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16/03/2023 | FRANCE | N°21NC00432

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 16 mars 2023, 21NC00432


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme E... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales qui leur ont été assignés au titre des années 2010 et 2011 et de prononcer le maintien du bénéfice du sursis de paiement qui leur avait été accordé.

Par un jugement n° 1706277 du 15 décembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg, après avoir constaté un non-lieu à statuer sur la demande de maintien

du sursis de paiement, a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

P...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme E... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales qui leur ont été assignés au titre des années 2010 et 2011 et de prononcer le maintien du bénéfice du sursis de paiement qui leur avait été accordé.

Par un jugement n° 1706277 du 15 décembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg, après avoir constaté un non-lieu à statuer sur la demande de maintien du sursis de paiement, a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 février 2021, M. et Mme E..., représentés par Me Laurain, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté les conclusions à fin de décharge ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions contestées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la procédure est irrégulière en ce que l'administration a manqué à son devoir de loyauté en affirmant sans aucun fondement que la facture émise par la société Imprim'conseil émanerait d'un fournisseur fictif et serait elle-même fictive ce qui l'a induit en erreur ;

- la proposition de rectification du 26 novembre 2013 est insuffisamment motivée, en violation de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, en ce qui concerne le redressement de 6 578 euros ;

- les écritures d'apports en compte courant d'associé sont justifiées : la somme de 3 360 euros le 4 mai 2009 correspond à l'achat de bouteilles de champagne pour l'inauguration de la société, la somme de 30 000 euros le 14 mai 2009 à un prêt de M. C..., la somme de 3 588 euros le 14 mai 2009 à une erreur de la banque HSBC, la somme de 5 000 euros le 1er juin 2009 à l'apport d'un véhicule pour les besoins de la société, les sommes de 18 000 euros le 27 août 2009, 5 000 euros le 27 août 2009 à des chèques émis de son compte personnel sur le compte de la société RC Prestige, la somme de 4 800 euros le 8 décembre 2009 à l'apport d'un véhicule pour les besoins de la société, la somme de 6 508,25 euros le 1er juillet 2010 à l'apport des écrans TV pour le show-room de la société RC Prestige, la somme de 14 500 euros le 1er juillet 2010 à un prêt accordé par M. B... E..., la somme de 869 euros le 31 janvier 2011 à une facture de fourniture de fioul pour les locaux de la société RC Prestige, la somme de 15 000 euros le 8 février 2011 à un prêt de M. C..., la somme de 1 000 euros le 27 février 2011 au règlement partiel d'une facture du fournisseur Passion Automobile Sport, la somme de 8 100 euros le 2 février 2011 au règlement partiel de la facture du fournisseur Dietrich Motors ;

- c'est à tort que l'administration, afin de les imposer sur de prétendues rémunérations occultes, estime que la facture d'achat de montres et de stylos par la société RC Prestige auprès de la société Alliance Impression serait fictive alors que ces marchandises ont bien été livrées conformément à la facture et que le stock se trouvait présent dans ses locaux ce dont la vérificatrice a pu s'assurer ;

- l'administration n'a présenté aucun fondement s'agissant du redressement de 6 578 euros en matière de revenus de capitaux mobiliers ;

- les rectifications n'étant pas fondées, les pénalités doivent être déchargées.

Par un mémoire enregistré le 26 juillet 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D... ;

- et les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme E... sont associés de la société à responsabilité limitée (SARL) RC Prestige ayant pour activité le négoce de voitures de luxe d'occasion, laquelle a été placée en liquidation judiciaire le 5 février 2019. M. E... était également le gérant de cette société. A la suite de la vérification de comptabilité de la SARL RC Prestige ayant concerné la période du 22 avril 2009 au 30 juin 2011, l'administration a considéré que M. E... avait été le bénéficiaire de revenus distribués consécutifs au rehaussement des bénéfices de sa société, distributions imposables entre ses mains dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. Les rectifications de leurs revenus imposables au titre des années 2010 et 2011 ont été portées à la connaissance des époux E... selon la procédure contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales par lettre modèle n° 2120 du 26 novembre 2013. Ces rectifications ont été partiellement maintenues par le service le 8 avril 2014 en réponse aux observations des époux E.... Les suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, assortis pour partie de la pénalité pour manœuvre frauduleuse, ont été mis en recouvrement au cours de l'année 2015. La réclamation préalable des époux E... du 7 juin 2017 a été rejetée le 12 octobre 2017. Les époux E... relèvent appel du jugement du 15 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg, après avoir prononcé un non-lieu à statuer sur la demande des intéressés tendant au maintien du bénéfice du sursis de paiement, a rejeté le surplus de leur demande tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires.

