La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/12/2022 | FRANCE | N°20NC00255

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 29 décembre 2022, 20NC00255


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E..., Mme J... A..., épouse E..., Mme F... G..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de ses enfants mineurs H... et I... B..., N... L... E... et M. K... E... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, dans le dernier état de leurs écritures, de condamner le centre hospitalier de Charleville-Mézières à verser respectivement à M. C... E... la somme de 315 878,95 euros, ainsi qu'une rente mensuelle viagère de 4 422,50 euros à compter du 1er janvie

r 2018, à Mme J... E..., son épouse, la somme de 40 500 euros, à Mme F... G....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E..., Mme J... A..., épouse E..., Mme F... G..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de ses enfants mineurs H... et I... B..., N... L... E... et M. K... E... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, dans le dernier état de leurs écritures, de condamner le centre hospitalier de Charleville-Mézières à verser respectivement à M. C... E... la somme de 315 878,95 euros, ainsi qu'une rente mensuelle viagère de 4 422,50 euros à compter du 1er janvier 2018, à Mme J... E..., son épouse, la somme de 40 500 euros, à Mme F... G..., sa belle-fille, la somme de 35 100 euros, à Mme L... E... et à M. K... E..., ses enfants, la somme de 13 500 euros chacun, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait des fautes commises par cet établissement public de santé lors de la prise en charge de M. C... E....

Par un jugement n° 1702466 du 6 décembre 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, d'une part, a condamné le centre hospitalier de Charleville-Mézières à verser à M. C... E... la somme de 96 681 euros, de laquelle sera déduite la somme 17 542 euros accordée à l'intéressé à titre de provision par l'ordonnance n° 1701766 de la juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 1er mars 2018, ainsi qu'une rente annuelle viagère d'un montant de 10 380 euros, et à son épouse la somme de 7 500 euros, d'autre part, a mis à la charge de cet établissement public de santé les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 2 100 euros par une ordonnance n° 1600329 du président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 21 février 2017, et la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative et, enfin, a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 janvier 2020, et trois mémoires complémentaires, enregistrés les 29 septembre, 19 novembre et 20 décembre 2021, M. C... E..., Mme J... A..., épouse E..., Mme F... G..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de ses enfants mineurs H... et I... B..., M... E... et M. K... E..., représentés par Me Maruani, doivent être regardés comme demandant à la cour dans le dernier état de leurs écritures :

1°) de réformer le jugement n° 1702466 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 6 décembre 2019 ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Charleville-Mézières à verser à M. C... E... la somme totale de 364 569,93 euros, ainsi qu'une rente annuelle viagère de 39 581,46 euros à compter du 1er novembre 2021, à Mme J... E... la somme de 54 000 euros, à Mme F... G... la somme de 35 100 euros, dont 13 500 euros à titre personnel et 21 600 euros en qualité de représentante légale de ses enfants mineurs H... et I... B..., à Mme L... E... la somme de 13 500 euros et à M. K... E... la somme de 22 500 euros ;

3°) de laisser à la charge du centre hospitalier de Charleville-Mézières la somme de 2 100 euros au titre des frais d'expertise ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Charleville-Mézières le versement à M. E..., à Mme J... E..., à Mme F... G..., à Mme L... E... et à M. K... E... des sommes de 3 000 euros pour le premier et de 1 000 euros chacun pour les seconds, en application des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le retard dans l'établissement d'un diagnostic permettant une prise en charge adaptée de la méningite encéphalo-herpétique, présentée par M. C... E... lors de son admission au service des urgences du centre hospitalier de Charleville-Mézières, est constitutif d'une faute qui engage la responsabilité de cet hôpital ;

- ce retard est à l'origine pour le patient d'une perte de chance de 90% de ne conserver que des séquelles non invalidantes, qui lui auraient permis de reprendre son activité professionnelle et de d'être autonome dans les actes de la vie courante ;

- M. C... E... est fondé à réclamer, après application du taux de perte de chance de 90%, la somme de 1 483,20 euros au titre des frais divers, la somme de 14 563,14 euros au titre du besoin d'assistance par tierce personne avant consolidation, la somme de 182 180,97 euros, ainsi que, à compter du 1er novembre 2021, une rente annuelle viagère de 39 581,46 euros, au titre du besoin d'assistance par tierce personne après consolidation, la somme de 11 818,53 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs, de 32 450,09 euros au titre de l'incidence professionnelle, de 18 000 euros au titre des souffrances endurées, de 2 574 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, de 88 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, de 13 500 euros au titre du préjudice sexuel ;

- Mme J... E... est fondée à réclamer, après application du taux de perte de chance de 90%, les sommes de 22 500 euros au titre du préjudice d'affection, de 18 000 euros au titre du préjudice d'accompagnement et de 13 500 euros au titre du préjudice sexuel ;

- Mme F... G... est fondée à réclamer, application du taux de perte de chance de 90%, les sommes de 13 500 euros pour elle-même et de 10 800 euros chacun pour ses deux enfants mineurs, au titre du préjudice d'affection ;

