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29/11/2022 | FRANCE | N°19NC02482

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 29 novembre 2022, 19NC02482


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Office national des forêts à lui verser une somme de 11 232 euros assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ceux-ci, en réparation des préjudices subis en raison, d'une part, de l'absence d'évaluation professionnelle au titre des années 2011 à 2013 et, d'autre part, des faits de harcèlement moral dont il a été victime entre 2010 et 2014.

Par un jugement n° 1604716 du 22 mai 2019, le tribunal admi

nistratif a condamné l'Office national des forêts à verser à M. B... une somme de 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Office national des forêts à lui verser une somme de 11 232 euros assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ceux-ci, en réparation des préjudices subis en raison, d'une part, de l'absence d'évaluation professionnelle au titre des années 2011 à 2013 et, d'autre part, des faits de harcèlement moral dont il a été victime entre 2010 et 2014.

Par un jugement n° 1604716 du 22 mai 2019, le tribunal administratif a condamné l'Office national des forêts à verser à M. B... une somme de 200 euros, tous intérêts compris, et a mis à la charge de l'Office national des forêts une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 1er août 2019, 15 octobre 2020, 19 mars 2021 et un mémoire récapitulatif enregistré le 8 février 2022, M. B..., représenté par Me Frachet, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement du 22 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a limité à la somme de 200 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné l'Office national des forêts en réparation du préjudice subi ;

2°) de condamner l'Office national des forêts à lui verser la somme de 15 312 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ceux-ci au titre de l'indemnisation du préjudice qu'il estime avoir subi en raison de l'absence d'évaluation professionnelle au titre des années 2011 à 2013 et des agissements de harcèlement moral dont il estime avoir été victime au titre des années 2010 à 2014 ;

3°) de constater et déclarer la nullité des arrêtés des 24 mars et 20 mai 2016 par lesquels le directeur général de l'Office national des forêts a respectivement prononcé sa mise à la retraite d'office et sa radiation des cadres à compter du 1er juin 2016 ;

4°) de mettre à la charge de l'Office national des forêts la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa requête d'appel n'est pas tardive ;

- en méconnaissance de l'article R. 741-2 du code de justice administrative, le jugement est irrégulier en tant qu'il ne mentionne pas et n'analyse pas la demande d'annulation de la décision du 17 juin 2016 par laquelle l'Office national des forêts a refusé de l'indemniser des préjudices subis ;

- les premiers juges n'ont pas visé le mémoire en défense de l'Office national des forêts ;

- les premiers juges ont commis des erreurs de droit, méconnu leur office, omis de statuer, entaché leur décision d'un défaut de motivation, dénaturé les pièces du dossier, les faits et termes du litige, inversé la charge de la preuve et n'ont pas respecté l'autorité absolue de la chose jugée, les droits de la défense et les principes du contradictoire et d'impartialité ;

- les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen tiré des agissements de harcèlement moral commis à son encontre concernant les évaluations 2011 à 2013 et ses notations de 2010 à 2011 ; les premiers juges ont également dénaturé les pièces du dossier et omis de statuer sur le moyen tiré des agissements de harcèlement moral des directeurs de l'agence à son encontre ;

- les premiers juges n'ont ordonné aucune mesure d'instruction afin d'apprécier si les agissements allégués étaient constitutifs d'agissement d'harcèlement moral ;

- les premiers juges n'ont pas respecté les droits de la défense en se fondant sur le contenu d'un courriel du 10 avril 2013 qui n'a pas été soumis au débat contradictoire ;

- en tout état de cause, il est victime de faits constitutifs de harcèlement moral faisant obstacle au prononcé d'une sanction ; les agissements de l'administration, qui excédaient l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, se sont révélés dans les évènements concernant son armement de service et ses tournées de surveillance, ses évaluations et notations ainsi que son avancement professionnel, l'agression physique dont il a été victime, le refus de lui accorder des congés annuels en 2013, et la tentative de le faire évincer médicalement et disciplinairement du service ;

- l'absence d'entretiens professionnels prévus au titre des années 2012, 2013 et 2014 est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Office national des forêts ;

- ces notations en 2010 et 2011 ont été fixées de manière illégale et son entretien professionnel au titre de l'année 2010 a été conduit irrégulièrement ;

