Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune d'Altorf a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner solidairement M. B... C..., architecte et les sociétés HN Ingéniérie, M. F... D..., GTG Société nouvelle, AXA France IARD, Dekra Industrial, BTO, Pyramide, MMA IARD à lui verser la somme de 87 343 euros, ainsi que les intérêts au taux légal et leur capitalisation.
Par un jugement n° 1803025 du 30 janvier 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de la commune d'Altorf dirigée contre les sociétés MMA IARD et Axa France IARD comme étant portée devant une juridiction incompétente pour en connaître. Par le même jugement, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté le surplus des conclusions de la demande de la commune d'Altorf et a mis à sa charge une somme de 1 000 euros à verser à M. C... et aux sociétés HN Ingéniérie, M. F... D..., AXA France IARD, Dekra Industrial et MMA IARD, à chacun, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 mars 2020 et 29 janvier 2021, la commune d'Altorf, représentée par Me Gillig de la Selarl Soler-Couteaux et F..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 30 janvier 2020 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de M. C..., architecte, et des sociétés HN Ingéniérie, M. F... D..., GTG Société nouvelle et Dekra Industrial ;
2°) de condamner solidairement M. C..., architecte, et les sociétés HN Ingéniérie, M. F... D..., GTG Société nouvelle, Dekra Industrial à lui verser la somme de 87 343 euros toutes taxes comprises (TTC) ainsi que les intérêts au taux légal et la capitalisation de ces intérêts en raison du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison des désordres affectant le groupe scolaire communal ;
3°) de mettre à la charge de M. C... et des sociétés HN Ingéniérie, M. E..., GTG Société nouvelle, Dekra Industrial la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- son action introduite en première instance n'était pas prescrite ;
- contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges, le caractère décennal des désordres affectant le groupe scolaire communal est établi dans la mesure où ces désordres, qui sont généralisés, affectent le dispositif d'étanchéité de la toiture d'un ouvrage accueillant 120 jeunes enfants, compromettent leur sécurité et rendent l'ouvrage impropre à sa destination ;
- à supposer même que la cour considère que les désordres en cause ne rendraient pas le groupe scolaire impropre à sa destination, les désordres relatifs à la fissuration et à la dégradation de l'enduit, les sorties de toiture et les enduits de la terrasse d'appartement, compte tenu de leur caractère évolutif et généralisé, présenteront nécessairement à terme un caractère décennal ; contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, il n'est pas nécessaire de démontrer le caractère certain d'un désordre évolutif ;
- en tout état de cause, les désordres présenteront à terme un caractère décennal nécessitant la réfection complète de la toiture ;
- les désordres en cause sont imputables à M. B... C... et aux sociétés HN Ingéniérie et M. F... D..., membres d'un groupement solidaire de maîtrise d'œuvre, pour un défaut de conception dans la compatibilité des matériaux et dans la surveillance de l'exécution des travaux ;
- les désordres en cause sont également imputables aux manquements de la société GTG Société Nouvelle, titulaire du lot " charpente " ;
- les désordres sont également imputables à la société Dekra Industrial, contrôleur technique, dont la mission portait sur le contrôle de la solidité des ouvrages clos et couverts ;
- elle est fondée à demander la condamnation solidaire de l'ensemble des constructeurs ayant concouru à la réalisation de la totalité du dommage ;
- le montant des travaux nécessaires pour remédier aux désordres s'élève à la somme de 87 343 euros TTC.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 19 novembre 2020 et 5 août 2021, M. B... C..., représenté par Me Deleau, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident :
- d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il n'a pas rejeté la demande présentée par la commune d'Altorf, qui est prescrite, comme irrecevable ;
- de rejeter comme irrecevable la demande présentée par la commune d'Altorf devant le tribunal administratif de Strasbourg ;
3°) par la voie de l'appel provoqué de condamner in solidum les sociétés Dekra Industrial, HN Ingéniérie et M. F... D... à le garantir des condamnations en principal, accessoire, frais et dépens qui pourraient être prononcées à son encontre ;
4°) de rejeter les appels en garanties formés à son encontre par les sociétés Dekra Industrial, HN Ingéniérie et M. F... D... ;
5°) de mettre à la charge de la commune d'Altorf la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ou, en tout état de cause, de mettre solidairement à la charge de la commune d'Altorf et des sociétés Dekra Industrial, HN Ingéniérie et M. F... D... à lui verser la somme de 2 000 euros au titre des mêmes dispositions.
