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19/10/2022 | FRANCE | N°20NC00135

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 19 octobre 2022, 20NC00135


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Sarl Franck C... Expert Immobilier, la SA Rochotte, la SA Groupe Franck C... Holding et M. A... C... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l'Etat à leur verser la somme totale de 3 496 764,41 euros, augmentée des intérêts au taux légal courant à compter de la demande indemnitaire du 29 décembre 2017 et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'illégalité de l'arrêté interruptif de travaux pris par le maire de

Chaumont le 16 mars 2012.

Par un jugement n° 1800571 du 7 novembre 2019, l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Sarl Franck C... Expert Immobilier, la SA Rochotte, la SA Groupe Franck C... Holding et M. A... C... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l'Etat à leur verser la somme totale de 3 496 764,41 euros, augmentée des intérêts au taux légal courant à compter de la demande indemnitaire du 29 décembre 2017 et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'illégalité de l'arrêté interruptif de travaux pris par le maire de Chaumont le 16 mars 2012.

Par un jugement n° 1800571 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 janvier 2020, et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 30 juillet et 30 septembre 2021, la SA Groupe Franck C... Holding, Me Hervé Dechristé, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SA Rochotte, la SASU Franck C... Expert Immobilier et M. A... C..., représentés par Me Chardon, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1800571 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 7 novembre 2019 ;

2°) de condamner l'Etat à leur verser la somme totale de 3 496 764,41 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la demande indemnitaire du 29 décembre 2017 et de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à chacun d'eux des sommes de 2 000 euros au titre des frais exposés en première instance et de 2 000 euros au titre des frais exposés en appel en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'illégalité de l'arrêté interruptif de travaux du maire de Chaumont du 16 mars 2012, annulé par un jugement n° 1200695 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 17 décembre 2013 devenu définitif, est constitutive d'une faute qui engage la responsabilité de l'Etat ;

- eu égard aux préjudices causés par cette illégalité, ils sont fondés à réclamer, pour la SASU Franck C... Expert Immobilier, la somme de 58 864,68 euros correspondant aux pertes de loyer liées au bail précaire conclu avec la société Rochotte, pour Me Hervé Dechristé agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SA Rochotte, la somme de 985 259,17 euros correspondant au passif admis à la liquidation judiciaire, pour la SA Groupe Franck C... Holding, la somme de 1 895 359,36 euros correspondant à la valeur contractuelle des titres de la société Rochotte, enfin, pour M. A... C..., la somme totale de 557 281,20 euros, soit 54 781,20 euros au titre de la caution personnelle et solidaire de la société Rochotte, 272 500 euros au titre de la moins-value immobilière résultant de la vente forcée de sa maison d'habitation et 200 000 euros au titre du préjudice moral.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 septembre 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les demandes indemnitaires des requérants ne sont pas fondées en l'absence de justification des préjudices allégués et d'un lien de causalité entre ces préjudices et la faute résultant de l'illégalité de l'arrêté interruptif de travaux du 16 mars 2012.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public,

- et les observations de Chardon pour la SA Groupe Franck C... Holding, Me Hervé Dechristé, la SASU Franck C... Expert Immobilier et M. A... C....

Considérant ce qui suit :

1. Constituant avec la société Franck C... Expert Immobilier (anciennement société Franck C... Promotion immobilière) les deux filiales de la société Groupe Franck C... Holding, la société Rochotte exploitait, depuis le 12 juin 1996, une activité commerciale à l'enseigne " Bricomarché " au 129 avenue de la République à Chaumont (Haute-Marne). Dans le cadre des travaux de réaménagement rendus nécessaires par le changement de l'enseigne " Bricomarché " pour celle de " Bricocash ", la société Franck C... Expert Immobilier, qui est propriétaire d'un tènement foncier situé au 133 rue de la République et regroupant les parcelles cadastrées section AS n°391, 392 et 393, et la société Rochotte ont décidé d'y construire un bâtiment de stockage temporaire d'une surface de 400 mètres carrés pour y accueillir le stock d'implantation de la nouvelle enseigne " Bricocash ". Constatant que les travaux avaient été entrepris sans autorisation d'urbanisme préalable, le maire de Chaumont, à la suite du procès-verbal d'infraction établi le 16 mars 2012, a pris, le jour même, un arrêté interruptif de travaux. Par un jugement n° 1200695 du 17 décembre 2013, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé l'arrêté du 16 mars 2012 au motif que la construction de cet entrepôt était dispensée de toute formalité en application des dispositions du c) de l'article R. 421-5 du code de l'urbanisme. Leur demande d'indemnisation, formée par un courrier du 29 décembre 2017 et reçue le même jour, ayant été rejetée par la préfète de la Haute-Marne le 12 janvier 2018, la Sarl Franck C... Expert Immobilier, la SA Rochotte, la SA Groupe Franck C... Holding et M. A... C... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l'Etat à leur verser la somme totale de 3 496 764,41 euros, augmentée des intérêts au taux légal courant à compter de la demande indemnitaire du 29 décembre 2017 et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'illégalité de l'arrêté interruptif de travaux pris par le maire de Chaumont le 16 mars 2012. Les requérants relèvent appel du jugement n° 1800571 du 7 novembre 2019, qui rejette leur demande.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le principe de responsabilité :

