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26/01/2023 | FRANCE | N°21NC00421

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 26 janvier 2023, 21NC00421


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales qui leur ont été assignés au titre de l'année 2014.

Par un jugement n° 1901141 du 17 décembre 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 février 2021, M. et Mme B..., représentés par Me P

ierre, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer, en droits et pénalités,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales qui leur ont été assignés au titre de l'année 2014.

Par un jugement n° 1901141 du 17 décembre 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 février 2021, M. et Mme B..., représentés par Me Pierre, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer, en droits et pénalités, la décharge des impositions contestées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- afin de déterminer la valeur mathématique des titres de la SCEV Les Craies à la somme de 134 109 euros, il y a lieu de retenir l'exercice clos le 31 décembre 2014 à titre d'exercice de référence, le plus proche de la date de la cession, ce qui a pour conséquence d'intégrer à l'actif la plus-value latente sur les parcelles de vignes (Tauxières-Mutry, Verzy, Verzenay, Ambonnay) à hauteur de 402 693 euros, la valorisation de la carte de récoltant à hauteur de 47 000 euros et la réserve de la vendange 2014 à hauteur de 4 584 euros ;

- la valeur de productivité ne saurait intégrer les résultats des exercices 2011 et 2012 lesquels sont exceptionnels, de sorte qu'il convient de ne tenir compte que des résultats positifs des années 2013 et 2014, établissant une valeur de productivité de 128 180 euros ;

- la pondération entre les deux méthodes doit être effectuée selon la formule (3Vm + VRent)/4 ce qui aboutit à une valeur pondérée de la société de 132 627 euros ;

- la preuve d'un manquement délibéré n'est pas apportée par l'administration.

Par un mémoire enregistré le 26 juillet 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A... ;

- et les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile La Faitière, dont les bénéfices sont imposables à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'option régulière souscrite lors de sa création le 20 septembre 2012, ayant pour gérant et principal associé M. C... B..., a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au cours de l'année 2017. L'administration fiscale a alors constaté que la société La Faitière avait fait l'acquisition le 19 août 2014 de la totalité des parts sociales de la société civile d'exploitation viticole (SCEV) Les Craies auprès de M. B..., associé unique, moyennant le prix de 120 000 euros. L'administration a estimé que le prix d'acquisition de 120 000 euros ne correspondait pas à la valeur vénale des parts sociales laquelle serait, selon elle, nulle. En conséquence, à la suite de l'examen de la situation fiscale personnelle des époux B..., par une proposition de rectification du 24 novembre 2017, l'administration fiscale a, selon la procédure contradictoire de rectification, estimé que M. B... avait été le bénéficiaire d'un revenu distribué par la SC La Faitière, imposable dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, sur le fondement du c de l'article 111 du code général des impôts, à raison du prix majoré d'acquisition des titres de la SCEV Les Craies. Les époux B... ayant refusé cette rectification, le service a confirmé sa position par lettre du 13 mars 2018 ainsi qu'à la suite d'une entrevue avec le supérieur hiérarchique du vérificateur et avec l'interlocuteur départemental ayant donné lieu à des compte-rendus des 16 avril et 20 septembre 2018. Les suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, assortis de la pénalité pour manquement délibéré, ont été mis en recouvrement le 31 octobre 2018. La réclamation préalable des époux B... du 17 décembre 2018 a été rejetée le 21 mars 2019. Les époux B... relèvent appel du jugement du 17 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, de ces impositions supplémentaires.

Sur le bien-fondé des impositions :

2. Aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués (...) / c. les rémunérations et avantages occultes ". En cas d'acquisition par une société à un prix que les parties ont délibérément majoré par rapport à la valeur vénale de l'objet de la transaction sans que cet écart de prix comporte de contrepartie, l'avantage ainsi octroyé doit être requalifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices au sens des dispositions précitées du c de l'article 111 du code général des impôts. La preuve d'une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'elle établit l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé et, d'autre part, d'une intention, pour la société, d'octroyer, et, pour le cocontractant, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de la cession, sans que cet avantage soit assorti d'une contrepartie. Dans le cas où les parties sont liées par une relation d'intérêts, l'intention d'octroyer et de recevoir une libéralité est présumée.

