Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. K... D... et A... H... D..., agissant tant en leur nom propre qu'en celui de leurs deux enfants mineurs, B... D... et E... D..., ainsi que A... G... C... ont demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le centre hospitalier régional et universitaire (CHRU) de Besançon à les indemniser des préjudices subis en raison de la prise en charge fautive de A... B... D..., ainsi que d'ordonner une expertise pour évaluer les préjudices de l'enfant et, dans l'attente, de verser une provision de 510 000 euros à M. K... D... et A... H... D..., en leur qualité de représentants légaux de Jade D... et de Gabriel D..., une provision de 15 000 euros à M. D... au titre de ses préjudices propres, une provision de 25 000 euros à A... D... au titre de ses préjudices propres et enfin une provision de 10 000 euros à A... C....
Par un jugement avant dire-droit n° 1801123 du 29 juillet 2020, le tribunal administratif de Besançon a ordonné une expertise, a rejeté les conclusions à fin de versement d'indemnités provisionnelles et a sursis à statuer sur les autres conclusions.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 septembre 2020 et le 16 décembre 2020, M. K... D... et A... H... D..., agissant tant en leur nom propre qu'en celui de leurs deux enfants mineurs, B... D... et E... D..., ainsi que A... G... C..., représentés par la SELARL Jehanne Collard et Associés, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon ;
2°) de condamner le CHRU de Besançon à les indemniser intégralement des conséquences de l'accident médical fautif de Jade D... ;
3°) de surseoir à statuer dans l'attente de la consolidation de l'état de A... B... D... ;
4°) de condamner le CHRU de Besançon à verser une provision de 510 000 euros à M. K... D... et A... H... D..., en leur qualité de représentants légaux de Jade D... et de Gabriel D..., une provision de 15 000 euros à M. D... au titre de ses préjudices propres, une provision de 25 000 euros à A... D... au titre de ses préjudices propres et enfin une provision de 10 000 euros à A... C... ;
5°) de mettre à la charge du CHRU de Besançon les entiers dépens, ainsi que le versement de la somme globale de 8 000 euros à M. et A... D... au titre de la première instance et de l'instance d'appel sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- en rejetant leur requête en se fondant exclusivement sur les éléments produits par le CHRU, arguments tous réfutés par les experts à trois reprises, les premiers juges n'ont pas fait preuve d'impartialité et d'indépendance ;
- la responsabilité du CHRU Besançon doit être engagée en raison d'un retard de diagnostic, d'un défaut de surveillance mais également de l'absence de soins diligents, attentifs et conformes aux données acquises par la science ;
- les séquelles neurologiques conservées par l'enfant sont la conséquence directe, certaine et exclusive de l'arrêt cardiaque intervenu en raison du retard de prise en charge chirurgicale ;
- dans l'attente du rapport d'expertise évaluant les préjudices définitifs de l'enfant, il sera sursis à statuer sur l'indemnisation des préjudices de la victime directe et des victimes par ricochet ;
- une provision de 500 000 euros peut néanmoins déjà être versée à M. K... D... et A... H... D..., en leur qualité de représentants légaux de Jade D... ; il peut également déjà être versé une provision de 10 000 euros à M. K... D... et A... H... D..., en leur qualité de représentants légaux de Gabriel D... ;
- une provision de 15 000 euros devra être versée à M. D... en raison de ses préjudices propres, ainsi qu'une provision de 25 000 euros à A... D..., en raison de ses préjudices propres et, enfin, une provision de 10 000 euros doit être accordée à A... C....
Par des mémoires en défense, enregistrés le 12 novembre 2020, le 27 novembre 2020, le 29 décembre 2020 et le 24 octobre 2022, le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Besançon, représenté par Me Cariou, demande à la cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête des consorts D... et C... ;
2°) à titre subsidiaire, de rejeter la requête des consorts D... et C..., d'ordonner la tenue d'une contre-expertise ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, de ramener les sommes demandées par les consorts D... et C... à titre provisionnel à de plus justes propositions et de rejeter le reste de leurs conclusions ;
4°) en tout état de cause, de rejeter l'ensemble des demandes de la CPAM de
la Haute-Saône.
Il fait valoir que :
- il n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité dans la prise en charge de A... B... D... et il doit être mis hors de cause ;
- à titre subsidiaire, si la cour n'était pas convaincue par le fait qu'il n'ait pas commis de faute, il reviendrait d'organiser une contre-expertise, ainsi que l'ont préconisée les premiers juges ;
- à titre infiniment subsidiaire, il conviendrait de retenir l'existence d'un taux de perte de chance de 30 % et de ramener les sommes exigées à de plus justes proportions.
