Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société La Poste a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 11 juin 2018, par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Bourgogne-Franche-Comté lui a infligée une amende administrative d'un montant de 34 500 euros pour non-respect, par le centre de préparation et de distribution du courrier d'Audincourt, de l'obligation de mise en place des documents de décompte individuel de la durée de travail des salariés de droit privé affectés à la distribution des plis et colis, prévue aux articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail ou, à défaut, de la réformer en prononçant un avertissement ou, en tout état de cause, en réduisant le montant de cette amende.
Par un jugement n° 1801422 du 17 juillet 2020, le tribunal administratif de Besançon a annulé la décision du 11 juin 2018 de la DIRECCTE de Bourgogne-Franche-Comté.
Procédure devant la cour :
Par une requête du 9 septembre 2020, la ministre du travail demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon du 17 juillet 2020.
La ministre soutient que :
- le tribunal a inexactement qualifié les faits en considérant que l'organisation du travail au sein du site d'Audincourt relevait d'horaires collectifs et excluait ainsi l'application des articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail ;
- le tribunal a ainsi dénaturé les faits ;
- les horaires collectifs doivent en effet être pratiqués collectivement y compris lorsque des heures supplémentaires sont réalisées par les salariés, pratiqués uniformément par une collectivité de travail donnée telle qu'un atelier, un service ou une équipe, notamment pour des activités dont les horaires sont par nature aléatoires, et à défaut, l'entreprise doit mettre en place des horaires non collectifs et un système de décompte de la durée du travail ;
- les sites contrôlés ne comportent pas d'ateliers, de services ou d'équipes bien définis permettant la mise en place d'un horaire collectif ;
- le rapport constate que les différents horaires collectifs ne sont pas affichés sur le site et que les équipes définies dans les plannings de travail et celles définies dans les documents recensant les horaires collectifs ne correspondent pas ;
- l'accord national du 7 février 2017 qui consacre dans son article 3.3 le principe des horaires collectifs précise que leur application suppose le respect des heures de prise de services et de fin de services.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 mars 2021, la société La Poste représentée par Me Rossignol conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par la ministre ne sont pas fondés.
Un second mémoire présenté le 9 janvier 2023 par la société la Poste n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Barrois, première conseillère,
- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,
- et les observations de Me Rossignol, représentant la société La Poste.
Une note en délibéré présentée par la société La Poste a été enregistrée le 2 février 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Des agents de l'inspection du travail ont procédé à un contrôle de la durée du temps de travail le 5 mai 2017 entre 5 h 45 et 17 h dans l'établissement d'Audincourt de la société La Poste au cours duquel ils ont constaté qu'en grande majorité, les salariés travaillaient en dehors des horaires collectifs de travail non affichés soit au-delà de l'horaire de fin, soit avant l'heure de début et ne respectaient pas les plannings du mois de mai 2017 remis par la Poste pour les trois équipes de distribution du quartier lettre (7h/12h-12h45/14h45), les deux équipes de livré-préparé (6h30/12h-12h45/14h15 sur 5 jours ou 9h30/12h-12h45/16h05 sur 6 jours) et l'équipe colis (6h30/13h30). Le 25 octobre 2017, l'inspecteur du travail a transmis son rapport constatant ce manquement à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Bourgogne-Franche-Comté et demandé la mise en œuvre d'une sanction administrative. Le 3 janvier 2018, la DIRECCTE a adressé une lettre d'information à la société La Poste, qui a formulé ses observations le 22 mars 2018. Par une décision du 11 juin 2018, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Bourgogne-Franche-Comté a prononcé à l'encontre de la société La Poste une amende administrative d'un montant de 34 500 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 8115-1 et L. 8115-3 du code du travail. La ministre du travail fait appel du jugement du 17 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Besançon a annulé la décision du 11 juin 2018.
2. En premier lieu, d'une part, le premier alinéa de l'article L. 3171-1 du code du travail prévoit que : " L'employeur affiche les heures auxquelles commence et finit le travail ainsi que les heures et la durée des repos ". L'article D. 3171-1 du même code précise que : " Lorsque tous les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe travaillent selon le même horaire collectif, un horaire établi selon l'heure légale indique les heures auxquelles commence et finit chaque période de travail. / Aucun salarié ne peut être employé en dehors de cet horaire, sous réserve des dispositions (...) relatives au contingent annuel d'heures supplémentaires (...) ". L'article D. 3171-4 de ce code prévoit en outre qu'un double de cet horaire collectif est adressé, avant son application, à l'inspecteur du travail.
3. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 3171-2 du même code : " Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés (...) ". L'article D. 3171-8 précise que : " Lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe (...) ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes : / 1° Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies ; / 2° Chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié ".
4. Enfin, le premier alinéa de l'article L. 3171-3 du code du travail prévoit que : " L'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail (...) les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. ". Le premier aliéna de l'article L. 3171-4 du même code dispose que : " En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. ". Les manquements aux dispositions relatives à la durée du travail, à la répartition et à l'aménagement des horaires sont pénalement réprimés selon les dispositions figurant aux articles R. 3124-1 à R. 3124-16 de ce code.
5. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'employeur doit être en mesure de fournir à l'inspection du travail, dont les agents de contrôle sont chargés, en vertu du deuxième alinéa de l'article L. 8112-1 du code du travail, de veiller à l'application des dispositions du code du travail et des autres dispositions légales relatives au régime du travail, ainsi qu'aux stipulations des conventions et accords collectifs de travail, de même qu'au juge en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, les documents leur permettant de contrôler la durée du travail accomplie par chaque salarié. Lorsque le travail de tous les salariés d'un même service ou atelier ou d'une même équipe est organisé selon le même horaire collectif par l'employeur, le cas échéant après conclusion d'un accord collectif, il doit informer les salariés par affichage des heures auxquelles commence et finit chaque période de travail et adresser, avant son application, le double de cet horaire collectif à l'inspection du travail. Dans les autres cas, un décompte des heures accomplies par chaque salarié doit être établi quotidiennement et chaque semaine.
6. En second lieu, en vertu de l'article L. 8115-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable : " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1, et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement : (...) 3° A l'article L. 3171-2 relatif à l'établissement d'un décompte de la durée de travail et aux dispositions réglementaires prises pour son application (...) ".
7. Le principe de légalité des délits et des peines, qui s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition, fait obstacle à ce que l'administration inflige une sanction si, à la date des faits litigieux, il n'apparaît pas de façon raisonnablement prévisible par l'intéressé que le comportement litigieux est susceptible d'être sanctionné. Par suite, les dispositions mentionnées au point précédent ne sauraient permettre à l'administration de sanctionner un employeur à raison d'un manquement à l'obligation, attachée à des horaires non collectifs, d'établir un décompte de la durée de travail de chaque salarié selon les modalités rappelées au point 3, s'agissant de salariés dont le travail est organisé selon un horaire collectif.
8. Ainsi, l'administration ne pouvait légalement infliger à la société La Poste l'amende encourue en cas de manquement à l'obligation, mentionnée au point 3, de tenir des décomptes individuels de la durée du travail des travailleurs ne travaillant pas selon le même horaire collectif de travail, dès lors que la société La Poste a décidé de soumettre les salariés de chaque équipe de distribution du quartier lettre, de livré-préparé et de colis travaillant sur le site d'Audincourt à un même horaire collectif de travail chacune en ce qui la concerne et conformément à l'accord collectif national signé le 7 février 2017 et adressé à l'inspection du travail, et alors même que ces horaires collectifs n'ont pas été affichés dans les locaux de l'établissement, qu'une grande majorité des salariés n'a pas respecté l'horaire collectif du planning du mois de mai 2017 applicable à chaque équipe le jour du contrôle et que l'article 3.3 de l'accord collectif précise que l'application des horaires collectifs suppose le respect des heures de prise et de fin de services.
9. Eu égard à ce qui vient d'être dit, c'est à bon droit que la société La Poste a soutenu qu'elle ne pouvait pas faire légalement l'objet de l'amende prévue par l'article L. 8115-1 du code du travail. Dès lors, la ministre du travail ne conteste pas utilement le jugement attaqué en soutenant que le tribunal aurait dénaturé et inexactement qualifié les faits en estimant que l'organisation du travail au sein du site d'Audincourt relevait d'horaires collectifs.
10. Il résulte de ce qui précède que la ministre du travail n'est pas fondée à se plaindre que, par le jugement du 17 juillet 2020, le tribunal administratif de Besançon a annulé la décision du 11 juin 2018 de la DIRECCTE de Bourgogne-Franche-Comté.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la ministre du travail est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au directeur de la société La Poste et au ministre du travail du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 2 février 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Goujon-Fischer, président,
- M. Sibileau, premier conseiller,
- Mme Barrois, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 février 2023.
La rapporteure,
Signé : M. BarroisLe président,
Signé : J-F. Goujon-Fischer
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
2
N° 20NC02654