Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... et Mme B... D... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler les arrêtés du 7 avril 2021 par lesquels le préfet de la Marne les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre au préfet de la Marne, à titre principal, de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour en application de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi qu'un titre de séjour, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de réexaminer leur situation dans le même délai et sous la même astreinte et enfin de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil d'une somme de 1 500 euros, pour chacun d'eux, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Par un jugement n° 2100983 et 2100984 du 13 juillet 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée sous le n° 22NC00643 le 13 mars 2022, M. et Mme D..., représentés par Me Marguet, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 13 juillet 2021 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 7 avril 2021 par lesquels le préfet de la Marne les a obligés à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Marne, à titre principal, de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour en application de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi qu'un titre de séjour, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et, à titre subsidiaire, de réexaminer leur situation dans le même délai et sous la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
s'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- le préfet n'a pas procédé à un examen sérieux de leur situation ; il ne leur a pas demandé de présenter des observations sur la décision qu'il envisageait de prendre à leur égard ;
- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;
- leur droit à être entendu a été méconnu ;
- il méconnaît le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
s'agissant de la décision fixant le délai de départ volontaire :
- l'annulation de cette décision s'impose comme la conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français ;
s'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :
- l'annulation de cette décision s'impose comme la conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français ;
- cette décision méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; le préfet s'est cru à tort en compétence liée et n'a pas procédé lui-même à l'examen de leurs craintes en cas de retour dans leur pays d'origine.
Le préfet de la Marne a produit des pièces le 8 juillet 2022.
M. et Mme D... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 7 février 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Goujon-Fischer, président, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme D..., ressortissants arméniens, sont entrés en France, selon leurs déclarations, le 18 octobre 2019. Leurs demandes d'asile puis leurs demandes de réexamen de leur demandes d'asile ont été rejetées tant par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides que par la Cour nationale du droit d'asile. Par arrêtés du 7 avril 2021, le préfet de la Marne les a en conséquence obligés à quitter le territoire sur le fondement du 6° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, leur a accordé un délai de départ volontaire de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. et Mme D... relèvent appel du jugement du 13 juillet 2021, par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la légalité des arrêtés du 7 avril 2021 :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, les arrêtés du préfet de la Marne du 7 avril 2021 énoncent les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et satisfont dès lors à l'obligation de motivation. Il ne ressort ni de ces motifs ni des pièces du dossier que ces arrêtés auraient été pris sans examen de la situation personnelle des intéressés, telle qu'elle a été portée à la connaissance du préfet.
3. En deuxième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union ". Aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ".
4. Si le moyen tiré de la violation de l'article 41 précité par un Etat membre de l'Union européenne est inopérant, dès lors qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que cet article ne s'adresse qu'aux organes et aux organismes de l'Union, le droit d'être entendu, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union, implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision défavorable à ses intérêts, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Toutefois dans le cas prévu au 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, où la décision faisant obligation de quitter le territoire français est prise après que la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2 du même code, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité, l'obligation de quitter le territoire français découle nécessairement du défaut de reconnaissance de cette qualité ou de ce bénéfice. Le droit d'être entendu n'implique alors pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu à l'occasion de l'examen de sa demande de reconnaissance de sa qualité de réfugié. Lorsqu'il sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, l'intéressé ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement. A l'occasion du dépôt de sa demande, il est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de la reconnaissance de la qualité de réfugié, n'impose pas à l'autorité administrative de le mettre à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français qui est prise en conséquence du refus définitif de reconnaissance de la qualité de réfugié ou de l'octroi du bénéfice de la protection subsidiaire.
5. M. et Mme D... ont sollicité leur admission au séjour au titre de l'asile. Il leur appartenait, lors du dépôt de leur demande, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'ils estimaient nécessaires. Il n'est pas sérieusement contesté qu'ils ont pu faire valoir leurs observations dans ce cadre y compris celles relatives à leur situation personnelle et à leur état de santé ainsi qu'à la présence à leur côté d'enfants mineurs. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de leur droit à être entendu et celui tiré de ce que le préfet aurait dû, pour procéder à l'examen de leur situation, solliciter préalablement leurs observations, doivent être écartés.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; (...) ".
