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10/11/2022 | FRANCE | N°20NC02804

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 10 novembre 2022, 20NC02804


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales qui lui ont été assignés au titre des années 2004 à 2011.

Par un jugement n° 1802640 du 29 juillet 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 septembre 2020 et un mémoire enregistré le 6 août 2021,

M. B..., représenté par Me Pierre, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) principalem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales qui lui ont été assignés au titre des années 2004 à 2011.

Par un jugement n° 1802640 du 29 juillet 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 septembre 2020 et un mémoire enregistré le 6 août 2021, M. B..., représenté par Me Pierre, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) principalement, de le décharger, en droits et pénalités, des impositions contestées au titre des années 2004 à 2011 et, subsidiairement, de le décharger, en droits et pénalités, des impositions contestées au titre des années 2004 à 2006 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la garantie de l'article L. 12 du livre des procédures fiscales a été méconnue en ce que le service a omis de l'informer de la prorogation de la durée de l'examen de sa situation fiscale personnelle ;

- la garantie de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales a été méconnue en ce que le service s'est refusé à lui communiquer les pièces de la procédure pénale obtenues dans le cadre du droit de communication qu'il lui avait demandées à plusieurs reprises ;

- les conditions du recours à la procédure d'abus de droit de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales n'étaient pas réunies en l'absence de démonstration du caractère fictif du bail conclu entre la SCI Charles Boutet et l'EURL Arges et de l'absence de réalité de l'activité d'organisation de séminaires de cette dernière société ;

- les conditions de la mise en œuvre de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales ne sont pas réunies en ce qui concerne les années 2004 à 2006 dès lors que la procédure juridictionnelle pénale n'a concerné que la période du 2 avril 2007 au 1er janvier 2012 ; ce recours au délai spécial de reprise étendu ne pouvait s'appliquer aux redressements découlant de l'EURL Arges dès lors que l'administration était en possession de tous les éléments qu'elle a utilisés à la suite des deux vérifications de comptabilité de cette société ;

- les impositions ne sont pas fondées en l'absence de caractère fictif de l'activité de la SCI Charles Boutet dont les déficits sont inhérents à son activité et alors qu'il n'a pas conservé la jouissance et l'utilisation privative du château de Morsains, objet du bail tandis que la réalité de l'activité de séminaire de l'EURL Arges est établie ;

- les faits qui lui sont imputés étant identiques dans la procédure pénale et dans la présente procédure fiscale, la garantie prévue par l'article 4 du protocole additionnel n° 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales a été méconnue en ce qu'il était prévisible de lier les deux procédures ;

- le cumul des sanctions qui lui ont été infligées dans le cadre des deux procédures excède le plafond fixé par le Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision 2015-462 QPC du 18 mars 2015 pour l'application de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 avril 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens soulevés ne sont pas fondés.

En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées, par lettre du 4 octobre 2022, que l'arrêt de cette cour était susceptible d'être fondé sur l'autorité absolue de chose jugée s'attachant aux constatations matérielles des faits résultant des décisions de justice rendues par le juge pénal.

Par un mémoire enregistré le 10 octobre 2022, M. B... a présenté des observations à la suite de la communication de cette information.

Il soutient que l'autorité de chose jugée ne pourrait s'attacher qu'à la période du 2 avril 2007 au 1er janvier 2012, seule concernée par les poursuites pénales.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales et le protocole additionnel n° 7 à cette convention ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code pénal ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A... ;

