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02/03/2023 | FRANCE | N°22NC01531

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 02 mars 2023, 22NC01531


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler les arrêtés du 17 mars 2022 par lesquels le préfet de l'Aube, d'une part, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et lui a fait interdiction de revenir sur le territoire français pendant une durée d'un an et, d'autre part, l'a assigné à résidence dans le département de l'Aube pour une durée de six mois.

Par un ju

gement n° 2200607 du 23 mai 2022, le président du tribunal administratif de Châlons-e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler les arrêtés du 17 mars 2022 par lesquels le préfet de l'Aube, d'une part, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et lui a fait interdiction de revenir sur le territoire français pendant une durée d'un an et, d'autre part, l'a assigné à résidence dans le département de l'Aube pour une durée de six mois.

Par un jugement n° 2200607 du 23 mai 2022, le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a renvoyé à la formation collégiale du tribunal administratif les conclusions dirigées contre l'arrêté du 17 mars 2022 portant assignation à résidence de M. A... et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 juin 2022, M. A..., représenté par Me Gaffuri, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 23 mai 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 17 mars 2022 lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et lui faisant interdiction de revenir sur le territoire français pendant une durée d'un an ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Aube de réexaminer sa situation administrative dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen personnel de sa situation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

S'agissant de la décision portant refus d'un délai de départ volontaire :

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

S'agissant de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors qu'elle porte une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale normale alors même que son comportement n'est pas constitutif d'une menace à l'ordre public.

Par un courrier du 21 novembre 2022, les parties ont été informées, conformément aux dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible de retenir le moyen d'ordre public tiré de l'irrégularité du jugement de première instance en raison de l'incompétence du président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne pour statuer sur un litige relevant de la formation collégiale.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 février 2023, la préfète de l'Aube conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Par une décision du bureau d'aide juridictionnelle de Nancy en date du 22 août 2022, M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant bangladais, est entré irrégulièrement sur le territoire français, selon ses déclarations, le 23 décembre 2015 afin d'y solliciter la reconnaissance du statut de réfugié. Sa demande d'asile a été rejetée par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides des 30 septembre 2016 et 27 avril 2018, confirmées par des décisions de la Cour nationale du droit d'asile les 26 octobre 2017 et 1er octobre 2018. Le 11 janvier 2018, le préfet de l'Aube lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours par un arrêté dont la légalité a été confirmée tant par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne par un jugement du 19 février 2018 que par la cour administrative d'appel de Nancy par une ordonnance du 6 juillet 2018. Le 16 décembre 2020, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en raison de son état de santé. Par un arrêté du 15 mars 2021, le préfet de l'Aube lui a opposé un refus, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de revenir sur le territoire français pendant une durée de deux ans. Par deux arrêtés du 17 mars 2022, le préfet de l'Aube, d'une part, lui a à nouveau fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de revenir sur le territoire français pendant une durée d'un an et, d'autre part, l'a assigné à résidence dans le département de l'Aube pour une durée de six mois. Par un jugement du 23 mai 2022, le président du tribunal administratif a renvoyé à la formation collégiale du tribunal administratif les conclusions de la demande de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 mars 2022 portant assignation à résidence et a rejeté le surplus des conclusions de la demande. M. A... fait appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 mars 2022 portant obligation de quitter le territoire français, fixant le pays de destination et portant interdiction de revenir sur le territoire français.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 614-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français peut, dans les conditions et délais prévus au présent chapitre, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision relative au délai de départ volontaire et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant. / Les dispositions du présent chapitre sont applicables au jugement de la décision fixant le pays de renvoi contestée en application de l'article L. 721-5 et de la décision d'assignation à résidence contestée en application de l'article L. 732-8 ". Aux termes de l'article L. 614-8 du même code, qui s'appliquent lorsque l'étranger fait l'objet d'une assignation à résidence en application de l'article L. 731-1 ou d'un placement en rétention, conformément à l'article L. 614-7 : " Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français est notifiée avec une décision d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 731-1 ou une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 741-1, le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai de quarante-huit heures suivant la notification de ces mesures. ". Aux termes de l'article L. 614-12 du même code : " La décision d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 731-1 peut être contestée dans les conditions prévues à l'article L. 732-8. ". Aux termes de l'article L. 731-1 du même code : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins d'un an auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ; (...) ". Aux termes de l'article L. 731-3 du même code : " L'autorité administrative peut autoriser l'étranger qui justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français ou ne pouvoir ni regagner son pays d'origine ni se rendre dans aucun autre pays, à se maintenir provisoirement sur le territoire en l'assignant à résidence jusqu'à ce qu'existe une perspective raisonnable d'exécution de son obligation, dans les cas suivants : 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ; (...) ". Aux termes de l'article L. 732-3 du même code : " L'assignation à résidence prévue à l'article L. 731-1 ne peut excéder une durée de quarante-cinq jours. / Elle est renouvelable une fois dans la même limite de durée. ". Aux termes de l'article L. 732-4 du même code : " Lorsque l'assignation à résidence a été édictée en application des 1°, 2°, 3°, 4° ou 5° de l'article L. 731-3, elle ne peut excéder une durée de six mois. / Elle peut être renouvelée une fois, dans la même limite de durée. (...) ". Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article L. 732-8 du même code : " La décision d'assignation à résidence prise en application des 1°, 2°, 3°, 4° ou 5° de l'article L. 731-1 peut être contestée devant le président du tribunal administratif dans le délai de quarante-huit heures suivant sa notification. Elle peut être contestée dans le même recours que la décision d'éloignement qu'elle accompagne ".

