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22/12/2022 | FRANCE | N°21NC03169

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 22 décembre 2022, 21NC03169


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 30 avril 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités allemandes.

Par un jugement n° 2103642 du 31 mai 2021, la magistrate désignée du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 décembre 2021, Mme C..., représentée par Me Gaudron, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du

31 mai 2021 ;

2°) d'annuler cet arrêté du 30 avril 2021 ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 30 avril 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités allemandes.

Par un jugement n° 2103642 du 31 mai 2021, la magistrate désignée du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 décembre 2021, Mme C..., représentée par Me Gaudron, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 31 mai 2021 ;

2°) d'annuler cet arrêté du 30 avril 2021 ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et un formulaire de demande d'asile sous astreinte de 100 euros par jour au-delà d'un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision de transfert est intervenue en méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors, d'une part, que la " brochure A " lui a été remise le 10 mars 2021 en langue ourdou, qu'elle ne parle ni ne comprend, tandis que la remise de la même brochure en langue oromo le 29 avril 2021 ne répond pas à la condition de remise de la brochure " dès qu'une demande de protection internationale est introduite " et, d'autre part, qu'il n'est pas justifié de la remise de la " brochure B " dans une langue comprise par elle dès le 10 mars 2021 ;

- elle n'a pas bénéficié d'un entretien individuel conforme aux dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- la décision attaquée est entachée d'erreur de droit ou d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- elle est entachée d'erreur de droit ou d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- elle caractérise un traitement inhumain et dégradant compte tenu du terme de sa grossesse, fixé au 11 novembre 2021 ;

- elle méconnaît les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les dispositions de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par une lettre du 4 janvier 2022, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de ce qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de transfert compte tenu de l'expiration du délai d'exécution du transfert de six mois.

Par un mémoire, enregistré le 12 janvier 2022, la préfète du Bas-Rhin a présenté ses observations en réponse au moyen d'ordre public.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 juin 2022, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la requête d'appel est irrecevable, compte tenu de l'absence d'éléments nouveaux ;

- les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 8 novembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., née en 1994 et de nationalité éthiopienne, a sollicité l'asile une première fois sur le territoire français le 7 novembre 2018. Elle aurait fait l'objet d'une décision de transfert vers l'Allemagne, mise à exécution le 28 avril 2020. Elle a, de nouveau, sollicité l'asile en France le 10 mars 2021. Par un arrêté du 30 avril 2021, la préfète du Bas-Rhin a prononcé son transfert aux autorités allemandes. Mme C... fait appel du jugement du 31 mai 2021 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de la requête d'appel :

2. Il ressort de la requête d'appel, présentée pour Mme C... dans le délai de recours contentieux, qu'elle comporte une critique du jugement du tribunal administratif de Strasbourg et qu'y sont développés de nouveaux moyens contre la décision dont il avait été demandé l'annulation. Ainsi, elle ne constitue pas la seule reproduction littérale du mémoire de première instance. Par suite, la préfète du Bas-Rhin n'est pas fondée à soutenir que la requête d'appel serait irrecevable en l'absence d'éléments nouveaux. Cette fin de non-recevoir doit en conséquence être écartée.

Sur la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance :

3. Aux termes de l'article L. 572-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque la décision de transfert est notifiée sans assignation à résidence ou placement en rétention de l'étranger, le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai de quinze jours suivant la notification de la décision. / (...) ".

4. Si la préfète du Bas-Rhin a fait valoir, devant la juge désignée du tribunal administratif de Strasbourg, que l'arrêté attaqué du 30 avril 2021 avait été notifié à Mme C... le 6 mai 2021 en même temps qu'un arrêté d'assignation à résidence, elle ne produit pas un tel arrêté ni ne justifie de sa notification à l'intéressée. Contrairement à ce qu'elle indique dans son mémoire en défense de première instance, un tel arrêté ne figure pas parmi les pièces produites par Mme C.... Ainsi, la requête formée le 21 mai 2021 a été introduite dans le délai de recours fixé à l'article L. 572-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dispositions sur la base desquelles la juge désignée a d'ailleurs exercé son office. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la préfète du Bas-Rhin tenant à l'irrecevabilité de la demande de première instance doit être écartée.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de transfert :

5. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit ". L'article 9 du règlement prévoit que : " Si un membre de la famille du demandeur, que la famille ait été ou non préalablement formée dans le pays d'origine, a été admis à résider en tant que bénéficiaire d'une protection internationale dans un État membre, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit ". Enfin aux termes de l'article 2 du même règlement, la notion de " membre de la famille " doit s'entendre, s'agissant comme en l'espèce d'un demandeur majeur, des seuls conjoint ou partenaire et de leurs enfants.