- Mme L... E... et M. K... E..., lequel vit toujours avec ses parents, sont fondés à réclamer, après application du taux de perte de chance de 90%, les sommes respectives de 13 500 euros et de 22 500 euros au titre du préjudice d'affection.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 octobre 2020, et trois mémoires complémentaires, enregistrés les 4 novembre 2021, 8 décembre 2021 et 7 janvier 2022, le centre hospitalier de Charleville-Mézières, représenté par Me Fabre, doit être regardé comme concluant, dans le dernier état de ses écritures, à la réformation du jugement n° 1702466 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 6 décembre 2019, à ce que le montant de l'indemnité à verser respectivement à M. E..., à son épouse et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne soit fixé, à titre principal, à une somme totale de 21 291,54 euros et à une rente annuelle viagère de 910,11 euros à compter du 14 novembre 2021 pour le premier, à une somme totale de 1 000 euros pour la deuxième et à une somme totale de 15 069,22 euros pour la dernière, à titre subsidiaire, à une somme totale de 34 441,62 euros et à une rente annuelle viagère de 1 501,68 euros à compter du 14 novembre 2021 pour le premier, à une somme totale de 1 650 euros pour la seconde et à une somme totale de 32 998,31 euros pour la dernière, au rejet du surplus des conclusions indemnitaires des consorts E... et de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne, à la mise à sa charge d'une somme n'excédant pas 1 500 euros pour M. E... et 700 euros pour son épouse en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, enfin, à ce que la cour statue de droit au titre des dépens.

Il soutient que :

- le taux de perte de chance subi par M. E... en lien avec le retard de diagnostic, qui lui est reproché, doit être fixé à 20% ou, subsidiairement, à 33% ;

- les conclusions indemnitaires des consorts E... ne sont pas fondées ou doivent être ramenées à de plus justes proportions ;

- la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute Marne est seulement fondée à réclamer le remboursement, après application du taux de perte de chance de 20%, des sommes de 10 722,55 et de 6 088,06 euros au titre de ses débours actuels et futurs relatifs aux dépenses de santé et des sommes de 1 583,52 et de 9 189 euros au titre de ses débours actuels et futurs relatifs aux indemnités journalières et à la pension d'invalidité de deuxième catégorie, soit, après déduction de la provision de 12 514 euros accordée par l'article 2 de l'ordonnance n° 1701766 de la juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 1er mars 2018, la somme totale 15 069,22 euros ou, subsidiairement, si l'on retient un taux de perte de chance de 33%, la somme totale de 32 998,31 euros.

Par un mémoire, enregistré le 12 octobre 2021, la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne, représentée par Me Vaucois, conclut à la condamnation du centre hospitalier de Charleville-Mézières à lui verser, après déduction de la provision accordée par l'article 2 de l'ordonnance n° 1701766 de la juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 1er mars 2018, les sommes de 133 347,57 euros au titre de ses débours et de 32 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, ainsi qu'à la mise à la charge de cet établissement public de santé de tous les dépens de l'instance et d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le retard du centre hospitalier de Charleville-Mézières dans le diagnostic de la méningo-encéphalite herpétique de M. E... est constitutif d'une faute, qui engage la responsabilité de cet établissement ;

- en raison de ce retard, le taux de perte de chance pour M. E... de bénéficier d'une guérison complète ou, à tout le moins, d'être affecté de séquelles non invalidantes doit être fixé à 90% ;

- elle est fondée à réclamer, après application du taux de perte de chance de 90%, le remboursement des sommes de 48 251,50 et de 30 440,30 euros au titre de ses débours actuels et futurs relatifs aux dépenses de santé, des sommes de 7 125,84 et de 17 748,62 euros au titre des débours relatifs aux indemnités journalières versées à M. E... du 15 septembre 2014 au 13 mai 2015, puis du 14 mai 2015 au 28 février 2020, de la somme de 42 295,31 au titre des débours relatifs au versement à M. E... de sa pension d'invalidité de deuxième catégorie et de la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

- il y a lieu de déduire de ces sommes la provision accordée par l'article 2 du dispositif de l'ordonnance n° 1701766 de la juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 1er mars 2018, soit 12 514 euros au titre des débours et 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par un courrier du 7 novembre 2022, les parties ont été informées, conformément à l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour est susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de ce que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne, en tant qu'elles tendent au remboursement des débours qu'elles a exposés avant l'intervention du jugement de première instance, ne sont pas recevables dès lors que, régulièrement mise en cause par les premiers juges, elle n'a pas sollicité le remboursement de ces débours devant le tribunal administratif.

Des observations en réponse au courrier du 7 novembre 2022, présentées pour la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne par Me Vaucois, ont été reçues le 8 novembre 2022 et communiquées le lendemain.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 14 décembre 2021 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2022 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public,

- et les observations de Me Maruani pour les consorts E... et de Me Gross pour le centre hospitalier de Charleville-Mezières.