- il a subi un préjudice financier résultant de l'absence de perception de la modulation de la prime spéciale de résultats pour un montant de 312 euros ;

- il a subi un préjudice moral qui sera justement indemnisé à hauteur de 15 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 novembre 2019, l'Office national des forêts, représenté par la SCP Delvolvé et Trichet, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de

3 000 euros soit mise à la charge de M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable car tardive ;

- les conclusions tendant à l'annulation des arrêtés du 24 mars 2016 et du 20 mai 2016 sont nouvelles en appel et donc irrecevables ;

- les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de la demande indemnitaire de première instance fondée sur des faits de harcèlement moral, fait générateur distinct de celui résultant de la demande préalable indemnitaire exclusivement fondée sur l'illégalité fautive résultant de l'absence d'entretiens professionnels au titre des années 2011 à 2013.

Par un mémoire, enregistré le 28 octobre 2022, qui n'a pas été communiqué, l'Office national des forêts a présenté des observations sur le moyen d'ordre public.

Par plusieurs courriers, non communiqués, M. B... a fait part à la cour de son impossibilité de répondre à ce moyen d'ordre public, faute d'avocat.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 2002-682 du 29 avril 2002 ;

- le décret n° 2005-1784 du 30 décembre 2005 ;

- le décret n° 2010-888 du 28 juillet 2010 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denizot, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.

Deux notes en délibéré, enregistrées les 16 et 22 novembre 2022 ont été présentées par

M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., technicien opérationnel forestier, exerçait en dernier lieu les fonctions de chef de triage forestier à Schoenbourg. M. B... a présenté le 31 mai 2016 à l'Office national des forêts (ONF) une demande indemnitaire pour la réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis en raison uniquement de l'absence d'entretiens professionnels au titre des années 2011 à 2013. Par un jugement du 22 mai 2019, dont M. B... relève appel, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné l'ONF à verser à M. B... une indemnité de 200 euros au titre de la réparation du préjudice moral subi en raison de l'absence d'entretiens professionnels en 2012 et 2013 et rejeté le surplus de sa demande qui portait notamment sur l'indemnisation des préjudices résultant du harcèlement moral.

Sur la fin de non-recevoir tirée du caractère nouveau des conclusions présentées dans la requête d'appel :

2. M. B... a présenté des conclusions tendant à déclarer les arrêtés des 24 mars et

20 mai 2016 prononçant sa suspension et sa mise à la retraite d'office comme nuls et nul effet. Toutefois, de telles conclusions, qui ont été présentées pour la première fois en appel, sont, ainsi que le soutient l'ONF, irrecevables et doivent être rejetées.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. En premier lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision (...) contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application ". Il ressort des pièces du dossier que si le jugement attaqué n'a pas visé le mémoire en défense présenté par l'ONF, il résulte cependant des motifs du jugement que le tribunal administratif de Strasbourg a tenu compte de l'ensemble des moyens contenus dans ce mémoire. Par suite, la circonstance que le jugement attaqué ne comporte pas le visa de ce mémoire ni l'analyse de ces moyens est, en l'espèce, sans incidence sur sa régularité.

4. En deuxième lieu, la décision de l'ONF du 17 juin 2016 a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de M. B... qui, en formulant des conclusions indemnitaires, a donné à l'ensemble de sa requête le caractère d'un recours de plein contentieux. Eu égard à l'objet d'une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l'intéressé à percevoir la somme qu'il réclame, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux, sont sans incidence sur la solution du litige. Par suite, c'est par une exacte interprétation des conclusions de M. B... que les premiers juges n'ont pas visé la demande tendant à l'annulation de la décision du 17 juin 2016 et ont mentionné uniquement les conclusions tendant à la condamnation de l'ONF.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort des pièces du dossier, que le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a suffisamment motivé les réponses apportées aux moyens soulevés par M. B.... Par suite, le tribunal administratif de Strasbourg n'a pas entaché son jugement d'une insuffisance de motivation.

6. En quatrième lieu, il ressort des termes du jugement contesté que le tribunal administratif de Strasbourg, s'il a mentionné l'existence d'un courrier électronique du 10 avril 2013, n'a pas fondé son jugement sur cette pièce, dont l'existence et le contenu étaient, au demeurant, révélés par les pièces jointes à la demande de première instance et notamment la saisine du comité médical départemental. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le tribunal administratif de Strasbourg aurait méconnu le principe du contradictoire et les droits de la défense en se fondant sur un courrier électronique qui n'a pas été soumis au débat contradictoire.