- les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique

- et les observations de Me Pierre représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... a fait l'objet d'un examen de sa situation fiscale personnelle ayant concerné les années 2010 à 2012 à l'issue duquel, par proposition de rectification du 28 novembre 2014, l'administration a porté à sa connaissance divers rehaussements de ses revenus dont des rectifications de ses revenus fonciers et de ses revenus de capitaux mobiliers découlant de la mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales. A la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a porté à la connaissance de M. B..., par une proposition de rectification du 27 octobre 2014, qu'elle envisageait des rehaussements des revenus fonciers des années 2007 à 2010, des bénéfices non commerciaux au titre des années 2004 et 2005, des bénéfices industriels et commerciaux des années 2006 et 2007 et des revenus de capitaux mobiliers des années 2008 et 2009 découlant de la mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit. Par lettres du 24 décembre 2014 et du 27 janvier 2015, M. B... a présenté des observations par lesquelles il refusait ces propositions. Le service a partiellement maintenu ces redressements par deux lettres de réponse à ces observations datées du 30 mars 2015 ainsi que par une lettre du 12 juin 2015, faisant suite à une entrevue avec le supérieur hiérarchique du vérificateur. Le 15 novembre 2016, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a émis un avis favorable aux redressements. Par avis du 22 novembre 2016, le comité de l'abus de droit fiscal a estimé que l'administration était fondée à mettre en œuvre la procédure d'abus de droit et que M. B... avait été le bénéficiaire des actes constitutifs de cet abus de droit. Les suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, assortis de la majoration de 80 % prévue en cas d'abus de droit, ont été mis en recouvrement le 31 décembre 2016. Par décision du 5 décembre 2017, l'administration a prononcé un dégrèvement d'office partiel au titre des années 2008 à 2011. La réclamation préalable de M. B... a été rejetée par une décision du 24 octobre 2018. M. B... relève appel du jugement du 29 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions laissées à sa charge.

Sur la régularité de la procédure :

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'examen de situation fiscale personnelle :

2. Aux termes de l'article L. 12 du livre des procédures fiscales : " Dans les conditions prévues au présent livre, l'administration des impôts peut procéder à l'examen contradictoire de la situation fiscale des personnes physiques au regard de l'impôt sur le revenu, qu'elles aient ou non leur domicile fiscal en France, lorsqu'elles y ont des obligations au titre de cet impôt. (...) Sous peine de nullité de l'imposition, un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle ne peut s'étendre sur une période supérieure à un an à compter de la réception de l'avis de vérification. (...) La période mentionnée au troisième alinéa est portée à deux ans en cas de découverte, en cours de contrôle, d'une activité occulte. Il en est de même lorsque, dans le délai initial d'un an, les articles L. 82 C ou L. 101 ont été mis en œuvre ". En application de ces dispositions, si un examen contradictoire de l'ensemble de la situation fiscale personnelle ne peut s'étendre sur une période supérieure à un an à compter de la réception de l'avis de vérification sous peine de nullité, cette période est portée à deux ans dans le cas où l'administration fait usage dans le délai d'un an du droit de communication qu'elle détient en vertu des articles L. 82 C et L. 101 du même livre. La circonstance que le redevable n'aurait pas été informé de la prorogation du délai avant l'expiration du délai initial d'un an est sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition, dès lors qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit une telle formalité.

3. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'avis de vérification du 14 juin 2013 reçu le 18 juin suivant par M. B..., l'administration a mis en œuvre le droit de communication prévu par l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales et a obtenu l'autorisation du procureur de la République du tribunal de grande instance de Reims de consulter et de prendre en copie les pièces issues de l'enquête préliminaire judiciaire diligentée depuis le 29 octobre 2012 à l'encontre de l'intéressé. Le vérificateur a indiqué dans la proposition de rectification du 28 novembre 2014 qu'il avait pu consulter le dossier d'enquête préliminaire auprès des services de la police judiciaire de Reims, pour la première fois, le 25 mars 2014, soit dans le délai d'un an à compter de la réception de l'avis d'examen contradictoire de situation fiscale personnelle. Il suit de là que la période d'un an visée à l'article L. 12 précité n'était pas expirée lorsque l'administration a fait usage de son droit de communication. Ainsi qu'il a été dit au point ci-dessus, la circonstance que le contribuable n'ait eu connaissance de la prolongation du délai de vérification que le 4 août 2014, soit postérieurement à l'expiration du délai initial d'un an, est sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition. Par suite, le requérant, qui ne saurait utilement invoquer, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, la doctrine fiscale référencée BOI-CF-PGR-20-30-20120912 n° 550 dès lors qu'elle traite de questions relatives à la procédure d'imposition, n'est pas fondé à soutenir que la garantie prévue par les dispositions de l'article L. 12 du livre des procédures fiscales aurait été méconnue.