3. La valeur vénale des actions non admises à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue. Cette valeur doit être établie, en priorité, par référence à la valeur qui ressort de transactions portant, à la même époque, sur des titres de la société, dès lors que cette valeur ne résulte pas d'un prix de convenance. Toutefois, en l'absence de transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires, l'administration peut légalement se fonder sur l'une des méthodes destinées à déterminer la valeur de l'actif ou sur la combinaison de plusieurs de ces méthodes.

4. En l'absence de transactions intervenues dans des conditions équivalentes, l'administration a procédé à l'évaluation des parts sociales de la société Les Craies en se fondant sur les méthodes de la valeur mathématique et de la valeur de productivité. La méthode de la valeur mathématique consiste à calculer l'actif net comptable de l'entreprise, puis à retraiter cette valeur pour, notamment, intégrer les éléments hors bilan tels que les fonds de commerce, tenir compte des plus-values latentes et réévaluer les postes du bilan à leur valeur réelle tandis que la méthode de la productivité repose sur une capitalisation du bénéfice disponible après impôt sur les sociétés. S'agissant de la valeur mathématique, le service a déterminé l'actif net de la société en prenant comme exercice de référence celui clos le 31 décembre 2013 et a constaté qu'à cette date l'actif net était négatif à hauteur de 2 672 euros aboutissant à une valeur mathématique nulle. S'agissant de la valeur de productivité, le service a déterminé le bénéfice net moyen en se fondant sur les résultats des exercices 2011, 2012 et 2013 et a ainsi constaté, compte tenu des déficits des années 2011 et 2012 et du faible bénéfice de l'exercice 2013, que le résultat moyen était un déficit de 3 359 euros aboutissant ainsi à une valeur de productivité également nulle. Le service en a déduit que l'écart entre la valeur vénale des parts sociales et de leur prix de vente était de 120 000 euros.

En ce qui concerne la méthode de la valeur mathématique :

5. Il résulte de l'instruction qu'alors que la société Les Craies ne disposait au 31 décembre 2013 d'aucune parcelle de vignes, elle a acquis suivant promesse de vente du 25 juillet 2014 et acte authentique du 28 août 2014 une parcelle de vignes d'une contenance de 25 a 88 ca située à Tauxières-Mutry moyennant le prix de 320 000 euros. En dépit de ce que cette acquisition a été finalisée postérieurement à l'acte de cession des parts sociales litigieux du 19 août 2014, une telle circonstance, ayant eu pour effet de permettre à la société de reprendre l'exploitation d'un vignoble de Champagne, doit nécessairement être prise en compte dans le cadre de la détermination de la valeur des parts sociales comme faisant partie des éléments de la négociation d'un prix d'acquisition dans le cadre d'un marché libre entre parties indépendantes. Il y a donc lieu, comme le soutiennent à tout le moins les requérants et comme y consent d'ailleurs l'administration à titre subsidiaire, de vérifier la valeur de l'actif net de la société Les Craies à la date du 19 août 2014 en tenant compte de l'acquisition de cette parcelle de vigne.

6. Toutefois, si les requérants soutiennent que cette parcelle de vigne avait une valeur vénale de 402 693 euros, valeur devant être prise en compte dans le cadre de l'évaluation selon la méthode de la valeur mathématique, ils n'en justifient pas en se prévalant de cessions de huit parcelles de vignes intervenues entre le 22 juillet 2013 et le 21 août 2014 dans les communes de Verzy, Verzenay et Ambonnay dès lors qu'ils ne précisent pas leur classement dans l'échelle des crus de Champagne, classement susceptible d'entrainer d'importance différences de valeur entre des parcelles d'une même commune, contrairement à ce qu'ils soutiennent. A cet égard, les requérants ne sauraient utilement soutenir, en réponse à l'administration, qu'il n'existerait pas de différences de valeurs entre les parcelles classées " premier cru " des communes de Verzy et Vezenay et la parcelle classée " grand cru " de la commune de Tauxières-Mutry. De la même manière, la circonstance que la parcelle de la commune d'Ambonnay serait plantée dans le même cépage que celle de Tauxières-Mutry ne saurait les faire regarder comme intrinsèquement similaires en l'absence de précision sur le classement de celle d'Ambonnay. Dans ces conditions, les termes de comparaison invoqués par les requérants afin d'établir que la valeur vénale de la parcelle acquise par la société Les Craies serait supérieure à son prix d'acquisition ne sauraient être regardés comme intrinsèquement similaires à celle-ci. Par suite, il y a lieu de retenir la parcelle de vignes acquise par la société pour une valeur de 320 000 euros seulement.

7. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que les cartes de récoltant feraient l'objet d'un marché de nature à permettre leur valorisation à l'actif net de la société Les Craies. Si les requérants soutiennent que de telles cartes de récoltant sont valorisées à hauteur de 180 000 euros dans " certains montages juridiques ", ils ne produisent aucun exemple à l'appui de cette allégation.

8. Enfin, si les requérants soutiennent qu'il convient d'inclure dans la détermination de l'actif net la valeur de la réserve individuelle de l'exploitant au titre de la récolte 2014, cet actif est nécessairement entré dans le patrimoine de la société Les Craies au 31 décembre 2014, postérieurement à l'acte d'acquisition litigieux et ne saurait à ce titre être pris en compte dans la détermination de la valeur mathématique des parts sociales au 19 août 2014.

9. Il résulte de ce qui précède, qu'au 19 août 2014, compte tenu de la parcelle de vignes de 320 000 euros, des frais d'acquisition de celle-ci, des actifs financiers et autres créances et liquidités et une fois déduit le passif, la valeur mathématique de la société Les Craies demeure négative.

En ce qui concerne la méthode de la valeur de productivité :

10. La circonstance que le résultat de l'exercice 2011 aurait été marqué par d'importantes charges liées à l'acquisition de l'usufruit temporaire de 50 ares de vignes ne saurait établir que le déficit de cet exercice ne serait pas reproductible, les frais invoqués étant au contraire inhérents à l'activité d'un exploitant viticole. Il en va de même des calamités climatiques invoquées en ce qui concerne l'exercice 2012, de telles circonstances défavorables étant amenées à se reproduire. La circonstance que la société Les Craies a été amenée à céder au cours de cet exercice 2012 l'usufruit temporaire acquis en 2011 n'a pas non plus pour effet de rendre le résultat de cet exercice exceptionnel. Il en résulte que c'est à juste titre que le service a retenu dans le calcul de la valeur de productivité les résultats des exercices 2011, 2012 et 2013. Si les requérants demandent la prise en compte du bénéfice de l'année 2014, c'est à juste titre que l'administration l'a exclu comme étant postérieur à l'acte. En tout état de cause, la prise en compte de ce bénéfice de l'année 2014, comme le demandent les requérants, afin de tenir compte des perspectives de développement de la société à la date de l'acte litigieux, n'a pas pour effet de rendre positive la valeur de productivité de la société Les Craies.

11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'administration a rapporté la preuve que la valeur vénale des parts sociales de la société Les Craies était nulle et que le prix consenti à M. B... par la société La Faitière pour leur acquisition a été majoré de manière significative à hauteur de 120 000 euros. Les parties se trouvant en relation d'intérêts, cette majoration du prix d'acquisition, en l'absence de toute autre contrepartie, constitue une libéralité accordée à M. B..., le rendant imposable sur cette somme dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers en vertu des règles ci-dessus rappelées.

Sur les pénalités :

12. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses... ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs (...), la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration ". La majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue au a) de l'article 1729 du code général des impôts sanctionne la méconnaissance par le contribuable de ses obligations déclaratives. Pour établir le manquement délibéré, l'administration fiscale doit apporter la preuve de l'insuffisance, de l'inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations du contribuable, et de son intention délibérée d'éluder l'impôt.

13. Afin de justifier la pénalité pour manquement délibéré, l'administration a considéré que M. B..., en sa qualité de cédant, gérant et associé unique de la SCEV et en sa qualité de représentant de l'acquéreur, dont il détient plus de 99 % des parts sociales, a pu librement fixer un prix de vente qu'il savait être majoré et sans commune mesure avec la valeur vénale des parts dans le but de s'assurer un revenu en franchise d'impôt. Alors que l'écart entre la valeur vénale des parts sociales et le prix de vente a bien été établi, l'administration, en se fondant sur ces éléments, a rapporté la preuve du manquement délibéré de nature à justifier la pénalité litigieuse.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande. Par suite, leur requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête des époux B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 5 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président de chambre,

M. Agnel, président assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 janvier 2023.

Le rapporteur,

Signé : M. AgnelLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

N° 21NC00421 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00421
Date de la décision : 26/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: M. Marc AGNEL
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : SELARL NOMODOS

Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-01-26;21nc00421 ?
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