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28/02/2023 | FRANCE | N°21NC00330

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 28 février 2023, 21NC00330


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l'Etat et l'université de Reims Champagne-Ardenne à le garantir des condamnations civiles mises à sa charge par un jugement du 7 mai 2019 du tribunal correctionnel de Reims.

Par un jugement n° 1902297 du 18 décembre 2020, le tribunal administratif

de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 février 2021 et le

7 mai 2021, M. B..., représenté par Me Rahola, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l'Etat et l'université de Reims Champagne-Ardenne à le garantir des condamnations civiles mises à sa charge par un jugement du 7 mai 2019 du tribunal correctionnel de Reims.

Par un jugement n° 1902297 du 18 décembre 2020, le tribunal administratif

de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 février 2021 et le 7 mai 2021, M. B..., représenté par Me Rahola, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

2°) de condamner l'Etat et l'université de Reims Champagne-Ardenne à le garantir des condamnations civiles mises à sa charge par le jugement du 7 mai 2019 du tribunal correctionnel de Reims ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de l'université de Reims Champagne-Ardenne la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- ses conclusions présentées en première instance sont recevables ;

- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, il n'a pas commis de faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions et doit être garanti de l'ensemble des condamnations civiles prononcées à son encontre ;

- l'université de Reims Champagne-Ardenne lui a accordé et maintenu le bénéfice de la protection fonctionnelle jusqu'au 6 décembre 2017, alors qu'elle avait déjà pleine connaissance des faits reprochés ;

- il ne peut pas lui être reproché d'avoir commis des fautes personnelles ; la technique de l'hyperventilation qu'il enseignait n'était pas prohibée ; il était uniquement déconseillé de la pratiquer seule ; ses étudiants, qui étaient de jeunes majeurs aguerris à l'enseignement du sport de haut niveau, ont d'ailleurs confirmé qu'il leur avait préconisé d'observer une surveillance particulière ; il n'a utilisé son portable que pendant l'intercours ; le fait que ce cours aurait dû bénéficier d'un surveillant complémentaire doit être pris en compte ; il avait averti l'ancien doyen de l'université sur la dangerosité de ce cours sans l'assistance d'une personne exclusivement dévolue à la tâche de surveillance ; ce n'est qu'après les faits qu'il a produit une fausse attestation de révision de son diplôme de maître-nageur sauveteur, qui n'était en tout cas pas exigé pour dispenser ce cours de natation.

Par un mémoire, enregistré le 24 février 2021, l'université de

Reims Champagne-Ardenne, représentée par Me Dreyfus, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le jugement doit être confirmé dès lors que M. B... a commis une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions et ne peut solliciter une quelconque garantie auprès de son employeur ;

- à titre subsidiaire, quelle que soit l'interprétation donnée à la requête présentée par M. B... devant les premiers juges, sa requête est irrecevable ; à supposer que M. B... ait entendu présenter des conclusions à fin qu'il soit enjoint à l'Etat de le garantir de ses condamnations civiles, de telles conclusions à fin d'injonction présentées à titre principal seraient irrecevables ; à supposer qu'il soit regardé comme demandant l'annulation de la décision implicite en réponse à sa demande du 25 mai 2019, il n'aurait pas intérêt à agir contre cette décision faisant intégralement droit à sa demande ; enfin, à supposer qu'il soit regardé comme présentant des conclusions indemnitaires, ces dernières ne seraient pas liées à défaut de demande indemnitaire préalable ;

- à titre infiniment subsidiaire, la décision implicite de rejet née du silence gardé sur la demande du 25 mai 2019 est légale.

Par un mémoire, enregistré le 22 juillet 2021, le recteur de l'académie de Reims conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- le jugement doit être confirmé dès lors que M. B... a commis une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions et ne peut solliciter une quelconque garantie ;

- à titre subsidiaire, les conclusions indemnitaires présentées par M. B... devant les premiers juges sont irrecevables dès lors qu'elles n'ont pas été précédées d'une demande indemnitaire préalable ;

- la somme sollicitée par M. B... est, en tout cas, prescrite, de sorte que les conclusions ne peuvent qu'être rejetées.