Il soutient que :
- le référé instruction du 14 septembre 2015 a été introduit par la commune d'Altorf plus de dix ans après la réception des travaux ; l'action de la commune d'Altorf est prescrite et, par la voie de l'appel incident, le jugement du tribunal administratif de Strasbourg devra être infirmé en tant qu'il n'a pas rejeté comme irrecevable la demande de la commune d'Altorf ;
- en raison de leur faible gravité et de l'absence de preuve qu'ils compromettront de manière certaine la solidité ou la destination de l'ouvrage dans un délai prévisible, les désordres en cause ne présentent pas un caractère décennal ;
- il incombe au maître d'ouvrage d'apporter la preuve de l'impropriété de la destination de l'immeuble ;
- à titre subsidiaire, aucun désordre n'est imputable à la maîtrise d'œuvre à laquelle l'expert ne reproche aucune faute dans la conception ou la direction des travaux ;
- la demande tendant à la réfection du préau, pour une somme de 1 500 euros, qui ne figurait pas dans le référé instruction introduit par la commune d'Altorf, est prescrite ;
- la somme de 2 080 euros, relative à la réfection de la toiture terrasse de l'appartement, ne peut être incluse dans le préjudice subi par la commune d'Altorf dans la mesure où ces désordres ont fait l'objet d'une reprise par la société Feralu ;
- les travaux strictement nécessaires à la reprise des désordres s'élèvent uniquement à la somme de 8 445 euros HT ;
- l'appel en garantie de la société Dekra Industrial dirigé à son encontre doit être rejeté dans la mesure où il n'est pas établi qu'il a commis une faute qui serait à l'origine des désordres en cause ;
- les appels en garantie des sociétés HN Ingéniérie et M. D... F..., membres du groupement de maîtrise d'œuvre, dirigés à son encontre doivent être rejetés dans la mesure où, d'une part, ils sont membres d'un groupement solidaire de maîtrise d'œuvre et, d'autre part, il n'est ni établi ni même allégué qu'il aurait commis de nature à engager sa responsabilité ;
- si la cour faisait droit aux demandes formulées par la commune d'Altorf, il est fondé à demander, sur un fondement contractuel en ce qui concerne les sociétés HN Ingéniérie et M. D... F..., et sur un fondement délictuel en ce qui concerne la société Dekra Industrial, à ce qu'elles le garantissent de l'intégralité des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 août 2020, la SAS Dekra Industrial, représentée par Me Loctin, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) à titre principal, par la voie de l'appel incident :
- d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il n'a pas rejeté la demande présentée par la commune d'Altorf comme irrecevable ;
- de rejeter comme irrecevable la demande présentée par la commune d'Altorf devant le tribunal administratif de Strasbourg et déclarer sans objet les appels en garanties formés à son encontre ;
3°) à titre subsidiaire, de rejeter la demande présentée par la commune d'Altorf devant le tribunal administratif de Strasbourg comme mal fondée ;
4°) à titre infiniment subsidiaire, de limiter le coût des travaux de reprise des désordres affectant la toiture à la somme de 12 630 euros TTC ;
5°) de rejeter les appels en garantie formés à son encontre et de rejeter toute demande de condamnation solidaire qui pourrait être prononcée à son encontre ;
6°) par la voie de l'appel provoqué, de condamner in solidum M. C... et la société M. F... D... à la garantir des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ;
7°) de mettre in solidum à la charge de la commune d'Altorf ou tout succombant les dépens et la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, par la voie de l'appel incident, le jugement du tribunal administratif de Strasbourg devra être infirmé en tant qu'il n'a pas rejeté comme irrecevable la demande de la commune d'Altorf qui était prescrite ;
- à titre subsidiaire, les désordres en cause ne présentent pas un caractère décennal ;
- à titre subsidiaire, dans la mesure où les désordres en cause ont pour origine des malfaçons isolées et que contractuellement elle n'avait pas en charge la surveillance des travaux, il ne peut lui être imputé aucun défaut de conseil ;