La procédure a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de
la Haute-Saône, qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Par un courrier du 2 janvier 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la décision de la cour était susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires présentées par les consorts I... autres que celles visant à l'octroi d'une indemnité provisionnelle, ainsi que des conclusions présentées par les consorts I... et par le CHRU de Besançon tendant à ce qu'il soit déterminé la charge définitive des frais des expertises ordonnées par les juges de première instance, dès lors que le jugement du tribunal administratif de Besançon n'est qu'un jugement avant dire droit et n'a pour objet ni de se prononcer sur les conclusions indemnitaires autres que celles visant à l'obtention d'indemnités provisionnelles, ni d'arrêter la charge définitive des frais d'expertise.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. F...,
- les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public,
- et les observations de Me Cariou, représentant le CHRU de Besançon.
Considérant ce qui suit :
1. Jade D..., née le 1er janvier 2013, a été admise au service des urgences pédiatriques du CHRU de Besançon le 10 octobre 2015 à 20 heures 11 en raison de douleurs abdominales. Un premier diagnostic d'occlusion haute fonctionnelle sans indication chirurgicale en urgence a été retenu et l'enfant a été admis à l'unité d'hospitalisation de courte durée. A la suite de l'aggravation de son état de santé dans la nuit, l'enfant a été victime d'un arrêt
cardio-respiratoire. A la reprise d'une activité cardiaque, elle a été opérée et la réalisation d'une laparotomie médiane a permis de révéler une large perforation gastrique, dont les berges ont alors été parées et suturées. L'enfant a été gardé à l'hôpital et son état s'est stabilisé, mais, le 20 octobre 2015, à la suite d'une tentative infructueuse d'extubation, Jade D... a présenté un second arrêt cardiaque d'une durée de 9 minutes. La patiente a finalement pu quitter le CHRU le 15 décembre 2015, mais conserve d'importantes séquelles. M. K... D... et A... H... D..., parents de Jade et agissant tant en leur nom propre que celui de leurs deux enfants mineurs, B... D... et E... D..., ainsi que A... G... C..., sœur majeure de Jade, ont demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le CHRU de Besançon à les indemniser des entiers préjudices résultant de la prise en charge fautive de Jade D..., de surseoir à statuer dans l'attente de la consolidation de son état et de condamner le CHRU de Besançon à leur verser des indemnités provisionnelles. Par un jugement avant
dire-droit du 29 juillet 2020, le tribunal administratif de Besançon a ordonné une expertise, a rejeté les conclusions à fin de versement d'indemnités provisionnelles et a sursis à statuer sur les autres conclusions. M. K... D... et A... H... D..., agissant tant en leur nom propre que celui de leurs deux enfants mineurs, B... D... et E... D..., ainsi que A... G... C... font appel de ce jugement avant dire-droit.
Sur la recevabilité des conclusions visant à l'octroi d'indemnités autres que provisionnelles, ainsi que celles relatives aux frais d'expertise :
2. La recevabilité d'une requête dirigée contre un jugement avant dire-droit se bornant à prescrire une expertise et à rejeter des conclusions tendant à l'octroi d'indemnités provisionnelles est limitée à la contestation de l'utilité de cette expertise et des motifs du jugement qui constituent le soutien nécessaire du dispositif ordonnant cette mesure d'instruction, ainsi qu'à la remise en cause du caractère sérieusement contestable des créances dont se prévalent les requérants.
3. Par son jugement avant dire-droit n° 1801123 du 29 juillet 2020, le tribunal administratif de Besançon s'est borné à ordonner une expertise et à rejeter les conclusions à fin de versement d'indemnités provisionnelles. Les premiers juges ont sursis à statuer sur les autres conclusions présentées par les parties. Par suite, les conclusions indemnitaires présentées par les consorts I... autres que celles tendant à l'octroi d'indemnités provisionnelles, ainsi que les conclusions présentées par les requérants tendant à ce qu'il soit déterminé la charge définitive des frais des expertises ordonnées par les juges de première instance sont irrecevables et doivent être rejetées.
Sur la régularité du jugement :
4. Alors que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les premiers juges n'ont pas rejeté l'ensemble de leurs demandes, mais ont seulement ordonné une expertise et refusé de faire droit aux demandes d'indemnités provisionnelles, il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal administratif se serait, pour ce faire, exclusivement appuyé sur les documents versés par le CHRU et n'aurait pas pris en compte l'ensemble des éléments au dossier. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'absence d'impartialité et d'indépendance des premiers juges manque en fait et ne peut qu'être écarté.
