La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/02/2023 | FRANCE | N°20NC03588

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 16 février 2023, 20NC03588


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme E... ont demandé au tribunal administratif de Besançon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales qui leur ont été assignés au titre des années 2011 et 2012.

Par un jugement n°s 1800696 et 1801841 du 13 octobre 2020, le tribunal administratif de Besançon a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 déc

embre 2020, M. et Mme E..., représentés par Me Bos, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugeme...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme E... ont demandé au tribunal administratif de Besançon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales qui leur ont été assignés au titre des années 2011 et 2012.

Par un jugement n°s 1800696 et 1801841 du 13 octobre 2020, le tribunal administratif de Besançon a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 décembre 2020, M. et Mme E..., représentés par Me Bos, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement ;

2°) de prononcer, en droits et pénalités, la décharge des impositions contestées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- en vertu de l'article L. 225-56 du code de commerce, le directeur général délégué est rémunéré, selon la décision du conseil d'administration, à raison de ses fonctions statutaires, c'est-à-dire des responsabilités qui lui sont confiées, et non pas en contrepartie de tâches définies par un contrat de travail ;

- la justification de la participation active de Mme E... aux réunions des assemblées générales, aux réunions commerciales stratégiques, aux manifestations publiques, a été apportée ;

- les éléments avancés par l'administration pour conclure à une absence de travail effectif ne sont pas significatifs (signature financière, frais de déplacements) ;

- l'administration, en réintégrant la totalité de la rémunération de Mme E... et en omettant de la comparer avec celles accordées aux dirigeants d'entreprises comparables ne rapporte pas la preuve de son caractère excessif alors qu'elle reconnaît qu'un service a été rendu ;

- les pénalités sont irrégulières en ce qu'elles n'ont pas été mises en recouvrement dans les trente jours de leur motivation en violation de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales.

Par un mémoire enregistré le 27 avril 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au non-lieu à statuer dans la mesure du dégrèvement prononcé le 4 août 2021 et au rejet du surplus des conclusions de la requête.

Il soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par lettre du 12 décembre 2022, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que cette cour était susceptible de fonder son arrêt sur le moyen relevé d'office tiré de ce que les dispositions du c de l'article 111 du code général des impôts n'étaient pas susceptibles de fonder les impositions litigieuses.

Par un mémoire enregistré le 23 décembre 2022, le ministre chargé des finances publiques, en réponse à l'information ci-dessus, soutient principalement que le c de l'article 111 est bien applicable mais demande à titre subsidiaire que les dispositions du 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts soient substituées à celles de l'article 111 comme fondement des impositions.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A... ;

- et les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société anonyme (SA) R. E..., dont les bénéfices sont imposables de plein droit à l'impôt sur les sociétés, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité ayant concerné la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012. L'administration a considéré que les rémunérations allouées au titre des années 2011 et 2012 à Mme B... E..., directrice générale déléguée et associée minoritaire, n'étaient pas justifiées par un travail effectif au regard des dispositions du 1° du 1 de l'article 39 du code général des impôts et les a réintégrées dans les bénéfices imposables après avis favorable de la commission nationale des impôts directs du 18 septembre 2017. Par propositions de rectification des 17 décembre 2014 et 18 décembre 2015, le service a indiqué à Mme E..., selon la procédure contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales, qu'il la regardait comme la bénéficiaire de revenus distribués imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement du c de l'article 111 du code général des impôts, à raison des rémunérations versées par la SA R. E..., regardées comme non déductibles de ses bénéfices. Ces rectifications ont été maintenues par lettre du 11 avril 2016 en réponse aux observations de Mme E... du 12 février 2016. Les impositions supplémentaires ont été mises en recouvrement au cours de l'année 2016. Les réclamations préalables de M. et Mme E... ont été rejetées le 9 mars 2018 après que l'administration a dégrevé les contributions sociales découlant de la majoration de 1,25 appliquée aux revenus litigieux. M. et Mme E... relèvent appel du jugement du 13 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes tendant à la décharge, en droits et pénalités, de ces impositions supplémentaires.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

2. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués :(...) / 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices ". Aux termes de l'article 111 du même code : " Sont notamment considérés comme revenus distribués :/ (...) c. Les rémunérations et avantages occultes ;/d. La fraction des rémunérations qui n'est pas déductible en vertu du 1° du 1 de l'article 39 ". Aux termes de l'article 39 du même code, applicable à la détermination des bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment :/1° Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main-d'œuvre (...)/Toutefois les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l'importance du service rendu ".

