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29/12/2022 | FRANCE | N°20NC00289

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 29 décembre 2022, 20NC00289


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société La Poste a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 1er février 2018, par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) Grand-Est lui a infligée une amende administrative d'un montant de 27 000 euros en application des dispositions de l'article L. 8115-1 du code du travail ou, à défaut, de la réformer en prononçant un avertissement ou, en tout état de cause, en réduisant

le montant de cette amende.

Par un jugement n° 1800706 du 3 décembre 2019...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société La Poste a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 1er février 2018, par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) Grand-Est lui a infligée une amende administrative d'un montant de 27 000 euros en application des dispositions de l'article L. 8115-1 du code du travail ou, à défaut, de la réformer en prononçant un avertissement ou, en tout état de cause, en réduisant le montant de cette amende.

Par un jugement n° 1800706 du 3 décembre 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a ramené l'amende administrative prononcée à l'encontre de la société La Poste à la somme de 13 500 euros et rejeté le surplus des conclusions.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 3 février 2020 et le 30 novembre 2022, la société La Poste, représentée par Me Rossignol, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 3 décembre 2019 ;

2°) d'annuler la décision de la DIRECCTE du 1er février 2018 ;

3°) à titre subsidiaire, y substituer un avertissement ;

4°) à titre infiniment subsidiaire, de réduire le quantum de l'amende prononcée.

La société La Poste soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il est insuffisamment motivé et a omis de répondre à l'ensemble des moyens soulevés ;

- la lettre d'information préalable prévue par l'article L. 8115-5 du code du travail a été adressée en méconnaissance des dispositions de l'article R. 8115-10 du code du travail dès lors qu'elle est signée par M. A..., inspecteur du travail, qui ne bénéficie d'aucune délégation ou subdélégation sur le fondement de l'arrêté n° 2016-37 du 8 septembre 2016 de la part de la directrice ;

- la société La Poste a été privée d'une garantie de fond dès lors que la décision attaquée repose sur un rapport du 27 février 2017 de l'agent de contrôle de l'inspection du travail sur la base de propos d'agents de La Poste lors des opérations de contrôle des 12 octobre 2016 et 26 janvier 2017 dont le consentement préalable n'a pas été recueilli conformément à l'article L. 8271-6-1 du code du travail ;

- cette décision a été prise en méconnaissance du principe des droits de la défense et des dispositions de l'article R. 8115-10 du code du travail ;

- elle a été prise en méconnaissance des articles L. 8115-1 et L. 8115-2 du code du travail dès lors que l'information du parquet sur les poursuites engagées par la DIRECCTE a été effectuée par un agent et avant même la rédaction du rapport de contrôle ce qui a privé le parquet de la possibilité d'engager des poursuites pénales ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur de droit dès lors que l'article D. 3171-8 du code du travail ne s'appliquait pas aux facteurs de l'établissement de Rethel ;

- cette décision est entachée d'erreur de droit dès lors que le choix du mode d'organisation du temps de travail relève du pouvoir de direction de l'employeur, qu'en application des dispositions de l'article L. 3121-48 du code du travail, un dispositif d'horaires individualisés ne peut être mis en place que sur demande des salariés et sur avis conforme des instances représentatives du personnel et que les dispositions de l'article D. 3171-1 du même code autorise le travail en dehors des horaires collectifs dans la limite du contingentement annuel des heures supplémentaires fixé à l'article D. 3121-14-1 de ce code ;

- cette décision a été prise en violation de l'accord d'établissement du 2 mai 2016 et de l'accord national du 7 février 2017 ;

- cette décision a été prise en méconnaissance de l'autorité de la chose jugée des décisions prises par les juridictions pénales qui ont relaxé l'entreprise La Poste pour des faits de même nature ;

- cette décision est entachée d'erreur de fait et d'erreur d'appréciation ;

- à supposer que l'établissement de Rethel fonctionnait selon un système d'horaires individualisés, l'article D. 3171-8 du code du travail a été méconnu ;

- sa bonne foi doit être prise en compte pour fixer le montant de l'amende, en application des dispositions de l'article L. 8115-4 du code du travail modifié par l'article 18 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 ;

- le montant de l'amende a été fixé en méconnaissance des dispositions de l'article L. 8115-3 du code du travail.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 octobre 2020, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Barrois, première conseillère,

- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,

- et les observations de Me Rossignol, pour la société La Poste, ainsi que celles de M. A... pour le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Considérant ce qui suit :

1. Des contrôles ont été effectués par l'inspection du travail au sein de l'établissement de Rethel de la société La Poste le 12 octobre 2016 et le 26 janvier 2017 au cours desquels l'agent de contrôle a constaté que plusieurs salariés travaillaient en dehors des horaires collectifs de travail applicables depuis le 18 mai 2016 et affichés dans les locaux soit au-delà de l'horaire de fin, soit avant l'heure de début ce que confirmaient les feuilles de présence. Le 27 février 2017, l'inspecteur du travail transmettait son rapport constatant ce manquement à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi et demandait la mise en œuvre d'une sanction administrative. Le 7 juillet suivant, une lettre d'information prévue par l'article L. 8115-5 du code du travail était adressée à la société La Poste qui formulait ses observations le 18 septembre 2017 et un entretien était fixé le 11 octobre suivant. Par une décision du 1er février 2018, la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Grand-Est a prononcé à l'encontre de la société La Poste une amende administrative d'un montant de 27 000 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 8115-1 et L. 8115-3 du code du travail. La société La Poste fait appel du jugement du 3 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a ramené l'amende administrative prononcée à son encontre à la somme de 13 500 euros et rejeté le surplus des conclusions.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si la société La Poste soutient que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé et ne répondrait pas à l'ensemble des moyens soulevés, elle n'assortit ce moyen d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement est écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. D'une part, aux termes de l'article L. 8115-1 du code du travail, " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1, et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, soit adresser à l'employeur un avertissement, soit" prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement: 1o Aux dispositions relatives aux durées maximales du travail fixées aux articles et aux mesures réglementaires prises pour leur application; 2o Aux dispositions relatives aux repos fixées aux articles L. 3131-1 à L. 3131-3 et L. 3132-2 et aux mesures réglementaires prises pour leur application; 3o A l'article L. 3171-2 relatif à l'établissement d'un décompte de la durée de travail et aux dispositions réglementaires prises pour son application; [...] ".

