Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 30 avril 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de renvoi, d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour et, enfin, de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Par un jugement n° 2103537 du 5 juillet 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée sous le n° 22NC00920 le 12 avril 2022, M. B..., représenté par Me Elsaesser, demande au tribunal :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 5 juillet 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 30 avril 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de renvoi ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
s'agissant de la régularité du jugement :
- ce jugement est insuffisamment motivé ;
s'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, au regard de l'état de santé de son épouse et de son fils ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'intérêt de l'enfant ;
s'agissant du pays de renvoi :
- elle est privée de base légale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire ;
- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 janvier 2023, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision en date du 3 mars 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Goujon-Fischer, président, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant albanais, est entré en France, selon ses déclarations, le 14 février 2019, en compagnie de son épouse et de leurs deux enfants mineurs. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 15 avril 2019, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile, le 6 août 2019. Par un arrêté du 29 mai 2019, il a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. A la suite du rejet de la demande de titre de séjour formée par son épouse pour raisons de santé, un nouvel arrêté portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant son pays de renvoi a été pris à son encontre par la préfète du Bas-Rhin le 30 avril 2021. M. B... relève appel du jugement du 5 juillet 2021, par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 30 avril 2021 :
2. Aux termes de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... et son épouse sont les parents d'un enfant prénommé A..., né le 7 juillet 2020 à Strasbourg, lequel est traité depuis le mois de février 2021 au service de chirurgie pédiatrique de l'hôpital de Hautepierre pour un neuroblastome. Si une masse surrénalienne droite a pu être retirée chirurgicalement le 31 mars 2021, l'enfant continue de faire l'objet d'un suivi médical et, notamment, d'une chimiothérapie en milieu hospitalier, toutes les trois semaines. La préfète du Bas-Rhin n'a pas apporté d'élément de nature à montrer que ce suivi médical pourrait être poursuivi en Albanie dans des conditions de nature à permettre une prise en charge adéquate de l'enfant. Ainsi, à la date de la décision contestée, l'état de santé du jeune A... rendait nécessaire son maintien sur le territoire français pour permettre la poursuite de son traitement médical. Par voie de conséquence, eu égard au très jeune âge de cet enfant, la préfète du Bas-Rhin ne pouvait décider l'éloignement de son père sans porter une atteinte directe et certaine à son intérêt supérieur, qui exige la continuation, non seulement des soins dont il bénéficie, mais aussi de la présence de ses parents auprès de lui. Par suite, l'obligation de quitter le territoire français attaquée méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
5. En outre, par un jugement n° 2104337 du 1er octobre 2021, devenu définitif en l'absence d'appel de la préfète du Bas-Rhin, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé, comme contraire à l'intérêt de l'enfant, l'arrêté du 29 avril 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin avait fait obligation à l'épouse de M. B... de quitter le territoire français et a enjoint à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer la situation de l'intéressée. Il en résulte que l'arrêté faisant obligation à M. B... de quitter le territoire français, a pour effet de séparer les membres de la famille et entraine, dans les circonstances de l'espèce, une atteinte disproportionnée au droit des membres de cette famille au respect de leur vie privée et familiale. Il méconnaît ainsi l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".
8. L'annulation de la mesure d'éloignement dont le requérant a fait l'objet implique que la préfète du Bas-Rhin lui délivre une autorisation provisoire de séjour et réexamine sa situation. Dans ces conditions, il y a lieu d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer la situation de M. B... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour valable pendant toute la durée de ce réexamen. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
10. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Il s'ensuit que son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Elsaesser, avocate de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Elsaesser de la somme de 1 000 euros.
D É C I D E :
Article 1er : L'arrêté de la préfète du Bas-Rhin du 30 avril 2021 est annulé.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer la situation de M. B... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour valable pendant toute la durée de ce réexamen.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à Me Elsaesser en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que cette dernière renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., au ministre de l'intérieur et des Outre-mer et à Me Elsaesser.
Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 2 février 2023, à laquelle siégeaient :
M. Goujon-Fischer, président,
M. Sibileau, premier conseiller,
Mme Barrois, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 février 2023.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-F. Goujon-FischerL'assesseur le plus ancien
dans l'ordre du tableau,
Signé : J. -B. Sibileau
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
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N° 22NC00920