6. Alors même que la situation de Mme C... ne relève pas de l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013, les liens familiaux existant entre elle et son concubin, réfugié statutaire en France, peuvent justifier que soit appliquée par les autorités françaises la clause dérogatoire de l'article 3, paragraphe 2 ou la clause humanitaire définie à l'article 17 du même règlement dès lors que, pour l'application de cet article, la notion de " membres d'une même famille " ne doit pas nécessairement être entendue dans le sens restrictif fixé par le i) de l'article 2 du règlement. En outre, la mise en œuvre par les autorités françaises tant de l'article 3, paragraphe 2 que de l'article 17 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, aux termes duquel : " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ".

7. Il ressort de l'entretien individuel que Mme C... a eu en préfecture le 10 mars 2021, lors de son enregistrement comme demandeuse d'asile, qu'elle a déclaré que son concubin, M. E... B..., vivait en France et a précisé qu'elle l'avait connu en Libye et que leur enfant était né en Allemagne. Il ressort d'ailleurs de l'attestation de demande d'asile " procédure Dublin " qui avait été remise à ce dernier le 2 janvier 2019 que celui-ci avait sollicité une première fois l'asile en France le 7 novembre 2018, soit le même jour que Mme C... auprès de la préfecture de police de Paris. Il est également établi que la préfecture de police de Paris avait adressé aux autorités allemandes une demande de confirmation de la responsabilité de l'Allemagne en vue de la reprise en charge de Mme C..., assortie du commentaire précisant qu'elle était accompagnée de son mari, dont le numéro AGEDREF permet d'identifier M. E... B.... Le concubin de la requérante avait ensuite, dans le cadre de sa propre demande d'asile, examinée en France en 2020, précisé dans le formulaire OFPRA, produit à hauteur d'appel, s'être marié avec elle en 2016 en Libye et indiqué qu'à la date de sa demande, sa femme résidait en Allemagne avec leur fils. Si la préfète du Bas-Rhin fait valoir qu'il aurait déclaré, lors de sa demande d'asile, vivre en concubinage avec une ressortissante somalienne, elle ne produit pas le moindre élément pour en attester. Enfin, il ressort de l'attestation de paiement de la CAF du 6 mai 2021 adressée à M. E... B... que Mme C... et leur fils sont rattachés à sa situation, tandis que la requérante était enceinte de trois mois à la date de la décision attaquée. Il ressort de tout ce qui précède que la situation familiale de Mme C... constituait une circonstance exceptionnelle de nature à justifier que la France décide d'examiner sa demande de réexamen de protection internationale, même si cet examen ne lui incombe pas. Par suite, la requérante est fondée à soutenir qu'en ne faisant pas usage de la faculté dérogatoire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, la préfète du Bas-Rhin a entaché la décision attaquée d'une erreur manifeste d'appréciation.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre cette décision, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités allemandes.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Compte tenu du motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique que la préfète du Bas-Rhin délivre à Mme C... une attestation de demande d'asile lui permettant d'enregistrer sa demande en France ainsi qu'un formulaire de demande d'asile lui permettant de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Il y a lieu de prescrire à la préfète du Bas-Rhin d'y procéder dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais d'instance :

10. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Gaudron, avocate de Mme C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Gaudron de la somme de 1 500 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2103642 du tribunal administratif de Strasbourg du 31 mai 2021 est annulé.

Article 2 : La décision du 30 avril 2021 par laquelle la préfète du Bas-Rhin a ordonné le transfert de Mme C... aux autorités allemandes est annulée.

Article 3 : Il est enjoint à la préfète du Bas-Rhin de délivrer à Mme C... une attestation de demande d'asile et un formulaire lui permettant de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, et ce dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Gaudron, avocate de Mme C..., la somme de 1 500 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Gaudron renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., à Me Gaudron et au ministre de l'intérieur.

Une copie du présent arrêt sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 1er décembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Martinez président,

M. Agnel, président-assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 décembre 2022.

La rapporteure,

Signé : H. D...Le président,

Signé : J. MartinezLa greffière,

Signé : C. Schramm La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

N° 21NC03169


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC03169
Date de la décision : 22/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : GAUDRON

Origine de la décision
Date de l'import : 01/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-12-22;21nc03169 ?
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