Par un mémoire, enregistré le 15 décembre 2022, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir qu'elle s'associe aux écritures de l'université de

Reims Champagne-Ardenne et du recteur de l'académie de Reims.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'éducation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public,

- et les observations de Me Rahola, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., professeur agrégé d'éducation physique et sportive affecté à compter du 1er septembre 1996 à l'université de Reims Champagne-Ardenne était chargé de l'enseignement de cours de natation de plusieurs classe d'étudiants de l'UFR science des activités physiques et sportives (STAPS) de Reims. Le 19 janvier 2016, lors d'un cours de natation qu'il dispensait, une étudiante est décédée par noyade. Par un jugement du tribunal correctionnel de Reims du 15 mai 2018, devenu définitif, il a été condamné pour homicide involontaire et pour faux et usage de faux, à une peine de dix-huit mois d'emprisonnement, assortie de l'interdiction définitive d'exercer toute activité professionnelle en lien avec la natation. Statuant sur l'action civile, le tribunal correctionnel de Reims a, par un jugement du 7 mai 2019, condamné M. B... à verser aux ayants droit de la victime la somme totale de 119 935,89 euros en réparation de leurs préjudices, ainsi qu'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale. M. B... a, par des courriers du 25 mai 2019, demandé au recteur de l'académie de Reims et au président de l' l'université de Reims Champagne-Ardenne de le garantir de ses condamnations civiles, en application des dispositions la loi du 5 avril 1937 modifiant les règles de la preuve en ce qui concerne la responsabilité des instituteurs et du dernier alinéa de l'article 1384 du code civil relatif à la substitution de la responsabilité de l'Etat à celle des membres de l'enseignement public, désormais reprises à l'article L. 911-4 du code de l'éducation. Ces demandes ont fait l'objet de décisions implicites de rejet. M. B... fait appel du jugement du 18 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demandant tendant à ce que l'université de Reims Champagne-Ardenne et l'Etat le garantissent des condamnations civiles prononcées à son encontre par le TGI de Reims.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 911-4 du code de l'éducation : " Dans tous les cas où la responsabilité des membres de l'enseignement public se trouve engagée à la suite ou à l'occasion d'un fait dommageable commis, soit par les élèves ou les étudiants qui leur sont confiés à raison de leurs fonctions, soit au détriment de ces élèves ou de ces étudiants dans les mêmes conditions, la responsabilité de l'Etat est substituée à celle desdits membres de l'enseignement qui ne peuvent jamais être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants. (...) / L'action récursoire peut être exercée par l'Etat soit contre le membre de l'enseignement public, soit contre les tiers, conformément au droit commun. (...) ".

3. Ainsi que l'ont jugé les premiers juges, lorsque, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 911-4 du code de l'éducation, un membre de l'enseignement public a été condamné par une juridiction judiciaire à indemniser les victimes d'un fait dommageable commis au détriment d'un étudiant, qui lui était confié en raison de ses fonctions, il incombe à l'Etat de couvrir les condamnations civiles de cet agent, sauf si une faute personnelle détachable du service est imputable à ce dernier.

4. Présentent le caractère d'une faute personnelle détachable des fonctions, des faits qui révèlent des préoccupations d'ordre privé, qui procèdent d'un comportement incompatible avec les obligations qui s'imposent dans l'exercice de fonctions publiques ou qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité. En revanche ni la qualification retenue par le juge pénal ni le caractère intentionnel des faits retenus contre l'intéressé, ne suffisent, par eux-mêmes, à regarder une faute comme étant détachable des fonctions.