- à titre infiniment subsidiaire, la solidarité ne se présumant pas, aucune condamnation solidaire ou in solidum ne pourra être prononcée à son encontre ;
- les travaux de remise en état s'élèvent uniquement à la somme de 12 630 euros TTC ;
- à titre infiniment subsidiaire, la société M. D... F... et M. B... C... devront, sur un fondement quasi-délictuel, être condamnés in solidum à la relever et garantir d'une condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 10 septembre 2020 et 10 septembre 2021, la SAS HN Ingéniérie, représentée par Me Lime-Jacques, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident :
- d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il n'a pas rejeté la demande présentée par la commune d'Altorf comme irrecevable et prescrite ;
- de rejeter comme irrecevable la demande présentée par la commune d'Altorf devant le tribunal administratif de Strasbourg ;
3°) à titre subsidiaire, de rejeter toutes les demandes de la commune d'Altorf et tout appel en garantie formé à son encontre et de limiter le coût de reprise des désordres à la somme de 8 545 euros HT ;
4°) en tout état de cause, si une condamnation était prononcée à son encontre, par la voie de l'appel provoqué, de condamner in solidum M. C..., les sociétés M. D... F..., GTG Société Nouvelle, Biltz Toitures Obernai, Pyramide et Dekra Industrial à la relever et garantir de toutes condamnations pouvant être prononcées à son encontre ;
5°) de mettre à la charge de la commune d'Altorf ou toute partie succombante les dépens, y compris les frais d'expertise judiciaire, et la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, par la voie de l'appel incident, le jugement du tribunal administratif de Strasbourg devra être infirmé en tant qu'il n'a pas rejeté comme irrecevable la demande de la commune d'Altorf qui était prescrite ; tout appel en garantie formé à son encontre est également irrecevable ;
- à titre subsidiaire, les désordres ne présentent pas un degré de gravité permettant de les regarder comme ayant un caractère décennal ;
- il ne peut lui être imputé aucun défaut de conception ou de conseil dans le cadre des missions de maîtrise d'œuvre qui lui ont été confiées ; elle est intervenue exclusivement pour le lot " Gros Œuvre " et n'avait aucune mission relative à la charpente-couverture ;
- les travaux de réparation fixés par l'expert s'élèvent uniquement à la somme de 8 545 euros HT ;
- les travaux de réfection du préau, pour une somme de 1 500 euros, ne doivent pas être inclus dans les travaux de reprise ;
- les travaux au titre des tablettes de couvrement, pour un montant de 480 euros HT, ont fait l'objet d'une reprise par la société Feralu ;
- à titre infiniment subsidiaire, la société GTG Société Nouvelle a concouru à la mauvaise exécution des prestations qui lui étaient confiées ;
- les sociétés Biltz Toitures Obernai et Pyramide, en liquidation judiciaire, sont responsables des défaillances à l'origine des désordres ;
- sur un fondement purement contractuel, subsidiairement quasi-délictuel, elle est fondée à demander la condamnation de la société M. F... D... et de M. B... C... à la garantir et relever de toute condamnation prononcée à son encontre ;
- elle n'a pas été associée à la phase APS ;
- tous les appels en garantie formés à son encontre doivent être rejetés.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 25 septembre 2020 et 13 septembre 2021, la SAS M. F... D..., représentée par Me Andre, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident :
- d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il n'a pas rejeté la demande présentée par la commune d'Altorf comme irrecevable et prescrite ;
- de rejeter comme irrecevable la demande présentée par la commune d'Altorf devant le tribunal administratif de Strasbourg ;
3°) de rejeter l'ensemble des demandes formées à son encontre et à titre subsidiaire, de limiter le montant dû à la somme de 8 545 euros HT ;
