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14/02/2023 | FRANCE | N°20NC01315

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 14 février 2023, 20NC01315


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société MAOAM Architecture a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner la commune de Haguenau à lui verser les sommes de 31 877,94 euros toutes taxes comprises (TTC) en paiement d'honoraires complémentaires, avec intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2017, 5 000 euros en indemnisation du préjudice d'atteinte grave à son œuvre, avec intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2017 et 5 000 euros en réparation de son préjudice moral.

A titre reconventionnel, la c

ommune de Haguenau a demandé la condamnation de la société MAOAM Architecture à lui ve...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société MAOAM Architecture a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner la commune de Haguenau à lui verser les sommes de 31 877,94 euros toutes taxes comprises (TTC) en paiement d'honoraires complémentaires, avec intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2017, 5 000 euros en indemnisation du préjudice d'atteinte grave à son œuvre, avec intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2017 et 5 000 euros en réparation de son préjudice moral.

A titre reconventionnel, la commune de Haguenau a demandé la condamnation de la société MAOAM Architecture à lui verser une somme de 8 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Par un jugement n° 1802055 du 30 janvier 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 24 juin 2020 et 24 mai 2022, la société MAOAM Architecture, représentée par Me Marty, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 30 janvier 2020 en tant qu'il a rejeté sa demande;

2°) de condamner la commune de Haguenau à lui verser les sommes de 31 877,94 euros TTC (26 564,95 euros hors taxe) en paiement d'honoraires complémentaires, avec intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2017, 5 000 euros en indemnisation du préjudice d'atteinte grave à son œuvre, avec intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2017 et 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

3°) de rejeter les conclusions de la commune de Haguenau ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Haguenau le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

sur la recevabilité de sa demande de première instance :

- le différend doit être regardé comme étant apparu le 20 octobre 2017, date à laquelle la commune de Haguenau a opposé une fin de non-recevoir aux négociations amiables, de sorte que son mémoire en réclamation du 8 décembre 2017 a été transmis au représentant du pouvoir adjudicateur dans le délai de deux mois prévu par l'article 37 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles (CCAG-PI) ;

sur le bien-fondé de sa demande de rémunération supplémentaire :

en ce qui concerne les prestations de maîtrise d'œuvre supplémentaires utiles à l'exécution des modifications de programme ou de prestations décidées par le maître de l'ouvrage :

- la commune de Haguenau a commandé des travaux supplémentaires aux entreprises en phase 1 pour un montant total de 5 706,97 euros HT ; elle a droit à la rémunération des prestations supplémentaires de maîtrise d'œuvre engendrées par ces travaux non prévus ;

- la commune de Haguenau lui a demandé des prestations de conseils en acoustique, afin de mettre en place une sonorisation qui n'était pas prévue au programme initial ; elle a droit à la rémunération de ces prestations supplémentaires de maîtrise d'œuvre ;

en ce qui concerne les prestations de maîtrise d'œuvre supplémentaires indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art :

- elle a réalisé de sa propre initiative des prestations indispensables à la réalisation des travaux de couverture dans les règles de l'art, qui se sont révélés beaucoup plus complexes que prévu après avoir effectué une visite de contrôle et un diagnostic qui a mis en lumière des spécificités non prévues dans le programme ; celles-ci l'ont contrainte à élaborer un cahier des charges d'un macro-lot faisant intervenir plusieurs spécialistes ; elle a le droit au paiement de ces prestations ;

- elle a réalisé des missions " EXE " et " OPC " plus complexes que prévues en raison de la mauvaise définition de ses besoins par le maître d'ouvrage ; elle a le droit à une rémunération complémentaire à ce titre ;

- elle a droit aux prestations supplémentaires de maîtrise d'œuvre indispensables à la réalisation des travaux supplémentaires du lot " Electricité " dans les règles de l'art ;

- elle a droit aux prestations supplémentaires de maîtrise d'œuvre indispensables à la pose de deux chatières liées à la présence d'une espèce protégée de chauves-souris ;

en ce qui concerne le montant de ses demandes :

- le montant HT de ses honoraires complémentaires liés aux phases 1 et 2 de travaux doit être calculé comme suit : en phase 1, 10,5 % de 5 706,97 euros soit 599,23 euros et, en phase 2, 10,5 % de 8 126,50 euros soit 853,28 euros et 10,5 % de 6 153,41 euros soit 645,07 euros ;

- le montant HT forfaitaire de ses honoraires complémentaires lié à la mise en place d'une sonorisation et les prestations de conseils en acoustique est de 2 480 euros ;

