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22/12/2022 | FRANCE | N°20NC03618

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 22 décembre 2022, 20NC03618


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Prémanon a demandé au tribunal administratif de Besançon d'enjoindre à la société d'économie mixte de construction du département de l'Ain (SEMCODA) de reprendre l'exécution de ses obligations contractuelles dans le cadre du bail emphytéotique qu'elle a conclu le 27 décembre 2016.

A titre reconventionnel, la SEMCODA a demandé la résiliation du bail emphytéotique administratif et la condamnation de la commune de Prémanon à lui verser une somme totale de de 568 279,88 euros.
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Prémanon a demandé au tribunal administratif de Besançon d'enjoindre à la société d'économie mixte de construction du département de l'Ain (SEMCODA) de reprendre l'exécution de ses obligations contractuelles dans le cadre du bail emphytéotique qu'elle a conclu le 27 décembre 2016.

A titre reconventionnel, la SEMCODA a demandé la résiliation du bail emphytéotique administratif et la condamnation de la commune de Prémanon à lui verser une somme totale de de 568 279,88 euros.

Par un jugement n° 1901749 du 15 octobre 2020, le tribunal administratif de Besançon a condamné la SEMCODA à reprendre l'exécution des obligations contractuelles qui lui incombent en vertu du bail emphytéotique administratif conclu le 27 décembre 2016 avec la commune de Prémanon dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires enregistrés les 14 décembre 2020, 3 octobre 2022 et 31 octobre 2022, la SEMCODA, représentée par Me Bornard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de la commune de Prémanon ;

3°) de prononcer la résiliation du bail emphytéotique administratif aux torts exclusifs de la commune de Prémanon ;

4°) de condamner cette dernière à lui verser une somme de 400 000 euros, outre le remboursement de frais engagés s'élevant à 168 279,88 euros ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Prémanon une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la rupture de l'économie générale du contrat ne pouvait être retenue que si elle présentait les caractéristiques de la force majeure, et alors que le cocontractant de l'administration a droit à l'équilibre financier du contrat ;

- la commune de Prémanon n'a pas respecté son obligation de souscrire à l'augmentation de son capital ; le retard de quelques jours a rendu impossible la souscription dans le cadre de la procédure d'augmentation du capital engagée ;

- cette faute contractuelle a anéanti l'équilibre financier du contrat ;

- la commune a également commis une faute grave et irréversible en ne prenant aucune disposition pour rétablir l'équilibre contractuel ;

- la résiliation du bail emphytéotique administratif doit être prononcée aux torts de la commune ;

- cette dernière doit être condamnée à lui restituer le loyer versé pour la durée du bail, d'un montant de 400 000 euros ;

- la collectivité doit également être condamnée à l'indemniser des dépenses effectuées en vue de l'exécution du contrat, d'un montant total de 168 279,88 euros ;

- la commune ne saurait lui opposer qu'elle aurait méconnu son engagement d'étudier la faisabilité de l'opération en 100 % accession, dès lors que le contrat ne prévoyait pas une telle obligation ;

- il est désormais impossible d'exécuter le bail emphytéotique administratif litigieux pour d'autres motifs, tirés de la caducité du permis de construire nécessaire à la réalisation de l'opération et de l'annulation des financements qui avaient été obtenus pour la réalisation des logements envisagés.

Par deux mémoires enregistrés les 2 septembre 2022 et 13 octobre 2022, la commune de Prémanon, représentée par Me Nguyen, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit ordonné à la SEMCODA de reprendre intégralement l'exécution des prestations auxquelles elle est obligée par le bail litigieux, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard, et à ce que le versement d'une somme de 3 000 euros soit mis à la charge de la SEMCODA au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- aucune stipulation ne permettait à la SEMCODA de résilier le contrat ;

- aucune situation de force majeure n'est caractérisée ;

- elle n'a pas commis de faute contractuelle ;

- le principe de loyauté contractuelle et l'intérêt général justifient la poursuite du contrat ;

- la SEMCODA ne saurait se prévaloir de ses propres fautes pour se soustraire à l'exécution du contrat ;

- si la résiliation du bail devait être prononcée, cela ne pourrait être à ses torts, de sorte que la SEMCODA devrait supporter les frais exposés pour l'exécution du contrat, alors que l'abandon du projet n'est pas justifié par des difficultés révélées par les études, et que cette société s'était engagée à en supporter le coût ;

- si le tribunal a estimé qu'il n'y avait pas lieu d'assortir l'injonction qu'il a prononcée d'une astreinte, il y a lieu de relever que la SEMCODA n'a pas respecté l'injonction qui lui a été adressée par les premiers juges, ce qui justifie le prononcé de l'astreinte.