Considérant ce qui suit :

1. Né le 16 février 1958, M. C... E... travaillait comme conducteur d'engins et opérateur de centrale à béton. Alors qu'il intervenait sur un chantier en région parisienne, ses collègues ont constaté, dans la nuit du 9 au 10 septembre 2014, qu'il avait un comportement inadapté, caractérisé par une désorientation temporo-spatiale et une répétition des mêmes phrases. Reconduit dans la matinée à son domicile, il a été admis, le jour même, au service des urgences du centre hospitalier de Charleville-Mézières. Présentant un état fébrile, M. E... a fait, dans la soirée, une crise convulsive généralisée de type tonico-clonique. Bien que son épouse ait indiqué qu'il n'était pas en phase de sevrage alcoolique, le service de neurologie, au sein duquel il a été transféré dès le lendemain, a écarté, compte tenu des résultats du scanner cérébral et de la ponction lombaire effectués la veille, le diagnostic d'une méningo-encéphalite herpétique, pathologie dont l'intéressé avait déjà souffert en 1997, pour privilégier celui d'un delirium tremens compte tenu de son intoxication chronique à l'alcool. Le neurologue qui l'a pris en charge a néanmoins pris soin de prescrire une imagerie cérébrale par résonance magnétique et un électro-encéphalogramme. Réalisée le 17 septembre 2014, soit six jours après sa prescription, cette imagerie par résonance magnétique a finalement mis en évidence une lésion cérébrale compatible avec une méningo-encéphalite herpétique. Puis, à la suite d'une nouvelle ponction lombaire qui s'est révélée positive au virus de l'herpès, un traitement antiviral a été mis en place, le 18 septembre 2014, pour une durée de trois semaines. A compter du 20 octobre 2014, M. E... a été pris en charge au sein du centre de médecine physique et de réadaptation de Charleville-Mézières, avant de rentrer chez lui le 20 décembre 2014. Après avoir poursuivi sa rééducation en hospitalisation de jour, du 12 janvier au 15 mars 2015, il bénéficie depuis lors, à son domicile, de deux séances d'orthophonie par semaine et de deux séances de neuropsychologie par mois. Conservant des séquelles apparentées à un syndrome de Korsakoff incomplet, principalement caractérisées par des troubles sévères de la mémoire antérograde et par une désorientation temporo-spatiale, M. E... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui, par une ordonnance n° 1600329 du 7 juillet 2016, a ordonné une expertise médicale, dont le rapport a été remis par l'expert le 9 janvier 2017. Par courrier du 29 septembre 2017, reçu le 2 octobre suivant, les requérants ont adressé au centre hospitalier de Charleville-Mézières une demande d'indemnisation. Cette demande étant demeurée sans réponse, ils ont saisi, le 22 décembre 2017, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant à la condamnation de l'établissement mis en cause à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait du retard dans le diagnostic et le traitement de la méningo-encéphalite herpétique présentée par M. E.... Ils relèvent appel du jugement n° 1702466 du 6 décembre 2019, qui fait partiellement droit à leurs conclusions indemnitaires.

Sur la recevabilité des conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne :

2. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre ou du livre Ier. / Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre et le livre Ier, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. / Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel. / Conformément à l'article 1346-3 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; en ce cas, l'assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée. / Cependant, si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice. / Hors le cas où la caisse est appelée en déclaration de jugement commun conformément aux dispositions ci-après, la demande de la caisse vis-à-vis du tiers responsable s'exerce en priorité à titre amiable. / La personne victime, les établissements de santé, le tiers responsable et son assureur sont tenus d'informer la caisse de la survenue des lésions causées par un tiers dans des conditions fixées par décret. / L'intéressé ou ses ayants droit doivent indiquer, en tout état de la procédure, la qualité d'assuré social de la victime de l'accident ainsi que les caisses de sécurité sociale auxquelles celle-ci est ou était affiliée pour les divers risques. Ils doivent appeler ces caisses en déclaration de jugement commun ou réciproquement. (...) ".

3. Lorsqu'un jugement ayant statué sur des conclusions indemnitaires de la victime fait l'objet d'un appel de cette dernière, la caisse de sécurité sociale à laquelle cette victime est affiliée, appelée en cause par la cour administrative d'appel, ne peut régulièrement présenter devant le juge d'appel d'autres conclusions que celles de sa demande de première instance, en y ajoutant seulement, le cas échéant, celles tendant au remboursement des prestations servies à la victime postérieurement à l'intervention du jugement. Il n'en va différemment que si le tribunal a, à tort, omis de mettre la caisse en cause devant lui, auquel cas celle-ci peut obtenir, le cas échéant d'office, l'annulation du jugement en tant qu'il statue sur les préjudices au titre desquels elle a exposé des débours et présenter ainsi, pour la première fois devant le juge d'appel, des conclusions tendant au paiement de l'ensemble de ces sommes. Par suite, dès lors qu'une caisse de sécurité sociale, qui a omis de demander devant les premiers juges le remboursement des sommes exposées par elle antérieurement au jugement de première instance, a été régulièrement mise en cause en première instance et a été ainsi mise à même de faire valoir ses droits devant le tribunal administratif, conformément aux exigences de l'article L. 376-1 du code de sécurité sociale, elle n'est plus recevable à demander le remboursement de ces sommes devant le juge d'appel.