Sur la régularité de la procédure :

2. En premier lieu, la circonstance que l'administration aurait sans fondement, selon les requérants, soutenu dans la proposition de rectification adressée à la société puis dans celle dont ils ont été rendus destinataires, qu'un des fournisseurs de la société RC Prestige aurait été une société fictive et leur aurait fait craindre en conséquence d'avoir été victimes d'une escroquerie ne saurait caractériser un manquement au " devoir de loyauté " de l'administration et demeure sans incidence sur la régularité des impositions qui leur ont été assignées.

3. En second lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les rectifications envisagées, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile. En revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ces motifs.

4. La proposition de rectification du 26 novembre 2013 indique de manière suffisante afin de permettre à M. et Mme E... A... les discuter, les motifs de droit et de fait sur lesquels le service s'est fondé afin de réintégrer dans leurs revenus de capitaux mobiliers imposables de l'année 2010 la somme de 6 578 euros correspondant à deux chèques émis par la société RC Prestige et encaissés par M. E... sur son compte bancaire personnel. Par suite, M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que cette rectification n'a pas été suffisamment motivée dans la proposition du 26 novembre 2013.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne les crédits du compte courant d'associé de M. E... :

5. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués :/ (...) 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices ".

6. En cas de refus des propositions de rectification par le contribuable qu'elle entend imposer comme bénéficiaire de sommes regardées comme distribuées, il incombe à l'administration d'apporter la preuve que celui-ci en a effectivement disposées. Il résulte toutefois de ces dispositions que les sommes inscrites au crédit d'un compte courant d'associé d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés ont, sauf preuve contraire apportées par l'associé titulaire du compte, le caractère de revenus imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. Lorsque l'administration entend imposer comme revenus distribués sur le fondement du 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts une somme inscrite sur le compte courant d'un associé dans les écritures d'une société, elle est en droit de se fonder sur les écritures de la société, alors même que celles-ci seraient erronées. Pour que l'associé échappe à cette imposition, il lui incombe de démontrer, le cas échéant, qu'il n'a pas pu avoir la disposition de ces sommes ou que ces sommes ne correspondent pas à la mise à disposition d'un revenu.

7. D'abord, il ressort sans ambiguïté de la proposition de rectification que le service n'a pas entendu imposer M. E... sur les sommes correspondant aux crédits enregistrés dans son compte courant entre le 1er mai 2009 et le 30 juin 2010, la prescription étant acquise, et n'a pas non plus entendu l'imposer sur le solde à nouveau de son compte courant au 1er mai 2010. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à demander que soient exclues de leur revenu imposable de l'année 2010 les sommes de 3 360 euros le 4 mai 2009, 30 000 euros le 14 mai 2009, 3 588 euros le 14 mai 2009, 5 000 euros le 1er juin 2009, 18 000 euros le 27 août 2009, 5 000 euros le 27 août 2009 et 4 800 euros le 8 décembre 2009.

8. Ensuite, les requérants se bornent à reprendre en appel, sans précision ou pièces nouvelles, les moyens qu'ils avaient invoqués devant le tribunal administratif tendant à contester l'imposition des crédits inexpliqués enregistrés dans le compte courant d'associé de M. E... entre le 1er juillet 2010 et le 30 juin 2011. Il y a lieu pour cette cour d'écarter ces moyens par les mêmes motifs que ceux retenus à juste titre par les premiers juges.

En ce qui concerne les chèques encaissés par M. E... :

10. Aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : (...) c. Les rémunérations et avantages occultes ". L'intéressé ayant refusé les rectifications dans ses observations à la suite de la proposition de rectification, il appartient à l'administration d'établir l'existence et le montant de la distribution contestée par M. E....

