasbourg dans le cadre d'une affaire d'assassinat, la requérante ne justifie pas qu'elle se serait vu reconnaître la qualité de témoin dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour traite des êtres humains ou proxénétisme. Elle n'a pas non plus déposé plainte contre la personne alors soupçonnée d'avoir commis cet assassinat. Aussi, c'est sans entacher la décision en litige d'erreur de fait que la préfète du Bas-Rhin a estimé que l'intéressée ne remplissait pas les conditions de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 5 que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que l'examen de sa demande de titre de séjour au regard des dispositions de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile serait entaché d'erreur de droit.
7. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme B... aurait sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable. Par suite, elle ne saurait utilement faire grief à la préfète du Bas-Rhin de ne pas avoir examiné sa situation au regard de ces dispositions.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; (...) ".
9. Il ressort des pièces du dossier que, si Mme B... résidait depuis presque dix ans sur le territoire français à la date de la décision attaquée, elle a été autorisée au séjour en qualité d'étudiante entre septembre 2011 et novembre 2018, ce qui lui ne donnait pas vocation à se maintenir durablement en France. Après l'obtention de deux Master 1 à l'université de Strasbourg en " didactiques des langues étrangères " au titre de l'année 2011/2012 puis en " relations internationales " au titre de l'année 2012/2013, elle n'a validé aucun des deux Master 2 dans lesquels elle a été inscrite entre 2013 et 2018. S'il est avéré que l'intéressée a été entendue le 1er octobre 2018 dans le cadre de l'enquête sur l'affaire d'assassinat susmentionnée, laquelle a été particulièrement suivie par les différents médias, les incidences de cette affaire sur sa fin de son parcours universitaire et sur son projet professionnel ne sont cependant pas établies concrètement par les pièces versées au dossier. Par ailleurs, il n'est pas contesté qu'elle ne dispose pas d'attaches familiales sur le territoire français, sa mère et ses quatre sœurs résidant au Nigéria, ses deux frères aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Célibataire et sans charge de famille, Mme B... ne justifie pas, par les pièces produites en appel, avoir tissé en France des liens dont l'intensité serait telle que le refus de l'autoriser à prolonger son séjour emporterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Enfin, il n'est pas davantage établi que sa présence en France était requise dans le cadre du procès pénal évoqué précédemment. Dans ces conditions, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le refus de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " est entaché d'erreur de droit ni que la préfète du Bas-Rhin a fait une inexacte application des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 9, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision en litige méconnaît les stipulations précitées.
12. En dernier lieu, en dépit de la durée de son séjour sur le territoire français, Mme B... ne justifie pas s'être durablement insérée dans la société française ni y avoir définitivement ancré ses attaches privées. Par suite, et en dépit des retentissements psychologiques de l'affaire pénale susévoquée sur son état de santé, pour la prise en charge desquels elle n'était suivie que depuis deux mois à la date de la décision en litige, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le refus de titre de séjour est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions de sa requête à fin d'annulation ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., à Me Mengus et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie du présent arrêt sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 16 février 2023, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président,
M. Agnel, président-assesseur,
Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mars 2023.
La rapporteure,
Signé : H. A... Le président,
Signé : J. Martinez
Le greffier,
Signé : J-Y. Gaillard
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
J-Y. Gaillard
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N° 22NC01340