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 3171-1 du code du travail : " L'employeur affiche les heures auxquelles commence et finit le travail ainsi que les heures et la durée des repos. (...) ", de son article L. 3171-2: " Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. / (...) " et de son article L. 3171-3 : " L'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1 les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. / La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire. " Aux termes de son article D. 3171-1 : " Lorsque tous les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe travaillent selon le même horaire collectif, un horaire établi selon l'heure légale indique les heures auxquelles commence et finit chaque période de travail. / Aucun salarié ne peut être employé en dehors de cet horaire, sous réserve des dispositions des articles L. 3121-30, L. 3121 33, L. 3121-38 et L. 3121-39 relatives au contingent annuel d'heures supplémentaires, et des heures de dérogation permanente prévues par un décret pris en application de l'article L. 3121-67. " Aux termes de son article D. 3171 2 : " L'horaire collectif est daté et signé par l'employeur ou, sous la responsabilité de celui-ci, par la personne à laquelle il a délégué ses pouvoirs à cet effet. / Il est affiché en caractères lisibles et apposé de façon apparente dans chacun des lieux de travail auxquels il s'applique. Lorsque les salariés sont employés à l'extérieur, cet horaire est affiché dans l'établissement auquel ils sont attachés. " Aux termes de son article D. 3171-4 : " Un double de cet horaire collectif et des rectifications qui y sont apportées est préalablement adressé à l'agent de contrôle de l'inspection du travail. " Enfin, aux termes de l'article D. 3171-8 du même code : " Lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe, au sens de l'article D. 3171-7, ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes : / 1° Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies ; / 2° Chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié. " Il résulte de la combinaison de ces dispositions, d'une part, que les salariés travaillant sur le même site ou dans le même établissement peuvent être soumis à un régime horaire collectif ou à un régime horaire individualisé et que, dans ce dernier cas, un décompte des heures accomplies par salarié doit être établi dont l'absence peut donner lieu à une amende administrative en application de l'article L. 8115-1 du code du travail, d'autre part, qu'il appartient à l'employeur d'arrêter le règlement du temps de travail applicable au sein de l'établissement, le cas échéant, par catégorie de personnels, l'inspection du travail devant contrôler le respect du régime d'horaire et, le cas échéant, sanctionner les manquements aux obligations découlant du régime en vigueur.

5. Il est constant que la société La Poste a décidé de soumettre les salariés travaillant sur le site de Rethel à un même horaire collectif de travail, conformément à l'accord collectif d'établissement signé le 2 mai 2016 et à l'accord collectif national signé le 7 février 2017, validés par la DIRECCTE et affichés dans les locaux. Par suite, l'inspection de travail pouvait, en application de ce qui vient d'être dit au point précédent, contrôler le respect du régime d'horaires collectifs et de la durée du temps de travail sur le fondement de l'article L. 8115-1 du code du travail et sanctionner, le cas échéants les éventuels manquements constatés.

6. Les contrôles effectués par l'inspection du travail au sein de l'établissement de Rethel de la société La Poste le 12 octobre 2016 et le 26 janvier 2017 ont révélé qu'un certain nombre de facteurs ont fini leur travail après l'heure de fin de poste mentionnée par l'horaire collectif affiché, les dépassements constatés allant de quelques minutes à plus d'une heure et que les horaires de prise de poste sont variables selon les facteurs. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a déduit des constatations résultant des contrôles susmentionnés que 19 salariés de l'établissement de Rethel ne travaillaient pas selon le même horaire collectif et a estimé qu'il appartenait, par conséquent, à l'employeur de mettre en place les documents nécessaires au décompte du temps de travail lui permettant d'effectuer son contrôle. Toutefois, même si la société requérante n'a pas été en mesure de présenter de documents permettant un contrôle du respect de la durée du temps de travail, il résulte également de l'instruction que l'inspection du travail n'a pas poursuivi ses investigations sur les horaires effectivement effectués par les salariés et notamment les heures contingentées, en demandant en particulier la production des bulletins de paye et de l'ensemble des feuilles d'émargement sur une période utile. Par suite, dans les circonstances de l'espèce, le manquement prévu à l'article L. 8115-1 du code du travail susceptible de donner lieu à l'infliction d'une amende administrative, n'était pas constitué et ne pouvait ainsi fonder une sanction administrative.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que la société La Poste est fondée à demander l'annulation du jugement du 3 décembre 2019 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et de la décision du 11 février 2021 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France lui a infligé une amende administrative de 27 000 euros.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1800706 du 3 décembre 2019 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et la décision du 1er février 2018 sont annulés.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au directeur de la société La Poste et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 8 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- M. Goujon-Fischer, président-assesseur,

- Mme Barrois, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 décembre 2022.

La rapporteure,

Signé : M. BarroisLe président,

Signé : M. B...

La greffière,

Signé : S. RobinetLa République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

V. Firmery

2

N° 20NC00289


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20NC00289
Date de la décision : 29/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-03 Travail et emploi. - Conditions de travail.


Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: Mme Marion BARROIS
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : DARTEVELLE et DUBEST

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-12-29;20nc00289 ?
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