4. Il résulte de l'instruction que la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne, bien que régulièrement appelée en cause par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, n'a pas sollicité, en première instance, le remboursement des prestations qu'elle a servies à M. E... en conséquence de son dommage. Dans ces conditions, elle n'est pas recevable à demander, pour la première fois en appel, la condamnation du centre hospitalier de Charleville-Mézières à lui verser les sommes correspondant aux débours exposés avant l'intervention du jugement rendu par les premiers juges le 6 décembre 2019, au titre des dépenses de santé, des indemnités journalières, du capital et des arrérages échus de la pension d'invalidité. Par suite, alors même que, par une ordonnance n° 1701766 du 1er mars 2018, la juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne lui a alloué, pour ces mêmes débours, une provision de 12 514 euros, les conclusions présentées en ce sens par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne ne peuvent qu'être rejetées.

Sur le bien-fondé du jugement :

Sur le principe de la responsabilité :

5. Aux termes du premier alinéa du premier paragraphe de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".

6. Il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise du 3 janvier 2017 que M. E... a été admis au service des urgences du centre hospitalier de Charleville-Mézières le 10 septembre 2014 et que la méningo-encéphalite herpétique dont il était atteint n'a été diagnostiquée que le 17 septembre suivant, après la réalisation d'une imagerie cérébrale par résonance magnétique, pourtant prescrite dès le 11 septembre, et prise en charge le lendemain le 18 septembre. Si l'absence de leucocytes lors de la ponction lombaire effectuée le jour de l'admission du patient a conduit les médecins à écarter un tel diagnostic pour privilégier celui d'un délirium tremens, nonobstant les affirmations de Mme E... selon lesquelles son époux n'était pas en phase de sevrage alcoolique, le caractère faiblement hémorragique de cette ponction, révélateur d'une nécrose, ainsi que la constatation d'une hyperprotéinorachie modérée, présente dans 98 % des méningo-encéphalites herpétiques, auraient dû, selon l'expert, alerter l'équipe médicale et la conduire à effectuer sans délai une imagerie cérébrale par résonnance magnétique et une recherche du virus de l'herpès par un test à réaction de polymérase en chaîne (test PCR), permettant ainsi la mise en œuvre du traitement antiviral à base d'acyclovir, qui d'ailleurs aurait pu être administré à titre préventif. Il résulte de l'instruction, et il n'est pas contesté par le centre hospitalier de Charleville-Mézières, que ce retard dans l'établissement du diagnostic et dans la mise en place d'un traitement approprié est responsable à hauteur de 90%, selon le rapport d'expertise remis le 9 janvier 2017, des séquelles que l'intéressé a conservées. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que le centre hospitalier de Charleville-Mézières avait commis une faute qui engage sa responsabilité.

Sur le montant de la réparation :

En ce qui concerne la fraction du préjudice indemnisable :

7. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

8. Il résulte de l'instruction, spécialement des résultats de l'étude médicale réalisée en 2002 par le groupe d'étude français sur l'encéphalite à l'herpès simplex et portant sur quatre-vingt-cinq patients âgés en moyenne de 53,5 ans, qu'une prise en charge de la méningo-encéphalite herpétique par traitement antiviral à base d'acyclovir a conduit, à six mois, à une récupération totale dans 14 % des cas, à une incapacité légère dans 23% des cas, à une incapacité modérée dans 28% des cas, à un handicap grave dans 20% des cas et à un décès dans 15% des cas. Selon cette étude, si l'incapacité légère se définit par la présence d'altérations cognitives minimales de la parole, de l'attention ou de la mémoire, accompagnées ou non de convulsions, l'incapacité modérée répond aux mêmes critères, mais comporte en sus des conséquences défavorables pour la vie socioprofessionnelle de la personne concernée. Le handicap grave implique, quant à lui, une perte d'autonomie nécessitant une institutionnalisation ou une aide à la vie constante. Parmi les facteurs susceptibles d'influer sur l'issue de la prise en charge, le délai entre l'admission à l'hôpital et le début du traitement antiviral joue un rôle déterminant. Ainsi, alors que ce délai est demeuré inférieur à cinq jours pour l'ensemble des patients, 75% des personnes ayant présenté un résultat favorable à six mois (récupération totale, incapacité légère ou incapacité modérée) ont bénéficié du traitement au cours des deux premiers jours d'hospitalisation. Ce pourcentage s'établit donc à 25%, soit une diminution des deux tiers, lorsque le bénéfice du traitement intervient entre le deuxième et le cinquième jour suivant l'admission à l'hôpital.

9. M. E..., dont le déficit fonctionnel permanent a été évalué à 44% par l'expert et qui reçoit une pension d'invalidité de troisième catégorie depuis le 1er novembre 2016, présente principalement des troubles sévères de la mémoire antérograde et une importante désorientation temporo-spatiale. En raison de ces séquelles, il est incapable de reprendre, même partiellement, une activité professionnelle ou de conduire. Ne pouvant sortir ou faire la cuisine sans être accompagné, il a, en outre, perdu sa capacité d'initiative et doit constamment être stimulé. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'intéressé continue à bénéficier d'une relative autonomie, puisqu'il peut s'habiller seul, présente une faible altération de sa mémoire rétrograde et de ses fonctions exécutives, ainsi qu'une absence de troubles du langage et une compréhension écrite efficace, et conserve ses capacités de communication, d'abstraction et de raisonnement. Dans ces conditions, si M. E... doit être regardé comme appartenant à la catégorie des patients affectés d'une " incapacité modérée ", ses séquelles, qui ne sauraient être qualifiées d'" altérations cognitives minimales " au sens de l'étude citée plus haut, s'avèrent globalement plus invalidantes que celles de la plupart des personnes relevant de la même catégorie.