En ce qui concerne la garantie de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales :

4. Aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ". Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des documents et renseignements obtenus auprès de tiers, qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour mettre à même l'intéressé d'y avoir accès avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. Lorsque le contribuable lui en fait la demande, l'administration est, en principe, tenue de lui communiquer, alors même qu'il en aurait eu connaissance, les renseignements, documents ou copies de documents obtenus auprès de tiers qui lui sont opposés, afin de lui permettre d'en vérifier l'authenticité ou d'en discuter la teneur ou la portée. Il en va autrement s'agissant des documents et renseignements qui, à la date de la demande de communication, sont directement et effectivement accessibles au contribuable dans les mêmes conditions qu'à l'administration. Dans cette dernière hypothèse, si le contribuable établit qu'il ne peut avoir effectivement accès aux mêmes documents et renseignements que ceux détenus par l'administration, celle-ci est alors tenue de les lui communiquer.

5. Il ressort des deux propositions de rectification ci-dessus analysées au point 1 que le service a indiqué à M. B... qu'il entendait fonder les redressements découlant de la procédure d'abus de droit, notamment, sur les renseignements obtenus dans le cadre du droit de communication auprès de l'autorité judiciaire, renseignements constitués par les pièces de l'enquête préliminaire engagée à l'encontre de l'intéressé depuis le 29 octobre 2012. Les propositions de rectification citent notamment plusieurs extraits des procès-verbaux d'audition de l'intéressé établis dans le cadre de cette procédure. Ainsi qu'il a été dit plus haut, le service a également mentionné avoir exercé pour la première fois ce droit de communication en consultant le dossier pénal du requérant le 25 mars 2014 dans les locaux du service régional de police judiciaire (SRPJ) de Reims. L'administration a ainsi suffisamment informé M. B... de l'origine et de la teneur des renseignements qu'elle avait obtenus de l'autorité judiciaire afin de fonder les redressements.

6. M. B... doit être regardé comme ayant expressément demandé une copie de ces documents dans ses observations du 24 décembre 2014 et du 27 janvier 2015. Si l'administration n'a pas fait droit à cette demande, il résulte des motifs du jugement attaqué, qu'il y a lieu pour cette cour d'adopter, qu'à la date de sa première demande, M. B... avait, eu égard aux garanties prévues par le code de procédure pénale, nécessairement accès, en tant que prévenu renvoyé pour être jugé devant le tribunal correctionnel, aux mêmes documents que ceux obtenus par l'administration fiscale dans l'exercice de son droit de communication. Par suite, M. B..., qui ne conteste pas avoir eu directement et effectivement accès à son dossier pénal et qui a bénéficié, ainsi qu'il a été dit au point 5 ci-dessus, d'une information le mettant à même de demander la communication des renseignements utilisés par le service, n'est pas fondé à soutenir que le service a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales.

Sur le bien-fondé des impositions :