7. En dernier lieu, M. B... soutient de manière générale que les premiers juges ont commis des erreurs de droit, méconnu leur office, omis de statuer, entaché leur décision d'un défaut de motivation, dénaturé les pièces du dossier, les faits et termes du litige, inversé la charge de la preuve et n'ont pas respecté l'autorité absolue de la chose jugée, les droits de la défense et les principes du contradictoire et d'impartialité. Toutefois, d'une part, aucun élément des écritures de M. B... ne permet précisément d'identifier une omission à statuer sur des conclusions ou moyens, une méconnaissance des droits de la défense et une insuffisance de motivation autres que celles évoquées aux points précédents, du principe du contradictoire et une partialité des premiers juges. D'autre part, les moyens tirés de l'erreur de droit, de la dénaturation des pièces du dossier, des faits et termes du litige, de l'inversion de la charge de la preuve et de la méconnaissance de l'autorité absolue de la chose jugée relèvent de la contestation du bien-fondé du jugement et non sa régularité.

8. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires fondées sur les agissements allégués de harcèlement moral :

9. Aux termes de l'article 6 quinquies de loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors en vigueur : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ".

10. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui.

11. En premier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que les notations, évaluations ou avancement que M. B... conteste régulièrement, ne reflèteraient pas la juste appréciation de sa valeur professionnelle, en particulier de ses difficultés à travailler en équipe et de ses difficultés relationnelles. A cet égard, si M. B... se plaint du refus de l'ONF de reconnaître l'imputabilité au service d'une maladie contractée en 1991 due au martelage et du refus d'utiliser la peinture à la place du marteau forestier sans tenir compte de ses problèmes de santé, expliquant ainsi sa baisse de notation injustifiée, ses allégations ne sont corroborées par aucune pièce du dossier. Par ailleurs, la circonstance que la demande de révision de la notation de 2011 ait obtenu un avis favorable de la commission de révision n'est pas davantage de nature à faire présumer l'existence d'agissements de harcèlement moral. Enfin, si plusieurs décisions de l'ONF en matière de notation, d'avancement et de congés ont été annulées par le tribunal administratif de Strasbourg et la cour administrative d'appel de Nancy, ces seules illégalités ne sont pas davantage de nature à faire présumer l'existence d'agissements de harcèlement moral.

12. En deuxième lieu, si M. B... se plaint du retrait de son arme de service l'ayant empêché de mener à bien ses missions de surveillance en équipe et ayant contribué à son isolement, il résulte de l'instruction que cette mesure était fondée sur l'intérêt du service, notamment dans un but de sécurité et n'avait en aucun cas pour objectif de restreindre les missions de M. B... ni de l'empêcher de travailler en équipe.

13. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que si les relations entre M. B... et son supérieur hiérarchique étaient conflictuelles, la réalité de l'agression physique du 2 avril 2013 dont aurait été victime M. B... n'est établie par aucune pièce du dossier. M. B... ne justifie pas davantage que le comportement de son supérieur hiérarchique à son égard, ainsi que la plainte déposée à son encontre le 2 décembre 2013, excéderaient l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. A cet égard, si M. B... soutient que l'ONF a interdit à ses collègues d'entrer en contact avec lui et de lui rédiger des témoignages écrits, ces allégations ne sont corroborées par aucune pièce. Ainsi de tels éléments ne suffisent pas à faire présumer l'existence d'agissements de harcèlement moral.