10. Par ailleurs, il résulte du rapport d'expertise remis le 9 janvier 2017 que l'état antérieur de M. E..., qui présente une intoxication alcoolique chronique et qui a été victime en 1997 d'une précédente méningo-encéphalite herpétique et en 2013 d'un accident vasculaire cérébral ischémique, n'a pas contribué à la survenue et à l'étendue de son dommage, les éléments du dossier ne permettant pas de tenir pour établi que l'intéressé aurait perdu des capacités cognitives avant l'infection ayant conduit à l'hospitalisation en cause. De même, contrairement aux allégations du centre hospitalier de Charleville-Mézières, la mise en évidence par la seconde imagerie cérébrale par résonance magnétique, réalisée le 18 septembre 2014, d'une importante atrophie hippocampique à droite et d'une séquelle parenchymateuse cérébrale à cet endroit ne suffit pas à démontrer l'existence d'une altération préexistante de la réserve cognitive.

11. Enfin, il n'est pas sérieusement contesté que le traitement antiviral à base d'acyclovir n'a été administré à l'intéressé qu'à partir du 18 septembre 2014, soit huit jours après son admission à l'hôpital.

12. Dans ces conditions, eu égard à l'importance de ce retard et à la nature de ses séquelles, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé à 60% le taux de perte de chance de M. E... de bénéficier d'une guérison complète, de séquelles légères ou de séquelles modérées moins invalidantes que celles qu'il a conservées.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

13. En application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, le juge saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et du recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudice, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime. Il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ou du fait que celle-ci n'a subi que la perte d'une chance d'éviter le dommage corporel. Le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale.

S'agissant des dépenses de santé :

14. M. E... ne fait pas état de dépenses de santé demeurées à sa charge. Il résulte cependant de l'instruction, spécialement du décompte du 13 avril 2017 relatif aux frais futurs continus et viagers de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne et de l'attestation d'imputabilité du 7 novembre 2017 établie par le médecin-conseil chargé du recours contre les tiers, que l'état de santé de l'intéressé requiert une consultation mensuelle par un médecin psychiatre et une consultation trimestrielle par un médecin généraliste à vie, aux coûts unitaires respectifs de 28 et de 23 euros et un traitement médicamenteux à base de risperdal à vie, au coût annuel de 478,66 euros, et, enfin, qu'il a nécessité, pour la période allant du 14 mars 2015 au 14 mars 2020, de deux séances par semaine d'orthophonie au coût unitaire de 37,50 euros. Il n'est pas contesté que ces différents frais sont intégralement pris en charge par la sécurité sociale. Dans ces conditions, pour la période comprise entre l'intervention du jugement de première instance, le 6 décembre 2019, et la mise à disposition du présent arrêt, le 29 décembre 2022, il y a lieu de condamner le centre hospitalier de Charleville-Mézières à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne, après application du taux de perte de chance de 60%, la somme totale de 2 307,18 euros au titre de ses débours en matière de dépenses de santé.

15. Pour la période postérieure à la date de mise à disposition du présent arrêt, eu égard aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, qui limitent le recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale à l'encontre du responsable d'un accident corporel aux préjudices qu'elles ont pris en charge, le remboursement des prestations qu'une caisse sera amenée à verser à l'avenir, de manière certaine, prend normalement la forme du versement d'une rente. Dans ces conditions, il y a lieu de condamner le centre hospitalier de Charleville-Mézières à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne, à échéance annuelle, sur présentation de justificatifs et dans la limite de 60 % de leur montant, les dépenses exposées respectivement au titre de la prise en charge du traitement médicamenteux à base de risperdal et des consultations médicales par le médecin psychiatre et le médecin généraliste.

S'agissant des frais d'assistance par tierce personne :

16. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire permettant, dans les circonstances de l'espèce, le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat, sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime.

17. En vertu des principes qui régissent l'indemnisation par une personne publique des victimes d'un dommage dont elle doit répondre, il y a lieu de déduire d'une rente allouée à la victime du dommage dont un établissement public hospitalier est responsable, au titre de l'assistance par tierce personne, les prestations versées par ailleurs à cette victime et ayant le même objet. Il en va ainsi tant pour les sommes déjà versées que pour les frais futurs. Cette déduction n'a toutefois pas lieu d'être lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement si le bénéficiaire revient à meilleure fortune.

18. Les règles rappelées au point précédent ne trouvent à s'appliquer que dans la mesure requise pour éviter une double indemnisation de la victime. Par suite, lorsque la personne publique responsable n'est tenue de réparer qu'une fraction du dommage corporel, notamment parce que la faute qui lui est imputable n'a entraîné qu'une perte de chance d'éviter ce dommage, la déduction ne se justifie, le cas échéant, que dans la mesure nécessaire pour éviter que le montant cumulé de l'indemnisation et des prestations excède le montant total des frais d'assistance par une tierce personne.