7. M. B... est gérant et associé à 98 % des parts de la SCI Charles Boutet, créée le 3 août 1992 et dont les résultats sont imposables dans la catégorie des revenus fonciers entre les mains de ses associés en vertu de l'article 8 du code général des impôts. L'intéressé est par ailleurs le gérant de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité (EURL) Arges, créée le 15 décembre 1999, ayant pour objet social la réalisation d'études et de prestations de services dans le domaine du génie civil. L'intéressé était enfin jusqu'en 2012 le président directeur-général de la société SNC Lavalin France. La SCI Charles Boutet a fait l'acquisition le 21 mars 2001 d'un immeuble dénommé le Château de Morsains situé dans le département de la Marne, cet achat étant financé par un prêt bancaire. Suivant un acte du 28 décembre 2000, la SCI Charles Boutet a donné à bail, à effet du 1er janvier 2001, le château de Morsains pour une durée de neuf ans avec condition d'affectation de l'immeuble à une activité d'organisation de séminaires. Au titre des années 2004 à 2012, la SCI Charles Boutet s'est trouvée structurellement en situation de déficit foncier à raison des charges de la propriété, principalement les intérêts de l'emprunt, excédant les charges locatives. De son côté l'EURL Arges a étendu son objet social à compter de l'année 2007 aux activités de consultant dans l'hôtellerie et l'organisation de séminaires, ses résultats étant déclarés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux puis des bénéfices industriels et commerciaux à compter de l'année 2006 et a facturé à ce titre des prestations de séminaires à la SNC Lavalin France. A la suite des procédures analysées au point 1 ci-dessus, l'administration fiscale, d'une part, a estimé que le bail conclu par la SCI Charles Boutet avait un caractère fictif lui ayant permis de déduire les charges de la propriété alors qu'elle s'était réservée la jouissance effective de l'immeuble et a en conséquence, sur le fondement du II de l'article 15 du code général des impôts, considéré qu'il ne devait pas être tenu compte de ces déficits fonciers en ce qui concerne l'impôt sur le revenu de M. B.... Se fondant sur le caractère fictif de ce bail, l'administration a également estimé que l'EURL Arges ne pouvait déduire de ses bénéfices aucune charge se rapportant au château de Morsains et a rectifié en conséquence le résultat de cette société au titre des années 2004 et 2005. L'administration a, d'autre part, considéré que l'activité d'organisation de séminaires de l'EURL Arges était fictive et que les sommes facturées à la SNC Lavalin France constituaient en réalité des rémunérations occultes ayant bénéficié à M. B... qu'elle a imposé à ce titre dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement du c) de l'article 111 du code général des impôts.

En ce qui concerne la prescription :

8. Aux termes de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Même si les délais de reprise sont écoulés, les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une instance devant les tribunaux ou par une réclamation contentieuse peuvent être réparées par l'administration des impôts jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos l'instance et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due ". Pour apprécier si l'administration fiscale peut se prévaloir du délai spécial de reprise prévu par cet article, le juge doit, dès lors qu'il est saisi d'une argumentation en ce sens, rechercher si l'administration disposait, avant l'ouverture de l'instance devant les tribunaux, dans le délai normal de reprise ou même après son expiration, d'éléments suffisants pour lui permettre, par la mise en œuvre des procédures d'investigation dont elle dispose, d'établir les insuffisances ou omissions d'impositions.

9. M. B... soutient que la procédure pénale relative à la période du 2 avril 2007 au 1er janvier 2012, dont il a fait l'objet ne portait pas sur les années 2004 à 2006, concernées par le délai étendu de reprise, et que, avant même l'engagement de cette procédure pénale, l'administration se trouvait en possession de tous les éléments nécessaires afin d'établir à son encontre les impositions litigieuses à la suite des vérifications de comptabilité de l'EURL Arges effectuées au cours des années 2006 et 2007. Toutefois, il résulte de l'instruction, en particulier des propositions de rectification, d'une part, que l'enquête judiciaire a concerné et mis en lumière des éléments de fait antérieurs à l'année 2007, d'autre part, que le service n'a pu faire sa conviction du caractère fictif de l'activité de séminaire de l'EURL Arges et du bail conclu par la SCI Charles Boutet qu'à la suite de la révélation, par la procédure pénale, du rôle de la SNC Lavalin France laquelle, au travers des factures réglées à l'EURL Arges, aurait en réalité, selon l'administration, sous couvert de prestations de séminaires, payé à M. B... des rémunérations qu'elle lui devait. Dans ces conditions, M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'à l'occasion de vérifications de comptabilité antérieures de l'EURL Arges, l'administration avait pu s'assurer du caractère réel de son activité alors que précisément l'intéressé a entendu lors de ces contrôles dissimuler la réalité du montage mis en place dès l'origine, notamment par la production de pièces destinées à créer une apparence trompeuse. Il résulte de ces éléments que l'administration ne disposait pas, avant l'instance pénale dont M. B... a fait l'objet, des éléments qui lui auraient permis d'asseoir les redressements litigieux.