3. L'article R. 776-1 du code de justice administrative dispose : " Sont présentées, instruites et jugées selon les dispositions du chapitre IV du titre I du livre VI du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 732-8 du même code, ainsi que celles du présent code, sous réserve des dispositions du présent chapitre, les requêtes dirigées contre : 1° Les décisions portant obligation de quitter le territoire français, prévues aux articles L. 241-1 et L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que les décisions relatives au séjour notifiées avec les décisions portant obligation de quitter le territoire français ; 2° Les décisions relatives au délai de départ volontaire prévues aux articles L. 251-3 et L. 612-1 du même code ; 3° Les interdictions de retour sur le territoire français prévues aux articles L. 612-6 à L. 612-8 du même code et les interdictions de circulation sur le territoire français prévues à l'article L. 241-4 dudit code ; 4° Les décisions fixant le pays de renvoi prévues à l'article L. 721-4 du même code ; 5° Les décisions d'assignation à résidence prévues aux articles L. 731-1, L. 751-2, L. 752-1 et L. 753-1 du même code./ Sont instruites et jugées dans les mêmes conditions les conclusions tendant à l'annulation d'une autre décision d'éloignement prévue au livre VI du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à l'exception des décisions d'expulsions, présentées en cas de placement en rétention administration, en cas de détention ou dans le cadre d'une requête dirigée contre la décision d'assignation à résidence prise au titre de cette mesure ". Selon l'article R. 776-14 du même code : " La présente section est applicable aux recours dirigés contre les décisions mentionnées à l'article R. 776-1, lorsque l'étranger est placé en rétention ou assigné à résidence. / La présente section est également applicable aux demandes de suspension de l'exécution de la mesure d'éloignement mentionnées à l'article R. 776-1 du présent code, lorsque l'étranger est placé en rétention ou assigné à résidence ". Aux termes de l'article R. 776-15 du même code : " Les jugements sont rendus, sans conclusions du rapporteur public, par le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cet effet ".

