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14/03/2023 | FRANCE | N°21NC01080

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 14 mars 2023, 21NC01080


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 10 septembre 2019 par laquelle la préfète de la Haute-Marne a rejeté sa demande d'aide aux surfaces au titre de l'année 2019.

Par un jugement n° 1902614 du 11 février 2021, le tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande et a retiré le bénéfice de l'aide juridictionnelle à Mme A....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistr

s les 12 avril et 14 mai 2021, Mme A..., représentée par la SELAS Devarenne Associés Grand-Est, demande ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 10 septembre 2019 par laquelle la préfète de la Haute-Marne a rejeté sa demande d'aide aux surfaces au titre de l'année 2019.

Par un jugement n° 1902614 du 11 février 2021, le tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande et a retiré le bénéfice de l'aide juridictionnelle à Mme A....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 avril et 14 mai 2021, Mme A..., représentée par la SELAS Devarenne Associés Grand-Est, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1902614 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 11 février 2021 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 10 septembre 2019 par laquelle la préfète de la Haute-Marne a rejeté sa demande d'aide aux surfaces au titre de l'année 2019 ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Haute-Marne d'instruire et de liquider les droits à paiement compensatoire au titre de la déclaration de surface au titre de l'année 2019 de son exploitation, dans les deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

s'agissant de la décision du 10 septembre 2019 :

- la décision contestée n'est pas suffisamment motivée ;

- le préfet ne pouvait s'opposer à instruire sa demande en se fondant sur des règles de droit internes relatives à la nécessité de l'accord du liquidateur de son exploitation dans la mesure où elle sollicite une aide correspondant au paiement de base et paiement vert relevant de la seule responsabilité de l'Union européenne ; elle remplit les conditions pour bénéficier des aides au titre de la politique agricole commune ;

- le refus d'instruire sa demande est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- en méconnaissance de l'article 23-1 de la déclaration universelle des droits de l'homme, de l'article 6 alinéa 1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, l'article 1er de la charte sociale européenne, de l'alinéa 5 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste et d'une violation directe de la loi dans la mesure où, compte tenu notamment de la durée excessive de la procédure de liquidation, elle a été privée des revenus de son travail en tant qu'exploitante agricole ;

s'agissant du retrait du bénéfice de l'aide juridictionnelle :

- elle n'a pas été en mesure de faire valoir ses observations sur le moyen relevé d'office par le tribunal administratif et le principe du contradictoire a été méconnu ;

- le tribunal administratif a entaché son jugement d'une erreur de droit en se fondant sur une version de la loi du 10 juillet 1991 qui n'était plus applicable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 janvier 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 octobre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la déclaration universelle des droits de l'homme ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- la charte sociale européenne ;

- le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ;

- le code de commerce ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 10 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denizot, premier conseiller,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me Devarenne-Odaert pour Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... a demandé le bénéfice de l'aide aux surfaces dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), au titre de l'année 2019, pour une surface située sur le territoire des communes de Briaucourt et Bologne, dans le cadre de son exploitation agricole qui a été placée en liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de grande instance de Chaumont du 14 avril 1994. Par une décision du 10 septembre 2019, la préfète de la Haute-Marne a refusé d'instruire cette demande. Par un jugement du 11 février 2021, dont Mme A... relève appel, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et a retiré à Mme A..., au motif du caractère abusif de sa demande, le bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Sur la légalité de la décision du 10 septembre 2019 :

2. En premier lieu, la décision contestée comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle fait en particulier mention d'une lettre du 5 juillet 2019 demandant à Mme A... l'accord du liquidateur pour solliciter les aides PAC au titre de la campagne 2019 et l'absence de production de cet accord. A cet égard et alors même que ce défaut d'accord n'est pas repris dans la motivation de la décision en litige, cette dernière doit être regardée, dans les circonstances particulières de l'espèce, suffisamment motivée, contrairement à ce qu'allègue la requérante.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 641-9 du code de commerce applicable à la liquidation des exploitations agricoles en vertu de l'article L. 351-8 du code rural et de la pêche maritime : " I. - Le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur (...) ". Les règles posées par cet article n'étant instituées que dans l'intérêt des créanciers, seul le liquidateur peut s'en prévaloir pour s'opposer, notamment, à ce que le débiteur demande à l'administration le versement d'une subvention ou d'une aide publique. Il appartient à la personne placée en liquidation judiciaire qui sollicite un tel avantage de mettre préalablement le liquidateur en mesure d'exercer sa prérogative puis de justifier devant l'administration qu'elle a recueilli son accord. L'administration ne peut légalement rejeter la demande comme émanant d'une personne qui n'a pas qualité pour la présenter qu'en l'absence d'un tel justificatif.