En ce qui concerne l'abus de droit :

10. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité (...) ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. L'administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l'intention du contribuable d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales. Dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l'opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales.

11. Aux termes du II de l'article 15 du code général des impôts applicable à la détermination des revenus fonciers : " Les revenus des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance ne sont pas soumis à l'impôt sur le revenu. (...) ". Les contribuables bénéficiaires de l'exonération ainsi édictée ne sont pas, par voie de conséquence, autorisés à déduire de leurs revenus fonciers compris dans le revenu global les charges afférentes à ces logements. Aux termes de l'article 111 du même code relatif à la détermination des revenus de capitaux mobiliers : " Sont notamment considérés comme revenus distribués :/ (...) c. Les rémunérations et avantages occultes ".

12. Par arrêt de la cour d'appel de Reims du 20 septembre 2016, lequel a été expressément maintenu par arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 27 juin 2018 en ce qui concerne notamment la déclaration de culpabilité, M. B... a été reconnu coupable des délits de fraude fiscale, de travail dissimulé, d'abus de biens sociaux et de blanchiment du produit de ces délits. Il a été condamné à raison de ces faits par arrêt de la cour d'appel de Nancy du 21 novembre 2019 à la peine de 150 000 euros d'amende dont 100 000 euros avec sursis. Ces décisions, tant en ce qui concerne la déclaration de culpabilité que la peine, sont définitives et revêtues de l'autorité de chose jugée, cette autorité s'imposant aux juridictions administratives et s'attachant à la constatation matérielle des faits qui y sont mentionnés et qui sont le support nécessaire de leurs dispositifs.

13. Les décisions ci-dessus analysées du juge pénal ont établi que l'EURL Arges n'avait, dès l'origine, exercé au sein du château de Morsains aucune activité, et en particulier n'avait organisé aucun séminaire, et que la conclusion du bail avec la SCI Charles Boutet, dès le 28 décembre 2000, puis la facturation de prestations fictives à la SNC Lavalin France n'avait eu d'autre objet, dès la conclusion de ces actes, que de créer l'apparence d'une activité de prestations de services ayant permis à cette société de verser de manière dissimulée à M. B..., dirigeant social, des primes en rémunération de ses fonctions. Ces constatations matérielles qui sont le soutien nécessaire de la déclaration de culpabilité de M. B... ne se limitent pas à la seule période visée par les poursuites, du 2 avril 2007 au 1er janvier 2012, mais concernent toute la période courant depuis la création des sociétés et l'acquisition du château de Morsains. Par l'attestation peu circonstanciée de Mme C... et le courrier du maire de Morsains produit dans le cadre d'une demande d'exonération de la taxe d'habitation, M. B... ne saurait utilement remettre en cause la matérialité de ces faits. Dès lors, c'est à bon droit que, mettant en œuvre les dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales et sur le fondement des dispositions ci-dessus reproduites du code général des impôts, l'administration a écarté comme fictif le bail conclu le 28 décembre 2000, a également tenu pour fictive l'activité prétendument exercée par l'EURL Arges, et, enfin, a considéré que M. B... s'était réservé la jouissance du château de Morsains au travers de la SCI Charles Boutet et avait été l'ultime bénéficiaire des sommes versées à l'EURL Arges en règlement des fausses factures émises par cette société. Par suite, l'administration a pu légalement remettre en cause les déficits fonciers provenant de la SCI Charles Boutet et imposer M. B... dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le montant des sommes versées par la SNC Lavalin France en règlement des fausses factures émises par l'EURL Arges.