19. D'une part, il ressort du rapport d'expertise du 23 novembre 2016 que l'expert a évalué à trois heures par jour le besoin d'assistance par tierce personne de M. E.... La satisfaction d'un tel besoin n'impliquant pas le recours à une aide spécialisée, le préjudice subi par la victime à ce titre, sur la base d'une rémunération horaire de quatorze euros et une durée annuelle de travail de quatre-cent-douze jours, pour tenir compte des congés payés et des majorations de salaire les dimanches et les jours fériés, s'élève à 3 982,29 euros pour la période comprise entre le retour de l'intéressé à son domicile, le 20 décembre 2014, et la consolidation de son état de santé, le 13 mars 2015. Eu égard au taux de perte de chance de 60%, le centre hospitalier de Charleville-Mézières doit être condamné à verser à M. E... la somme de 2 389,37 euros. Il n'y a pas lieu de déduire de cette somme les 817,62 euros versés à ce dernier au titre de la prestation de compensation du handicap, dès lors que le montant cumulé de cette prestation et de l'indemnisation mise à la charge de l'établissement public de santé n'excède pas les frais d'assistance par tierce personne supportés par l'intéressé au cours de la période considérée.

20. D'autre part, si les requérants se prévalent de ce que la maison départementale des personnes handicapées des Ardennes a, le 17 décembre 2015, évalué à cinq heures trente le besoin d'assistance par tierce personne, pris en charge au titre de la prestation de compensation du handicap versée à M. E..., il ne résulte pas de l'instruction que ce besoin, estimé à trois heures par jour dans le rapport d'expertise remis le 9 janvier 2017, aurait évolué postérieurement à la date de consolidation de son état de santé. Toutefois, alors que l'assistance apportée à l'intéressé était jusqu'alors assurée exclusivement par son épouse, celui-ci justifie avoir fait appel à un prestataire extérieur en vue de bénéficier d'une aide à domicile destinée à la soulager et lui avoir versé, entre le 1er janvier 2018 et le 31 août 2021, la somme totale de 19 593,64 euros pour huit-cent-soixante-neuf heures de travail. Dans ces conditions, en retenant, pour les heures restantes, une rémunération horaire de quinze euros et une durée annuelle de travail de quatre-cent-douze jours, les frais d'assistance par tierce personne supportés par M. E..., entre le 14 mars 2015 et le 29 décembre 2022, s'élèvent à 149 475,22 euros. Eu égard au taux de perte de chance de 60%, le montant de l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier de Charleville-Mézières ne peut donc excéder 89 685,13 euros. Au cours de la période considérée, M. E... a perçu, du 1er février 2015 au 31 octobre 2016, la prestation de compensation du handicap pour un montant de 12 464,20 euros, puis, à compter du 1er novembre 2016, la majoration pour tierce personne de sa pension d'invalidité pour un montant total de 83 235,62 euros. Le montant cumulé de ces prestations et de l'indemnité due par le centre hospitalier de Charleville-Mézières après application du taux de perte de chance de 60% dépasse de 35 909,73 euros le montant des frais d'assistance par tierce personne effectivement supportés par M. E... entre le 14 mars 2015 et le 29 décembre 2022. Dans ces conditions, afin d'éviter une double indemnisation de la victime, il y a lieu de condamner le défendeur au versement d'une somme de 53 775,40 euros.

21. Enfin, pour la période postérieure à la date de mise à disposition du présent arrêt, les frais futurs afférents au besoin d'assistance par tierce personne de M. E... seront réparés, après application d'un taux de perte de chance de 60%, par le versement d'une rente annuelle viagère d'un montant de 12 607,20 euros, calculée sur la base d'une rémunération horaire de dix-sept euros et une durée annuelle de travail de quatre-cent-douze jours. Ce montant, duquel sera déduite la majoration pour tierce personne perçue par M. E... au titre de l'année considérée dans la mesure nécessaire pour éviter que le cumul de cette prestation et de la rente excède 18 540 euros, soit les frais annuels effectivement supportés par la victime au titre de l'assistance par tierce personne, sera revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.

S'agissant des pertes de revenus :

22. D'une part, il résulte de l'instruction que, au vu de ses bulletins de paie au titre des mois de janvier à juillet 2014, le salaire mensuel moyen de M. E... s'élevait à 1 563,66 euros au moment de la survenance de son dommage. Alors qu'il est constant que l'intéressé a cessé d'exercer toute activité professionnelle depuis le 10 septembre 2014, sa perte de revenus, pour la période comprise entre son licenciement pour inaptitude le 25 novembre 2016 et son admission à la retraite le 1er février 2020, s'établit à 59 731,81 euros. Il en résulte que la part de préjudice devant être mise à la charge du centre hospitalier de Charleville-Mézières, compte tenu du taux de perte de chance de 60%, ne peut excéder 35 839,08 euros. Au cours de la période considérée, M. E... a perçu de son assureur une somme de 9 459,41 euros et de la sécurité sociale un montant de pension d'invalidité de 33 140,68 euros, dont les deux tiers, soit 22 093,78 euros, sont imputables à la faute commise par l'hôpital. Le montant cumulé de ces prestations et de l'indemnité due par le centre hospitalier de Charleville-Mézières en application du taux de perte de chance de 60% excède de 7 660,46 euros la perte de revenus subie par la victime. Dans ces conditions, il y a lieu de condamner l'établissement public de santé à verser à M. E... la somme de 28 178,62 euros.