11. Il ressort de la proposition de rectification et il n'est pas contesté que M. E... a encaissé sur son compte bancaire personnel entre le 26 octobre 2010 et le 10 juin 2011 vingt chèques tirés par la société RC Prestige sur les banques CIC Est et Crédit Mutuel pour la somme totale de 66 192 euros, dont celle de 6 578 euros correspondant à deux chèques des 26 octobre et 7 décembre 2010, selon le détail figurant page 9 de cette proposition de rectification. Il ressort de la proposition de rectification et il n'est pas contesté que ces sommes ont été inscrites en comptabilité au crédit du compte fournisseur de la société Imprim'conseil, ayant pour nom commercial Alliance Impression, en paiement de factures d'achats de montres et de stylos. Il ressort de la proposition de rectification adressée à la société RC Prestige, dont les extraits sont cités dans la proposition de rectification adressées aux époux E..., que la facture de vente des montres et stylos établis par la société Imprim'conseil ainsi que les bons de commande et de livraison présentés comme se rapportant à cette facture, ne comportent aucune quantité pour chacun des articles qui y sont mentionnés. Si les époux E... soutiennent que les articles achetés ont bien été présentés à la vérificatrice lors de la vérification de comptabilité, l'administration soutient sans être contredite que les montres présentées à cette occasion se rapportaient à d'autres factures qui n'ont pas été remises en cause, de sorte que la réalité de ces achats n'est pas établie. Au demeurant, les requérants ne soutiennent pas même que la société RC Prestige, spécialisée dans le négoce de véhicules d'occasion, aurait revendu ou seulement proposé à la vente des montres et des stylos. Par ces éléments, quand bien même le numéro Siret mentionné sur le document n'est pas erroné, l'administration établit le caractère fictif de cette facture de vente qui ne se rapporte à aucune livraison effective de marchandises. En ayant établi que M. E... avait personnellement appréhendé sur ses comptes bancaires personnels des sommes présentées dans la comptabilité de la société émettrice des chèques comme ayant servi au paiement de factures d'achats de marchandises, l'administration a rapporté la preuve, qui lui incombe, que le gérant de la SARL RC Prestige a bénéficié de rémunérations occultes au sens des dispositions ci-dessus reproduites du c de l'article 111 du code général des impôts.

12. Afin de combattre les éléments de preuve rassemblés par le service et ci-dessus analysés, les requérants soutiennent que le gérant de la société Imprim'conseil aurait demandé à la société RC Prestige de régler les sommes dues à sa société en règlement des factures d'achats, directement entre les mains de M. E..., à qui il devait " une grosse somme d'argent " selon la requête. Mais, d'une part, le caractère fictif de cette facture a été établi ci-dessus, d'autre part, à l'appui de ce récit peu crédible d'un paiement par délégation, les requérants n'apportent aucun commencement de justification alors, au surplus, que selon leurs allégations le délégant ne serait pas lui-même personnellement titulaire d'une créance sur le délégué. Par, suite, M. E... n'est pas fondé à soutenir qu'il n'a pas bénéficié de rémunérations occultes à raison des sommes qu'il a ainsi appréhendées.

Sur les pénalités :

13. D'abord, le bien-fondé des rectifications ayant été établi ci-dessus, les époux E... ne sont pas fondés à demander la décharge des intérêts de retard ayant assorti les impositions litigieuses.

14. Ensuite, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses... ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs (...), la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration ". Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à l'administration, afin de justifier l'application de la pénalité pour manœuvres frauduleuses, de rapporter la preuve de l'existence de procédés ayant pour but d'égarer l'administration dans l'exercice de son pouvoir de contrôle destinés à masquer des omissions déclaratives délibérées.

15. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la facture établie par la société Imprim'Conseil est fictive et ne correspond à aucune livraison de marchandises. Par ces éléments, l'administration établit qu'afin de dissimuler le versement à M. E... de rémunérations occultes, la société RC Prestige a inscrit dans sa comptabilité des écritures d'achats de marchandises et de paiement d'un fournisseur, justifiées par des factures et autres pièces fictives. M. E... étant le gérant de la société RC Prestige et le bénéficiaire des chèques, c'est délibérément, dans le but de s'assurer de substantiels revenus en franchise d'impôt, qu'il a eu recours à ces manœuvres frauduleuses.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté le surplus de leur demande. Par suite, leur requête doit être rejetée en toutes leurs conclusions, y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme E... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 16 février 2023, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président de chambre,

M. Agnel, président assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mars 2023.

Le rapporteur,

Signé : M. AgnelLe président,

Signé : J. Martinez

Le greffier,

Signé : J-Y. Gaillard

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

J-Y. Gaillard

N° 21NC00432

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00432
Date de la décision : 16/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: M. Marc AGNEL
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : ALSACE OMNIJURIS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-03-16;21nc00432 ?
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