14. En quatrième lieu, si, d'une part, le service d'aide médicalisé d'urgence a été envoyé au domicile de M. B..., le 10 avril 2013, sur demande de sa hiérarchie à la suite de l'alerte d'un membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et de l'absence de réponse aux appels téléphoniques de sa hiérarchie, cette intervention, réalisée dans le contexte du suicide très récent d'un agent de l'ONF ne saurait présumer, à elle seule, l'existence d'agissements de harcèlement moral de la hiérarchie de M. B.... D'autre part, il résulte de l'instruction que l'ONF a décidé le 10 avril 2013 de suspendre M. B... de ses fonctions pour une durée de quatre mois, l'a convoqué les 15 et 18 avril 2013 à des visites médicales, a saisi le 16 mai 2013 le comité médical départemental, a placé d'office M. B... le 16 mai 2013 en congé maladie, l'a privé le 16 juillet 2013 d'une bonification de son ancienneté pour le calcul de son avancement d'échelon, a suspendu son traitement le 1er octobre 2013, et a implicitement refusé de lui attribuer des congés annuels et des réductions de temps de travail en 2013. Si les décisions des 10 avril, 16 mai et 16 juillet 2013, annulées par la juridiction administrative, manifestent une gestion inappropriée de la situation administrative de M. B..., elles s'expliquent par le contexte particulier dans lesquelles elles ont été prises au regard des refus de l'intéressé de se rendre aux visites médicales auxquelles il était convoqué et des difficultés relationnelles récurrentes avec sa hiérarchie. Dans ces circonstances particulières, les décisions regrettables de l'administration, ne permettent ainsi pas de faire présumer l'existence d'actes constitutifs de harcèlement moral. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que son éviction, du service, pour des raisons médicales, ferait présumer l'existence d'agissements de harcèlement moral.

15. En cinquième lieu, ainsi que l'ont jugé à plusieurs reprises le tribunal administratif de Strasbourg et la cour administrative d'appel de Nancy, il ne résulte pas de l'instruction que la réintégration, le 24 mars 2016, de M. B... dans un emploi d'agent patrimonial au sein des services fonctionnels de l'agence Nord Alsace à Schoenbourg aurait revêtu le caractère d'une nomination pour ordre nulle et non avenue. En outre, à supposer même que l'arrêté du 24 mars 2016 portant réintégration de M. B... procède à une reconstitution incomplète de sa carrière, une telle circonstance, au demeurant non établie par les pièces du dossier, est sans incidence sur la légalité des décisions des 24 mars et 20 mai 2016 prononçant la suspension et la mise à la retraite d'office de l'intéressé. Au demeurant, ainsi que l'a jugé en dernier lieu la cour administrative d'appel de Nancy dans un arrêt du 27 décembre 2019, il ne résulte pas de l'instruction que l'arrêté du 20 mai 2016 par lequel le directeur général de l'ONF aurait infligé à M. B... une mise à la retraite d'office aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière ou n'aurait pas été justifié. Enfin, il résulte de l'instruction que la suspension de M. B... prononcée le 24 mars 2016 était motivée par les faits, mentionnés dans le procès-verbal d'enquête disciplinaire du 23 décembre 2013, et tirés notamment de ce que l'intéressé a proféré des menaces de mort envers son supérieur hiérarchique le

2 décembre 2013 et de ses manquements répétés au devoir d'obéissance hiérarchique. Les faits ainsi retenus à l'encontre du requérant présentaient, à la date à laquelle sa suspension a été prononcée, un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité pour justifier l'éloignement de M. B... du service à titre conservatoire. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que les décisions des 24 mars et 20 mai 2016, qui l'ont évincé disciplinairement du service, seraient de nature à faire présumer l'existence d'agissements de harcèlement moral.

16. En sixième lieu, M. B... ne peut utilement invoquer la méconnaissance de l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui n'a en tout état de cause pas vocation à s'appliquer aux conséquence des décisions annulées.

17. En dernier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que l'ONF ait usé de propos déloyaux à l'égard de M. B... tant dans la gestion de sa carrière que dans les différents litiges soumis au juge en dissimulant des preuves méconnaissant ainsi les droits de la défense.

18. Par conséquent, et sans qu'il soit besoin de diligenter une mesure d'instruction qui revêtirait en l'espèce un caractère frustratoire, les faits allégués pris isolément ou collectivement s'ils manifestent une gestion inappropriée de la situation difficile de M. B..., ne sont pas de nature à faire présumer l'existence d'actes constitutifs de harcèlement moral.