3. Mme B... E..., née en 1940, est associée de la SA R. E... et a été embauchée par cette société dans l'emploi de " déléguée aux relations internationales " suivant contrat de travail du 2 janvier 1991. Mme E... était également membre du conseil d'administration de la société et percevait à ce titre des jetons de présence de l'ordre de 2 000 euros. Par délibération du conseil d'administration du 18 décembre 2009, Mme E... a été nommée directrice générale déléguée avec une rémunération de 4 000 euros mensuels sur treize mois. Par cette même délibération M. D... C... E... a été nommé président du conseil d'administration et directeur général en remplacement de M. D... E..., époux de Mme E..., jusqu'alors président directeur-général. Lors de cette séance, M. C... E..., fils de M. et Mme E..., a été également nommé directeur général délégué. La société R. E... est spécialisée dans le découpage industriel et réalise la moitié de son chiffre d'affaires, s'élevant à 108 M€ en 2011 et 85 M€ en 2012, à l'exportation.

4. Les requérants ayant refusé les rectifications proposées, il incombe à l'administration d'établir que Mme E... a bénéficié de revenus distribués par la SA R. E..., imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, à raison des rémunérations non déductibles de ses bénéfices en l'absence de travail effectif de sa part. Toutefois, en vertu des règles gouvernant la charge de la preuve devant le juge administratif, il incombe à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne pouvant être réclamés qu'à elle.

5. Il résulte de l'instruction qu'au titre des années litigieuses Mme E... était salariée à plein temps d'une société Scoder dont elle a régulièrement déclaré les rémunérations à hauteur de 76 856 euros en 2011 et 90 342 euros en 2012. Disposant statutairement, et en vertu de l'article L. 225-56 du code de commerce, des mêmes pouvoirs dans la société R. E... à l'égard des tiers que le directeur général, Mme E... a soutenu avoir été plus particulièrement chargée d'assister les autres dirigeants dans la représentation de la société à l'international. Au cours de la vérification de comptabilité, la société a seulement fait état des comités de direction et des conseils d'administration auxquels Mme E... a assisté au cours de la seule année 2012. Aucune pièce ou document n'a pu attester le travail effectif qu'aurait fourni Mme E... en particulier dans les relations avec les clients et fournisseurs étrangers. Au contraire, le service a pu constater que Mme E... n'avait engagé des frais de déplacements qu'à hauteur de 6 924 euros au cours de l'année 2012 dont 4 071 euros à raison d'un seul voyage en Chine. Dans ces conditions, alors que Mme E... est la seule à même de présenter des pièces justifiant les tâches qu'elle aurait effectuées en contrepartie des rémunérations versées, l'administration doit être regardée comme ayant apporté la preuve que ces dernières ont été versées en l'absence de tout travail effectif de sa part.

6. Il résulte des dispositions ci-dessus reproduites que les rémunérations ne sont admises en déduction des bénéfices imposables à l'impôt sur les sociétés que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les rémunérations allouées aux dirigeants sociaux, en l'occurrence les directeurs généraux et directeurs généraux délégués visés à l'article L. 225-56 du code de commerce, leur seraient versées seulement à raison de leurs responsabilités légales et statutaires et seraient déductibles sans que soit exigée la justification de l'accomplissement par eux de tâches effectives.

7. Si les requérants soutiennent que Mme E... a assuré une participation active aux réunions des assemblées générales, aux réunions commerciales stratégiques, aux manifestations publiques et aux relations avec les clients et fournisseurs, celle-ci n'en justifie par aucune pièce de nature à établir la consistance effective de ses interventions. La circonstance qu'en sa qualité de directrice générale déléguée Mme E... n'avait pas besoin de détenir la signature financière sur les comptes bancaires n'est pas de nature à remettre en cause les éléments de preuve rassemblés par le service et ci-dessus analysés, dès lors qu'elle ne produit aucune pièce démontrant qu'elle aurait pris une quelconque décision à portée financière ayant engagé la société.

8. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'administration fiscale a considéré et démontré que Mme E... n'avait fourni aucun travail effectif au profit de la SA R. E... et qu'en conséquence ses rémunérations n'étaient pas justifiées dans leur intégralité. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'une partie de ses rémunérations, sans préciser laquelle, devrait être admise et que cette fraction devrait être fixée par comparaison avec les rémunérations allouées aux dirigeants de sociétés comparables.

9. Il résulte de ce qui précède que c'est à juste titre que l'administration a réintégré dans les bénéfices de la société R. E... les rémunérations comptabilisées au nom de Mme E... en l'absence de travail effectif. Ces sommes ayant été explicitement comptabilisées et déclarées tant par la société que par l'intéressée en tant que salaires, elles ne sauraient constituer des rémunérations occultes au sens du c de l'article 111 du code général des impôts. Toutefois, l'administration est en droit à tout moment de la procédure contentieuse de demander, pour justifier le bien-fondé d'une imposition, que soit substituée une base légale à celle qui avait été initialement invoquée, dès lors que cette substitution peut être faite sans priver le contribuable des garanties qui lui sont reconnues en matière de procédure d'imposition.

10. Le ministre chargé des finances publiques demande que soient substituées comme fondement des impositions litigieuses les dispositions du 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts à celles du c de l'article 111 du même code initialement retenues. Cette substitution peut en l'espèce être faite sans priver Mme E... d'aucune des garanties prévues par la procédure d'imposition contradictoire qui a été suivie.

11. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que l'administration a rapporté la preuve que les sommes allouées à Mme E... à titre de salaires étaient dépourvues de justificatifs et qu'en l'absence de ces éléments probants, elles étaient dépourvues de tout caractère professionnel. Ces dépenses sont dès lors insusceptibles de se rattacher aux fonctions de dirigeant social de Mme E... et ne peuvent qu'être imposées dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers en tant que revenus distribués. Les sommes litigieuses ayant été payées à l'intéressée, l'administration établit ainsi qu'elle en a été la bénéficiaire. Par suite, le ministre chargé des finances publiques est fondé à demander que les dispositions ci-dessus reproduites du 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts soient substituées à celles du c de l'article 111 du même code comme fondement des impositions litigieuses.

Sur les pénalités :

12. En premier lieu, aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales :

" Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au

sens des articles L. 211-2 à L. 211-7 du code des relations entre le public et l'administration,

quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre

exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable. / Les

sanctions fiscales ne peuvent être prononcées avant l'expiration d'un délai de trente jours à

compter de la notification du document par lequel l'administration a fait connaître au

contribuable ou redevable concerné la sanction qu'elle se propose d'appliquer, les motifs de

celle-ci et la possibilité dont dispose l'intéressé de présenter dans ce délai ses observations. ". Il résulte de ces dispositions que l'administration a l'obligation, au moins trente jours avant la mise en recouvrement de pénalités visées par le second alinéa de l'article L. 80 D précité, d'adresser au contribuable un document comportant la motivation des pénalités qu'elle envisage de lui appliquer et indiquant qu'il dispose d'un délai de trente jours pour présenter ses observations. L'administration n'est tenue de renouveler cette formalité que si, pour quelque motif que ce soit, elle modifie, avant leur mise en recouvrement, la base légale, la qualification ou les motifs des pénalités qu'elle se propose d'appliquer au contribuable.

13. Il résulte des règles ci-dessus rappelées que la circonstance que l'administration a mis en recouvrement les pénalités ayant assorti les impositions litigieuses plus de trente jours après les avoir motivées dans les propositions de rectification ci-dessus analysées est sans incidence sur leur régularité.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme E... ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes. Par suite, leur requête doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme E... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 26 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président de chambre,

M. Agnel, président assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 février 2023.

Le rapporteur,

Signé : M. AgnelLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

N° 20NC03588

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC03588
Date de la décision : 16/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: M. Marc AGNEL
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS FIDAL DE BESANCON

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-02-16;20nc03588 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award