4. En vertu de l'article L. 3 du code de justice administrative, les jugements sont rendus, en principe, par une formation collégiale, l'intervention d'un juge statuant seul n'étant possible que lorsqu'elle est prévue par la loi. Il résulte des dispositions législatives combinées citées au point 2 que le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne est seulement compétent pour se prononcer sur la légalité des assignations à résidence prises sur le fondement de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'une durée de quarante-cinq jours renouvelable. Les assignations à résidence, prises sur le fondement de l'article L. 731-3 du même code pour une durée maximale initiale de six mois en cas de report de la mesure d'éloignement, doivent être regardées, en revanche, comme relevant exclusivement de la formation de jugement collégiale, qui est la formation de droit commun. Il en va ainsi alors même que cette assignation de longue durée est adoptée concomitamment à une obligation de quitter le territoire français. En outre, les dispositions de l'article R. 776-15 du code de justice administrative, qui doivent être interprétées à la lumière des dispositions législatives précitées, n'ont ni pour objet ni pour effet, par elles-mêmes, de donner compétence au magistrat statuant seul pour connaître de la mesure d'éloignement et des décisions qui l'accompagnent, lorsque l'étranger fait l'objet d'une assignation à résidence pour une durée de six mois.

5. Le 17 mars 2022, concomitamment à l'édiction à son encontre d'une obligation de quitter sans délai le territoire français, M. A... a été assigné à résidence dans le département de l'Aube pour une durée de six mois en application du 1° de l'article L. 731-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces conditions, en l'absence de rétention ou de détention, le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne n'avait pas compétence pour statuer sur les conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire, que le préfet de l'Aube a édictée sur le fondement du 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni encore sur celles dirigées contre les décisions portant refus de délai de départ volontaire, désignation du pays de renvoi et interdiction de retour, édictées à l'occasion de cette mesure d'éloignement, de telles conclusions relevant toutes de la formation collégiale. Par suite, le jugement attaqué est irrégulier et doit être annulé.

6. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée en première instance par M. A....

Sur la légalité des décisions attaquées :

En ce qui concerne les moyens dirigés contre la décision portant obligation de quitter le territoire français :

7. En premier lieu, il ressort des termes de l'arrêté attaqué que pour obliger M. A... à quitter le territoire français, le préfet de l'Aube, après avoir visé les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8, ainsi que les dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a rappelé le parcours administratif et personnel de l'intéressé, en indiquant notamment qu'il a déclaré être entré irrégulièrement en France le 23 décembre 2015, que ses demandes d'asile ont été rejetées par l'OFPRA les 30 septembre 2016 et 27 avril 2018, décisions confirmées par la CNDA les 26 octobre 2017 et 1er octobre 2018, que l'intéressé a fait l'objet de deux mesures d'éloignement prises à son encontre les 11 janvier 2018 et 15 mars 2021 auxquelles il n'a pas déféré et qu'il se maintient irrégulièrement sur le territoire national sans avoir tenté de régulariser sa situation administrative. Dans ces conditions, la décision portant obligation de quitter le territoire français comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et est, par suite, suffisamment motivée. Cette motivation révèle en outre que le préfet a procédé à un examen particulier de la situation de M. A.... Les moyens tirés de l'insuffisance de motivation et du défaut d'examen particulier ne peuvent dès lors qu'être écartés.

8. En deuxième lieu, d'une part, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". D'autre part, aux termes des stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

9. L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne garantit pas à l'étranger le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie privée et familiale. En outre, pour apprécier l'atteinte à la vie privée et familiale, il y a lieu de prendre en considération la durée et l'intensité des liens familiaux dont la personne se prévaut.

10. M. A... fait valoir qu'il séjourne depuis 2015 sur le territoire national et qu'il a une fille scolarisée en France. D'une part, M. A..., qui a vu ses demandes d'asile rejetées par l'OFPRA puis par la CNDA, a fait l'objet de deux mesures d'éloignement prises à son encontre les 11 janvier 2018 et 15 mars 2021 auxquelles il n'a pas déféré de sorte qu'il a séjourné sur le territoire national en situation irrégulière pendant plus de trois ans. D'autre part, l'épouse de l'intéressé fait également l'objet d'une mesure d'éloignement. Dans ces conditions, rien ne s'oppose à ce que la cellule familiale se reconstitue au Bangladesh, le pays d'origine de M. A..., où il n'est pas établi que sa fille ne pourrait poursuivre normalement sa scolarité. Enfin, M. A... n'établit pas davantage être dépourvu de toutes attaches privées et familiales au Bangladesh, où il a vécu la majorité de sa vie. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, eu égard notamment aux conditions de séjour de M. A... et à la faiblesse de ses attaches en France, le préfet, en l'obligeant à quitter le territoire français, n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision litigieuse serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, ni qu'elle méconnaitrait les stipulations précitées des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