14. Par ailleurs, les suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales litigieuses ne constituant pas des sanctions pénales, M. B... ne saurait utilement invoquer à l'appui de ses conclusions tendant à la décharge de ces impositions la violation de l'article 4 du protocole additionnel n° 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits humains, non plus que la règle de limitation du cumul des sanctions découlant de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Sur les pénalités :

15. Les suppléments d'impositions litigieux ont été assortis de la pénalité de 80 % prévue par le b de l'article 1729 du code général des impôts en cas d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, précité.

16. En premier lieu, il résulte des motifs ci-dessus que les impositions litigieuses ne sont ni irrégulières, ni mal fondées. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que les pénalités litigieuses devraient être déchargées à raison de l'irrégularité ou du mal-fondé des impositions qu'elles assortissent.

17. En deuxième lieu, la règle " non bis in idem ", telle qu'elle résulte du premier alinéa de l'article 4 du protocole additionnel n° 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales, ne trouve à s'appliquer, selon les réserves faites par la France en marge de ce protocole, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale et n'interdit pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux sanctions infligées par le juge répressif. Par suite, ne peut qu'être écarté comme inopérant le moyen tiré de ce que l'administration aurait méconnu ces stipulations en majorant les droits supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mis à la charge de M. B... de la pénalité de 80% prévue au b de l'article 1729 du code général des impôts alors qu'une peine d'amende lui a été infligée par le juge répressif par les décisions ci-dessus analysées.

18. En dernier lieu, pour l'application et l'interprétation d'une disposition législative, aussi bien les autorités administratives que le juge sont liés par les réserves d'interprétation dont une décision du Conseil constitutionnel, statuant sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, assortit la déclaration de conformité de cette disposition à la Constitution. Il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et notamment de sa décision n° 97-395 du 30 décembre 1997 à la lumière de laquelle il convient d'interpréter les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts, que lorsqu'une sanction fiscale est, conformément au principe de nécessité des délits et des peines issu de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, susceptible sous certaines conditions de se cumuler avec une sanction pénale, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues. Il résulte de l'instruction que M. B... a été condamné à une peine d'amende à raison des délits dont il a été reconnu coupable d'un montant de 150 000 euros dont 100 000 euros assortis du sursis simple. Il ne résulte pas de l'instruction et il n'est pas soutenu que M. B... aurait été condamné depuis lors à une peine de nature à avoir révoqué son sursis. En conséquence, la condamnation assortie du sursis étant devenue non avenue en application de l'article 132-35 du code pénal, la peine d'amende qui lui a été infligée s'établit de manière définitive à 50 000 euros. Il résulte de l'instruction que le montant des pénalités de l'article 1729 du code général des impôts mis effectivement à sa charge à la suite de la décision de dégrèvement du 22 mai 2017 s'établit à 211 801 euros. Le cumul des sanctions fiscales et pénales effectivement prononcées s'établit ainsi à 261 801 euros. Ce montant cumulé doit être comparé avec le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues lequel est en l'occurrence la peine d'amende réprimant le délit d'abus de biens ou de crédit d'une société, prévue par l'article L. 242-6 du code de commerce, dans sa rédaction dont la cour d'appel de Nancy a fait application, qui s'élève à 375 000 euros. Il en résulte que le montant cumulé des sanctions appliquées à M. B... est demeuré inférieur au montant de la sanction encourue la plus élevée. Par suite, en tout état de cause, le moyen de M. B... tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité ci-dessus énoncé et de la violation de la réserve d'interprétation ci-dessus rappelée à la lumière de laquelle le b de l'article 1729 du code général des impôts doit être interprété ne peut qu'être écarté.

19. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 13 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président de chambre,

M. Agnel, président assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 novembre 2022.

Le rapporteur,

Signé : M. AgnelLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

N° 20NC02804 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC02804
Date de la décision : 10/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: M. Marc AGNEL
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : SELARL NOMODOS

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-11-10;20nc02804 ?
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