5. Le 19 janvier 2016, lors d'un cours de natation dispensé par M. B... à des étudiants en STAPS, une étudiante est décédée à la suite d'un exercice d'apnée. Ainsi qu'il a été dit au point 1, le tribunal correctionnel de Reims a, par un jugement du 15 mai 2018 retenu que M. B... a commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer, notamment en ne respectant pas les précautions relatives à la pratique de l'apnée, en méconnaissant la réglementation relative aux maîtres-nageurs sauveteurs et les règles de vérification du matériel de sécurité et, enfin, en ne surveillant pas ses élèves. M. B... a été condamné pour homicide involontaire et pour faux et usage de faux à une peine de dix-huit mois d'emprisonnement. Il résulte de l'instruction et notamment des termes de l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction du 14 novembre 2017, dont les constatations, si elles ne s'imposent pas à la cour peuvent être prises en considération, précise que M. B... a fait pratiquer aux étudiants, avant la réalisation d'un exercice de natation en apnée, la technique dite de l'hyperventilation, qui consiste à fausser les capteurs provoquant l'envie de respirer. Il résulte par ailleurs de l'instruction que cette technique, présente un risque de dépassement du seuil de tolérance à l'absence d'oxygène et exige, à tout le moins, une surveillance particulièrement étroite. En l'espèce, M. B..., qui ne maîtrisait pas certaines techniques indispensables à l'enseignement de l'apnée et encore plus à l'apnée après hyperventilation, s'est borné à former des binômes d'étudiants, sans les avertir de la dangerosité de cette pratique, ni leur délivrer d'instructions particulières, de sorte que certains étudiants sont sortis du bassin après cet ultime exercice de la séance, sans attendre que leur binôme ait fini leur entraînement. M. B... ne peut utilement faire valoir, pour justifier ces lacunes, que ces étudiants étaient des jeunes adultes inscrits dans le parcours STAPS. De plus, à l'issue de l'exercice de nage en apnée, qui marquait la fin de ce cours, M. B... n'a ni fait l'appel des étudiants, ni procédé à un tour des bassins, en méconnaissance de ses obligations. Le respect de ces obligations aurait nécessairement permis de repérer le corps de l'étudiante, lequel a été découvert plus de dix minutes plus tard par les étudiants du cours de natation suivant. Il appert que l'intéressé a, en réalité, utilisé cet intercours pour envoyer plusieurs messages avec son téléphone portable. Enfin, il est constant, que lors de la découverte du corps, M. B... n'a pas utilisé le matériel de premiers secours, qu'il n'avait, au demeurant, pas vérifié avant le début du cours, ainsi qu'il était pourtant tenu de le faire.

6. Bien qu'ils soient intervenus dans le service, ces agissements sont d'une gravité suffisante pour caractériser une faute personnelle détachable de l'exercice par l'enseignant de ses fonctions, sans que M. B... puisse utilement faire valoir à cet égard que l'université de Reims Champagne-Ardenne lui avait initialement accordé la protection fonctionnelle et l'a maintenue jusqu'au 6 décembre 2017.

7. Par ailleurs, si M. B... se prévaut de l'existence d'une faute de service imputable à l'université dans l'organisation des cours qu'il dispensait, il n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations et ne démontre ainsi pas l'existence d'une telle faute.

8. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'Etat et l'université de Reims Champagne-Ardenne devaient le garantir des condamnations civiles prononcées à son encontre.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'exception de prescription opposée par l'université de Reims Champagne-Ardenne, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'université de Reims Champagne-Ardenne et de l'Etat, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme réclamée par M. B... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droits aux conclusions présentées par l'université de Reims Champagne-Ardenne sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'université de Reims Champagne-Ardenne sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à l'université de Reims Champagne-Ardenne, au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Délibéré après l'audience du 31 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Haudier, présidente,

- M. Meisse, premier conseiller,

- M. Marchal, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 février 2023.

Le rapporteur,

Signé : S. C...

La présidente,

Signé : G. HAUDIERLe greffier,

Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N° 21NC00330 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00330
Date de la décision : 28/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-07-10 Fonctionnaires et agents publics. - Statuts, droits, obligations et garanties. - Garanties et avantages divers.


Composition du Tribunal
Président : Mme HAUDIER
Rapporteur ?: M. Swann MARCHAL
Rapporteur public ?: M. BARTEAUX
Avocat(s) : D4 AVOCATS ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-02-28;21nc00330 ?
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