19. Il en résulte, sans qu'il soit besoin d'examiner leur recevabilité, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions fondées sur le harcèlement moral dont il se dit victime.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires fondées sur l'absence d'entretiens professionnels au titre des années 2011 à 2013 :

S'agissant de la faute :

20. En principe, toute illégalité commise par l'administration constitue une faute de nature à engager sa responsabilité, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain. L'intervention d'une décision illégale ne saurait toutefois ouvrir droit à réparation notamment si les dommages ne trouvent pas leur cause dans cette illégalité, mais découlent directement et exclusivement de la situation irrégulière dans laquelle la victime s'est elle-même placée, indépendamment des faits commis par la puissance publique, et à laquelle l'administration aurait pu légalement mettre fin à tout moment ou si une décision d'effet équivalent aurait dû légalement être prise.

21. Aux termes de l'article 55 de la loi du 11 janvier 1984, alors en vigueur, applicable aux fonctionnaires de l'ONF : " (...) L'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires se fonde sur un entretien professionnel annuel conduit par le supérieur hiérarchique direct ".

22. Aux termes de l'article 3 du décret du 29 avril 2002, applicable à l'entretien professionnel organisé au titre de l'année 2012 : " L'entretien d'évaluation est conduit par le supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire. / Cet entretien qui porte, principalement, sur les résultats professionnels obtenus par le fonctionnaire au regard des objectifs qui lui ont été assignés et des conditions d'organisation et de fonctionnement du service dont il relève, sur ses besoins de formation compte tenu notamment, des missions qui lui sont imparties et sur ses perspectives d'évolution professionnelle en termes de carrière et de mobilité, peut également porter sur la notation ". Aux termes de l'article 4 du même décret : " Le compte rendu de l'entretien d'évaluation est établi par le supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire et communiqué à celui-ci qui, le cas échéant, le complète par ses observations sur la conduite de l'entretien, sur ses perspectives de carrière et de mobilité et sur ses besoins de formation (...) ".

23. Aux termes de l'article 2 du décret du 28 juillet 2010, applicable aux entretiens professionnels prévus pour les années 2013 et 2014 : " Le fonctionnaire bénéficie chaque année d'un entretien professionnel qui donne lieu à compte rendu. / Cet entretien est conduit par le supérieur hiérarchique direct. / La date de cet entretien est fixée par le supérieur hiérarchique direct et communiquée au fonctionnaire au moins huit jours à l'avance ". Aux termes de l'article 4 du même décret : " Le compte rendu de l'entretien professionnel est établi et signé par le supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire. Il comporte une appréciation générale exprimant la valeur professionnelle de ce dernier. / Il est communiqué au fonctionnaire qui le complète, le cas échéant, de ses observations. / Il est visé par l'autorité hiérarchique qui peut formuler, si elle l'estime utile, ses propres observations. / Le compte rendu est notifié au fonctionnaire qui le signe pour attester qu'il en a pris connaissance puis le retourne à l'autorité hiérarchique qui le verse à son dossier ".

24. En premier lieu, si M. B... se prévaut de l'irrégularité de l'entretien professionnel conduit au titre de l'année 2010 et des modalités irrégulières par lesquelles sa notation a été fixée au titre des années 2010 et 2011, de telles irrégularités, à les supposer mêmes établies, sont sans incidence sur l'appréciation de l'existence de fautes commises par l'ONF en raison de l'absence d'entretiens professionnels organisés au titre des années 2011 à 2013.

25. En deuxième lieu, au titre de l'année 2011, il résulte de l'instruction que M. B... a interrompu, le 11 avril 2012, un entretien organisé avec son supérieur hiérarchique direct, au motif que l'entretien n'aurait pas porté sur l'appréciation de sa valeur professionnelle. Toutefois, il résulte d'un courrier du 16 août 2012 que M. B... a été convoqué à plusieurs reprises à d'autres entretiens professionnels mais n'a pas déféré à ces convocations. Par ailleurs, dans ce même courrier, le supérieur hiérarchique direct de M. B... a établi, en raison de l'impossibilité de tenir l'entretien professionnel, de manière unilatérale les modifications qu'il comptait apporter au précédent entretien professionnel au titre de l'année 2011. Par suite, M. B... est seul responsable de l'absence d'entretien professionnel.

26. En troisième lieu, au titre de l'année 2012, il est constant qu'un entretien professionnel avait été fixé le 15 avril 2013, mais que l'intéressé n'a pas pu s'y présenter, compte tenu de sa convocation le même jour à une visite médicale. Son absence ne lui est donc pas imputable, et l'ONF n'établit ni même n'allègue l'impossibilité de convoquer M. B... à un autre entretien. Dès lors l'absence d'évaluation professionnelle de M. B... au titre de l'année 2012 est fautive et de nature à engager la responsabilité de l'ONF.