4°) par la voie de l'appel provoqué, de condamner M. C..., les sociétés HN Ingéniérie, GTG Société nouvelle, Dekra Industrial, Biltz Toiture Obernai et Pyramide, représentées pour ces deux dernières sociétés par leur liquidateur judiciaire, de la garantir et relever de toutes condamnations en principal, intérêts, dommages et intérêts, frais, dépens prononcées à son encontre ;
5°) de mettre à la charge de la commune d'Altorf ou toute partie succombante la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- par la voie de l'appel incident, le jugement du tribunal administratif de Strasbourg devra être infirmé en tant qu'il n'a pas rejeté comme irrecevable la demande de la commune d'Altorf qui était prescrite ;
- les désordres ne présentent pas un degré de gravité permettant de présenter un caractère décennal ;
- l'expert n'a retenu que la responsabilité des entreprises ;
- aucun désordre n'était visible à la réception et la conception était conforme aux règles de l'art ;
- la demande tendant à la réfection du préau, pour une somme de 1 500 euros, qui ne figurait pas dans le référé instruction introduit par la commune d'Altorf, est prescrite ;
- les travaux au titre des tablettes de couvrement, pour un montant de 480 euros HT, ont fait l'objet d'une reprise par la société Feralu ;
- les travaux strictement nécessaires à la reprise des désordres s'élèvent uniquement à la somme de 8 545 euros HT ;
- la maîtrise d'œuvre devra être mise hors de cause dans la mesure où la solidarité ne se présume pas ;
- sur un fondement contractuel et subsidiairement quasi délictuel, elle est fondée à demander à ce que M. C... et la société HN Ingéniérie la relève et garantisse d'une condamnation prononcée à son encontre ;
- sur un fondement quasi-délictuel, la société Dekra Industrial, contrôleur technique, devra la garantir d'une condamnation prononcée à son encontre ;
- elle a le droit d'être garantie par les entreprises Biltz Toiture Obernai et Pyramide.
La procédure a été communiquée à Me Evelyne Gall-Heng, mandataire liquidateur de la société G.T.G Société Nouvelle, à Me Windenberger, mandataire liquidateur de la société Pyramide et à la société BTO qui n'ont pas présenté de mémoire en défense.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des appels incidents formés par M. C..., architecte et les sociétés M. F... D..., Dekra Industrial et HN Ingénierie en raison de l'absence d'intérêt à demander la réformation du jugement attaqué, qui leur donne satisfaction sur l'absence d'engagement de la responsabilité décennale des constructeurs, en tant que ce jugement ne fait pas droit à leur moyen tiré de la prescription de l'action décennale de la commune d'Altorf.
Par un mémoire, enregistré le 19 janvier 2023, la société HN Ingéniérie a présenté des observations sur le moyen relevé d'office.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denizot, premier conseiller,
- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,
- et les observations de Me Koromyslov substituant Me Gillig, pour la commune d'Altorf ainsi que celles de Me Lime pour la société HN Ingéniérie.
Considérant ce qui suit :
1. En 2003, la commune d'Altorf a décidé la construction d'un groupe scolaire. Par un acte d'engagement du 24 juillet 2003, un marché de maîtrise d'œuvre a été attribué à un groupement solidaire composé des sociétés Muhlberger et F..., Loeb Ingénierie, Reymann Ingénierie ainsi que du Bureau d'Etudes Poirel et de M. B... C..., architecte. Le lot n° 3 " couverture zinc " a été attribué à la société BTO (Biltz Toitures), le lot n° 5 " menuiserie extérieure aluminium " à la société Ferralu, le lot n° 19 " crépissage " à la société Pyramide et le lot n°2 " charpente " à la société GTG. La société Dekra Industrial s'est vu confier une mission de contrôle technique. Les sociétés M. F... D... et HN Ingéniérie sont respectivement venues aux droits et obligations des sociétés Muhlberger et F... et Loeb Ingénierie. Pour les lots " couverture zinc " et " charpente ", la réception des travaux a eu lieu sans réserves le 12 septembre 2005. A la suite de constats d'infiltrations et malgré des travaux de reprise, la commune d'Altorf a déposé un recours en référé instruction le 11 septembre 2015 devant le tribunal administratif de Strasbourg. L'expert a rendu son rapport le 24 mai 2017.