- le montant HT forfaitaire de ses honoraires complémentaires lié aux travaux de toiture doit être calculé comme suit : 10,5 % du montant des travaux (147 366,54 euros), soit 9 473,49 euros ;

- le montant HT forfaitaire de ses honoraires complémentaires liés à l'évolution de ses missions EXE et OPC indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art doit être calculé comme suit : 2,5 % du montant des travaux au lieu de 1,04 % pour la mission OPC et 2,5 % du montant des travaux au lieu de 1,32 % pour la mission OPC, soit un total de 12 513,88 euros ;

sur le bien-fondé de ses demandes indemnitaires :

- la commune a dénaturé son œuvre en apposant un revêtement composite gris sur le mur de la salle de réception et en modifiant les coloris et les quantités de mobilier prévus de sorte qu'elle a droit à l'indemnisation du préjudice d'atteinte à son œuvre à hauteur de 5 000 euros ;

- la commune a créé des difficultés tout au long du chantier en pratiquant la rétention d'informations et en multipliant les demandes urgentes, de sorte qu'elle a droit à l'indemnisation de son préjudice moral à hauteur de 5 000 euros ;

sur les intérêts :

- elle a droit aux intérêts moratoires définis par le CCAG-PI au taux légal à compter du 1er mars 2017, date de transmission de son projet d'avenant n° 2 à la commune de Haguenau.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 23 décembre 2020 et 16 juin 2022, la commune de Haguenau, représentée par la selarl CM Affaires publiques, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société MAOAM Architecture sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions indemnitaires à fin de réparation du préjudice d'atteinte au droit d'auteur ne relèvent pas de la compétence de la juridiction administrative ;

- les conclusions à fin de rémunération supplémentaire sont irrecevables, en l'absence de transmission d'un mémoire en réclamation régulier au sens de l'article 37 du CCAG-PI ;

- les demandes d'honoraires supplémentaires ne sont pas fondées en l'absence de justification de l'impact de l'augmentation du montant des travaux sur la nature, l'étendue et la complexité de la mission de maîtrise d'œuvre ;

- la demande de réparation du préjudice d'atteinte à l'œuvre n'est pas fondée en l'absence de caractère original de l'œuvre ;

- la demande de réparation du préjudice moral n'est pas fondée en l'absence d'établissement du préjudice.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la propriété intellectuelle ;

- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;

- la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 ;

- la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 ;

- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Picque, première conseillère,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me le Tily, représentant la commune de Haguenau.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement du 11 janvier 2016, la commune de Haguenau a conclu avec un groupement momentané d'entreprises solidaires, constitué de la société MAOAM Architecture, architecte mandataire, la société ID Ingénierie, la société LM Ingénierie et M. A..., un marché public de maîtrise d'œuvre relatif à l'aménagement de la salle des mariages et à la mise en accessibilité " PMR " de l'hôtel de ville. Le marché comportait une tranche ferme, relative à l'aménagement de la salle des mariages, et une tranche conditionnelle, relative à la mise en accessibilité, qui a été affermie. Par un avenant du 14 avril 2016, le montant de la rémunération forfaitaire de la maîtrise d'œuvre a été porté à 38 762,03 euros hors taxe (HT), soit 46 514,44 euros toutes taxes comprises (TTC). La société MAOAM Architecture relève appel du jugement du 30 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes, présentées sur le fondement de la responsabilité contractuelle du maître de l'ouvrage, tendant à la condamnation de la commune de Haguenau à lui verser une somme de 31 877,94 euros TCC (26 564,95 euros HT) en paiement d'honoraires complémentaires, une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice d'atteinte à son œuvre, et une somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Sur la demande de réparation du préjudice d'atteinte à une œuvre :

2. Par dérogation à la règle énoncée par l'article 2 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 selon laquelle les marchés passés en application du code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs de sorte que les litiges nés de leur exécution ou de leur rupture relèvent de la compétence du juge administratif, la recherche de la responsabilité contractuelle des personnes morales de droit public en matière de propriété littéraire et artistique relève, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire. Par suite, la société requérante, n'est pas fondée à soutenir que c'est tort que les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'indemnisation du préjudice d'atteinte à ses droits d'auteur comme étant portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Sur les demandes de paiement de prestations supplémentaires et de réparation du préjudice moral :

