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03/10/2022 | FRANCE | N°20NC02564

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 03 octobre 2022, 20NC02564


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision par laquelle la ministre de la justice, garde des Sceaux a implicitement rejeté ses demandes de réintégration dans les fonctions de délégué du procureur au tribunal judiciaire de Thionville et de versement d'une indemnité mensuelle de retard de 500 euros à compter du mois de décembre 2019 jusqu'à sa réintégration effective ou, subsidiairement, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 42 000 euros en indemnisatio

n de son préjudice financier et une somme de 10 000 euros en indemnisation de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision par laquelle la ministre de la justice, garde des Sceaux a implicitement rejeté ses demandes de réintégration dans les fonctions de délégué du procureur au tribunal judiciaire de Thionville et de versement d'une indemnité mensuelle de retard de 500 euros à compter du mois de décembre 2019 jusqu'à sa réintégration effective ou, subsidiairement, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 42 000 euros en indemnisation de son préjudice financier et une somme de 10 000 euros en indemnisation de son préjudice moral.

Par une ordonnance n° 2002757 du 6 juillet 2020, le président de la première chambre du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté les conclusions de M. B... comme étant portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2 septembre et 16 décembre 2020, M. B..., représenté par Me Coissard, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du tribunal administratif de Strasbourg du 6 juillet 2020 ;

2°) de faire droit à ses demandes présentées devant le tribunal administratif de Strasbourg ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision attaquée n'est pas un retrait d'habilitation relevant de la compétence de l'assemblée générale des magistrats du siège et du parquet, mais une sanction administrative déguisée de sorte que la juridiction administrative est compétente pour en connaître ;

- la décision n'est pas motivée ;

- la décision a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire.

Une mise en demeure a été adressée le 5 novembre 2021 au garde des sceaux, ministre de la justice, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Picque, première conseillère,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me Coissard représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. C... B..., fonctionnaire de police à la retraite, a été habilité à exercer les fonctions de délégué du procureur de la République pour une durée probatoire d'un an par une décision du procureur de la République de Metz du 8 février 2007. A l'issue de cette période, le procureur de la République l'a habilité pour une durée de cinq ans. Cette habilitation a été renouvelée en 2013 et en 2018, pour la même durée. Le 10 janvier 2020, à l'issue d'un entretien en présence de la directrice des greffes, la procureure de la République de Metz a demandé oralement à M. B... de reprendre ses effets personnels et de lui remettre les clés de son bureau avec interdiction d'y revenir en raison de faits estimés contraires à ses obligations déontologiques. Le 14 janvier 2020, M. B... a contesté cette décision verbale auprès du procureur général, qui a rejeté son recours hiérarchique par une décision du 21 janvier 2020 en lui indiquant que s'il était évincé de ses fonctions, pour manquements à ses obligations de respect et de réserve, il n'était toutefois pas révoqué. Un second recours hiérarchique effectué auprès de la garde des sceaux, ministre de la justice, le 7 février 2020, dans lequel l'intéressé demandait à être réintégré dans ses fonctions de délégué du procureur et une indemnisation de 500 euros par mois dans cette attente, a été implicitement rejeté. M. B... a ensuite demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler cette décision implicite de rejet ou, subsidiairement, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 42 000 euros en indemnisation de son préjudice financier et une somme de 10 000 euros en indemnisation de son préjudice moral. Il relève appel de l'ordonnance du 6 juillet 2020 par laquelle le président de la première chambre du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ces demandes comme étant portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

2. La juridiction judiciaire est compétente pour connaître des décisions ou mesures qui relèvent du fonctionnement du service public de la justice et dont l'examen se rattache à la fonction juridictionnelle ou conduit à porter une appréciation sur la marche même des services judiciaires.