2. Par un jugement du 30 janvier 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de la commune d'Altorf dirigée contre les sociétés MMA IARD et Axa France IARD comme étant portées devant une juridiction incompétente pour en connaître. Par le même jugement, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de la commune d'Altorf tendant à la condamnation solidaire de M. C... et des sociétés HN Ingéniérie, M. F... D..., GTG société nouvelle, Dekra Industrial, BTO et Pyramide. La commune d'Altorf relève appel de ce jugement en tant que le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande de condamnation. Par la voie de l'appel incident, M. C... et les sociétés M. F... D..., HN Ingéniérie et Dekra Industrial demandent la réformation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il a estimé que l'action en responsabilité décennale de la commune d'Altorf n'était pas prescrite.
Sur la responsabilité décennale :
3. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans, dès lors que les désordres leur sont imputables, même partiellement et sauf à ce que soit établie la faute du maître d'ouvrage ou l'existence d'un cas de force majeure. Le caractère apparent des désordres à la réception fait obstacle à ce que la responsabilité des constructeurs puisse être engagée sur le fondement de la garantie décennale. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.
4. Après une première tentative de la commune de mettre fin à des infiltrations d'eau dans le groupe scolaire, l'expert judiciaire, à l'occasion de la réunion du 25 janvier 2016, a constaté la persistance de plusieurs désordres. Ils consistent en des " traces d'humidité sur deux dalles de faux plafond " en salle CM1-CM2, une " petite tache d'humidité sur une seule dalle " de la salle CP, " une tache sur plafond " en salle CE1-CE2, une " tache d'humidité sur une seule dalle " en salle petits moyens, des " taches d'humidité sur quatre dalles " en salle repos, des " coulures sur mur et porte " en salle " Evolution ", ainsi que plusieurs percements et excroissances en toiture. Dans son rapport, l'expert a également constaté l'existence d'une infiltration en sous-face de la toiture du préau. Enfin, selon le procès-verbal de constat d'huissier du 2 mars 2020, de nouvelles auréoles d'humidité sont apparues notamment sur les plaques de faux-plafond des salles de grande section, de la directrice et du couloir nord.
5. Selon l'expert, les salles CP et CE1-CE2 ne présentent pas d'infiltrations et la commune d'Altorf n'apporte aucun élément permettant de justifier que les infiltrations d'eau en sous-face du préau, au regard de sa destination, présenteraient un caractère décennal. En revanche, l'expert a constaté que les salles CM1-CM2, Petits Moyens, Repos et Evolution sont affectées par des infiltrations d'eau. A l'exception de la salle Evolution, qui présente des coulures sur un mur et une porte, ces infiltrations provoquent uniquement des auréoles d'humidité sur certaines dalles de faux-plafond. A ce titre, un nombre restreint de dalles de faux-plafond a dû être déposé pour l'ensemble du groupe scolaire. Si le rapport d'expertise a identifié des excroissances et le percement de certaines feuilles de zinc de la toiture ou encore des sorties de toitures peu étanches, l'expert n'a jamais qualifié les désordres en résultant comme compromettant la solidité du groupe scolaire ou rendant celui-ci impropre à sa destination. En outre, la commune d'Altorf n'établit pas que, pour les salles CM1-CM2, Petits Moyens, Repos et Evolution, les infiltrations d'eau seraient susceptibles d'entraîner l'effondrement des plaques de faux-plafond et de compromettre ainsi la sécurité des élèves.