7. Les requérants produisent divers documents médicaux, dont il ressort que M. D... a été reçu à plusieurs reprises en consultation par un médecin psychiatre du CHU de Reims et souffre d'un syndrome de stress post-traumatique en lien avec des violences subies dans son pays d'origine, ayant gardé la trace de plaies causées entre 2002 et 2009 au niveau du crâne, du visage et du fessier. Selon ces mêmes documents, cette pathologie est à l'origine d'un repli sur soi, d'une anorexie, d'une tristesse de l'humeur, d'un comportement stéréotypé, de troubles du sommeil, tandis qu'un risque suicidaire est évoqué. Toutefois, et à supposer que l'état de santé de l'intéressé ainsi décrit, pour lequel l'intéressé n'a consulté qu'en 2021, nécessite des soins dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une extrême gravité, aucune des pièces produites par les requérants ne permet d'établir qu'il ne pourrait pas bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine, nonobstant les faiblesses du système de santé ou de prise en charge des maladies psychiatriques en Arménie, dont les requérants se bornent à faire état en termes généraux et alors qu'il ne ressort pas des documents produits que la situation personnelle ou les ressources de M. D... ne lui permettraient pas de bénéficier de manière effective d'un tel traitement, ni que le retour dans son pays d'origine aurait pour effet d'en compromettre les effets. Par suite, en faisant obligation à M. D... de quitter le territoire français, le préfet n'a pas méconnu les dispositions, citées au point précédent, du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. et Mme D... sont entrés en France à la fin de l'année 2019, alors âgés respectivement de 35 et 28 ans. Ni l'état de santé de M. D..., ni la scolarisation, au demeurant récente, de leurs trois enfants mineurs ne font obstacle à ce que leur vie personnelle et familiale se reconstitue dans leur pays d'origine, où leurs enfants ont également vécu jusqu'à l'âge de 11, 9 et 2 ans. Ainsi, eu égard à la durée et aux conditions du séjour en France des intéressés, et malgré les efforts d'intégration qu'il ont manifestés par l'apprentissage de la langue française, la participation de Mme D... à des activités associatives ou la recherche d'un emploi, les décisions d'éloignement prises à leur encontre n'ont pas porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elles ont été prise et n'ont pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, elles ne méconnaissent pas l'intérêt supérieur de l'enfant, protégé par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
En ce qui concerne les décisions fixant le délai de départ volontaire et le pays de renvoi :
9. En premier lieu, les requérants n'ayant pas démontré l'illégalité des décisions les obligeant à quitter le territoire français, ils ne sont pas fondés à s'en prévaloir, par la voie de l'exception, à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les décisions fixant le délai de leur départ volontaire ou le pays de renvoi. De même, les décisions portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulées, il n'y a pas lieu d'annuler par voie de conséquence les décisions relatives au délai de départ volontaire ou au pays de renvoi.
10. En second lieu, si les requérants rappellent que M. D... conserve la trace de violences subies en Arménie entre 2002 et 2009, ils n'apportent pas d'éléments précis, ni probants de nature à établir le risque qu'ils subiraient, en cas de retour dans ce pays, des traitements inhumains ou dégradants prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni qu'ils ne pourraient pas bénéficier de la protection des autorités arméniennes, alors qu'au demeurant l'OFPRA et la CNDA ont rejeté leurs demandes d'asile ainsi que leurs demandes de réexamen. Par suite, en fixant le pays de renvoi des requérants, le préfet, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il se serait cru en compétence liée à l'égard des décisions de l'OFPRA et de la CNDA et n'aurait pas procédé lui-même à un examen des risques encourus, n'a pas méconnu cet article de la convention.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leurs demandes.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
12. Le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. et Mme D....
Sur les frais liés à l'instance :
13. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
14. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. et Mme D... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à Mme B... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Marne.
Délibéré après l'audience du 29 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- M. Goujon-Fischer, président-assesseur,
- Mme Barrois, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 octobre 2022.
Le rapporteur,
Signé : J.-F. Goujon-FischerLe président,
Signé : M. C...
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
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N° 22NC00643