2. Aux termes du troisième alinéa de l'article L. 480-2 du code de l'urbanisme : " Dès qu'un procès-verbal relevant l'une des infractions prévues à l'article L. 480-4 du présent code a été dressé, le maire peut également, si l'autorité judiciaire ne s'est pas encore prononcée, ordonner par arrêté motivé l'interruption des travaux. Copie de cet arrêté est transmise sans délai au ministère public. Pour les infractions aux prescriptions établies en application des articles L. 522-1 à L. 522-4 du code du patrimoine, le représentant de l'Etat dans la région ou le ministre chargé de la culture peut, dans les mêmes conditions, ordonner par arrêté motivé l'interruption des travaux ou des fouilles. ".

3. Lorsqu'il exerce le pouvoir d'interruption des travaux qui lui est attribué en vertu des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 480-2 du code de l'urbanisme, le maire agit, en toute hypothèse, non pas au nom de la commune, mais en qualité d'autorité administrative de l'Etat. Il en résulte que la décision illégale d'ordonner l'interruption des travaux est constitutive d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat, au nom duquel elle a été prise.

4. Ainsi qu'il a été dit au point 1, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, par un jugement n° 1200695 du 17 décembre 2013, revêtu de l'autorité absolue de chose jugée, annulé l'arrêté du 16 mars 2012 au motif que la construction de l'entrepôt litigieux était dispensée de toute formalité en application des dispositions du c) de l'article R. 421-5 du code de l'urbanisme. Il s'ensuit que la faute commise par le maire de Chaumont en édictant l'arrêté qui a été jugé illégal est de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

En ce qui concerne le montant de la réparation :

S'agissant des préjudices liés aux difficultés économiques et financières de la société Rochotte :

5. Me Dechristé, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Rochotte, expose que l'illégalité de l'arrêté interruptif de travaux du 16 mars 2012 a conduit à un arrêt des ventes le 14 avril 2012, faute de pouvoir disposer d'un local permettant de réceptionner le stock d'implantation de la nouvelle enseigne " Bricocash ", à une mise en congé des salariés, au blocage des projets de financement et des autorisations de découvert par les banques et, enfin, à la mise en place d'une procédure de redressement judiciaire le 2 mai 2012, conduisant à la liquidation de la société le 23 juillet 2012. Il demande l'octroi d'une somme de 985 259,17 euros correspondant au passif admis à la liquidation judiciaire. La société Groupe Franck Mennétrier Holding, qui se prévaut d'une promesse unilatérale de vente accordée le 22 février 2012 par le franchiseur " ITM Est ", dont elle n'aurait pu bénéficier, sollicite, quant à elle, la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 1 895 359,36 euros représentative de la valeur estimée des titres de la société Rochotte et des comptes courants d'associés. Enfin, M. C... réclame le versement d'une somme totale de 557 281,20 euros, soit 54 781,20 euros au titre d'une caution personnelle et solidaire souscrite le 18 février 2011 au profit de la société Rochotte, 272 500 euros au titre de la moins-value immobilière résultant de la vente forcée de sa maison d'habitation et 200 000 euros au titre de son préjudice moral.