3. Aux termes de l'article 37 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles (CCAG-PI) : " Le pouvoir adjudicateur et le titulaire s'efforceront de régler à l'amiable tout différend éventuel relatif à l'interprétation des stipulations du marché ou à l'exécution des prestations objet du marché. / Tout différend entre le titulaire et le pouvoir adjudicateur doit faire l'objet, de la part du titulaire, d'une lettre de réclamation exposant les motifs de son désaccord et indiquant, le cas échéant, le montant des sommes réclamées. Cette lettre doit être communiquée au pouvoir adjudicateur dans le délai de deux mois, courant à compter du jour où le différend est apparu, sous peine de forclusion. / Le pouvoir adjudicateur dispose d'un délai de deux mois, courant à compter de la réception de la lettre de réclamation, pour notifier sa décision. L'absence de décision dans ce délai vaut rejet de la réclamation ".

4. L'apparition d'un différend, au sens de ces stipulations, entre le titulaire du marché et l'acheteur, résulte, en principe, d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de l'acheteur et faisant apparaître le désaccord. Elle peut également résulter du silence gardé par l'acheteur à la suite d'une mise en demeure adressée par le titulaire du marché l'invitant à prendre position sur le désaccord dans un certain délai. Lorsqu'un tel différend apparaît, le titulaire doit présenter, dans un délai de deux mois, un mémoire de réclamation, à peine d'irrecevabilité de la saisine du juge du contrat. Par ailleurs, au sens des stipulations précitées, un mémoire du titulaire du marché ne peut être regardé comme une réclamation que s'il comporte l'énoncé d'un différend et expose, de façon précise et détaillée, les chefs de la contestation en indiquant, d'une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d'autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées. Si ces éléments ainsi que les justifications nécessaires peuvent figurer dans un document joint au mémoire, celui-ci ne peut pas être regardé comme une réclamation lorsque le titulaire se borne à se référer à un document antérieurement transmis au représentant du pouvoir adjudicateur ou au maître d'œuvre sans le joindre à son mémoire.

5. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 1er mars 2017, la société MAOAM Architecte a transmis à la commune de Haguenau un " projet d'avenant de travaux supplémentaires " accompagné d'un mémoire expliquant les bases de calcul des sommes demandées à titre de rémunération complémentaire. Par une lettre du 11 mai 2017, la commune de Haguenau a informé le mandataire du groupement d'entreprises titulaires du marché de maîtrise d'œuvre de son refus de payer la majorité des sommes réclamées. Cette prise de position écrite et explicite et dépourvu d'ambiguïté de la part de l'acheteur public quant au refus de prendre en charge les sommes réclamées constitue un différend au sens des stipulations précédemment citées de l'article 37 du CCAG-PI. La société MAOAM Architecture, qui doit être regardée comme ayant pris connaissance de ce différend au plus tard le 20 juin 2017, disposait ainsi d'un délai de deux mois à compter de cette date pour présenter un mémoire en réclamation.

6. Or, la lettre de la société MAOAM Architecture datée du même jour adressée au maître d'ouvrage ne contient ni l'exposé précis et détaillé de ses demandes de rémunération complémentaire, ni les bases de calcul des sommes demandées. Par ailleurs, elle ne fait pas référence à la lettre du 1er mars 2017 qui n'était pas jointe. Dans ces conditions, la lettre du 20 juin 2017 ne peut être qualifiée de mémoire en réclamation au sens de stipulations précitées au point 3. Il en va de même des lettres des 20 octobre et 8 décembre 2017, qui en tout état de cause ont été envoyées postérieurement au délai de deux mois. Par conséquent, ainsi que le soutient la commune de Haguenau, les conclusions indemnitaires de la requérante sont, faute de réclamation préalable, irrecevables. Il en résulte que la société MAOAM Architecture n'est pas fondée à se plaindre de ce que les premiers juges ont rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Haguenau, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que demande la société requérante au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société MAOAM Architecture le versement de la somme de 1 500 euros à la commune de Haguenau sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société MAOAM Architecture est rejetée.

Article 2 : La société MAOAM Architecture versera à la commune de Haguenau une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société MAOAM Architecture et à la commune de Haguenau.

Délibéré après l'audience du 24 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Roussaux, première conseillère,

- Mme Picque, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 février 2023

La rapporteure,

Signé : A.-S. Picque

La présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : M. B...

La République mande et ordonne au préfet du Bas-Rhin concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

M. B...

2

N° 20NC01315


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC01315
Date de la décision : 14/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Anne-Sophie PICQUE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : CM.AFFAIRES PUBLIQUES

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-02-14;20nc01315 ?
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