4. D'une part, la règle de droit interne de dessaisissement pour le débiteur relève d'une question de pur droit interne qui est totalement étrangère aux conditions objectives de fond et de procédure auxquelles est subordonné le bénéfice des aides. D'autre part, il résulte de ce qui vient d'être dit au point précédent que Mme A... ne pouvait demander des aides européennes au titre de la campagne 2019 qu'après avoir justifié de l'accord du liquidateur de son exploitation. Ainsi que l'a indiqué la préfète de la Haute-Marne dans les visas de la décision contestée, malgré une lettre contradictoire adressée le 5 juillet 2019 invitant l'intéressée à réaliser cette démarche, Mme A... n'a pas justifié avoir obtenu l'accord du liquidateur pour solliciter le bénéfice d'une aide européenne. En l'absence d'un tel accord, la préfète a pu à bon droit rejeter la demande de Mme A... au motif qu'elle n'avait pas qualité pour présenter, par elle-même, sa demande d'aide. Par suite, pour contester la décision en litige, la requérante ne peut utilement soutenir qu'elle remplirait les conditions pour bénéficier des aides au titre de PAC dans la mesure où la préfète de la Haute-Marne, comme il vient d'être dit, ne s'est pas fondée sur ce motif pour rejeter sa demande. Dès lors, les moyens tirés de ce que la préfète de la Haute-Marne ne pouvait se fonder sur l'absence de l'accord du liquidateur pour refuser d'instruire les demandes de Mme A... et aurait commis une erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.

5. En dernier lieu, la décision par laquelle la préfète de la Haute-Marne a refusé d'instruire la demande de Mme A..., dont l'exploitation est placée en liquidation judiciaire, tendant au bénéfice de l'aide compensatoire accordée dans le cadre de la politique agricole commune, n'est pas à l'origine de la durée de la procédure de liquidation judiciaire et ne porte pas sur le droit de Mme A... au bénéfice de l'aide qu'elle réclame. Elle ne peut ainsi, en tout état de cause, pas porter atteinte aux principes énoncés à l'article 23-1 de la déclaration universelle des droits de l'homme, qui ne figure en outre pas au nombre des textes diplomatiques qui ont été ratifiés dans les conditions fixées par l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, à l'article 6 alinéa 1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et à l'article 1er de la charte sociale européenne, par ailleurs dépourvues d'effet direct à l'égard des particuliers, à l'alinéa 5 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel se réfère la Constitution du 4 octobre 1958 et aux termes desquelles : " Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi (...)" et à l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales selon lequel : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ".

6. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande d'annulation. Par voie de conséquence les conclusions de sa requête aux fins d'injonction et d'astreinte devront être rejetées.

Sur le retrait du bénéfice de l'aide juridictionnelle :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

7. En premier lieu, il résulte des articles 50 et 51 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 que le juge doit, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, prononcer le retrait total de l'aide juridictionnelle accordée pour une requête lorsqu'il juge celle-ci abusive ou dilatoire. Lorsqu'il est prononcé d'office, un tel retrait traduit la mise en œuvre d'un pouvoir propre du juge qui, lorsqu'il en fait usage, ne soulève pas d'office un moyen d'ordre public et n'est en conséquence pas de tenu de procéder à la communication prescrite par l'article R. 611-7 du code de justice administrative.

8. En second lieu, Mme A... ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions du second alinéa de l'article 72 du décret du 10 juillet 1991 et du décret du 10 décembre 1991 aux termes duquel " le retrait ne peut être décidé sans que le bénéficiaire ait été entendu ou appelé à s'expliquer ". au demeurant abrogées à la date du jugement attaqué, qui sont applicables uniquement aux décisions prises par le bureau d'aide juridictionnelle. Mme A... n'établit en outre pas que le principe du retrait de l'aide juridictionnelle méconnaîtrait, en soi, les stipulations de l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif au droit à un procès équitable. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire doit, en tout état de cause, être écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

9. L'article 50 de la loi du 10 juillet 1991, dans sa rédaction applicable à la date du jugement attaqué, dispose que " (...) le bénéfice de l'aide juridictionnelle ou de l'aide à l'intervention de l'avocat est retiré, en tout ou partie, même après l'instance ou l'accomplissement des actes pour lesquels il a été accordé, dans les cas suivants : (...) 4° Lorsque la procédure engagée par le demandeur bénéficiant de l'aide juridictionnelle ou de l'aide à l'intervention de l'avocat a été jugée dilatoire, abusive, ou manifestement irrecevable (...) ". L'article 51 de la même loi dispose que : " Le retrait de l'aide juridictionnelle ou de l'aide à l'intervention de l'avocat peut intervenir jusqu'à quatre ans après la fin de l'instance ou de la mesure. Il peut être demandé par tout intéressé. Il peut également intervenir d'office. / Le retrait est prononcé : (...) 2° Par la juridiction saisie dans le cas mentionné au 4° du même article 50 ".

10. Ainsi que le relève Mme A..., le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, dans son jugement attaqué du 11 février 2021, s'est fondé sur les dispositions inapplicables des articles 50 et 51 de la loi du 10 juillet 1991, dans leur version antérieure aux modifications introduites par loi du 9 décembre 2020 dont l'entrée en vigueur était fixée au 1er janvier 2021. Toutefois, les dispositions précitées des articles 50 et 51 dans leur version applicable à la date du jugement permettaient le retrait de l'aide juridictionnelle dont bénéficiait la requérante pour un motif identique, le caractère abusif de sa demande. Ce motif n'est pas contesté.

11. Mme A... n'est par suite pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne lui a retiré le bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Sur les frais de l'instance :

12. Mme A... n'étant pas la partie gagnante à l'instance, ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Copie en sera adressée à la préfète de la Haute-Marne.

Délibéré après l'audience du 14 février 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2023.

Le rapporteur,

Signé : A. DenizotLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

No 21NC01080


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC01080
Date de la décision : 14/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: M. Arthur DENIZOT
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND EST

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-03-14;21nc01080 ?
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