Par ordonnance du 4 novembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 novembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me Mourey, pour la SEMCODA.

Considérant ce qui suit :

1. En 2015, la commune de Prémanon et la société d'économie mixte de construction du département de l'Ain (SEMCODA) ont décidé de réaliser une opération de réhabilitation d'un immeuble pour y créer des logements sociaux. Afin de permettre la réalisation de ce projet, le conseil municipal de Prémanon, par une délibération du 12 mai 2015, a décidé de préempter les parcelles cadastrées section A n° 105 et n° 106, pour un montant de 200 000 euros. Le 27 décembre 2016, la commune de Prémanon et la SEMCODA ont conclu un bail emphytéotique administratif (BEA), sur le fondement des articles L. 1311-2 et suivants du code général des collectivités territoriales, par lequel la commune a cédé à la SEMCODA, pour une durée de 50 ans à compter de l'achèvement de la réhabilitation, l'occupation de l'immeuble et s'est notamment engagée à souscrire, à hauteur de 200 000 euros, à l'augmentation de capital de la SEMCODA, cette dernière s'engageant au versement d'une somme de 400 000 euros.

2. Le 8 mars 2019, la SEMCODA a informé la commune de Prémanon qu'elle décidait d'abandonner le projet de réhabilitation et qu'elle n'entendait plus exécuter ses obligations contractuelles. Le 28 mai 2019, la SEMCODA a sollicité le notaire qui avait rédigé le contrat afin qu'il soit procédé à la résiliation de celui-ci. Après avoir vainement mis en demeure la SEMCODA d'exécuter ses obligations contractuelles, la commune de Prémanon a demandé au tribunal administratif de Besançon d'ordonner à cette société de reprendre l'exécution du bail emphytéotique administratif. Par la voie reconventionnelle, la SEMCODA a demandé au tribunal de prononcer la résiliation du contrat administratif et de condamner la commune de Prémanon à lui verser une somme totale de de 568 279,88 euros, correspondant au remboursement de la somme de 400 000 euros et des frais exposés pour le projet, en conséquence de cette résiliation.

3. Par un jugement du 15 octobre 2020, le tribunal administratif de Besançon a condamné la SEMCODA à reprendre l'exécution des obligations contractuelles et rejeté les conclusions de cette société. Cette dernière en relève appel, la commune de Prémanon devant, pour sa part, être regardée comme contestant ce jugement, par la voie de l'appel incident, en tant qu'il n'a pas assorti cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions ayant trait à la résiliation du contrat :

4. Hormis l'hypothèse où, dans un contrat qui n'a pas pour objet l'exécution même du service public, les parties ont défini les conditions dans lesquelles le cocontractant de la personne publique peut résilier le contrat en cas de méconnaissance par cette dernière de ses obligations contractuelles, le cocontractant lié à une personne publique par un contrat administratif est tenu d'en assurer l'exécution, sauf en cas de force majeure, et ne peut notamment pas se prévaloir des manquements ou défaillances de l'administration pour se soustraire à ses propres obligations contractuelles ou prendre l'initiative de résilier unilatéralement le contrat. En l'absence de telles clauses, il appartient à la personne privée de saisir le juge du contrat, qui pourra en prononcer la résiliation en cas de force majeure ou de manquements graves de l'administration à ses propres obligations.

5. La SEMCODA, à laquelle le bail emphytéotique administratif n'avait consacré aucun pouvoir de résiliation, demande au juge de mettre fin à ce contrat en se prévalant uniquement de fautes de la commune de Prémanon.

6. D'une part, elle fait grief à la collectivité de n'avoir pas souscrit, dans les délais impartis, à l'augmentation de son capital, ainsi que le prévoyait le contrat. A cet égard, il résulte de l'instruction que la collectivité avait initié cette souscription et avait informé la société que la réception des fonds devait intervenir au plus tard le 28 février 2018. Le maire de la commune a émis à cette fin un mandat de paiement le 16 février 2018 qui indiquait un délai de paiement de 20 jours du 16 février 2018 au 8 mars 2018. Les sommes n'ont été effectivement reçues par la SEMCODA que le 5 mars. Toutefois, si la requérante soutient que ce retard de paiement a fait obstacle à la souscription, elle ne l'établit pas d'autant plus qu'un mandat de paiement avait été émis. Par ailleurs, elle ne démontre pas en quoi il n'était pas possible ou particulièrement difficile de reprendre la procédure. Ainsi, en l'état de l'instruction, ainsi que l'ont retenu à bon droit les premiers juges, le retard de versement des fonds mandatés ne constitue pas un manquement grave de nature à justifier la résiliation judiciaire, à la demande de son cocontractant, du contrat aux torts de l'administration.

