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22/12/2022 | FRANCE | N°21NC00234

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 22 décembre 2022, 21NC00234


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Eurodirect Marketing a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et pénalités, du supplément d'impôt sur les sociétés qui lui a été assigné au titre de l'année 2016.

Par un jugement n° 1900341 du 27 octobre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg, a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 janvier 2021 et un mémoire complémentaire enregistré

le 16 août 2021, la SARL Eurodirect Marketing, représentée par Me Heckel, demande à la cour :

1°) d'annu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Eurodirect Marketing a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et pénalités, du supplément d'impôt sur les sociétés qui lui a été assigné au titre de l'année 2016.

Par un jugement n° 1900341 du 27 octobre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg, a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 janvier 2021 et un mémoire complémentaire enregistré le 16 août 2021, la SARL Eurodirect Marketing, représentée par Me Heckel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge de l'imposition supplémentaire contestée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la procédure est irrégulière en ce que la réponse à ses observations à la proposition de rectification est insuffisamment motivée en méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, le service n'ayant pas expliqué en quoi il n'avait pas remis en cause la décision de gestion régulière qu'elle lui avait opposée par ses observations ;

- en appliquant la règle de limitation du report en avant des déficits résultant de l'alinéa 3 au I de l'article 209 du code général des impôts issu de la loi du 26 décembre 2012, aux déficits constitués avant le 1er janvier 2012, en l'occurrence des déficits très antérieurs à l'année 2012, l'administration leur applique des dispositions qui n'étaient pas en vigueur et fait rétroagir la loi au-delà des principes de la petite rétroactivité de la loi fiscale admise par le Conseil Constitutionnel dans sa décision 202-662 CD du 29 décembre 2012 ; en tout état de cause, le principe de non-rétroactivité de la loi fiscale est institué par la doctrine administrative sous référence BOI-CTX-DG-20-10-20 qui est opposable à l'administration sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ;

- la remise en cause des déficits constitués avant l'entrée en vigueur de la loi du 26 décembre 2012 viole l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales en ce qu'une espérance légitime à pouvoir reporter en avant ses déficits figurait dans son patrimoine ;

- la société requérante ayant pris la décision de gestion régulière de reporter ses déficits en avant plutôt que de les imputer sur des bénéfices passés, l'administration ne saurait légalement remettre en cause cette décision.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 juillet 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2011-117 du 19 septembre 2011 de finances rectificatives pour 2011, et notamment son article 2, tel que complété par l'article 31 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 ;

- la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A... ;

- et les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Eurodirect Marketing, société holding ayant une activité de gestion de titres de participation, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016. Par une proposition de rectification du 15 janvier 2018, le service a porté à sa connaissance, selon la procédure de rectification contradictoire, qu'il envisageait un rehaussement de son bénéfice imposable de l'année 2016. Ce redressement a été confirmé par lettre du 16 mars 2018 de réponse aux observations du contribuable. Le supplément d'impôt sur les sociétés a été mis en recouvrement le 8 juin 2018. La réclamation préalable de la société a été rejetée par l'administration fiscale le 3 décembre 2018. La SARL Eurodirect Marketing relève appel du jugement du 27 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge de cette imposition supplémentaire.

Sur la régularité de la procédure :

2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, dans sa version applicable au litige : " L'administration adresse au contribuable une notification de redressement qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. (...) Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée ". L'exigence de motivation qui s'impose à l'administration dans ses relations avec le contribuable vérifié en application du dernier alinéa de cet article s'apprécie au regard de l'argumentation de celui-ci.

3. Contrairement à ce que soutient la société requérante, le service, dans sa lettre du 16 mars 2018, a suffisamment répondu à son observation selon laquelle l'administration ne saurait légalement remettre en cause une décision de gestion régulière d'un contribuable, en lui indiquant, après avoir rappelé le fondement de sa position, qu'en l'occurrence et selon lui, le report en avant des déficits antérieur à l'exercice 2012 ne résultait pas d'une option en ce que la société n'avait eu aucune possibilité de les imputer sur des bénéfices antérieurs dès lors qu'elle n'avait pas payé d'impôt sur les sociétés depuis l'année 2003. Ce faisant le service a suffisamment motivé sa réponse aux observations de la société requérante concernant la remise en cause d'une décision de gestion régulière. Par suite, le moyen invoqué de ce chef ne peut qu'être écarté.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

4. En premier lieu, aux termes du troisième alinéa de l'article 209 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 24 de la loi n° 2012-1509 du 26 décembre 2012 : " Sous réserve de l'option prévue à l'article 220 quinquies, en cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l'exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice dans la limite d'un montant de 1 000 000 € majoré de 50 % du montant correspondant au bénéfice imposable dudit exercice excédant ce premier montant. Si ce bénéfice n'est pas suffisant pour que la déduction puisse être intégralement opérée, l'excédent du déficit est reporté dans les mêmes conditions sur les exercices suivants. Il en est de même de la fraction de déficit non admise en déduction en application de la première phrase du présent alinéa ".