27. En dernier lieu, l'application des dispositions précitées est subordonnée à la présence effective du fonctionnaire au cours de l'année en cause pendant une durée suffisante, eu égard notamment à la nature des fonctions exercées, pour permettre à son chef de service d'apprécier sa valeur professionnelle. Au titre de l'année 2013, il est constant que M. B... a exercé ses fonctions jusqu'au 10 avril 2013, date à partir de laquelle il a fait l'objet d'une suspension suivie d'un placement en congé de maladie d'office. L'ONF, qui s'est borné à soutenir, en première instance, que

M. B... faisait l'objet d'une enquête disciplinaire en 2014, ne fait état d'aucun élément justifiant l'impossibilité d'organiser au cours de cette année un entretien permettant d'évaluer la valeur professionnelle du requérant au titre de l'année 2013. Le comportement de l'ONF est, au titre de l'année 2013, également fautif.

S'agissant des préjudices :

28. En premier lieu, aux termes de l'article 3 du décret du 30 décembre 2005 relatif au régime applicable aux personnels de l'ONF : " Une prime spéciale et de résultats est attribuée aux fonctionnaires mentionnés à l'article 1er du présent décret. Cette prime est définie selon un montant de base et un montant de référence ". L'article 5 du même décret dispose que : " Chaque année, le directeur général de l'Office national des forêts peut majorer les montants de base de la prime spéciale et de résultats pour tenir compte de la performance économique et financière de l'établissement de l'année précédente. Ainsi majorés, les montants de base constituent les montants de référence de la prime spéciale et de résultats de l'année. / Ces montants de référence font l'objet d'une décision annuelle du directeur général visée par le contrôleur général de l'établissement et prise après clôture de l'exercice sur la base duquel est constatée la performance économique et financière de l'établissement. /En l'absence de majoration, le montant de base vaut montant de référence ". L'article 6 du même décret précise que : " Les attributions individuelles de la prime spéciale et de résultats peuvent varier de 75 % à 150 % du montant de référence en fonction des résultats obtenus par l'agent par rapport aux objectifs définis pour l'année. / En cas de résultats notoirement insuffisants, sur la base d'un rapport motivé transmis à l'agent, la modulation négative peut aller jusqu'à l'absence de versement de la prime spéciale et de résultats (...) ".

29. En se bornant à faire valoir qu'il n'a pas bénéficié d'entretien professionnel au titre de l'année 2013, sans exposer précisément en quoi sa valeur professionnelle aurait justifié l'attribution d'une modulation positive de la prime spéciale et de résultats, M. B... n'établit pas qu'il aurait perdu une chance de percevoir une telle modulation au titre de l'année 2013. Par suite, M. B... n'est pas fondé à demander l'indemnisation d'un préjudice financier résultant de l'absence de perception de la modulation de la prime spéciale et de résultats au titre de l'année 2013.

30. En second lieu, il ne résulte pas de l'instruction que l'évaluation à 200 euros, tous intérêts et capitalisation des intérêts compris du préjudice moral subi par M. B... du fait de l'absence d'évaluation professionnelle au titre des années 2012 et 2013 soit insuffisante.

31. Il en résulte que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné l'ONF, en réparation de l'illégalité fautive résultant de l'absence d'entretien professionnel au titre de deux années, à lui verser une somme de 200 euros, tous intérêts et capitalisation des intérêts compris.

32. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête d'appel, que M. B... n'est pas fondé à demander la réformation du jugement attaqué.

Sur les frais liés à l'instance :

33. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de M. B... présentées sur ce fondement, l'ONF n'étant pas la partie perdante à l'instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de l'ONF présentées sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'Office national des forêts présentées sur le fondement de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à l'Office national des forêts.

Délibéré après l'audience du 8 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Roussaux, première conseillère,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 novembre 2022.

Le rapporteur,

Signé : A. DenizotLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 19NC02482


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC02482
Date de la décision : 29/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie GROSSRIEDER
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : SARL DELVOLVE TRICHET

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-11-29;19nc02482 ?
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