Sur l'utilité de l'expertise ordonnée :
5. Le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a, par une ordonnance du 28 octobre 2016, sollicité une première expertise portant sur les éventuelles fautes commises par le CHRU dans la prise en charge de Jade D..., ainsi que sur les préjudices qui en résulteraient. Ce rapport a été déposé au greffe du tribunal le 1er juin 2017. Saisi d'une requête indemnitaire par les consorts I..., le tribunal administratif de Besançon a, par un jugement du 12 février 2019, ordonné qu'il soit réalisé un supplément à cette expertise. Les premiers experts sollicités ont ainsi déposé, le 1er juillet 2019, au greffe du tribunal, un deuxième rapport complétant leurs premières indications. Si ces experts retiennent que A... D... souffrait probablement, lors de son arrivée, d'un volvulus gastrique et que le CHRU n'a pas, en tout état de cause, mis en œuvre tous les moyens à sa disposition pour établir un diagnostic précis et a, de plus, insuffisamment surveillé l'enfant de sorte que, en raison de ces fautes, il lui a fait perdre une chance de 100 % d'éviter les séquelles dont elle souffre aujourd'hui, le CHRU a versé au dossier plusieurs productions de différents experts médicaux réfutant la position retenue par le rapport et son complément. Tant le diagnostic de volvulus gastrique que l'existence de fautes dans l'établissement du diagnostic et dans la surveillance de la patiente sont ainsi remis en cause par ces professionnels de santé spécialisés notamment en chirurgie pédiatrique, en chirurgie viscérale et en réanimation pédiatrique et cela au terme de développements précis et étayés. En raison de ces divergences importantes, la tenue d'une nouvelle expertise pouvant s'appuyer sur l'ensemble des éléments produits pour se prononcer, au terme d'échanges contradictoires avec les parties, sur l'existence de fautes imputables au CHRU, ainsi que sur les conséquences de ces fautes, présentait un caractère utile.
Sur les conclusions relatives aux indemnités provisionnelles :
6. Le juge du fond peut accorder une provision au créancier qui l'a saisi d'une demande indemnitaire lorsqu'il constate l'existence d'un agissement fautif de l'administration, qui a été à l'origine d'un préjudice et que, dans l'attente des résultats d'une expertise permettant de déterminer l'ampleur de celui-ci, il est en mesure de fixer un montant provisionnel dont il peut anticiper qu'il restera inférieur au montant total qui sera ultérieurement défini.
7. Ainsi qu'il a été précisé au point 5, si les experts désignés par le tribunal administratif de Besançon ont retenu que le CHRU a commis une faute dans l'établissement du diagnostic de l'affection dont était atteinte Jade D... puis dans la surveillance de cette dernière et que ces manquements lui ont fait perdre une chance de 100 % d'éviter les séquelles dont elle souffre aujourd'hui, le CHRU a versé au dossier plusieurs productions d'experts spécialisés, notamment en chirurgie pédiatrique, en chirurgie viscérale et en réanimation pédiatrique, qui ont contesté l'existence de toute faute du CHRU. Ces experts réfutent la possibilité de retenir que Jade D... souffrait d'un volvulus gastrique, mais précisent également que, à considérer même qu'elle en ait été atteinte, il n'y a néanmoins pas eu de faute dans l'établissement du diagnostic au vu de la rareté de cette pathologie et de l'absence chez l'enfant de signes permettant de la diagnostiquer. Ces experts indiquent, de plus, que le traitement symptomatique préconisé par le CHRU était adapté. Enfin, il est souligné par deux de ces experts que, en dépit d'un problème de retranscription, la surveillance apportée à l'enfant dans la nuit du 10 au 11 octobre 2015 était adaptée. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que, avant l'expertise ordonnée par le jugement litigieux, il pouvait être retenu l'existence d'une faute du CHRU. Les conclusions relatives à l'octroi d'indemnités provisionnelles ne peuvent donc qu'être rejetées.
8. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement avant dire-droit attaqué, le tribunal administratif de Besançon a ordonné une expertise et a rejeté leurs conclusions tendant à l'octroi d'indemnités provisionnelles.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du CHRU de Besançon, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme sollicitée par les consorts D... et C... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. et A... D... et A... A... C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. K... D..., représentant unique, en application des dispositions de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, au centre hospitalier régional et universitaire de Besançon et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône.
Délibéré après l'audience du 10 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Wurtz, président,
- A... Haudier, présidente assesseure,
- M. Marchal, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 janvier 2023.
Le rapporteur,
Signé : S. F...
Le président,
Signé : Ch. WURTZLe greffier,
Signé : F. LORRAIN
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
N° 20NC02848
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