6. Par ailleurs, il ne résulte aucunement du rapport d'expertise que la réfection totale de la toiture présenterait un caractère certain et prévisible. A ce titre, l'expert a indiqué, dans son rapport, que " le chiffrage du remplacement total des deux versants a été fait pour information ". Les photographies produites par la commune d'Altorf ne permettent pas davantage d'établir un risque certain et prévisible d'effondrement des plaques de faux-plafond et la nécessité de procéder à la réfection de la toiture. Par conséquent, il ne résulte pas plus de l'instruction que les infiltrations seraient de nature à s'aggraver après l'expiration du délai de dix ans.
7. Dès lors, il ne résulte pas de l'instruction que, dans le délai d'épreuve de dix ans, les infiltrations d'eau en litige, du fait de leur importance et ampleur, rendraient, partiellement ou totalement, le groupe scolaire de la commune d'Altorf impropre à sa destination ou compromettraient sa solidité.
8. Enfin, dans la mesure où les désordres en cause n'ont pas présenté, dans le délai d'épreuve de dix ans, les caractéristiques d'un dommage éligible à la responsabilité décennale des constructeurs, la commune d'Altorf ne peut utilement soutenir que les infiltrations d'eau pourraient revêtir la qualification de désordres évolutifs.
9. Dès lors, il résulte de ce qui précède que la commune d'Altorf n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande en tant qu'elle tendait à la condamnation solidaire de M. C..., architecte, et des sociétés HN Ingéniérie, M. F... D..., Dekra Industrial et GTG Société nouvelle.
Sur la recevabilité des appels incidents formés par M. C... et les sociétés M. E..., HN Ingéniérie et Dekra Industrial :
10. L'intérêt pour faire appel s'apprécie au regard du dispositif du jugement attaqué et non de ses motifs. Par le jugement attaqué le tribunal administratif de Strasbourg, après avoir écarté le moyen tiré de ce que l'action en responsabilité décennale introduite par la commune d'Altorf serait prescrite, a intégralement rejeté la demande de condamnation solidaire formée par la commune d'Altorf sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs. Par suite, M. C..., et les sociétés intimées ont obtenu satisfaction. Dès lors, M. C... et les sociétés M. F... D..., HN Ingéniérie et Dekra Industrial sont sans intérêt et pas recevables à demander, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a, dans ses motifs, écarté le moyen tiré de ce que l'action en responsabilité décennale de la commune d'Altorf aurait été prescrite.
Sur les dépens :
11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre définitivement à la charge de la commune d'Altorf les frais d'expertise liquidés et taxés en première instance.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune d'Altorf une somme de 1 000 euros à verser à M. B... C..., à la société HN Ingénierie, à la société M. F... D... et à la société Dekra Industrial, chacun. En revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B... C... et des sociétés HN Ingénierie, M. F... D... et Dekra Industrial, la somme que demande la commune d'Altorf au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Enfin, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de M. C... et des sociétés HN Ingénierie, M. F... D... et Dekra Industrial, présentées à l'encontre des autres intimés à l'instance, sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune d'Altorf est rejetée.
Article 2 : La commune d'Altorf versera à M. B... C..., à la société HN Ingénierie, à la société M. F... D..., et à la société Dekra Industrial, chacun, une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les frais d'expertise de première instance sont définitivement laissés à la charge de la commune d'Altorf.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Altorf, à M. B... C..., à la SAS HN Ingéniérie, à la SAS Dekra Industrial, à la SAS M. F... D..., à Me Evelyne Gall-Heng, mandataire liquidateur de la société G.T.G Société Nouvelle, à Me Windenberger, mandataire liquidateur de la société Pyramide et à la société BTO.
Délibéré après l'audience du 24 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- M. Denizot, premier conseiller,
- Mme Picque, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 février 2023.
Le rapporteur,
Signé : A. DenizotLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : M. A...
La République mande et ordonne au préfet du Bas-Rhin en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
M. A...
2
N° 20NC00831