7. D'autre part, la SEMCODA soutient qu'il appartenait à l'administration de maintenir l'équilibre financier du contrat. Elle en déduit que cette obligation a été méconnue, ce qui constituerait un manquement grave de la commune de Prémanon alors que l'augmentation de la fiscalité immobilière et l'évolution du coût estimé du projet, outre l'absence d'entrée à son capital, en ont obéré la rentabilité. Toutefois, si l'administration peut être contrainte de supporter la charge de certaines modifications de l'économie générale du contrat, notamment au titre des sujétions imprévues ou de l'imprévision, elle ne saurait se voir imposer de maintenir l'équilibre financier d'un contrat, à peine de résiliation à la demande de son cocontractant, en l'absence de stipulations en ce sens dans le contrat en cause. Dès lors que le bail emphytéotique litigieux ne prévoyait pas de telles clauses, la SEMCODA n'est pas fondée à se prévaloir, à ce titre, d'un manquement grave de la commune de Prémanon à ses obligations contractuelles.

8. Il suit de là, sans que la SEMCODA puisse utilement reprocher au tribunal d'avoir relevé que l'augmentation du coût du projet ne relevait pas d'un cas de force majeure, qu'elle n'est pas fondée à solliciter la résiliation du contrat. La SEMCODA n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions à cette fin, ainsi que les conclusions relatives à l'indemnisation des conséquences de cette résiliation aux torts de l'administration.

Sur la reprise de l'exécution des obligations contractuelles :

9. Si, en principe, il n'appartient pas au juge administratif d'intervenir dans l'exécution d'un contrat administratif en adressant des injonctions à ceux qui ont contracté avec l'administration lorsque celle-ci dispose à l'égard de ces derniers des pouvoirs nécessaires pour assurer l'exécution du contrat, il en va autrement quand l'administration ne peut user de moyens de contrainte à l'encontre de son cocontractant qu'en vertu d'une décision juridictionnelle. En pareille hypothèse, le juge du contrat est en droit de prononcer, à l'encontre du cocontractant de l'administration, une condamnation, éventuellement sous astreinte, à une obligation de faire.

10. Pour contester la condamnation à reprendre l'exécution du contrat litigieux prononcée par le tribunal, la SEMCODA allègue qu'il est désormais impossible d'exécuter le BEA litigieux, aux motifs que le permis de construire dont elle était titulaire est désormais caduc et que les financements qu'elle avait obtenus de la part du département du Jura ont été retirés en septembre 2019. Toutefois, outre que ces circonstances sont la conséquence de son propre refus d'exécuter le contrat, et eu égard à l'obligation d'exécuter de bonne foi les relations contractuelles, il n'est pas démontré que ces évènements rendraient le projet irréalisable, et en particulier qu'une nouvelle autorisation d'urbanisme et de nouveaux financements ne pourraient être obtenus. La SEMCODA n'est donc, en l'état de l'instruction, pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges l'ont condamnée à exécuter le bail emphytéotique administratif la liant à la commune de Prémanon.

11. Il ne résulte en revanche pas de l'instruction qu'il y aurait lieu, dans les circonstances de l'espèce résumées précédemment au regard des démarches à accomplir le cas échéant, d'assortir l'injonction en question d'une astreinte, de sorte que les conclusions d'appel incident de la commune de Prémanon doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Prémanon, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la SEMCODA au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Prémanon, sur le même fondement.

D E C I D E:

Article 1er : La requête de la SEMCODA est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Prémanon sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SEMCODA et à la commune de Prémanon.

Délibéré après l'audience du 29 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente de chambre,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- Mme Picque, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 décembre 2022.

La rapporteure,

Signé : A. B...La présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : M. A...

La République mande et ordonne au préfet du Jura, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

M. A...

2

N°20NC03618


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC03618
Date de la décision : 22/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : SELARL NATHALIE NGUYEN AVOCATS ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 01/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-12-22;20nc03618 ?
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