5. Il résulte des articles 36, 38 et 209 du code général des impôts que la clôture de l'exercice comptable constitue le fait générateur de l'impôt sur les sociétés. Lorsque le législateur modifie les règles d'assiette de cet impôt, cette modification s'applique, sauf à ce que la loi en dispose autrement de manière expresse, à l'imposition des bénéfices des exercices clos à compter de son entrée en vigueur. En vertu de ces principes, la règle de plafonnement prévue par ces dispositions est applicable en cas d'imputation des déficits sur les exercices clos à compter du 31 décembre 2012 et s'applique aussi bien aux déficits constitués à partir de cette date qu'à ceux constitués avant cette date au cours d'exercices antérieurs et non encore imputés, dès lors que le déficit imputé constitue une charge de l'exercice sur lequel il est imputé.

6. Il résulte de l'instruction que la SARL Eurodirect Marketing a déclaré un bénéfice avant imputation des déficits antérieurs d'un montant de 2 896 105 euros au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2016. Elle a imputé sur ce résultat bénéficiaire des déficits antérieurs à hauteur du même montant. Le service, à la suite de la procédure de rectification ci-dessus analysée, a limité cette imputation, sur le fondement des dispositions précitées de l'article 209 du code général des impôts, à une somme de 1 000 000 euros à laquelle il a ajouté la moitié de la différence entre cette somme et le résultat bénéficiaire de l'exercice, soit la somme de 1 948 052 euros. Le bénéfice imposable de l'année 2016 a en conséquence été fixé, après imputation de cette somme, à 948 053 euros.

7. En appliquant la limitation de l'imputation déficitaire effectuée au titre de l'année 2016 par application des règles en vigueur au titre de cette année, résultant des dispositions ci-dessus reproduites de l'article 209 du code général des impôts, l'administration n'a pas méconnu le champ d'application de la loi fiscale dans le temps, l'imputation ainsi effectuée par la société requérante étant intervenue postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 26 décembre 2012 et ayant concerné le bénéfice imposable de l'année 2016 dont ces déficits constituaient une charge, étant précisé, ainsi qu'il a été dit au point 5, que le mécanisme de limitation du bénéfice d'imputation concerne tant les déficits subis au titre de l'année 2012 que le stock des déficits antérieurs encore en report . Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'administration aurait appliqué des dispositions de la loi fiscale à des résultats antérieurs à son entrée en vigueur.

8. En deuxième lieu, il n'appartient pas au juge de l'impôt d'apprécier la conformité de la loi fiscale aux principes à valeur constitutionnelle, hormis le cas où il est saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité. En conséquence, la société requérante ne saurait utilement soutenir que les dispositions dont il lui a été fait application, issues de la loi du 26 décembre 2012 seraient contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution faute pour elle d'avoir introduit une question prioritaire de constitutionnalité. En tout état de cause, le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, a déclaré que l'article 24 précité de la loi n° 2012-1509 du 26 décembre 2012, dont l'administration a fait application, n'est pas contraire à la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789.

9. En troisième lieu, en limitant l'imputation de ses déficits sur le bénéfice de l'année 2016 en fonction des règles en vigueur de l'article 209 du code général des impôts, l'administration n'a pas remis en cause la décision de gestion qu'avait prise la société requérante de les reporter en avant plutôt que de les imputer sur des bénéfices antérieurs, en admettant qu'elle ait pu le faire à l'époque. Par suite, le moyen invoque de ce chef ne peut qu'être écarté.

10. En quatrième lieu, la doctrine référencée BOI-CTX-DG-20-10-20 se borne à rappeler les règles relatives à l'entrée en vigueur des dispositions législatives et réglementaires sans comporter aucune interprétation de la loi fiscale dont la société requérante puisse utilement se prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

11. En dernier lieu, l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales stipule que : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". A défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir la restitution d'une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations.

12. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les dispositions du code général des impôts dont il a été fait application à la société requérante n'ont pas eu pour effet de remettre en cause l'imputation des déficits qu'elle avait constitués sur ses bénéfices futurs, cette imputation s'étant effectuée selon les dispositions législatives en vigueur, la fraction non imputée du fait du plafonnement ayant vocation à s'imputer sur les bénéfices ultérieurs et n'étant ainsi pas perdue. En adoptant les dispositions ci-dessus reproduites de l'article 209 du code général des impôts, plafonnant l'imputation des déficits, le législateur ne peut être regardé comme ayant remis en cause un avantage fiscal dont les contribuables pouvaient espérer la pérennisation. A cet égard, la perspective d'effectuer l'imputation en avant des déficits dans leur intégralité, sans limitation d'assiette, ni de durée, ne saurait être regardée comme un bien au sens des stipulations ci-dessus reproduites. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir qu'elle avait une espérance légitime de pouvoir continuer à imputer intégralement ses déficits sur ses bénéfices futurs. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales doit, par suite, être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Eurodirect Marketing n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SARL Eurodirect Marketing est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Eurodirect Marketing et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 1er décembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président de chambre,

M. Agnel, président assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 décembre 2022.

Le rapporteur,

Signé : M. AgnelLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

N° 21NC00234 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00234
Date de la décision : 22/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: M. Marc AGNEL
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : HECKEL

Origine de la décision
Date de l'import : 01/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-12-22;21nc00234 ?
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