3. Aux termes de l'article 15-33-30 du code de procédure pénale : " Les personnes physiques ainsi que les associations régulièrement déclarées qui ont été habilitées comme délégués du procureur de la République dans les conditions prévues par la présente section peuvent être désignées par ce dernier pour être chargées d'une des missions prévues par les 1° à 4° de l'article 41-1 ou pour intervenir lors de la procédure de composition pénale prévue par les articles 41-2 et 41-3 ". L'article 15-33-35 du même code dispose que : " Après avoir fait procéder à toutes les diligences qu'il juge utiles, le procureur de la République ou, si l'intéressé doit exercer ses fonctions dans le ressort de la cour d'appel, le procureur général décide de l'habilitation de la personne pour une durée probatoire d'un an. / A l'issue de cette période, le procureur de la République ou le procureur général décide de l'habilitation de la personne pour une période de cinq ans, après avis de l'assemblée générale des magistrats du siège et du parquet du tribunal ou de la cour d'appel, ou de la commission restreinte de l'assemblée générale des magistrats du siège et du parquet dans les juridictions où sa constitution est obligatoire. / L'habilitation est renouvelable pour une même durée selon la même procédure ". Enfin, selon l'article 41-1 du même code : " S'il lui apparaît qu'une telle mesure est susceptible d'assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l'infraction ou de contribuer au reclassement de l'auteur des faits, le procureur de la République peut, préalablement à sa décision sur l'action publique, directement ou par l'intermédiaire d'un officier de police judiciaire, d'un délégué ou d'un médiateur du procureur de la République : " 1° Procéder au rappel auprès de l'auteur des faits des obligations résultant de la loi ; 2° Orienter l'auteur des faits vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle ; cette mesure peut consister dans l'accomplissement par l'auteur des faits, à ses frais, d'un stage ou d'une formation dans un service ou un organisme sanitaire, social ou professionnel, et notamment d'un stage de citoyenneté, d'un stage de responsabilité parentale, d'un stage de sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels, d'un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes, d'un stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes ou d'un stage de sensibilisation aux dangers de l'usage de produits stupéfiants ; en cas d'infraction commise à l'occasion de la conduite d'un véhicule terrestre à moteur, cette mesure peut consister dans l'accomplissement, par l'auteur des faits, à ses frais, d'un stage de sensibilisation à la sécurité routière ; 3° Demander à l'auteur des faits de régulariser sa situation au regard de la loi ou des règlements. Cette régularisation peut notamment consister à se dessaisir au profit de l'Etat de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou qui en était le produit. Le dessaisissement peut également être fait au bénéfice d'une personne morale à but non lucratif désignée par le procureur de la République, lorsqu'il s'agit d'une chose dont l'auteur des faits est propriétaire et sur laquelle aucun tiers n'est susceptible d'avoir des droits ; 4° Demander à l'auteur des faits de réparer le dommage résultant de ceux-ci. Cette réparation peut notamment consister en une restitution, en une remise en état des lieux ou des choses dégradés ou en un versement pécuniaire au bénéfice de la victime ou de toute personne physique ou morale ayant eu à engager des frais pour remettre en état les lieux ou les choses dégradés ".

4. Il résulte de ces dispositions que les délégués du procureur de la République sont habilités par le procureur de la République et désignés par lui pour prendre les mesures utiles préalables à un éventuel classement sans suite des poursuites pénales. A ce titre, leurs missions ne sont pas détachables de la fonction juridictionnelle du procureur de la République. Ainsi, la décision par laquelle un procureur de la République suspend de ses fonctions un délégué se rattache à la fonction juridictionnelle, sur l'exercice de laquelle les attributions de la personne habilitée ont des effets. Par suite, la contestation et les conclusions indemnitaires s'y rattachant relèvent du fonctionnement du service public de la justice dont seule la juridiction judiciaire peut connaître.

5. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le président de la première chambre du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes comme étant portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaitre. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E:

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 5 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- Mme Picque, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2022.

La rapporteure,

Signé : A.-S. PicqueLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : M. A...

La République mande et ordonne garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

M. A...

2

N° 20NC02564


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC02564
Date de la décision : 03/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

17-03-02-07-05-02 COMPÉTENCE. - RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTION. - COMPÉTENCE DÉTERMINÉE PAR UN CRITÈRE JURISPRUDENTIEL. - PROBLÈMES PARTICULIERS POSÉS PAR CERTAINES CATÉGORIES DE SERVICES PUBLICS. - SERVICE PUBLIC JUDICIAIRE. - FONCTIONNEMENT. - DÉCISION PAR LAQUELLE LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE SUSPEND DE SES FONCTIONS UN DÉLÉGUÉ - ACTE SE RATTACHANT À LA FONCTION JURIDICTIONNELLE (1) - CONSÉQUENCE - COMPÉTENCE DE LA JURIDICTION JUDICIAIRE.

17-03-02-07-05-02 Les délégués du procureur de la République sont habilités par le procureur de la République et désignés par lui pour prendre les mesures utiles préalables à un éventuel classement sans suite des poursuites pénales. Leurs missions n'étant ainsi pas détachables de la fonction juridictionnelle du procureur de la République, la décision par laquelle un procureur de la République suspend de ses fonctions un délégué se rattache à la fonction juridictionnelle, sur l'exercice de laquelle les attributions de la personne habilitée ont des effets. Par suite, compétence de la juridiction judiciaire pour en connaître.......[RJ1].


Références :

[RJ1]

(1) Cf. TC 12 février 2018, Ministre de la justice c/ Mme Tempez n° 4111, B, ;

TC, 11 février 2018, M. Santelli c/ Ministre de la justice, n° 4115, A. Comp. s'agissant d'une mesure d'organisation du service public judiciaire, TC, 12 octobre 2015, M. Horaeau, n° 4019, A.


Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Anne-Sophie PICQUE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : SCP LEBON et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-10-03;20nc02564 ?
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