23. D'autre part, la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne peut prétendre à l'allocation d'une somme de 627,60 euros, correspondant, après application du taux de perte de chance de 60%, aux deux tiers du montant de pension d'invalidité servie à l'intéressé entre l'intervention du jugement rendu par les premiers juges le 6 décembre 2019 et l'admission à la retraite de M. E... le 1er février 2020.

24. Enfin, il résulte de l'instruction que, du fait de la cessation anticipée de son activité professionnelle, M. E... a subi une perte de retraite de 763,90 euros par an. Pour la période comprise entre le 1er février 2020 et le 29 décembre 2022, ce préjudice est de 2 225,07 euros. Pour la période postérieure à la date de mise à disposition du présent arrêt, en application d'un coefficient de capitalisation de 19,700, prévu par le barème 2022 de la Gazette du Palais pour un homme âgé de soixante-quatre ans, la perte de retraite s'élève à 15 048,83 euros. Dans ces conditions, le centre hospitalier de Charleville-Mézières doit être condamné à verser à M. E..., après application du taux de perte de chance de 60%, la somme totale de 10 364,34 euros pour ce chef de préjudice.

S'agissant l'incidence professionnelle :

25. Eu égard à son âge et à son état antérieur, M. E... n'est pas fondé à demander une indemnisation au titre d'une dévalorisation sur le marché du travail et d'une perte de chance de retrouver un emploi. Par suite, il ne peut prétendre à une indemnisation au titre de l'incidence professionnelle.

S'agissant des frais divers :

26. D'une part, M. E... justifie avoir exposé des frais d'honoraires d'un montant de 1 140 euros afin d'être assisté par un médecin conseil lors des opérations d'expertise le 20 octobre 2016. Par suite, et alors qu'une telle dépense a été utile à la résolution du litige l'opposant au centre hospitalier de Charleville-Mézières, c'est à bon droit que les premiers juges ont condamné cet établissement public de santé à verser à l'intéressé la somme en cause.

27. D'autre part, les frais de déplacement, supportés par M. E... pour se rendre aux opérations d'expertise du 20 octobre 2016, qui se sont déroulées à Paris, constituent des dépens et, comme tels, relèvent de l'application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative. Par suite, ce dernier ne peut prétendre à être indemnisé pour ce chef de préjudice qu'au titre de cet article.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :

S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :

28. Il résulte du rapport d'expertise remis le 9 janvier 2017 que M. E... a subi un déficit fonctionnel temporaire total du 10 septembre 2014 au 19 décembre 2014 et d'un déficit fonctionnel temporaire partiel de 50% du 12 janvier 2015 au 13 mars 2015. Après soustraction d'une période de trois semaines durant laquelle l'intéressé aurait, en tout état de cause, été hospitalisé compte tenu de sa pathologie, il sera fait une juste appréciation de son préjudice en condamnant le centre hospitalier de Charleville-Mézières à lui verser, après application du taux de perte de chance de 60%, la somme de 1 400 euros à ce titre.

S'agissant des souffrances endurées :

29. Il résulte de l'instruction que les souffrances endurées par M. E... avant la date de consolidation de son état de santé ont été évaluées à 5/7 par l'expert. Par suite, en l'absence de contestation des parties sur cette évaluation, il sera fait une juste appréciation du préjudice ainsi subi par l'intéressé en condamnant le centre hospitalier de Charleville-Mézières à lui verser, après application du taux de perte de chance de 60%, la somme de 9 000 euros.

S'agissant du déficit fonctionnel permanent :

30. Il résulte du rapport d'expertise que le déficit fonctionnel permanent de M. E... a été évalué à 44%. Eu égard à l'âge de 57 ans de M. E... à la date de consolidation de son état de santé, fixée par l'expert au 13 mars 2015, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en condamnant le centre hospitalier de Charleville-Mézières à verser à l'intéressé, après application du taux de perte de chance de 60%, la somme de 46 000 euros.

S'agissant du préjudice sexuel :

31. Il résulte du rapport d'expertise que M. E... a subi un préjudice en raison de sa perte de désir sexuel. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont condamné le centre hospitalier de Charleville-Mézières, après application d'un taux de perte de chance de 60%, à verser à l'intéressé la somme de 3 000 euros à ce titre.

En ce qui concerne les préjudices des ayants droit de M. E... :

S'agissant du préjudice sexuel et du préjudice d'accompagnement de l'épouse de M. E... :

32. Eu égard à la perte de désir sexuel de M. E... et au retentissement de ses séquelles sur la vie quotidienne de Mme E..., il sera fait une juste appréciation des préjudices subis par son épouse en allouant à celle-ci, après application du taux de perte de chance de 60%, la somme totale de 9 000 euros.

S'agissant du préjudice d'affection de l'épouse, des enfants, de la belle-fille et des petits-enfants de M. E... :

33. Eu égard au caractère invalidant des séquelles conservées par M. E..., il sera fait une juste appréciation du préjudice d'affection subi par ses proches en allouant, après application du taux de perte de chance de 60%, la somme de 4 000 euros à son épouse, la somme de 1 500 euros à son fils, lequel réside au domicile de ses parents, et la somme de 800 euros chacune à sa fille et à sa belle-fille. En revanche, compte tenu de leur jeune âge et de l'état de santé antérieur de leur grand-père, la réalité du préjudice d'affection des deux petits-enfants de la victime directe, nés respectivement le 17 décembre 2008 et le 29 décembre 2012, n'est pas établie. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont refusé de les indemniser à ce titre.