En ce qui concerne les moyens dirigés contre la décision portant refus d'un délai de départ volontaire :

11. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement (...) 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour (...) qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale (...) ".

12. Il est constant que M. A... n'a pas déféré aux deux mesures d'éloignement prises à son encontre les 11 janvier 2018 et 15 janvier 2021. Il doit dès lors être regardé comme s'étant soustrait à ces deux mesures. Il se trouve ainsi dans le cas, prévu par les dispositions citées

ci-dessus, où, en l'absence de circonstance particulière, le risque qu'il se soustraie à la nouvelle mesure d'éloignement prononcée à son encontre pouvait être regardé comme établi. Il ne justifie par ailleurs d'aucune circonstance particulière de nature à permettre de regarder l'existence d'un tel risque comme non avéré. Par suite, le préfet a pu légalement décider de ne pas lui accorder de délai de départ volontaire.

En ce qui concerne les moyens dirigés contre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

13. En premier lieu, il ressort des termes de l'arrêté attaqué que, pour interdire à M. A... de revenir sur le territoire français pendant une durée d'un an, le préfet de l'Aube, après avoir visé les dispositions de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a mentionné les éléments relatifs à la durée de présence de M. A... en France, à ses liens sur le territoire français et au Bangladesh et à la menace que représente sa présence en France sur l'ordre public dont il a tenu compte pour fixer la durée de cette interdiction de retour. Enfin, le préfet a indiqué que l'intéressé n'établissait pas être exposé à des peines ou traitements inhumains ou dégradants au sens des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. Ainsi, la décision portant interdiction de retour sur le territoire français comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation ne peut qu'être écarté.

14. En second lieu, d'une part, aux termes des dispositions de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". D'autre part, selon l'article L. 612-7 de ce code : " Lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative édicte une interdiction de retour. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) " Enfin, aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".

15. Une décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

16. Il ressort des termes de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an prise sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'elle vise, que le préfet de l'Aube a précisé que l'intéressé, qui s'est soustrait à deux précédentes mesures d'éloignement édictées à son encontre, est marié avec une ressortissante étrangère faisant également l'objet d'une mesure d'éloignement, qu'il ne démontre pas avoir constitué en France une vie privée et familiale suffisamment ancienne, stable et intense et qu'il n'apporte aucune preuve d'intégration sociale ou professionnelle sur le territoire national. La décision litigieuse mentionne ainsi les dispositions juridiques sur lesquelles elle se fonde et fait état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels le préfet l'a arrêté, dans son principe et dans sa durée. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir que l'interdiction de retour d'une durée d'un an prononcée à son encontre serait entachée d'une erreur d'appréciation dans son principe ou sa durée.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

17. Le présent arrêt qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la requête de M. A... n'implique aucune mesure particulière d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

18. Les articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par M. A... sur le fondement de ces dispositions combinées.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2200607 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 23 mai 2022 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., au ministre de l'intérieur et des Outre-mer et à Me Gaffuri.

Copie en sera adressée au préfet de l'Aube.

Délibéré après l'audience du 9 février 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Laubriat, président de chambre,

- M. Meisse, premier conseiller,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mars 2023.

Le président rapporteur,

Signé : A. B...L'assesseur le plus ancien

Signé : E. Meisse

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 22NC01531


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC01531
Date de la décision : 02/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAUBRIAT
Rapporteur ?: M. Alain LAUBRIAT
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : GAFFURI

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-03-02;22nc01531 ?
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