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06/12/2022 | FRANCE | N°22NC01343

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 06 décembre 2022, 22NC01343


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne l'annulation de l'arrêté du 15 novembre 2021 par lequel le préfet de l'Aube a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière.

Par un jugement n° 2102816 du 14 avril 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Proc

édure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 mai 2022, M. A... B..., représen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne l'annulation de l'arrêté du 15 novembre 2021 par lequel le préfet de l'Aube a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière.

Par un jugement n° 2102816 du 14 avril 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 mai 2022, M. A... B..., représenté par Me Gaffuri, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2102816 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 14 avril 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Aube du 15 novembre 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Aube, dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de réexaminer sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour est insuffisamment motivée ;

- la décision en litige est entachée d'un défaut d'examen particulier et approfondi de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît les dispositions des articles L. 423-22, L. 811-2 et R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur de droit, dès lors que le préfet de l'Aube ne renverse pas la présomption de validité des actes d'état civil qu'il a produits pour justifier de son identité et de son âge ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des critères énoncés à l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- en refusant de faire usage de son pouvoir de régularisation à titre exceptionnel, le préfet de l'Aube a commis une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour ;

- la décision en litige est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juillet 2022, le préfet de l'Aube, représenté par Me Ancelet, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du requérant de la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens invoqués par M. B... ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Meisse, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Se déclarant ressortissant malien, né le 15 avril 2002, M. A... B... s'est présenté comme mineur isolé à son arrivée sur le territoire français le 3 décembre 2017 et a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance du département de l'Aube par un jugement en assistance éducative du juge des enfants près le tribunal de grande instance de Troyes du 9 février 2018. Le 5 juin 2020, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions alors en vigueur de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, par un arrêté du 15 novembre 2021, le préfet de l'Aube a refusé de faire droit à sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière. M. B... a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Il relève appel du jugement n° 2102816 du 14 avril 2022, qui rejette sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ". Aux termes de l'article R. 431-10 du même code : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil ; / 2° Les documents justifiants de sa nationalité ; (...) ".

3. D'autre part, aux termes, de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

4. Il résulte des dispositions de l'article 47 du code civil que, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger et pour écarter la présomption d'authenticité dont bénéficie un tel acte, l'autorité administrative procède aux vérifications utiles. Si l'article 47 du code civil pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays, il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve, par tout moyen, du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. En revanche, l'autorité administrative n'est pas tenue de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre État afin d'établir qu'un acte d'état civil présenté comme émanant de cet État est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont elle dispose sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié.

5. Pour refuser de délivrer à M. B... un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de l'Aube s'est fondé sur un unique motif tiré de ce que, en raison de l'absence de valeur probante des actes d'état civil présentés au soutien de sa demande, l'intéressé n'établissait pas avoir été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et celui de dix-huit ans.

6. Il ressort des pièces du dossier que le requérant a transmis à l'administration une photocopie de la minute d'un jugement supplétif d'acte de naissance rendu le 11 août 2017 par le tribunal civil de Diema et certifié conforme le même jour par le greffier en chef de ce tribunal, ainsi qu'un extrait d'acte de naissance portant transcription de ce jugement et un acte de naissance, délivrés le 18 août 2017 par l'officier d'état civil de la commune de Madiga-Sacko. Se fondant sur les conclusions d'un rapport d'examen technique documentaire, réalisé le 17 mai 2021 par les services de la direction zonale de la police aux frontières Est, le préfet de l'Aube a reproché à M. B... de ne pas avoir produit l'original du jugement supplétif, dont il se prévaut, et a estimé que l'extrait d'acte de naissance du 18 août 2017 était irrégulier au motif que les dates ne sont pas écrites en toutes lettres, conformément à l'article 126 du code malien des personnes et des familles, que le numéro du jugement supplétif auquel il se réfère est erroné et qu'il a été signé, non pas par le maire, mais par son troisième adjoint. Toutefois, alors que l'acte de naissance délivré le même jour n'a donné lieu à aucune contestation de la part de l'administration, de telles irrégularités formelles ne sont pas, à elles seules, de nature à affecter la validité du document, dont les mentions ne comportent pas de contradiction avec celles figurant sur la minute du jugement supplétif. En outre, M. B... verse notamment aux débats, à hauteur d'appel, un extrait d'acte de naissance et un acte de naissance délivrés le 24 décembre 2021 par le maire de Madiga-Sacko, une attestation de ce maire du 13 mai 2022 authentifiant l'acte de naissance de l'intéressé et un jugement supplétif d'acte de naissance en date du 24 décembre 2021. En se bornant à relever que le requérant aurait pu produire ces différentes pièces en première instance, le préfet de l'Aube ne conteste pas sérieusement leur authenticité. Dans ces conditions, l'autorité administrative ne peut être regardée comme ayant renversé la présomption de validité qui s'attache aux actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans le pays concerné. Par suite, M. B... est fondé à soutenir qu'en refusant de l'admettre au séjour au motif qu'il ne justifiait pas de son identité et de son âge, le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 435-3 du de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et à demander, pour ce motif, l'annulation de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour. Par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination, qui se trouvent privées de base légale, doivent également être annulées.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Aube du 15 novembre 2021 et à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au préfet de l'Aube de procéder, dans un délai de deux mois suivant sa notification, à un réexamen global de la situation de M. B... au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, des liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur son insertion dans la société française.

Sur les frais de justice :

9. M. B... ayant été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 octobre 2022, son conseil peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans ces conditions, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Gaffuri, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la contribution étatique à l'aide juridictionnelle, une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2102816 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 14 avril 2022 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du préfet de l'Aube du 15 novembre 2021 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Aube de procéder, dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt, à un réexamen global de la situation de M. B... au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, des liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur son insertion dans la société française.

Article 4 : L'Etat versera à Me Gaffuri, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la contribution étatique à l'aide juridictionnelle, la somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de l'Aube.

Délibéré après l'audience du 22 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Goujon-Fischer, président,

- M. Meisse, premier conseiller,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 décembre 2022.

Le rapporteur,

Signé : E. Meisse

Le président,

Signé : J.-F. Goujon-Fischer

La greffière,

Signé : V. Firmery

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

V. Firmery

N°22NC01343 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22NC01343
Date de la décision : 06/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GOUJON-FISCHER
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : GAFFURI

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-12-06;22nc01343 ?
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