34. Il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier de Charleville-Mézières doit être condamné à verser à M. E... la somme totale de 155 247,73 euros, ainsi qu'une rente annuelle viagère de 12 607,20 euros, servie dans les conditions précisées au point 21 du présent arrêt, à son épouse la somme totale de 13 000 euros, à son fils la somme de 1 500 euros, à sa fille et à sa belle-fille la somme de 800 euros chacune, enfin, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne la somme de 2 934,78 euros, ainsi que les sommes correspondant au remboursement, dans les conditions précisées au point 15 du présent arrêt, des dépenses futures exposées au titre de la prise en charge du traitement à base de risperdal et des frais de consultation d'un médecin psychiatre et d'un médecin généraliste.

En ce qui concerne l'indemnité forfaitaire de gestion :

35. Aux termes du neuvième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget, en fonction du taux de progression de l'indice des prix à la consommation hors tabac prévu dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour l'année considérée. ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 14 décembre 2021 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2022 : " Les montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale sont fixés respectivement à 110 € et 1 114 € au titre des remboursements effectués au cours de l'année 2022. ".

36. En application de ces dispositions, il y a lieu d'allouer à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne la somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Cette somme sera ramenée à 48 euros après déduction des 1066 euros allouée à titre provisionnel par l'ordonnance n° 1701766 de la juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 1er mars 2018.

37. Compte tenu de cette même ordonnance, qui accorde respectivement à M. E... et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne, à titre de provision, les sommes de 17 542 et de 12 514 euros, le montant de l'indemnité versée au premier doit être ramené à 137 705,73 euros. La seconde devra, quant à elle, rembourser au centre hospitalier de Charleville-Mézières la somme de 9 579,22 euros.

Sur les dépens :

38. D'une part, il résulte de l'instruction que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a mis à la charge définitive du centre hospitalier de Charleville-Mézières les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 2 100 euros par une ordonnance n°1600329 de son président du 21 février 2017. En l'absence de contestation du défendeur sur ce point, il n'y a pas lieu pour la cour de modifier la dévolution des dépens effectuée par les premiers juges.

39. D'autre part, si M. E... n'établit pas avoir acquitté 42 euros de droit de péage, il justifie, par les éléments qu'il verse aux débats, avoir supporté des frais de déplacement, s'élevant à 294 euros, pour se rendre avec son véhicule aux opérations d'expertise du 20 octobre 2016 à Paris. Par suite, il y a lieu de mettre cette somme à la charge du centre hospitalier de Charleville-Mézières en application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.

40. Enfin, la présente instance n'ayant pas généré de dépens, les conclusions présentées à ce titre par le centre hospitalier de Charleville-Mézières et par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

41. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge des consorts E..., qui ne sont pas partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par le centre hospitalier de Charleville-Mézières au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne en application des mêmes dispositions. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Charleville-Mézières le versement aux consorts E... d'une somme totale de 2 000 euros au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Les sommes que le centre hospitalier de Charleville-Mézières est condamné à verser à M. C... E... et à Mme J... A..., épouse E... sont portées respectivement à 137 705,73 euros et à 13 000 euros. La rente annuelle viagère que le centre hospitalier est condamné à verser à M. C... E... est portée à 12 607,20 euros, servie dans les conditions précisées au point 21 du présent arrêt. Le centre hospitalier paiera à M. K... E... la somme de 1 500 euros, à Mme F... G... et à Mme L... E... la somme de 800 euros chacune et, enfin, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne les sommes correspondant au remboursement, dans les conditions précisées au point 15 du présent arrêt, des dépenses futures exposées au titre de la prise en charge du traitement à base de risperdal et des frais de consultation d'un médecin psychiatre et d'un médecin généraliste.

Article 2 : La caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne remboursera au centre hospitalier de Charleville-Mézières la somme de 9 579,22 euros.

Article 3 : Le jugement n° 1702466 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 6 décembre 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le centre hospitalier de Charleville-Mézières versera à M. E... la somme de 294 euros et aux consorts E... la somme totale de 2 000 euros en application respectivement des dispositions des articles R. 761-1 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête et des conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne est rejeté.

Article 6 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Charleville-Mézières en application des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E... en application des dispositions de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, au centre hospitalier de Charleville-Mézières, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne et à la compagnie Amstrust International Underwriters DAC.

Délibéré après l'audience du 15 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président de la chambre,

- Mme Haudier, présidente assesseure,

- M. Meisse, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2022.

Le rapporteur,

Signé : E. D...

Le président,

Signé : C. WURTZ

Le greffier,

Signé : F. LORRAIN

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N°20NC00255 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC00255
Date de la décision : 29/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux. - Existence d'une faute médicale de nature à engager la responsabilité du service public. - Diagnostic.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: M. BARTEAUX
Avocat(s) : MARUANI

Origine de la décision
Date de l'import : 01/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-12-29;20nc00255 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award