6. Toutefois, alors que les requérants indiquent dans leurs écritures avoir transformé la réserve de l'enseigne " Bricomarché " en surface de vente pour n'y conserver que la réserve d'approche dédiée à la réception des livraisons de réassortiment, ils ne justifient pas avoir recherché d'autres solutions pour le stockage des marchandises, ni avoir entrepris des démarches pour régulariser leur situation en sollicitant, comme les y invitait le maire de Chaumont dans son courrier de mise en demeure du 5 mars 2012, la délivrance d'un permis de démolir et de construire. De surcroît, à supposer même que l'arrêté interruptif de travaux du 16 mars 2012 ait entraîné la cessation des ventes le 14 avril suivant, les intéressés, qui font pourtant valoir en première instance que l'ouverture du nouveau magasin avait finalement été reportée à l'automne 2012 pour des raisons de politique commerciale de l'enseigne, ne démontrent pas, par les éléments versés aux débats, que le redressement, puis la liquidation judiciaire de la société Rochotte, survenus dès les mois de mai et juillet 2012, seraient, de manière directe et certaine, imputables à cette cessation, ni d'ailleurs que celle-ci serait la cause de la mise en congé de l'ensemble des salariés et du blocage par les banques des projets de financement et des autorisations de découvert de cette société. Au demeurant, il résulte de l'instruction que le choix d'un changement d'enseigne au profit de " Bricocash ", magasin de bricolage à prix faibles mieux adapté à la demande locale, était justifié par une activité devenue déficitaire lors de deux derniers exercices et par la nécessité d'assurer la pérennité de l'exploitation commerciale. A cet égard, la seule production d'une attestation d'un expert-comptable en date du 27 septembre 2021 ne suffit pas à établir que ces déficits seraient dus à des provisions pour dépréciation de stock au titre des exercices 2010 et 2011.

7. Par suite, en l'absence de lien de causalité entre les préjudices allégués, dont certains ne sont d'ailleurs pas justifiés dans leur montant, et l'illégalité de l'arrêté du maire de Chaumont du 16 mars 2012, Me Dechristé, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Rochotte, la société Groupe Franck C... Holding et M. A... C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leurs conclusions à fin d'indemnisation. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

S'agissant des pertes de loyers liées au bail précaire conclu avec la société Rochotte :

8. Il résulte de l'instruction que la société Franck C... Expert immobilier a conclu avec la société Rochotte, le 22 février 2012, un bail dérogatoire précaire en vue de l'occupation, pour une durée d'un an non renouvelable, du bâtiment de stockage temporaire, dont les travaux de construction ont conduit le maire de Chaumont à prendre, le 16 mars 2012, un arrêté interruptif de travaux. Il n'est pas contesté que, du fait de cet arrêté, la société Franck C... Expert Immobilier n'a pas été mesure de percevoir le loyer annuel de 64 174,49 euros prévu dans le contrat. Il résulte des stipulations du bail dérogatoire, produit en appel, que ce montant correspond au remboursement des sommes engagées pour la construction du bâtiment de stockage, à savoir 58 864,68 euros au titre des frais de maçonnerie, 549,73 euros au titre des frais de mission " Sécurité et protection de la santé " et 4 760,08 euros au titre des frais de montage et de la charpente métallique. La société Franck C... Expert Immobilier justifie, par les factures versées au dossier, avoir acquitté ces différentes sommes, qui ont été exposées en pure perte du fait de l'interruption illégale des travaux. Elle est donc fondée à solliciter la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 58 864,68 euros, qu'elle se borne à réclamer à ce titre.

9. Cette somme portera intérêts à compter du 29 décembre 2017, date de réception de la demande préalable d'indemnisation, et les intérêts échus le 29 décembre 2018, puis tous les douze mois consécutifs à compter de cette dernière date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme totale de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Franck C... Expert Immobilier en première instance et en appel et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : L'Etat est condamné à verser à la société Franck C... Expert immobilier la somme de 58 864,68 euros. Cette somme sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2017. Les intérêts échus le 29 décembre 2018, puis tous les douze mois consécutifs à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêt.

Article 2 : L'Etat versera à la société Franck C... Expert immobilier la somme totale de 2 000 euros, au titre des frais exposés en première instance et en appel et non compris dans les dépens, en application des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le jugement n° 1800571 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 7 novembre 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Groupe Franck C... Holding en application des dispositions de l'article R. 751-3 du code de justice administrative et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée à la préfète de la Haute-Marne.

Délibéré après l'audience du 6 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président de la chambre,

- M. Meisse, premier conseiller,

- M. Marchal, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 octobre 2022.

Le rapporteur,

Signé : E. B...

Le président,

Signé : C. WURTZ

Le greffier,

Signé : F. LORRAIN

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N°20NC00135 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC00135
Date de la décision : 19/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: M. BARTEAUX
Avocat(s) : CHARDON

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-10-19;20nc00135 ?
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